15 décembre 2025
Refuge - Alex Stuart
12 décembre 2025
A la découverte d’Alex Stuart
Installé dans la ville lumière depuis 2005, Alex Stuart, le plus parisien des guitaristes australiens (et réciproquement !), vient de sortir son cinquième opus, Refuge, en juin. Une belle occasion de partir à la découverte de ce guitariste passionné par le jazz, mais pas que…
La musique
À la base je voulais jouer de la batterie, mais mon père, qui s’est peut-être dit que ça allait faire moins de bruit, a suggéré que j'apprenne à jouer de sa vieille guitare acoustique à la place. J’ai essayé et ça a été le coup de foudre ! Bon, mes parents ont quand même fini par avoir une batterie dans la maison peu de temps après, car nous y répétions avec mon groupe de grunge !
J’ai pris des cours de guitare assez rapidement et me suis tout d’abord intéressé à jouer ce que j’écoutais à ce moment-là : du grunge et du punk des années 90. Petit à petit, avec ce groupe, nous nous sommes mis à faire des choses un peu plus funky, puis du hip-hop avec des influences jazz. À côté de ça, mon professeur de guitare, Lachlan Coventry, qui faisait ses études au Conservatoire de Jazz de Canberra, m’a naturellement orienté vers ce genre musical. J’ai adoré ! J’ai ensuite fait mes études au même endroit, l’Australian National University School of Music.
Au départ j’ai découvert le jazz par une émission qui s’appelait Jazztrack, présenté par Mal Stanley sur la radio ABC, en Australie. Je devais avoir dix ans et j’étais assez intrigué par cette musique. Je me souviens que quand je l’écoutais je me disais : « Ah ! C’est ça le jazz, une musique où personne ne joue ensemble » ! J’ai appris à mieux la comprendre par la suite ! Notamment grâce à la belle collection de vinyles de mes parents.
Mes influences sont tellement nombreuses et variées qu’elles sont difficiles à toutes énumérer... Cela dit, si je m’en tiens aux guitaristes, je citerais d’abord Pat Metheny. Ensuite, j’ai découvert John Scofield et Bill Frisell. J’adore ce qu’ils font. Par ailleurs j’ai énormément d’influences au-delà du jazz : le rock, les musiques africaines, les musiques indiennes, la musique minimaliste etc.
Alex
Stuart © Christophe Brachet
Cinq clés pour le jazz
Avant tout, je dirais que les cinq caractéristiques nécessaires pour le jazz sont l’ouverture d’esprit, l’écoute, le dialogue, le groove, l’improvisation et la bienveillance.
Qu’est-ce que le jazz ? C’est dur à définir, mais la définition la plus importante pour moi est liée à l’improvisation. En fait ce n’est pas la définition qui est importante, l’essentiel c’est d’écouter et de jouer de la musique qui nous plaît. Les cultures musicales se croisent tellement aujourd’hui que c’est parfois difficile de les mettre dans des cases. D’ailleurs c’est peut-être même l'essence du jazz qui, au début, à New Orleans, n'était qu'un joyeux melting pot de cultures différentes...
Pourquoi la passion du jazz ? Pour cette liberté d’improviser, de créer sur l’instant, d'extérioriser et de canaliser ce qu’on ressent.
Où
écouter et découvrir le jazz ? Sur CD,
vinyle ou dans un club en live ! Entre le concert et
l’enregistrement, il y a deux façons différentes de modeler le
son, aussi géniale l’une que l’autre !
Une anecdote autour du jazz ? Le plus beau, et l’un de mes premiers concerts de jazz : j’ai seize ans et assiste à un concert qui se déroule au Tilleys, une salle de concert à Canberra, juste à côté de chez moi. C’est Billy Harper en sextet, avec le pianiste australien Barney Mcall : la chair de poule du début à la fin…
Le portrait chinois
Si j’étais un animal, je serais un kangourou,
Si j’étais une fleur, je serais un hellébore,
Si j’étais un fruit, je serais une mangue,
Si j’étais une boisson, je serais du vin,
Si j’étais un plat, je serais un phở,
Si j’étais une lettre, je serais le A,
Si j’étais un mot, je serais positif,
Si j’étais un chiffre, je serais 9,
Si j’étais une couleur, je serais bleu,
Si j’étais une note, je serais le Sol.
