12 octobre 2025

Or Mathilde – La Marmite Infernale

En 1978, le Marvelous Band et le Workshop de Lyon fusionnent et créent l’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire, plus connue sous le nom d’ARFI. Son grand orchestre, La Marmite Infernale, et son label naissent dans la foulée. Depuis la fin des années soixante-dix, une soixantaine d’artistes ont sorti une trentaine de disques, de tendances esthétiques parfaitement hétéroclites. Depuis Moralité surprise, en 1983, La Marmite Infernale a enregistré onze albums. Or Mathilde, leur douzième opus, sort le 17 octobre 2025.

Pour Or Mathilde, La Marmite Infernale s’appuie sur un orchestre de quatorze musiciens plus une dizaine d’invités. Les onze morceaux au programme ont été composés par des musiciens de La Marmite Infernale : Félix Gibert, Clément Gibert, Thibaut Martin, Colin Delzant, Jean-Paul Autin et Olivier Bost. Le graphisme de la pochette, des formes découpées entourées de textes manuscrits, est signé Jérôme Lopez.

Les mélodies sont souvent burlesques (« Cagneux boiteux »), bouffonnes (« Marchand de poivre »), voire (faussement) enfantines (« Or Mathilde »), mais leur expressivité exacerbée (« Les moules à la plancha ») leur confère un aspect légèrement inquiétant (« Riffir »). Nous sommes davantage dans les slapsticks de Mack Sennett que des tartes à la crème de Laurel et Hardy. Dans Or Mathilde la voix est cruciale, non seulement comme instrument, mais aussi pour les paroles, à l’instar du texte scientifique qui décrit un insecte (« Le sillon du grillon »), du dialogue téléphonique qui aboutit à une recette de moules à la plancha (« Les moules à la plancha »), de discours dada (« La montagnarde du Gacard »), de poèmes décalés (« L’immaculée »), de petits airs en passant (« Manège ») ou de texte violent, révolté et cru (« Les dents de ma mère »). Fanfare déjantée (« Cagneux boiteux »), ensemble de musique contemporaine (« Le sillon du grillon »), orchestre lyrique (« Manège ») ou folklorique (« La montagnarde du Gacard ») et même médiéval free – un nouveau style en gestation – (« Marchand de poivre »), La Marmite Infernale passe aussi par un slam (« Réservoir ») avec « Summertime » (pas celui de George…) en filigrane. Le déroulé des morceaux se base fréquemment sur une montée crescendo de l’orchestre (« Marchand de poivre ») jusqu’à atteindre une intensité paroxysmique (« Riffir »). Les contre-chants touffus (« L’immaculée »), les voix superposées sur différents plans (« Le sillon du grillon »), les duos haut en couleur entre trombone – banjo (« Manège »), voix ou violoncelle – saxophone sopranino (« Riffir », « Or Mathilde ») ou voix – soubassophone (« La montagnarde du Gacard »), et les effets électro, vocoder (« Cagneux boiteux ») ou guitar hero (« La montagnarde du Gacard »), mettent en avant toutes les sonorités de cet ensemble singulier. Si La Marmite Infernale est évidemment marquée par les rythmes entraînants des Marching Band (« Cagneux boiteux ») et une batterie imposante (« Marchand de poivre »), l’orchestre s’appuie également sur des motifs dansants (« Manège »), des rythmes latino (« Les moules à la plancha »), des rondes entraînantes (« Marchand de poivre ») et autres riffs festifs (« La montagnarde du Gacard »).

La Marmite Infernale propose une musique expressionniste, spectaculaire et dramatique. Or Mathilde est une œuvre théâtrale dans une lignée expérimentale underground.

