06 juillet 2025

A bâtons rompus avec Jacques Schwarz-Bart

Le 28 juin 2025, après la balance et avant son concert à l’Assemblière dans le cadre de l’Avignon Jazz Festival, Jacques Schwarz-Bart et son quartet répondent à quelques questions autour de The Harlem Suite, avant-dernier album du saxophoniste, sorti chez Ropeadope en 2023.

Commençons par un tour de table pour que chacun se présente.

RG : Je suis Reggie Washington et je joue de la contrebasse dans le Jacques Schwarz-Bart Harlem Suite quartet...

AD : Je m’appelle Arnaud Dolmen, batteur... Et musicien qui accompagne Jacques Schwarz-Bart ce soir et dans différents projets !

GG : Georges Granville, je suis au piano avec ce merveilleux quartet. C’est la première fois avec Reggie Washington, mais j’ai joué la semaine dernière en Guadeloupe avec Jacques au festival Première rencontre autour du piano… Je suis un peu le rookie du band !

JSB : Jacques Schwarz-Bart, saxophone ténor, composition...

Comment s’est formé le quartet ?

JSB : Je joue avec Reggie depuis vingt-cinq ans et avec Arnaud depuis une vingtaine d’années. Et j’ai vu Georges Granville ici à Avignon avec son trio l’an dernier… Avec Arnaud et Michel Alibo dans la section rythmique, et j’ai trouvé ça fantastique. On est donc resté en contact et on s’est revu providentiellement deux mois après…

GG : Même pas, c’était quinze jours après !

JSB : Ah oui !… Au La Creole Jazz Festival. Bien que nous n’ayons pas joué ensemble à cette occasion, je l’ai écouté et il est venu aussi écouter mon groupe... Cette formation est donc une petite communauté de musiciens qui s’écoutent et qui jouent ensemble dans différentes configurations depuis un moment. A part avec Georges, qui est le rookie, on a fait des milliers de tournées ensemble… 

Avec Reggie, en fait, on jouait ensemble dès la fin des années quatre-vingt dix à New-York dans le groupe de Jason Lindner… Impossible de m'en rappeler, mais dans combien de groupes jouions-nous tous les deux ensemble ?

RW : Celui de Jason, oui, mais aussi les tiens : tu démarrais le premier Brother Jacques Project. Il y avait aussi Me’shell N’degeocello
 
JSB : Il y avait donc notamment ces trois groupes, mais nous devons sans doute en oublier quelques autres...
 

Jacques Schwarz-Bart – 28 juin 2025 © PLM


Vous n’avez pas joué ensemble chez Roy Hargrove ?
 
JSB : Ah si ! Mais c’est venu après… Je jouais avec Roy depuis 1998, et j’ai fait parti du groupe RH Factor, dont Reggie était le bassiste… D’ailleurs, tout à l’heure, avec Gilles [Louis-Eloi, directeur de l’Avignon Jazz Festival] je faisais le compte du nombre de groupes avec lesquels j’ai joué impliquant Roy Hargrove… J’en suis à huit !… Sur une dizaine d’années, entre 1998 et 2004, j’ai énormément joué avec Roy...
 
Quelle est la genèse de The Harlem Suite ?
 
JSB : La genèse, c’est un Guadeloupéen à New York, quoi !… Dans mon cas, ça a été à la fois époustouflant pour mes progrès, mais en même temps plein de challenges et d’obstacles. Mais voilà ce qui m’est arrivé quinze jours après avoir atterri à New York. C’est comme ça que j’ai rencontré Roy Hargrove. Je sortais d’une jam session avec mon bon ami Bruce Flowers qui, à l’époque, jouait avec Betty Carter. Nous sommes allés dans un club qui s’appelait Bradley’s, à Greenwich Village. Il y avait là une espèce de sextet enflammé avec Roy Hargrove et Chucho Valdés. J’ai commencé à assembler mon saxophone et mon copain Bruce m’a dit « mais qu’est ce que tu fais ? Tu vas te faire blacklister tout de suite… Tu viens d’arriver à New-York et tu vas te faire blacklister… On ne fait pas ce genre de choses ! Il faudra que tu attendes des années pour rencontrer des gens et te faire inviter ... » J’avais encore ma force de judoka à l’époque [Rires] : je l’ai repoussé de façon ferme et il n’a pas insisté ! Et j’ai finis de monter mon saxophone. Roy m’a pris pour un cubain, un ami de Chucho, et Chucho m’a pris pour un New-Yorkais, ami de Roy... A la fin de son solo, Roy m’a fait signe de jouer après lui et j’ai joué comme si ma vie en dépendait. Quinze jours après j’étais en tournée avec Roy ! Lorsque son manager m’a appelé deux jours après, je croyais que c’était une blague…
 