Les bonheurs et regrets musicaux
Mon dernier album Refuge est ma plus belle réussite musicale ! C’est un disque qui est encore plus rock, plus compact que mes précédents, donc pas forcément au goût des puristes du jazz, mais j’en suis fier. D'ailleurs peut être que certains ou certaines ne le définiront pas comme étant du jazz. Peu importe ! Les compositions me sont venues assez rapidement, avec un vrai côté instinctif. Les talentueux musiciens de l’album et moi leurs avons ensuite donné leurs couleurs avec un vrai son de groupe. Ce que je cherche souvent en musique c'est la transe et avec cet album je m'y retrouve...
Récemment j’ai trouvé beaucoup de plaisir à jouer de la basse, donc je regrette de ne pas l’avoir fait plus tôt ! J’adore jouer de cet instrument en groupe, son rôle musical et sa présence dans le son.
Sur
l’île déserte…
Quels
disques ? Grace de Jeff Buckley, A Go
Go de John Scofield, Funeral
d’Arcade Fire, Gone, Just Like a Train de
Bill Frisell, Worotan d’Oumou Sangare,
Vespertine de Björk et le troisième disque d’At
The Blue Note de Keith Jarrett.
Quels livres ? Breath de Tim Winton, The Road de Cormac McCarthy, House of Spirits d’Isabel Allende, What a Carve Up de Jonathan Coe et One Hunder Years of Solitude de Gabriel Garcia Marquez.
Quels films ? The Usual Suspects de Bryan Singer, The Adventures of Priscilla de Stephan Elliott, Queen of the Desert de Werner Herzog, Rabbit-Proof Fence de Phillip Noyce et Pulp Fiction de Quentin Tarantino.
Quelles peintures ? Toutes les œuvres bleues d'Yves Klein qui me transportent… Le travail d’Anselm Kiefer.
Quels loisirs ? Bodysurf, pêche, guitare et basse, lecture et passer du temps dans la nature...
Les projets
Faire vivre au maximum Refuge, avec une série de concerts en 2025 et 2026...
Trois vœux…
La paix dans le monde.
Un partage beaucoup plus
égalitaire des richesses au niveau mondial.
Une
humanité qui apprend à vivre en harmonie avec le monde naturel.
This Anger Is A Liar - José Lencastre
Lencastre est entouré de João Hasselberg à la contrebasse et aux effets électro et Kresten Osgood à la batterie et à la voix. Au répertoire de This Anger Is A Liar, neuf morceaux créés par le trio.
Lencastre, Hasselberg er Osgood enchaînent les morceaux quasiment sans temps mort. Il n'y a pas vraiment de mélodies aux contours définis, mais plutôt des ambiances, vives et désarticulées (« Ancient Ancient Ground »), nerveuses (« Right Now »), déchaînées (« Showing the Way »), ou presque mélancoliques (« Facing your Truth »), voire churchy (« This Anger is a Liar »). Des dialogues contemporains – phrases courtes, voix intercalées (« Frequency ») – côtoient des mouvements amples (« It’s Coming »), des lignes en dents de scie (« Believe Me »), des emballements free (« This Anger is a Liar »), des notes tenues lointaines et mystérieuses (« Believe It »)… Les développements montent rapidement en tension (« Facing your Truth ») et les sinuosités finissent vite en envolées déjantées (« Believe Me »), poussés par une rythmique puissante et touffue (« Showing the Way »), des lignes heurtées (« Ancient Ancient Ground »), en zigzags (« Frequency ») ou tordues (« Right Now »), des cliquetis (« Believe Me »), une marche accélérée (« It’s Coming »), mais aussi par une voix off qui s'immisce au beau milieu des échanges (« Ancient Ancient Ground »). Aux crépitements répondent des motifs robustes (« Believe Me »), aux frappes serrées, un ostinato véloce (« Facing your Truth »), et un solo ébouriffant de la contrebasse (« Facing your Truth ») riposte à un chorus tonitruant de la batterie (« Showing the Way »). Le son est malaxé à coup de souffle, de claquements de langue, de réverbération et d'échos (« Frequency »), de vrombissements, grésillements, stridences et autres sirènes (« Right Now »), d'effets électriques entre radio et morse (« It’s Coming »), et de notes espacées comme un klaxon ou un cor de chasse (« Showing the Way »)…
This Anger Is A Liar fleure bon un free contemporain, trépidant et créatif. Difficile de croire que cette colère est un mensonge tant les propos, interactions et rugissements du trio sonnent justes et sincères...