 

Le disque

Or Mathilde
La Marmite Infernale

Jean-Paul Autin (sos), Olivier Bost (tb), Colin Delzant (cello), Elsa Foucaud (voc), Christophe Gauvert (b), Clément Gibert (bcl, as), Félix Gibert (soubassophone), Damien Grange (voc), Pauline Laurendeau (voc), Thibaut Martin (d), Emmanuelle Saby (cl, voc), Alfred Spirli (percu), Laura Tejeda Martin (voc) et Elisa Trebouville (bj, voc), avec Asmãa Aloui, Isabelle Cavoit, Aurélia Delacroix, Diane Delzant, Pauline Laurendeau, Nicole Mersey Ortega, Emmanuelle Saby, Élisa Trebouville et Anaïs Vives
ARFI - AM079-2025
Sortie le 17 octobre 2025

Liste des morceaux

 

01. « Cagneux boiteux », Félix Gibert (4:33).
02. « Marchand de poivre », Clément Gibert (4:17).
03. « Les moules à la plancha », Félix Gibert (4:11).
04. « Riffir », Martin (3:09).
05. « L’immaculée » (2:22).
06. « Manège », Delzant (7:01).
07. « Or Mathilde », Martin (2:12).
08. « La montagnarde du Gacard », Clément Gibert (4:49).
09. « Le sillon du grillon », Autin (3:53).
10. « Réservoir », Delzant (6:39).
11. « Les dents de ma mère », Bost (8:42).


10 octobre 2025

La cité engloutie - Jean-Paul Daroux Project

Le Jean-Paul Daroux Project est né en 2016 avec Daroux au piano, Jean-Christophe Gautier à la contrebasse et Luca Scalambrino à la batterie. Le trio enregistre La légende des 7 sages en 2017 et Change or No Change en 2021. Leur troisième opus, La Cité engloutie, sort le 10 octobre 2025, toujours sur le label Plaza Mayor.

Titre du disque oblige, les huit morceaux composés par Daroux font référence à l'archéologie sous-marine : l'Atlantide, les sirènes, le sextant, le vent, le mistral… s'invitent au programme.

Daroux façonne des airs courts et efficaces, comme autant de chansons, (« La cité engloutie »), ballades lyriques ( « Mistral sur le levant »), bandes-son (« Le dernier chant venu de l'Atlantide ») ou comptines (« Dans l'œil du Sextant »), mais aussi des thèmes dansants aux couleurs latines (« Embarquement pour l'illusion ») ou andalouses (« Le récif des sirènes »). La plupart des morceaux foisonnent ( « Vents contraires ») ou se déroulent dans une veine néo-bop fluide (« Embarquement pour l'illusion »), avec des envolées noisy (« Le dernier chant venu de l'Atlantide »), aux allures de rock progressif ( « Mistral sur le levant »), aux consonances baroques (« Le dernier chant venu de l'Atlantide ») ou teintées de Moyen-Orient (« Mistral sur le levant »). Il y a aussi des passages mélodieux, accentués par la contrebasse jouée à l’archet (« Rue Carpeaux »). Les riffs graves et profonds de Daroux (« La cité engloutie ») sont soulignés par les lignes vrombissantes de Gautier (« Embarquement pour l'illusion ») et la batterie puissante de Scalambrino (« Vents contraires »). La contrebasse et la batterie sont tour à tour tranquilles (« Le dernier chant venu de l'Atlantide ») ou entraînantes (« Rue Carpeaux »), voire be-bop, avec une walking et un chabada, entrecoupés de rim shop (« Embarquement pour l'illusion »). Si la batterie se montre volontiers exubérante (« Dans l'œil du Sextant ») et vive (« Rue Carpeaux »), la contrebasse est plus économe (« Vents contraires »), tout en maintenant une carrure solide (« Le récif des sirènes »). Le trio joue également sur les contrastes sonores entre effets électro, piano cristallin, et contrebasse sombre.

Dans La cité engloutie, Daroux poursuit son bonhomme de chemin entre jazz et rock, avec une musique fringante et dansante. 

