Guitariste,
compositeur, arrangeur, programmateur… et directeur artistique du Maisons-Laffitte Jazz Festival, Samuel Strouk possède plus de six cordes à son arc ! Il
revient sur le maintien de l’édition 2020 du MLJF, qui se déroulera du 12 au 21
juin dans un format digital inédit !
Parlons
d’abord de l’édition 2020 du Maisons-Laffitte Jazz Festival. Alors que la
plupart des festivals ont décidé d’annuler leur édition 2020 en raison de la
crise sanitaire, vous avez décidé de maintenir le festival, mais sous un format
digital… Pouvez-vous expliquer comment va se dérouler cette édition pour
le public ?
Cette
édition se déroule en deux temps. Dans un premier temps, la production de
contenus inédits : captation des concerts des sept artistes programmés et
tournage d’interview exclusives ainsi que du making of du festival. Dans un
deuxième temps aura lieu la diffusion des tous ces contenus, en ligne et
gratuitement, sur le site web et sur les réseaux sociaux du festival. Du 12 au
21 juin un rendez-vous est donné quotidiennement à 18h pour suivre ces concerts
en live-stream.
Et pour
les musiciens ?
Les
musiciens eux viennent sur le site du festival pour jouer leur répertoire en
condition de concert, participent aux interviews et ensuite ils relayeront sur
le web les contenus qui les concernent.
Ce
format digital inédit a-t-il eu un impact sur la programmation du
festival ?
Oui nous
avons axé sur les artistes Français qui étaient programmés cette année, les
musiciens étrangers ne pouvant plus se rendre en France.
Il y a
une forme d’engagement social dans le fait de maintenir le festival :
combien de personnes vont pouvoir travailler sur le festival ?
C’est près
de 80 personnes qui travaillent sur l’évènement. L’idée de départ vient d’un
élan de solidarité : pendant le confinement, j’ai souhaité faire tout ce
qui était possible pour rediriger les financements du festival vers l’ensembles
des professionnels qui devait y participer initialement, afin de maintenir à
notre échelle une activité économique et participer à la relance de la filière.
Vos
partenaires ont tout de suite adhéré à cette formule digitale ?
Oui pour
la plupart, mais certains ont aussi été dans l’obligation de se retirer, étant
eux-mêmes trop impactés par la crise en cours.
Comment
est né le Maisons-Laffitte Jazz Festival et pourquoi Maisons-Laffitte ?
Maisons-Laffitte
Jazz Festival est né de « Jazz à Maisons-Laffitte ». L’ancienne
formule de l’événement s’était essoufflée en 2013 et j’ai proposé de reprendre
le flambeau. Depuis huit ans maintenant l’événement s’est considérablement
transformé et étoffé. Maisons-Laffitte est une ville dynamique sur le plan
culturelle, il y a un public qui attendait la manifestation et beaucoup
d’amateurs de Jazz.
Qu’est-ce
qui a guidé le format du festival : une dizaine de concerts sur une
semaine juste avant l’été ?
Le format
du festival est en constante évolution. L’année dernière, quand nous avons
accueillis Richard Bona, nous avons inauguré une nouvelle scène en
extérieure dans le parc du château de Maisons-Laffitte. Cela a été un très
grand succès. Cette année, en 2020, huit concerts supplémentaires devaient
avoir lieu dans ce nouveau lieu. Il est possible que d’ici quelques années le
nombre de concert présentés par édition continue de croitre.
En
dehors des concerts, le Maisons-Laffitte Jazz Festival propose-t-il des
événements off, conférences et autres master-class ?