Le disque
This Anger Is A Liar
José Lencastre / João Hasselberg / Kresten Osgood
José Lencastre (as, ts), João Hasselberg (b, electro), Kresten Osgood (d, voc)
FSRecords – FSR 23/2025
Sortie le 1er décembre 2025
Liste des morceaux
1. « Ancient
Ancient Ground » (4:34).
2. « Frequency »
(3:59).
3. « It’s
Coming » (6:03).
4. « Right
Now » (2.15).
5. « Facing
your Truth » (5:56).
6. « Showing
the Way » (4:33).
7. « Believe
It » (2:25).
8. « Believe
Me » (3:02).
9. « This
Anger is a Liar » (4:54)
10 décembre 2025
H.O.T. – Cyril Benhamou
Benhamou affectionne les belles mélodies (« White Keys »), lyriques (« Introspection »), voire même romantiques quand le violoncelle s'en mêle (« Estie's Dream ») ou que le morceau tourne au slow (« Opening »). Certains thèmes pourraient être des bandes sons de films (« Tu tango »), avec parfois un côté épique (« Selloum »). D'autres s'inscrivent davantage dans une ambiance jazz pop (« Abuelas ») entraînante (« Hip Hop des kids »). Les développements alternent passages tranquilles et mouvements vifs (« Abuelas »), échanges foisonnants et intermède minimaliste (« Irish Dance ») ou une structure à base de couplets et refrains (« Song for Avi »). Benhamou passe d'un jeu véloce, nerveux et touffu (« Irish Dance ») à un déroulé étiré (« Estie's Dream ») quasiment éthéré (« Selloum »), avec la danse en ligne de fond (« Hip Hop des kids »), des accents latinos à l'affût (« White Keys ») et des lignes mélodieuses à portée de doigts (« Abuelas »). Entre un unisson rythmique avec le piano (« Hip Hop des kids ») et un solo caverneux (« Abuelas »), Blanc assure une carrure économe (« Song for Avi »), régulière (« Irish Dance ») et solide (« Opening »). Mouriez est un batteur puissant (« Song for Avi »), aux frappes mates, sèches et serrées (« Irish Dance »), aussi à l'aise en binaire (« Estie's Dream ») qu'en poly-rythmes (« Tu tango »), et qui privilégie les rythmes chaloupés (« Hip Hop des kids »), portés par des rim shot (« White Keys »), des cliquetis (« Song for Avi ») et un drumming luxuriant (« Irish Dance »).
Benhamou ne boude pas ses plaisirs ! H.O.T. transpire une joie de vivre, simple, conviviale et énergisante.
Le disque
H.O.T.
Cyril Benhamou
Cyril Benhamou (p), Pascal Blanc (b) et Jérôme Mouriez (d).
Binaural Prod
Sortie le 14 novembre 2025
Liste des morceaux
01. « Irish Dance » (4:23).
02. « Estie's Dream » (4:14).
03. « Hip Hop des kids » (5:27).
04. « Abuelas » (5:54).
05. « Introspection » (0:38).
06. « White Keys », Gonzales (3:12).
07. « Song for Avi » (5:19).
08. « Selloum » (02:14).
09. « Tu tango » (4:44).
10. « Opening » (3:44).
Tous les morceaux sont signés Benhamou, sauf indication contraire.
