Le 2 septembre 2016
l’Orchestre National de Jazz fête ses trente ans à la Cité de la musique lors
du festival Jazz à La Villette. Les dix directeurs artistiques qui se sont
succédés depuis 1986 à la tête de l’ONJ sont réunis pour une soirée, pendant
laquelle il dirigent chacun une œuvre de leur répertoire de l’époque.
Arnaud Merlin
présente la soirée et recueille les impressions sur le vif de chaque chef
d’orchestre. Le concert, enregistré et filmé, fait l’objet d’un coffret publié
chez ONJ Records en avril 2018, avec un disque, une vidéo et un livret qui
retrace l’histoire de l’orchestre à travers les propos de ses différents
directeurs rassemblés par Stéphane
Ollivier, la composition de l’orchestre pour chaque période, la liste des
invités qui ont joué avec l’ONJ, une discographie en image et des photos de Jeff Humbert, prises pendant le
concert.
En 1982, Maurice
Fleuret, compositeur, musicologue, journaliste et notamment initiateur de
la Fête de la musique, rejoint l’équipe de Jacques
Lang. Trois ans plus tard, le Ministre de la Culture annonce la création
d’un orchestre national de jazz, subventionné par l’Etat. Le 3 février 1986, François Jeanneau dirige la première de
l’ONJ au Théâtre des Champs-Elysées. Fleuret a réussi une fois de plus à
appliquer le principe qui a toujours dirigé ses actions : « toutes les
musiques sont égales en dignité et nous avons à leur égard une égalité de
devoir ».
Le disque et le film reprennent les onze morceaux joués
pendant la soirée pour former une biographie musicale captivante. L’ONJ,
évidemment au grand complet, a invité sept élèves du Conservatoire National Supérieur
de Musique de Paris et deux de la Norge Musikkhøgskole. Elise Caron et Yael Naim
se joignent également à la fête.
A tout seigneur, tout honneur : Jeanneau ouvre le bal
avec « Jazz Lacrymogène », un jazz symphonique moderne, avec des
superpositions de sections à l’unisson qui ronflent, portés par la rythmique
puissante de Sylvain Daniel et d’Eric Echampart. Changement de décor
avec « Desert City » d’Antoine
Hervé (1987 – 1989) : un minimalisme bruitiste qui joue sur les
timbres, flirte avec les musiques de film, courtise le blues et permet à Hugues Mayot de lâcher la bride de son
saxophone alto. Claude Barthélemy, le
seul à avoir tenu les rênes de l’ONJ à deux reprises (1989 – 1991 et 2002 –
2005), propose « Real Politik ». Un jazz-rock free dynamique qui met
en avant Théo Ceccaldi. Denis Badault (1991 – 1994) rend
hommage aux quelques cent cinquante musiciens qui ont participé à l’ONJ depuis
sa création, mais aussi au guitariste Lionel
Benhamou, disparu prématurément en 1995 : Caron interprète le
magistral « A plus tard », qui navigue entre musique contemporaine et
musique médiévale. « In Tempo », de l’album éponyme enregistré par Laurent Cugny (1994 – 1997), a des
allures de concerto pour violon, avec un Ceccaldi entre tradition et modernité…
et Cugny de paraphraser Claude Debussy
à propos du Sacre du Printemps pour
illustrer le rôle de l’ONJ, qui permet de faire « de la musique de sauvage
avec tout le confort moderne ». Didier
Levallet (1997 – 2000) prend la suite avec « Out Of », morceau
dans un esprit hard bop qui donne l’occasion à Jules Jassef (trompette), Raphael
Olivier Beuf (guitare) et Kristoffer
Alberts (saxophone ténor) de s’exprimer sur une walking et un chabada
confortables. Paolo Damiani (2000 –
2002) introduit « Argentiera » avec beaucoup d’élégance, puis Ceccaldi développe
une belle mélodie cinématographique, reprise au saxophone soprano dans une
veine lyrique tendue par Alexandra
Grimal. Barthélemy revient sur scène
pour « Oud Oud ». Après un duo de toute beauté entre le bugle de Fabrice Martinez et l’oud de
Barthélémy, le moreau s’emballe sous l’impulsion de Mayot et de Grimal pour se
conclure sur un final luxuriant. Animée par le vibraphone de Franck Tortillier (2005 – 2008), la «
Valse 2 » navigue entre swing et jazz-rock, avec un chorus enlevé de Luca Spiler au trombone. Changement de
décor avec Daniel Yvinec (2008 –
2013) qui confie à Naim l’interprétation de « Shipbuilding », romance
pop composée par Elvis Costello et Clive Langer pour Robert Wyatt. Le concert s’achève sur « Paris V » d’Olivier Benoît (2014 – 2018) : une
rythmique rock et minimaliste très contemporaine soutient Mayot et ses envolées
débridées. Un concert qui permet de survoler la diversité créatrice des chefs
qui se sont succédé à la tête de l’ONJ.
