30 mars 2025

Quatre instruments migrateurs au Comptoir

Le 13 mars 2025 Le Comptoir programme le quinzième rendez-vous mensuel de Joce Mienniel et des instruments migrateurs. La règle du jeu est simple : le flûtiste invite des musiciens de tous horizons qui se rencontrent pour répéter le jour même et donnent leur concert dans la foulée.
 

Joce Mienniel – Musique au Comptoir – 13 mars 2025 © PLM


Pour cette session Mienniel est entouré de Séverine Morfin à l’alto, Daouda Mangara au n’goni et Denis Colin aux clarinettes basse et contralto. 

Denis Colin © PLM


Les thèmes des morceaux font la part belle aux rythmes, d’un thème-riff (« Stéréométries ») à un motif dansant (« Oeuvre sans titre »), parfois teinté de blues quand le n’goni s’en mêle. Ils laissent quand même la place à des dialogues quasiment langoureux entre l’alto et la flûte (« Musique au Comptoir »), avec, souvent, des couleurs folk world. Côté section rythmique, l’alto joue des ostinato en pizzicato ou des motifs folk, tandis que le n’goni place ses riffs entêtants, la flûte fait tourner ses boucles mélodico-rythmiques et la clarinette basse aligne des lignes entraînantes. Dans les développements, la flûte et ses techniques étendues – ou l’harmonica (« Musique au Comptoir ») – empruntent les sentiers de la World Music. L’alto, très à son aise dans ses musiques ethniques, ne se prive pas pour faire des excursions dans la musique médiévale (« Stéréométrie »), la clarinette basse swingue en contre-chant (« Œuvre sans titre ») et dans des dialogues pimentés (« Musique au Comptoir »), tandis que le n’goni lui répond avec verve (« Œuvre sans titre ») ou place des contre-chants élégants (« Improvisation collective » en bis).
 
 

Daouda Mangara © PLM


Comme dans chaque session, Mienniel laisse les musiciens jouer un morceau en solo a cappella pour présenter leur musique. Morfin part dans un chorus sombre et majestueux, avec des contrepoints qui évoquent la musique baroque. Mais, fait rarissime, la plaque de tête ou la tête de l’archet cèdent et la mèche avec, et elle doit s’interrompre… Ce n’est que partie remise, espérons-le, car son chorus était de toute beauté. Le solo de Mangara évoque le blues. Aidé par le public qui frappe des mains à sa demande, il alterne variations mélodiques et phrases rythmiques, ce qui donne l’effet d’avoir deux instruments en alternance. A la clarinette contralto, Colin prend son tour de chant sur « Samba e amo » de Chico Buarque. Colin transcende cette samba crépusculaire avec une sonorité ronde et grave, un swing contagieux et des lignes sinueuses d’une grande tenue. Quant à Mienniel, avec sa flûte et ses pédales, il commence par des boucles lointaines, des ostinatos, des phrases courtes vives et hachées, des effets multiples, pour un morceau dans un esprit rythmique, quasi musique concrète.
 
 
Bravo ! La musique des Instruments Migrateurs de Mienniel est réjouissante pour les oreilles et l’esprit. Espérons que cette belle résidence débouche sur un (des?) disque(s) et des tournées… qui ne pourront que faire du bien à tous !
 

  Séverine Morfin – Musique au Comptoir – 13 mars 2025 © PLM





29 mars 2025

While We’re Strollin’ – Virginie Daïdé Quartet

A ce jour, la discographie de Virginie Daïdé s’articule autour de trois axes : le jeune public avec la formation Rit Qui Qui et deux albums – Les vacances zones A, B, C (2019) et Vivre heureux dans un pull qui gratte (2021) –, la musique brésilienne avec également deux disques – De todo lado (2017), en trio avec Léo Cruz et Nicholas Thomas, puis Dream Jobim (2019), en compagnie d’un groupe à géométrie variable et la participation de Tom Harrell – et le Virginie Daïdé Quartet, avec encore deux opus, Moods (2023) et While We’re Strollin’ qui sort le 7 février 2025.

La saxophoniste a monté son quartet avec Nicolas Dri au piano, Thomas Posner à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie. Daïdé signe huit des onze compositions et les autres membres du quartet en proposent chacun une. Le titre de l'album évoque peut-être par hasard le Strollin' d'Horace Silver, mais ce n'en est pas moins une belle référence !