Le disque

La cité engloutie

Jean-Paul Daroux Project

Jean-Paul Daroux (p), Jean-Christophe Gautier (b) et Luca Scalambrino (d).
Plaza Mayor - SERG408
Sortie le 10 octobre 2025

Liste des morceaux

01. « La cité engloutie » (5:32).
02. « Le dernier chant venu de l'Atlantide » (6:02).
03. « Le récif des sirènes » (5:06).
04. « Embarquement pour l'illusion » (5:26).
05. « Dans l'œil du Sextant » (5:30).
06. « Vents contraires » (5:15).
07. « Mistral sur le levant » (6:51).
08. « Rue Carpeaux » (5:48).

Tous les morceaux sont signés Daroux.

06 octobre 2025

Hémisphères – Guillaume Latil & Matheus Donato

Un duo violoncelle – cavaquinho, voilà qui est inédit ! C’est ce que proposent Guillaume Latil et Matheus Donato dans Hémisphères, qui sort le 15 septembre 2025 chez Matrisse Productions.


Le cavaquinho n’est pas un instrument si fréquent dans l’hémisphère nord, pourtant il est né au Portugal, mais il est rapidement devenu une institution au Brésil. Cette petite guitare à quatre cordes est également l’ancêtre de l’ukulélé hawaïen, du cuarto vénézuélien, du kroncong indonésien… Le carvaquinho de Donato n’a pas les quatre cordes traditionnelles, mais six, comme une guitare.

Au programme d’Hémisphères, cinq morceaux signés Latil, trois de Donato, « Yâo », composé en 1938 par Pixinguinha et Gastão Viana, « Träumerei », la « Rêverie » de Robert Schumann, tirée des Scènes d’enfants (ou Kinderszenen) écrites en 1838, et « Milonga Gris » au répertoire de Caminos, album de Carlos Aguirre paru en 2006.

Des thèmes délicats (« Palais Longchamp ») au lyrisme dansant (« Milonga Gris ») à des comptines mélancoliques (« Oriente »), voire romantiques (« Träumerei »), teintées de tradition africaine (« Prière en Bambara ») ou brésilienne (« Yâo »), en passant par une ambiance solennelle baroque (« Urban Poem - Prélude »), des accents andalous (« Urban Poem »), des climats folkloriques touffus (« Horochoroforró ») ou minimalistes (« Et Si… »), Hémisphères propose une variété mélodique séduisante. Dans les développements, Latil et Donato alternent des contre-chants élégants (« Urban Poem ») et des échanges raffinés (« Hémisphères ») avec des envolées véloces (« Palais Longchamp »), des dialogues entraînants (« Aos Meus Amigos ») et des contrepoints foisonnants (« Horochoroforró »). Ici les phrases sinueuses du cavaquinho se mêlent aux volutes tortueuses du violoncelle (« Milonga Gris »), et là, les lignes douces de Donato se marient aux rubatos de Latil (« Anne-Élise »), avec un sens dramatique évident (« Oriente »). Latil et Donato utilisent également toutes les possibilités de leurs instruments pour maintenir une pulsation contagieuse : pizzicatos dansants (« Milonga Gris »), riffs puissants (« Yâo »), pompe quasiment manouche (« Aos Meus Amigos »), ostinatos enlevés (« Prière en Bambara »), boucles arpégées (« Hémisphères »), suites d’accords vifs (« Prière en Bambara »), table d’harmonie comme percussion (« Oriente »), changements rythmiques énergiques (« Horochoroforró »)…  

World Music, musique de chambre, jazz ou quoique ce soit d’autre, peu importe, Latil et Donato proposent une musique féerique et Hémisphères est un disque à mettre entre toutes les oreilles !