04 décembre 2025
Trois fauves au 38Riv Jazz Club
En 2011 Vincent Courtois monte le Trio Mediums avec Daniel Erdmann et Robin Fincker. Après un album éponyme en 2012, le trio sort West Trio Mediums en 2015, avec Benjamin Moussay au piano, puis Bandes Originales en 2015 et Nothing Else en 2023. Le 26 novembre 2025 le 38Riv Jazz Club programme le Trio Mediums pour fêter la sortie de Lines for Lions le 7 novembre sur le Label La Buissonne.
Lines for Lions est un clin d'œil à « Line for Lyons », morceau composé par Gerry Mulligan en 1952 en hommage à James L. Lyons, fondateur du Monterey Jazz Festival en 1958, et à ne pas confondre avec le saxophoniste Jimmy Lyons… C'est également le titre d'un disque enregistré par Chet Baker et Stan Getz en 1983 lors d'un concert en Suède. Ces références permettent d'emblée de situer Lines for Lions dans la lignée du jazz West Coast. D'autant plus que l'instrumentation du trio - un violoncelle, et deux saxophones ténors ou une clarinette et un saxophone ténor - n'est pas sans rappeler certains combos chambristes de Jimmy Giuffre, Bud Shank, Shorty Rogers, Lee Konitz… Le programme du concert reprend dans l'ordre les huit morceaux de Lines for Lions.
Après l'introduction a capella de Fincker sur « Alone In Fast Lane », Courtois et Erdmann lancent un riff qui permet à Fincker de dérouler une ligne mélodique teintée d'accents bluesy. Le thème-riff ultra-rapide joué à l'unisson évoque l'univers d'Ornette Coleman, fort éloigné du « In The Fast Lane » de Jean-Luc Ponty (Storytelling - 1989) et encore plus du « Life In The Fast Lane » d'Eagles (Hotel California - 1976)… Comme quoi, toute ressemblance avec des titres existants n'augure pas du style musical ! Sur le violoncelle en walking bass véloce, Fincker prend un solo dans une veine be-bop. Les contrepoints virtuoses d'Erdman puis le dialogue nerveux avec Fincker s'inscrivent en plein dans les constructions West Coast. « Mulholland Coffee Break » est sans doute une allusion au Mulholland Drive que David Lynch a réalisé en 2001. Le démarrage mystérieux avec des vibrations, des chœurs économes, des notes tenues… est d'ailleurs très Lynchien. Le développement torturé et complexe du violoncelle évoque la musique de chambre contemporaine, tout comme les questions-réponses élégantes entre la clarinette et le saxophone ténor. Le morceau s'apparente davantage au Third Stream. Ils enchaînent sans transition « There and Then ». Là encore, toute similitude avec le …There and Then d'Oasis, vidéo de 1996 tirée du (What's the Story) Morning Glory? Tour, est purement fortuite… Sur une ligne bluesy du violoncelle à l'archet, entre cordes frappées et frottées, puis en pizzicato avec des glissandos, le ténor et la clarinette croisent leurs voix, joutent à coup de phrases décalées et déploient des contre-chants plus subtils les uns que les autres. Coleman semble toujours être en filigrane de ce traitement dissonant du blues. Les trois musiciens ont des sonorités exceptionnelles, une mise en place rythmique impressionnante et un jeu d'une précision confondante !