La plupart des morceaux commence par des thèmes-riffs (« Last Minute »), joyeux (« Let’s Go To The Gig ») et entraînants (« Rue du poulet »). Ils ont parfois des accents latin jazz (« Cerise pêche prune abricot »), voire funky (« Blowing Notes »). Le quartet ne boude pas non plus les ballades nonchalantes (« Forgetting »), langoureuses (« Gone ») ou sentimentales (« El descarillador »). Si ses chorus sont mélodieux (« Rue du poulet ») et ses riffs puissants (« Ginger Blues »), Posner joue plutôt des lignes minimalistes (« Esplanade ») et aérées (« El descarillador »). Comme quand il jouait avec Henri Texier, d’ailleurs « Let’s Go To The Gig » rappelle certaines compositions du contrebassiste, Rabeson déploie un jeu chatoyant (« Last Minute »), truffé de crépitements (« Ginger Blues »), cliquetis (« Cerise pêche prune abricot »), roulements mats et secs (« Esplanade »), frappes imposantes (« El descarillador »), chabada flexible (« Forgetting »)… et le solo sur les tambours de « Let’s Go To The Gig » est impressionnant. Le swing de Dru est contagieux (« Blowing Notes ») et dansant (« El descarillador »). Son touché clair (« Last Minute »), son phrasé élégant (« Esplanade ») et ses contre-chants judicieux (« Let’s Go To The Gig ») fomentent la cohésion du quartet. Quant à Daïdé, sa sonorité ample et velouté (« Blowing Notes ») sert un discours dynamique (« Ginger Blues »), tout en souplesse (« Cerise pêche prune abricot ») et fluidité (« Last Minute »). Ses dialogues avec la batterie (« The Milman On The Steps ») ou le piano (« Gone ») et ses interactions en trio (« Forgetting ») ne manquent pas de sel.

La structure thème – solos – thème (« Last Minute »), les expositions à l’unisson (« The Milkman On The Steps »), les variations enlevées (« Cerise pêche prune abricot ») et la rythmique énergique (« Esplanade ») inscrivent While We’re Strollin’ dans une lignée néo-bop moderne et tendue.
 
Le disque
 
While We’re Strollin’
Virginie Daïdé Quartet

Virginie Daïdé (ts, ss), Nicolas Dri (p), Thomas Posner (b) et Tony Rabeson (d).
DSY – 2BPR018
Sortie le 7 février 2025
 
Liste des morceaux
 
01. « Last Minute » (4:42).
02. « Ginger Blues » (3:28).
03. « Esplanade » (5:28).
04. « Cerise pêche prune abricot », Rabeson (6:18).
05. « Forgetting » (3:53).
06. « The Milkman On The Steps », Posner (4:04).
07. « Rue du poulet » (3:29).
08. « Gone » (3:40).
09. « Blowing Notes » (4:51).
10. « El descarillador », Dri (5:51).
11. « Let’s Go To The Gig » (3:45).

Toutes les compositions sont signées Daïdé sauf indication contraire.

22 mars 2025

Décollage au Bal Blomet

Pour célébrer la sortie de Liftoff, le 11 mars 2025 le Bal Blomet programme le trio du saxophoniste Robin Verheyen, avec Drew Gress à la contrebasse et Billy Hart à la batterie.

Créé en 1924, le Bal Blomet est le plus ancien club de jazz d’Europe encore en activité. Situé à quelques encablures de Montparnasse, dans le quinzième arrondissement, le Bal Blomet, un temps surnommé le « Bal Nègre » par Robert Desnos, a traversé les années folles et des artistes emblématiques l’ont fréquenté à l’instar de Joséphine Baker, Foujita, Man Ray, Jean Cocteau, Joan Miro, Piet Mondrian, Henry Miller… Plus tard, et avant qu’ils ne fassent de Saint-Germain-des-Prés leur quartier général, Jacques Prévert, Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Simone de Beauvoir, Juliette Greco… y font également la fête. Au cours des années soixante le club périclite, puis se transforme en café pendant plus de vingt-cinq ans. A partir de 1989 il redevient un club de jazz, le Saint-Louis Blues, mais ferme définitivement ses portes en 2006. En 2011, alors qu’il va disparaître, Guillaume Cornut décide de le réhabiliter et le Bal Blomet rouvre ses portes en 2017. La salle (et son bar, fort sympathique) proposent à deux cent cinquante spectateurs d’écouter et de voir des concerts de jazz ou de musique classique, des spectacles musicaux et des conférences culturelles.
 