Le disque

Hémisphères

Guillaume Latil & Matheus Donato

Guillaume Latil (cello) et Matheus Donato (cavaquinho)
Matrisse Productions - HLD001
Sortie le 19 septembre 2025

Liste des morceaux

01. « Palais Longchamp », Latil (4:18).
02. « Prière en Bambara », Latil (5:59).
03. « Urban Poem - Prélude », Latil (2:09).
04. « Urban Poem », Latil (5:41).
05. « Hémisphères », Latil (1:12)
06. « Aos Meus Amigos », Donato (3:57).
07. « Yâo », Pixinguinha & Gastao Viana (4:38).
08. « Träumerei », Robert Schumann (2:10).
09. « Et Si… », Latil (2:02).
10. « Milonga Gris », Carlos Aguirre (6:20)
11. « Horochoroforró », Latil (3:28)
12. « Oriente », Donato (4:06).
13. « Anne-Élise », Donato (2:56).

04 octobre 2025

The Straight Horn – François Jeanneau & Emile Spányi

The Straight Horn c’est « le biniou droit » ou saxophone soprano dans le jargon du jazz, mais aussi un clin d’œil à Strayhorn, Billy de son prénom et alter ego de Duke Ellington de 1939 à 1967. François Jeanneau et Emile Spányi rendent donc hommage au pianiste compositeur dans The Straight Horn, qui sort le 10 octobre 2025 chez Parallel Records.

Les duos saxophone – piano ne courent certes pas les rues, mais ne sont pas non plus complètement absents des discothèques, comme le prouvent Archie Shepp et Horace Parlan, Steve Lacy et Mal Waldron, Dave Liebman et Richie Beirach, Joshua Redman et Brad Mehldau… pour n’en citer que quelques uns (avec des saxophonistes soprano – et ténor).

Jeanneau et Spányi ont inscrit trois pièces d'Ellington au programme et onze de Strayhorn. Ils commencent leur hommage par une mélodie mélancolique, « Come Sunday », composée par Ellington en 1943 pour la suite Black, Brown and Beige, et développée par le saxophone soprano avec délicatesse sur les lignes arpégées du piano. Ecrit par Strayhorn en 1939 et d'abord enregistré en 1940 par Johnny Hodges et son orchestre, « Day Dream » glisse élégamment, porté par le rubato du piano. Spányi passe au Fender pour « A Flower Is A Lovesome Thing », alternance d'échanges heurtés et de contrepoints subtils. Ce morceau, au répertoire de A Peaceful Side, album publié en 1963 par Strayhorn sous son nom, mais  enregistré en 1961 avec Michel Gaudry à la contrebasse et le Quatuor de Paris, reflète le goût de Strayhorn pour la musique impressionniste française du début XXe. La Far East Suite, sortie en 1967, est un incontournable dans l'œuvre d'Ellington et « Isfahan » l'un de ses mouvements-phare, que Jeanneau et Spányi abordent avec tranquillité, dans une ambiance relax, presque bluesy. Le duo interprète dans une veine West Coast raffinée « Johnny Come Lately », qui fait partie d'une série de thèmes composés en 1941, année pendant laquelle les musiciens membres de l'ASCAP, dont Ellington, ont été boycottés par les radios. « Blood Count » est la dernière œuvre de Strayhorn, terminée peu avant sa mort, en 1967, qu'Ellington a enregistrée dans son célèbre disque-hommage : And His Mother Called Him Bill. Jeanneau et Spányi respectent la solennité du morceau et les nappes de sons du synthétiseur apportent une touche lugubre. Le duo reprend ensuite « Lush Life » comme s'ils discutaient paisiblement et intimement au coin du feu. Ce tube, travaillé entre 1933 et 1936, est enregistré pour la première fois en 1948 au Carnegie Hall avec la chanteuse Kay Davis, Strayhorn au piano, et l'orchestre d'Ellington. Dans un décor bluesy, le saxophone soprano et le piano lancent de belles envolées animées à partir de « My Little Brown Book », thème moins connu qui remonte à 1935, mais n'a été enregistré par Ellington qu'en 1942. Spányi utilise le Fender et des effets pour créer une atmosphère vaporeuse dans laquelle flottent les volutes du saxophone soprano qui vont comme un gant à « Chelsea Bridge », autre classique de Strayhorn sorti en 1941. Dans « Raincheck » - lui aussi de 1941 - Jeanneau et Spányi accélèrent le tempo, tendent leurs dialogues et débrident leurs notes. Indicatif musical d'Ellington composé en 1939 par Strayhorn, « Take The A Train » est joué en suspension par le saxophone soprano sur les crépitements et arpèges du piano. Jeanneau et Spányi expriment à merveille la sensibilité de « Lotus Blossom », que Strayhorn a forgé en 1947, mais nommé qu’en 1959, avant qu’il ne devienne le morceau de clôture des concerts d'Ellington. « The Star-Crossed Lovers », écrit en 1956 pour Such Sweet Thunder, reste dans un environnement placide et mélodieux. Des questions-réponses dynamiques du saxophone soprano et du piano illustrent  « U.M.M.G. » (Upper Manhattan Medical Group), composé en 1956 à l'occasion des enregistrements d'Ellington pour Bethlehem Records. The Straight Horn s'achève sur « A Christmas Surprise », ode ou comptine solennelle que Lena Horne et Strayhorn ont interprété en duo en 1965.