Pour
l’édition Digitale 2020 nous n’avons pas eu d’autres possibilités que de nous
consacrer exclusivement aux concerts et interviews. Mais dans les éditions
régulières nous avons un volet off assez développé avec une action culturelle
prononcée. Nous proposons chaque année des concerts gratuits pour les scolaires
et les personnes âgées, des concerts off gratuits en ville et sur les sites du
festival, notamment pour la fête de la musique. A cela s’ajoute des apéro Jazz
tous les soir de concerts, moment prisé des mansonniens ou tout le monde peut
venir gratuitement écouter un groupe de jazz des Yvelines en mangeant sur place
ou en prenant un verre. Nous proposons également chaque année une projection
thématique avec le Cinéma L’Atalante de Maisons-Laffitte durant laquelle il
arrive que des musiciens ouvre la soirée par un concert gratuit. Enfin nous
sommes partenaire du conservatoire de Maisons-Laffitte et suivons le concert de
la classe de Jazz. Dans le passé, nous avons également proposé des masterclass
avec des musiciens américains.
Le
Maisons-Laffitte Jazz Festival fête ses quinze ans : quelle est la recette
de sa longévité ?
De la
motivation, de l’engagement et de la bonne humeur !
Comment
se finance le Maisons-Laffitte Jazz Festival ?
Maisons-Laffitte
Jazz Festival peut compter sur des partenaires historiques comme La Ville de Maisons-Laffitte,
qui a d’ailleurs jouer un rôle prépondérant dans l’édition digitale de cette
année : il n’était pas facile de prendre la décision de nous ouvrir les
salles de concerts au moment où nous étions tous dans la crainte de nouvelles
contaminations. La Région Ile-de- France est également un partenaire historique
et important. Nous sommes aussi soutenus par les sociétés professionnelles
comme La Sacem, La Spediam, l’Adami et le FCM. Enfin nous pouvons compter sur
des partenariats et mécènes locaux pérennes.
Quels
ont été les moments forts de ces quinze premières années ?
Ce serait
long à citer pour être exhaustif. A titre personnel, j’ai un souvenir très
particulier du concert de Pedrito Martinez, le 13 juin 2018, qui a
littéralement enflammé le public : tout le monde s’est levé pour danser,
ce qui assez rare dans un festival de jazz... Ce jour-là, mon deuxième enfant
est né le matin même et j’ai quitté la maternité juste à temps pour accueillir
le groupe et organiser cette soirée mémorable !
Même
s’il y a quelques constantes – de la chanson, du jazz manouche – la
programmation du festival est éclectique, avec des musiciens français et
étranger : comment qualifierez-vous la ligne éditorial du festival ?
Nous avons
à cœur de défendre les répertoires nouveaux et innovants tout en mettant en
valeur des artistes en développement aux cotés de têtes d’affiches
internationales. Nous avons aussi comme priorité de mettre en avant la scène
Française, riche d’artistes exceptionnels et extrêmement talentueux. Le Jazz
français s’est distingué depuis longtemps sur la scène internationale, il est
de notre ressort, en tant qu’organisateurs, de promouvoir ce capital culturel
commun.
Vincent
Peirani, Anne Paceo, Emile Parisien, Samy Thiébault, Biréli Lagrène, André
Ceccarelli… font partie des « habitués » du festival. Comment
sélectionnez-vous les artistes ?
Principalement
en fonction de leur actualité, et en essayant de proposer un voyage esthétique
au public. Beaucoup de festivaliers ont été conquis par nos propositions depuis
huit ans et prennent des pass tous concerts. Notre souhait est qu’ils
soient surpris et étonnés à chaque concert.
Vous
êtes vous-même musicien : qu’est-ce qui vous a amené à la musique, à la
guitare et au jazz ?
La musique
elle-même ! C’est l’émotion provoquée par l’écoute de certains musiciens
et/ou compositeurs qui m’a convaincu de me diriger vers la musique. J’ai eu la
chance de grandir dans une famille très sensible à la musique et, tout petit
déjà, j’aimais écouter et voir des musiciens jouer. J’ai commencé par le piano
avant de me diriger vers la guitare pour faire du rock étant adolescent. Très
rapidement, j’ai été conquis par Django Reinhardt et Wes Mongomery,
le Jazz et les musiques traditionnelles, avec tout ce qu’elles comportent de
liberté, ne m’ont plus jamais quitté...