Robin Verheyen - Le Bal Blomet - 11 mars 2025 © PLM

Diplômé du Conservatorium van Amsterdam et passé par la Manhattan School of Music, Verheyen s’est installé à New York en 2006. Il fait ses classes avec le gotha du jazz new-yorkais, de Ravi Coltrane à Brandford Marsalis, en passant par Maria Schneider, Roy Hargrove, Tom Rainey, Tyshawn Sorey… En 2012, il joue avec Marc Copland en duo et en quartet, aux côtés de Gary Peacock et Joey Baron. C’est également à cette époque qu’il collabore avec Gress. En 2018, Verheyen publie When The Birds Leave en compagnie de Copland, Gress et Hart.
 
Drew Gress - Le Bal Blomet - 11 mars 2025 © PLM

Pour son dix-neuvième album, Liftoff, qui sort le 7 février 2025 chez InnerVoiceJazz, Verheyen est accompagné de Gress et Hart. Il signe neuf compositions et le trio reprend « Trippin’ In Times Square » de Copland et « Over The Rainbow » d’Harold Arlen et Edgar Yipsel Harburg. Pour le concert, le trio joue neuf titres de Liftoff et le fameux thème de Thelonious Monk, « Blue Monk ». 
 
Billy Hart - Le Bal Blomet - 11 mars 2025 © PLM

Comme sur le disque, le set commence par « Tripping in Time Square ». Après un démarrage fracassant dans un style hard-bop, soutenu par une batterie puissante et une contrebasse tout en souplesse, le saxophone ténor développe le thème dans une veine néo-bop tendue. Instrumentation sans piano et énergie obligent, l’ombre de Sonny Rollins plane sur ce premier morceau. C’est en hommage à un autre géant du jazz, Wayne Shorter, que Verheyen a composé la jolie valse intimiste « Saudades ». Les motifs minimalistes de Gress, les balais admirables de subtilité d’Hart et l’élégance du discours de Verheyen expriment à merveille cette nostalgie savoureuse qui caractérise la saudade. Verheyen est parti d’un air écrit par sa fille pour composer « Sophie’s Musing ». Cette comptine prend une tournure solennelle avec un saxophone ténor entre blues et ballade, une batterie intense aux mailloches et un chorus majestueux de la contrebasse. Composé pendant une résidence au Sénégal, « Sur la route de Tamba » démarre sans crier gare, puis, encouragé par une contrebasse solide et une batterie pêchue, le saxophone soprano déroule des lignes à la fois nerveuses et fluides, dans un esprit shorterien. « Soul Searching » porte bien son titre. La jolie mélodie au parfum mélancolique débouche sur un solo du saxophone ténor nonchalant, mais plein de swing, un peu à la Stan Getz, tandis que les balais d’Hart font toujours des prodiges et la sonorité profonde de Gress renforce la noblesse du morceau. Après une introduction impressionnante de la batterie à base de roulements de tambours, le morceau-titre de l’album part dans une direction free, qui rappelle l’univers de Steve Lacy. La walking rapide de la contrebasse et le jeu touffu de la batterie mettent le saxophone soprano sous pression. Dense et fiévreux, « Liftoff » se conclut sur un solo monumental d’Hart. Retour au saxophone ténor pour « Over The Rainbow », avec un préambule raffiné a cappella de Verheyen suivi d’un développement au cordeau, souligné par une contrebasse économe et des balais toujours aussi voluptueux. Le trio reste dans la délicatesse avec « Slow Eleven ». L’introduction habile et mélodieuse de Gress lance les variations sophistiquées de Verheyen, mises en relief par les mailloches imposantes d’Hart. « The Bounce » s’inscrit typiquement dans l’esthétique néo-bop : les envolées énergiques du saxophone ténor sont propulsées par une walking vive et un chabada leste. La conclusion d’Hart est un solo imposant, d’abord sur les cymbales, puis sur les peaux, avec des roulements furibonds. En 2017, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Monk, Verheyen a monté MixMonk avec le pianiste Bram De Looze et le batteur Joey Baron. Pour le bis, il puise donc dans le répertoire de ce trio et interprète « Blue Monk ». Verheyen, Gress et Hart prennent le thème au ralenti en accentuant le côté blues : saxophone ténor sale et criard, rythmique bluesy avec les shuffle de la contrebasse et les frappes ternaires appuyées de la batterie.

Liftoff s’inscrit dans une lignée néo-bop moderne marquée par la touche personnelle de Verheyen : une musique nette et précise, servie par une dynamique spontanée et une mise en place irréprochable...