Fidèles à l’esprit du couple Ellington – Strayhorn, Jeanneau et Spányi conversent en toute quiétude, avec un tact et une finesse qui caressent l’oreille.


Le disque


The Straight Horn 
François Jeanneau &  Emil Spányi
François Jeanneau (ss, lyricon) et Emil Spányi (p, kbd)
Parallel Records - PR026
Sortie le 10 octobre 2025

 

Liste des morceaux


01. « Come Sunday », Ellington (3:40).
02. « Day Dream », Strayhorn (4:18).
03. « A Flower Is A Lovesome Thing », Strayhorn (6:27
04. « Isfahan », Ellington (3:56).
05. « Johnny Come Lately », Strayhorn (4:35).
06. « Blood Count », Strayhorn (4:10).
07. « Lush life », Strayhorn (4:26).
08. « My Little Brown Book », Strayhorn (3:26).
09. « Chelsea Bridge », Strayhorn (4:53).
10. « Raincheck », Strayhorn (4:58).
11. « Take The A Train », Strayhorn (2:57).
12. « Lotus Blossom », Strayhorn (6:09).
13. « The Star-Crossed Lovers », Ellington (2:51).
14. « U.M.M.G. », Strayhorn (3:56).
15. « A Christmas Surprise », Strayhorn (3:12).


01 octobre 2025

Letter To Bill - Robin Nicaise & Alain Soler

Pendant cinquante ans, de 1929 à 1980, Bill Evans a traversé la galaxie du jazz comme une comète : ni bopper, ni west-coaster, ni free jazzmen, ni jazz-rocker, le pianiste s’est créé son propre univers, intime et sophistiqué. Le saxophoniste ténor Robin Nicaise et le guitariste Alain Soler lui rendent hommage avec Letter to Bill, qui sort sur le label Durance le 25 septembre 2025. 

Letter to Bill est évidemment un clin d’œil à Letter to Evan, album d’Evans dédié à son fils Evan Evans et enregistré en 1980 au Ronnie Scott’s Jazz Club, en trio avec Marc Johnson et Joe LaBarbera. L'illustration de la pochette est une peinture signée Marylène Mischo, inspirée par les clichés d'Evans que Chuck Stewart avait pris pour Portrait In Jazz.