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Robin Fincker, Vincent Courtois et Daniel Erdmann – 26 novembre 2025 – 38Riv Jazz Club © PLM |
« Finally Giovanni » fait référence à Johannes, un ami bavarois d'Erdmann qui rêvait d'être Italien et qui, finalement, se découvre un grand-père italien… Retour à la West Coast avec Courtois qui alterne motifs relax et walking, Erdmann qui joue un balancier, et Fincker en contrepoint. L'entrelacs des voix, les lignes imperturbables du violoncelle et la construction sophistiquée des morceau est, là encore, typiquement West Coast. Dans « Seven Lines for Old Mediums » Courtois rend hommage à son trio, actif depuis déjà une quinzaine d'années. L'introduction du violoncelle préparé et le thème tortueux évoquent la musique contemporaine. Sur une pédale des saxophones ténor, le violoncelle fait évoluer le morceau progressivement, dans une ambiance sombre. La conversation des saxophones finit par s'amplifier, sur un violoncelle qui se fait plus lointain et le final en trio évoque la musique de chambre du début XXe. « Lion's Den », à ne pas confondre avec le tube éponyme de Tracks, album de Bruce Springsteen sorti en 1982, démarre sur une walking dansante de Courtois. Fincker aligne des variations mélodiques tendues dans un style qu'Art Pepper ne renierait pas. Erdmann rejoint pour un unisson élégant, puis des superpositions de voix raffinées. Courtois poursuit avec un chorus a capella brillant sur une pédale qui ponctue des envolées débridées, véloces, puissantes… Les saxophones ténor entrent dans la danse pour un final luxuriant, tout à fait dans l'esprit West Coat ! « Adios Body (Hello Soul) » est évidemment un clin d'œil au « Body and Soul » composé en 1930 par Edward Heyman, Robert Sour, Franck Eyton et Johnny Green. L'ostinato du violoncelle en pizzicato oscille comme une horloge pendant que les saxophones ténors font des effets de souffles et de clés. Le violoncelle passe à l'archet pour renforcer l'aspect mélancolique d'une mélodie étirée et empreinte de tristesse. L'accompagnement, d'abord minimaliste, finit par s'emballer petit à petit jusqu'à un paroxysme free, interrompu momentanément par une ligne claire du violoncelle, des riffs de Fincker et un swing syncopé d'Erdmann. Le concert s'achève sur « Hobo Clown », le fameux Weary Willie d'Emmett Kelly… Après une entame lyrique du violoncelle, les deux saxophones ténors lancent un riff qui se décale progressivement jusqu'à devenir des contrepoints vifs, soutenu par le pizzicato serré et véloce du violoncelle. Quelques accents funky s'immiscent dans les échanges entre les deux saxophones ténors, qui, portés par les frottements rapides de Courtois, finissent par lâcher la bride, avant de conclure dans une ambiance musiques du monde.
Spirituelle, tempétueuse et surprenante, la musique de Courtois, Erdmann et Fincker est tout simplement remarquable !
Le disque
Lines for Lions
Trio Mediums
Daniel Erdmann (ts), Robin Fincker (cl, ts) et Vincent Courtois (cello)
Label La Buissonne - RJAL397051
Sortie le 7 novembre 2025
Liste des morceaux
01. « Alone in Fast Lane », Courtois (03:25).
02. « Mulholland Coffee Break », Erdmann (04:45).
03. « There and Then », Fincker (07:46).
04. « Finally Giovanni », Erdmann (03:35).
05. « Seven Lines for Old Mediums », Courtois (04:24).
06. « Lion's Den », Fincker (06:26).
07. « Adios Body (Hello Soul) », Courtois (07:51).
08. « Hobo Clown », Fincker (04:22).
02 décembre 2025
Joce Mienniel monte le son à la bibliothèque Andrée Chedid
Depuis 2017, pendant un mois, entre novembre et décembre, les bibliothèques de Paris organisent le festival Monte le Son autour d'une thématique commune. En 2025, du 6 novembre au 6 décembre, une vingtaine d'événements (gratuits) se déroulent aux quatre coins de la capitale pour faire un « zoom sur de surprenants instruments ». Le 22 novembre, la bibliothèque Andrée Chedid propose un concert en solo du multi-flûtiste et poly-instrumentiste Joce Mienniel.