Le disque

Liftoff

Robin Verheyen

Robin Verheyen (ts, ss), Drew Gress (b) et Billy Hart (d)
InnerVoiceJazz – IVJ109
Sortie le 7 février 2025

Liste des morceaux

01. « Tripping in Times Square », Marc Copland (04:15).
02. « The Bounce » (06:12).
03. « Sur La Route de Tamba » (04:38).
04. « Soul Searching » (06:24).
05. « A Feather » (05:37).
06. « Sophie's Musings » (05:07).
07. « Over The Rainbow », Harold Arlen et Yip Harburg (08:25).
08. « Saudades » (05:33).
09. « Liftoff » (03:28).
10. « Slow Eleven » (03:02).
11. « The Path » (04:40).

Tous les morceaux sont signés Verheyen sauf indication contraire.

15 mars 2025

A Tree In The Mist – Matteo Bortone No Land’s

Bassiste transalpin passé par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Matteo Bortone monte Travelers au début des années 2010 avec Antonin-Tri Hoang au saxophone alto et aux clarinettes, Francesco Diodati aux guitares et Guilhem Flouzat à la batterie. Le premier opus, Travelers, sort en 2013. Pour Time Images, publié en 2015, Ariel Tessier succède à Flouzat. Le saxophoniste ténor et clarinettiste Julien Pontvianne et le pianiste Yannick Lestra rejoignent le quartet qui devient No Land’s. Le premier album éponyme du sextet sort en 2020. En parallèle, avec son trio constitué d'Enrico Zanisi au piano et Stefano Tamborrino à la batterie, Bortone a enregistré ClarOscuro en 2018.


A Tree In The Mist, cinquième disque de Bortone et deuxième de No Land’s, est sorti le 28 février sur le label Onze Heures Onze. Pontvianne, Lestra et Tessier sont toujours de l’aventure, mais Benjamin Garson remplace Diodati à la guitare. Les titres des neuf morceaux signés Bortone reflètent son goût pour la mythologie – « Mnémosyne », la Déesse grecque de la Mémoire, « Hyades », les nymphes de la pluie, « Jukurrpa », le temps de la création du monde dans la culture aborigène – la philosophie – « Panthéisme » – et les voyages – « Okra », autre nom du gombo, typique de la Louisiane, « Tosh », village hippie dans le nord de l’Inde, « Sud Sud Est » qui, en navigation, est l’un des huit vents collatéraux secondaires.

A Tree In The Mist porte bien son titre : les mélodies sont tour à tour planantes (« Jukurrpa »), lancinantes (« Counter Hit »), éthérées (« Sud Sud Est »), mélodieuses et lointaines (« Okra ») ou dépouillées (« Panthéisme »). Thème-riff aux allures rock, « Tosh » est l’exception qui confirme la règle. Les développements restent le plus souvent dans une ambiance vaporeuse (« White Count »), cérémoniale (« Mnémosyne ») ou aérienne (« Jukurrpa »). Des leitmotiv servent de base à des variations sobres (« Hyades ») et le quintet joue aussi sur des contrastes entre des lignes mélodiques flottantes et des arrières-plans touffus (« Counter Hit »), voire carrément rock (« Tosh »). Côté rythme, la batterie crépite (« Hyades »), cliquette (« Counter Hit »), en met partout (« Panthéisme »), roule furieusement (« Hyades »)… mais se montre également bruissante (« Okra ») et souple (« Sud Sud Est »). Le son organique très acoustique de la batterie met en relief la sonorité aérienne des autres instruments (« Mnémosyne »). La guitare saturée (« Tosh »), les claviers cristallins (« White Count »), les textures électro (« Jukurrpa »), les effets de souffle (« Okra »), les atmosphères crépusculaires (« Mnémosyne »), les bourdonnements diffus (« Hyades »), les bruitages électriques (« Jukurrpa »)… dessinent des paysages sonores entre science-fiction et médiéval fantastique.

A Tree In The Mist combine jazz, minimalisme, ambient et rock alternatif pour un cocktail musical élégant et corsé.
 
Le disque
 
A Tree In The Mist

Matteo Bortone No Land’s

Julien Pontvianne (sax, cl), Benjamin Garson (g), Yannick Lestra (kbd), Matteo Bortone (b, electro) et Ariel Tessier (d)
Onze Heures Onze – ONZ055
Sortie le 28 février 2025
 
Liste des morceaux
 

01. « Jukurrpa » (03:48).
02. « Counter Hit » (03:57).
03. « Okra » (07:06).
04. « White Count (05:43).
05. « Mnémosyne » (06:57).
06. « Pantheisme » (05:36).
07. « Sud Sud Est » (03:47).
08. « Tosh » (04:16).
09. « Hyades » (06:30).
 