A la suite de la vidéo du concert, le DVD propose des
entretiens avec les chefs d’orchestre qui éclairent les orientations de l’ONJ. Ollivier
leur a posé trois questions. La première porte sur les origines : « vos
trois plus fortes influences en matière de Big Band ? » Cité par
six des dix directeurs de l’ONJ, Gil
Evans arrive largement en tête, devant Duke
Ellington. Sont également nommés plusieurs fois : Count Basie, Charles Mingus,
Joe Zawinul, Thad Jones, Quincy Jones,
Django Bates, Mathias Rüegg et Frank Zappa.
Quant aux autres orchestres et musiciens qui sont évoqués : le Grand
Lousadzak de Claude Tchamitchian, Mel Lewis, Patrice Caratini, Chris
McGregor, Kenny Wheeler, l’AACM
et Henry Threadgill, John Hollenbeck… La deuxième question
porte sur la constitution de l’orchestre : « par quel instrument
avez-vous commencé le casting des musiciens de l’orchestre ? ». La
section rythmique reste la clé de voute de l’orchestre pour la plupart des directeurs
et, même si la couleur de l’orchestre ou la singularité du son s’avèrent
importants, le choix des hommes prime sur les instruments. Enfin, la troisième
question s’attache au futur de l’orchestre : « comment imaginez-vous
le prochain ONJ ? ». Tous s’accordent sur l’intérêt d’une telle initiative,
comparée à la Villa Médicis du jazz par certains, et la plupart souhaite qu’elle
reste un laboratoire pour grands orchestres, de vingt musiciens voire plus.
Avoir un chef d’orchestre qui change régulièrement, peut choisir son orchestre
sans contrainte, créer des répertoires en toute liberté, regrouper des
musiciens en phase avec leur époque, mais ouverts sur différents styles, réunir
une équipe d’artistes qui inventent des choses nouvelles ensemble, mais qui
jouent aussi leur musique avec leurs propres formations… voici les vœux des
anciens pour la relève ! Sans oublier Bathélemy qui aspire à une parité
féminin – masculin et Badault qui souhaite une femme à la tête de l’ONJ.
Autant de chefs d’orchestre que de directions artistiques,
avec toujours une réelle volonté d’innover : l’ONJ est sans doute une
« exception culturelle française », mais quelle chance que de pouvoir
se permettre le luxe d’un orchestre qui peut s’exprimer « libre, largement
très bien » !
Le coffret
Concert anniversaire 30 ans
Orchestre National de
Jazz
ONJ Records – ONJ 464444
Sortie en avril 2018
Liste des morceaux
01. « Jazz Lacrymogène », Jeanneau (4:34).
02. « Desert City », Hervé (4:32).
03. « Real
Politik », Barthélemy (4:13).
04. « A
plus tard », Badault (9:29).
05. « In
tempo », Cugny (5:16).
06. « Out
Of », Levallet (5:47).
07. « Argentiera », Damiani (8:20).
08. « Oud-Oud »,
Barthélemy (6:38).
09. « Valse
2 », Tortiller (6:17).
10. « Shipbuildng »,
Costello, Langer & Yvinec (5:15).
11. « Paris
V », Benoît (5:34).
La vidéo
01. Concert (1:42:00).
02. Interviews
- François Jeanneau (2:51).
- Antoine Hervé (2:32).
- Claude Barthélemy (3:03).
- Denis
Badault (3:10).
- Laurent Cugny (3:30).
- Didier Levallet (2:56).
- Paolo Damiani (3:18).
- Franck Tortiller (3:18).
- Daniel Yvinec (3:31).
- Olivier Benoît (2:44).