Nicaise et Soler rendent hommage à Evans avec onze morceaux extraits du répertoire habituel du pianiste. Sept compositions sont signées Evans : « Funkallero », composé en 1956 pour Tenderly: An Informal Session avec Don Elliott ; « Very Early », un morceau de 1962 pour Moon Beams, avec Chuck Israels et Paul Motian ; « Time Remembered » du disque éponyme de 1963, enregistré en concert au Shelly Manne's Club, avec Israels et Larry Bunker ; « Show-Type Tune » et « Walking Up » au programme de How My Heart Sings, album de 1964 avec Israels et Motian ; « Re: Person I Knew », morceau-titre d'un disque de 1974 avec Eddie Gomez et Marty Morell ; « Turn Out The Stars », morceau-titre d'un autre album tiré des concerts de 1980 au Ronnie Scott's Jazz Club en compagnie de Johnson et LaBarbera. Quant aux quatre autres morceaux, il s'agit de : « Nardis », écrit par Miles Davis (ou Evans ?) en 1958 pour Portrait of Cannonball, mais devenu un standard incontournable d'Evans ; « Days Of Wine And Roses » qu'Henry Mancini et Johnny Mercer ont composé en 1962 et qu'Evans a repris en 1975 en duo avec Tony Bennett ; « Emily », tube de 1964 signé Johnny Mandel et Mercer, enregistré en 1967 par Evans pour Further Conversations with Myself ; « Sometime Ago » du pianiste argentin Sergio Mihanovich, enregistré par Evans en 1977 dans You Must Believe In Spring avec Gomez et Eliot Zigmund.

En dehors de « Funkallero », « Show Type Tune », « Days Of Wine And Roses » et « Walking Up », les huit autres morceaux sont des ballades tranquilles (« Time Remembered ») interprétées avec cet esprit impressionniste (« Turn Out The Stars ») teinté de mélancolie (« Very Early ») si cher à Evans. Il revient souvent au saxophone ténor d'exposer la mélodie (« Sometime Ago »), soutenu par les lignes d'accords élégantes (« Time Remembered ») ou les riffs soyeux (« Re: Person I Knew ) de la guitare. Soler souligne le discours du ténor à l'aide de walking parsemées de shuffle (« Show Type Tune ») ou de contre-chants limpides (« Sometime Ago »), mais aussi d'ostinato mêlés d'échos (« Re: Person I Knew »). Ses développements délicats (« Time Remembered ») se teintent de blues (« Re: Person I Knew »), mais laissent aussi place à des envolées véloces (« Funkallero »), des boucles entraînantes (« Emily ») ou des phrases heurtées (« Very Early »). Sa sonorité cristalline (« Show Type Tune »), voire métallique (« Nardis ») crépite (« Walking Up ») et contraste avec celle du saxophone ténor. Nicaise joue détendu (« Turn Out The Stars ») des traits fluides (« Nardis ») et enjoués (« Funkallero »), portés par un son rond et chaleureux (« Show Type Tune »), et un velouté qui n'est pas sans évoquer la West Coast (« Very Early »). Nicaise et Soler conversent en toute intimité (« Emily ») à travers des dialogues raffinés (« Funkallero »), des questions-réponses subtiles (« Days Of Wine And Roses ») ou des alternances adroites d'unissons et de contrepoints (« Re: Person I Knew »). 

Il y a fort à parier qu'Evans aurait apprécié Letter to Bill : tout en conservant la sensibilité du pianiste, Nicaise et Soler ajoutent leur pâte personnelle, mélange de raffinement et d'échanges plein d'astuces. 

 

Le disque 

Letter to Bill
Robin Nicaise & Alain Soler
Robin Nicaise (ts) et Alain Soler (g)
Label Durance – Durance NS052025
Sortie le 25 septembre 2025

Liste des morceaux

01. « Time Remembered » (3.58).
02. « Show Type Tune » (5.24).
03. « Sometime Ago », Sergio Mihanovich (4.19).
04. « Nardis », Bill Evans & Alain Soler (1.02).
05. « Re: Person I Knew » (4.37).
06. « Walking Up » (4.10).
07. « Turn Out The Stars » (6.17).
08. « Emily », Johnny Mandel & Johnny Mercer (5.12).
09. « Nardis », Bill Evans & Robin Nicaise (1.41).
10. « Funkallero » (4.12).
11. « Very Early » (4.37).
12. « Days Of Wine And Roses », Henry Mancini & Johnny Mercer (4.24).

Tous les morceaux sont signés Evans sauf indication contraire.