Tous les morceaux sont signés Bortone sauf indication contraire.
 

08 mars 2025

Les instruments migrateurs de retour au Comptoir…

Le 13 février 2025, au Comptoir, Joce Mienniel présente le quatorzième opus des Instruments Migrateurs. Pour ce deuxième épisode de la saison trois le flûtiste convie la musicienne palestinienne Kamilya Jubran à l’oud et à la voix, nouvelle venue dans l’univers de Mienniel, mais ouverte au jazz, comme le prouve Yokal, un duo avec la contrebassiste Sarah Murcia publié le 6 décembre 2024, et Iyad Haimour au qanûn et au ney, musicien syrien qui a participé au sextet de Mienniel pour le disque Babel, sorti en 2018.

Joce Mienniel – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM

Le programme du concert tourne autour de sept morceaux plus un rappel : trois compositions signées Mienniel – « Baïkal », « Stéréométrie » et un solo a cappella –, une chanson de Jubran – « Yokal » –, une pièce d’Haimour – « Melisdjane » –, « Aho Dah elli Sar » de Sayed Darwich et « Ya Zarif Al-Toul », un chant traditionnel palestinien.
 
Une construction sophistiquée de phrases mélodieuses, contrepoints, pédales et ornements du qanûn introduit « Baïkal » avec une majesté monumentale. Ce morceau tiré de Babel est souvent au répertoire de Vincent Peirani et François Salque, comme le souligne Mienniel. Sur un motif rythmique dynamique de la flûte et soutenu par le qanûn, l’oud prend un solo solennel, parsemé de trémolos. S’ensuit un chorus de la flûte, qui alterne des passages graves et lointains avec des envolées débridées, sur un accompagnement en forme de dialogue astucieux entre l’oud et le qanûn. 
 
« Stéréométrie », le fil rouge des Instruments Migrateurs est interprété systématiquement à chaque concert et permet à Mienniel de présenter les musiciens. C'est un thème-riff aux couleurs world. Les enchevêtrements de boucles de la flûte servent de décor aux développements mélodico-rythmiques dansants de l’oud et du qanûn, qui égrène des lignes arpégées véloces, préludes à des questions-réponses piquantes. 
 
Comme à chaque session les musiciens jouent chacun un solo a cappella, reflet de leur univers. Jubran commence avec « Yokal », morceau-titre du disque qu’elle vient de sortir et qui signifie « on dit que ». Jubran déclame d’abord un marabout sur la situation des Palestiniens, « un peuple en révolte avec un cœur tendre [qui] trouvera sa liberté » ! Quant à l’air, sorte de blues moyen-oriental, il est souligné par les motifs rythmiques entraînants de l’oud. 
 
Le trio se reforme ensuite pour « Melisdjane », un hommage à la danseuse et conteuse Melisdjane Melisanda Sezer. Ce morceau émouvant repose sur un thème-riff oriental imposant exposé par le qanûn, souligné par les motifs minimalistes de l’oud et par les variations rythmiques de la flûte. Le développement de « Melisdjane » révèle une belle connivence du trio. 
 
Le chorus a cappella de Mienniel s’appuie sur des boucles imbriquées, des superpositions de phrases courtes et des effets sonores, comme une sorte de musique du monde concrète. Pour son solo, Haimour a troqué le qanûn contre le ney. Il reprend « Ya Zarif Al-Toul » (« celui qui a une belle allure »). Entre passages mélodieux et rappels rythmiques, l’air évoque une ronde folklorique, servie par le son épais, vibrant et nasillard de cette flûte orientale. 
 
Iyad Haimour – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM
 
Jubran essaie ensuite de faire chanter le public sur « Aho Dah elli Sar », un taqtûqa ou chanson légère. Même si l’air, typiquement moyen-oriental, est séduisant, entre la prononciation de l’Arabe, les modulations et le traitement rythmique, le public a bien du mal à suivre ! L’oud et le qanûn s’en donnent à cœur joie, la flûte intervient subtilement, tandis que la voix élégante de Jubran déroule les couplets, avant une montée en tension particulièrement intense. Dans le bis, un leitmotiv vif et répétitif sert d’arrière-plan aux volutes fluides et  gracieuses de la flûte.
 
Kamilya Jubran – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM

 

Mienniel et les Instruments Migrateurs montrent une fois encore par la musique qu’avec un brin de curiosité et une once d’écoute, le paradis c’est les autres…