Comme le rappelle Mienniel avec malice, « l’art de la flûte est quand même quelque chose de millénaire maintenant... Cet instrument est là depuis soixante mille ans, donc je ne pense pas que l’on puisse encore se poser la question de savoir s’il est moderne ou pas… » Le musicien est venu avec une belle panoplie de flûtes, du piccolo à la flûte basse en passant par la grande flûte en ut, la flûte alto, mais aussi un bansurî de Pondichery, diverses guimbardes, quelques percussions et moult loopers. Grand amateur d'ethnomusicologie et de musiques du monde, l'artiste tient à préciser qu'il ne s'agit pas de rejouer des morceaux de tel ou tel pays : « ce que vous allez entendre n’est pas la musique d’un territoire, mais la musique de mon territoire… »
Joce Mienniel – Bibliothèque Andrée Chedid – 22 novembre 2025 ©
PLM
Mienniel attaque avec « Stéréométrie », composition au programme de Babel, enregistré en 2018 avec un sextet entre jazz et musique du monde. Le flûtiste utilise cet air comme matériau de base pour réunir des musiciens de style différent, à l'instar de ses rencontres avec les Instruments Migrateurs. Après une introduction douce et méditative aux accents indiens, à l'aide des loopers Mienniel enregistre des riffs rapides sur lesquels il expose le thème mélodico-rythmique. Au fur et à mesure qu'il développe « Stéréométrie », il étoffe l'arrière-plan, qui devient dense et hypnotique. Les superpositions de voix et l'utilisation de techniques étendues donnent l'impression d'avoir à faire à un orchestre. Pour le deuxième morceau, Mienniel commence par enregistrer trois motifs en contre-chant avec un bansurî, à la sonorité aiguë et boisée. Il ajoute ensuite un motif rythmique interprété à la guimbarde et complété par des percussions. Dans ce décor ethnique touffu, les phrases et autres stridulations de la flûte se détachent telle une prière. Mienniel enchaîne avec une ligne majestueuse à la flûte basse et un riff lointain, qui lui servent de toile de fond pour un développement entre musique du monde et minimalisme. Quand le piccolo, strident, s'en mêle, le morceau prend une tournure folklorique. C'est toujours en Asie, mais plutôt dans l'Himalaya que nous emmène à présent Mienniel. La guimbarde et les vocalises graves, vibrantes et douces ressemblent à une mélopée bouddhiste. Après avoir rajouté des vagues de notes, le morceau change de direction et la flûte de Mienniel surfe énergiquement au-dessus, emportée par cet environnement puissant. Cette ambiance surchauffée, ponctuée de cris, d'effets de souffle, de claquements des clés… fait quasiment penser à une samba ! La conclusion est une ligne et des riffs élégants sur un bourdonnement électro. Pour terminer le concert, Mienniel reprend un deuxième morceau de Babel : « Medina Coura ». Evocation d'un quartier de Bamako, ce thème est un hommage à Ali Farka Touré. Là encore, Mienniel compose ses poly-rythmes avec soin : une boucle de base jouée avec les clés et ponctuée d'effets de bouche, auxquels se combinent des riffs profonds à la flûte, des vibrations de guimbarde, des percussions et des coups de sifflet. Dans ce climat sonore intense et dansant, la flûte trace des courbes tendues et entraînantes.
Heureux qui comme le public de la bibliothèque Andrée Chedid, a fait un beau voyage grâce à Mienniel et ses flûtes enchantées…
01 décembre 2025
Guillaume Latil & Matheus Donato au Café de la Danse
Pour célébrer la sortie d'Hémiphères le 15 septembre 2025 chez Matrisse Productions, le violoncelliste Guillaume Latil et le joueur de cavaquinho Matheus Donato se produisent au Café de la Danse le 5 novembre 2025.
Avec le Cuareim Quartet, en duo avec Pierre Tereygeol ou Anthony Jambon, dans Le Temps Virtuose en compagnie de Sophie Alour, Pierre Perchaud et Anne Paceo ou aux côtés d'André Manoukian, de Mosin Kawa et de Rostom Khachikian, Latil multiplie les coopérations musicales tous azimuts. Doanato n’est pas en reste, en solo ou en trio avec Mauricio Melo et Darcy Gomes ou le projet Aquele Baïle!, avec Azilis Esnault, Edouard Ravelomanantsoa, Christope Bras, Giulia Tamanini et Rossmary Rangel... Leur curiosité commune pour tout style musical, avec une prédilection pour les musiques du monde et le jazz, ne pouvait que les rapprocher.