Pourquoi
être passer du côté de l’organisation d’un festival ?
J’ai
toujours organisé des événements. Plus jeune j’organisais beaucoup de soirées
électro. Le plaisir de réunir des personnes autour d’un événement festif et
chaleureux fait partie de ma personnalité. Une des plus belles récompenses
quand vous proposez un événement, c’est de réussir à créer une ambiance
particulière entre les personnes, de voir un public heureux, dans une forme de
communion bienveillante.
Il y
aurait plus de cinq cents festivals de jazz en France. Que pensez-vous de cette
profusion et comment trouver son public devant une offre aussi
pléthorique ?
C’est
génial ! Cela signifie que les Français aiment ça et qu’il y a une forte
demande. La musique est un art de l’instant, du live. Tous ces festivals
donnent la possibilité au public et aux artistes de créer à chaque fois des
moments d’intensité liés aux performances « live ».
Comment
expliqueriez-vous qu’une musique aussi confidentielle que le jazz puisse
attirer autant de festivaliers ?
Le Jazz
est un courant majeur de la musique de ces cent dernières années. Du Jazz est
né toute la musique afro américaine, qui est elle-même la source de nombreuses
expériences, jusqu’au Hip Hop. Par ailleurs, le Jazz a toujours mis en avant la
forme du concert, du live. Le Jazz est une musique qui permet une réinvention
du même répertoire à chaque concert. Ce n’est pas étonnant que le public ne s’y
trompe pas ! Après, si l’on compare la fréquentation des festivals de Jazz
à celle des festivals de musique actuelle, les proportions ne sont pas du tout
les mêmes. Je n’ai pas connaissance d’un festival de jazz qui rassemble des
dizaines de milliers de personnes quotidiennement comme peut le faire Rock en
Seine par exemple…
En tant
que programmateur du festival, comment voyez-vous l’évolution du jazz depuis
ces quinze dernières années ?
Le
sentiment que j’ai est que le Jazz poursuit sa transformation continuelle. Il y
a de plus en plus de musiciens improvisateurs et de Jazzmen très talentueux
dans tous les pays. C’est très impressionnant ! Et beaucoup de jeunes
également.
Et le
futur de cette musique ?
Personne
ne peut le prévoir !
A une
époque où la musique dématérialisée a pris le pas sur le disque, pensez-vous
que les festivals dématérialisés, comme l’édition 2020 du Maisons-Laffitte Jazz
Festival, sont appelés à se développer ?
Sûrement !
Avec l’avènement de l’ère technologique que nous connaissons, comment
pourrait-il en être autrement ? D’autant que les événements numériques
peuvent prendre des formes insoupçonnées. Très récemment, Travis Scott a
fait un show très impressionnant dans Fornite. C’est le point de départ d’une
multitude de possibilités : un concert virtuel, en ligne dans un jeu
vidéo, diffusé a tous les gamers du monde entier simultanément ! C’est
quand même dingue… Cela dit, ce type d’événement ne remplacera jamais les
performances qui présentent des musiciens devant un public. La musique est un
ensemble de vibrations de l’air qui se déploie devant vous et, à mon sens, la
sensation directe de ces vibrations est irremplaçable.
De
nombreux musiciens confinés ont joué pour leur public en live, mais devant leur
ordinateur… Pensez-vous que la crise sanitaire qui secoue le monde en ce moment
peut / va faire changer la manière d’écouter la musique durablement ?
Probablement,
surtout si les moyens de captation et de restitution de l’image et du son
s’améliorent ! Mais de la même façon que pour les événements numériques,
il restera toujours une chose inimitable, une chose que l’on ne saura restituer
sans être l’un en face de l’autre...
Le mot
de la fin ?
Vive la musique et vive le live en vrai ! Vivement que nous soyons
tous en mesure de nous retrouver à nouveau dans une salle de concert bondée, où
le sol tremble sous les pas des danseurs, où les personnes crient de plaisir et
de joie en écoutant les musiciens qu’ils aiment !