Le programme de la soirée reprend dix des douze morceaux d'Hémisphères, plus l'andante du concerto pour deux mandolines d'Antonio Vivaldi, « Sensivel » de Pixinguinha et « Un Verdadero Americano », signé Donato. Alour et Perchaud sont venus écouter leur compère du Temps Virtuose, il faut dire que le guitariste est le directeur artistique du disque. Rozenn Bézier, Thierry Eliez, Diego Imbert, Clément Janinet... font également partie du public.
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Matheus Donato & Guillaume Latil – Café de la Danse – 5 novembre 2025 © PLM |
Sur le fringant andante de Vivaldi, Donato fait sonner le cavaquinho comme une mandoline, tandis que le violoncelle en pizzicato assure la basse continue. Le duo enchaîne sans transition « Palais Longchamps », une composition élégante de Latil. Donato passe d'un soutien délicat à un déroulé vif, pendant que le violoncelle brode dans une veine lyrique. Le morceau éponyme du disque est entraînant avec un dialogue du cavaquinho et du violoncelle qui prend parfois la tournure d'un tango : les phrases romantiques du violoncelle répondent aux lignes magistrales du cavaquinho. Dans « Aos Meus Amigos » le violoncelle dessine des arabesques tandis que le discours du cavaquinho s'inscrit également dans une ambiance arabo-andalouse dansante. « Urban Poem » démarre dans une atmosphère baroque avec des leitmotivs solennels, puis le cavaquinho et le violoncelles mettent en scène un motif sombre. Le cavaquinho joue un ostinato imperturbable pendant que le violoncelle virevolte et le morceau s'emballe avant un final poétique. « Et si... », sorte d'intermède sans thème, repose juste sur quatre accords simples qui s'entrecroisent. « Milonga Gris » est un morceau du pianiste argentin Carlos Aguirre. Sur un riff entraînant de Latil en pizzicato, Donato fait d'abord jaillir le thème à toute allure, avant de le développer avec subtilité, sans cesser de converser avec le violoncelle. « Sensivel » de Pixinguinha démarre par des effets et un foisonnement de voix. Sur une ligne de basse solide jouée au violoncelle, le cavaquinho expose ensuite la valse, qui prend un virage folklorique. Latil et Donato s'en partagent le développement, gracieux et aérien. « Un Verdadero Americano » est un morceau de Donato en 5/8 inspiré d'un meringue vénézuélien. La mélodie et le rythme sont sophistiqués, un mélange de danse et de musique classique. Le romantique « Träumerei », tube de Robert Schumann extrait du cycle Kinderszenen, prend de l'élan quand Latil frappe la table d'harmonie et Donato glisse des syncopes dans son interprétation. « Yaô » est un maxixe de Pixinguinha. Après une introduction au violoncelle préparé, dont la sonorité s'apparente de loin à une sanza, le cavaquinho déroule lentement l'air sur un pizzicato tranquille du violoncelle. L'accélération et les crépitements du duo font décoller « Yaô », avec une dramaturgie habilement structurée. Le thème-riff de la « Prière en Bambara » reprend l'architecture d'un morceau traditionnel avec des boucles rythmiques et le discours du cavaquinho qui ressemble à celui d'une kora. La conclusion rappelle davantage la musique manouche, avec des échanges acérés entre Latil et Donato. Une gigue folklorique enjouée lance « Horochoroforró », combinaison du horo bulgare, du choro et du forró brésiliens… Le violoncelle et le cavaquinho alternent les rôles jusqu'au chorus virtuose de Donato, a capella, et à la reprise de la ronde folklorique qui conclut le morceau. En bis, le duo propose « La vie en rose » et fait chanter le public.
Le jazz du monde de Latil et Donato réunit deux Hémisphères géographiques, peut-être, mais surtout musicaux : musiques ethniques et musiques savantes. Ils nous donnent en tous cas l'occasion d'écouter un duo inouï et une musique envoûtante.