Et ça, juste quinze jours après ton arrivée !
 
JSB : Exactement ! Je venais d’arriver à New-York et j’ai eu cette envie irrépressible de rejoindre cette fête musicale qui se déroulait au Bradley’s… Je me suis dit que j’étais venu à New-York pour ça, pour rencontrer ces gens que j’écoutais depuis des années. Je n’allais pas rester sur le banc de touche… Je voulais être impliqué dans ces conversations musicales.
 
Apparemment il y a quelque chose qui a plu à Roy, mais aussi à différentes personnes qui étaient là et qui ont pris mon numéro… C’est le début de la Harlem Suite !
 
Par la suite j’ai joué avec beaucoup de musiciens différents à New-York et monté plusieurs groupes et projets. C’est aussi à New-York que j’ai enregistré mes six premiers disques en tant que leader. C’est également à cette époque que je suis parti dans des tournées mémorables et historiques avec toutes sortes de talents formidables comme Ari Hoenig, Me’shell N’degeocello, John Legend… et, bien sûr, Roy. 
 

Jacques Schwarz-Bart – 28 juin 2025 © PLM

 
Comment est la vie à New-York pour un musicien ?
 
JSB : Il y a cette espèce de schizophrénie urbaine, mélangée à ces hauts et ces bas de la vie de musicien freelance. Tu es en tournée pendant deux mois et tu gagnes bien ta vie, mais ensuite, pendant un mois et demi, il n’y a rien ou des gigs à cinquante dollars… alors que le loyer reste le même ! C’est une vie pleine de hauts et de bas… Jusqu’à ce qu’on te confirme des choses par écrit, mais souvent on te dit « Oui, viens tu va jouer avec nous... » mais tu attends la confirmation et, souvent, elle ne vient pas… Il y a beaucoup d’incertitudes dans cette vie, d’autant qu’il n’y a pas de statut d’intermittent du spectacle. C’est beaucoup de risques, mais, en même temps, quand je disais que c’est l’histoire d’un Guadeloupéen à New-York, c’est que, tant comme leader, que comme saxophoniste, c’est vraiment ce que j’ai hérité du Gwoka dans mon jeu qui m'a permis de me distinguer un petit peu du lot.
 
Il n’y a donc pas de Gwoka à Harlem ?
 
JSB : Non, ça n’existe pas. Dans le monde, d’ailleurs, il n’y a pas vraiment de saxophoniste sur la scène internationale qui comprenne le langage du Gwoka. Il y a quelques saxophonistes de renom qui ont intégré des rythmes de Gwoka dans leurs projets, mais sans vraiment en comprendre les rythmes. Je ne nommerais personne, mais ça prend un moment pour acquérir le vocabulaire du Gwoka. Et c’est ça qui a fait ma différence.
 
Quid du rêve américain Arnaud et Georges ?

AD : Ça l’a été… Mais pour vivre à New-York ou aux Etats-Unis, je pense qu’il faut être courageux ! J’ai déjà eu la chance de pouvoir y tourner avec Jacques, puis avec Jean-Christophe Maillard... J’ai vu comment ça se passait ! Bon ! [Eclats de rire] Il faut être courageux ! 

GG : Non... En fait, je pense qu’on idéalise le jazz aux Etats-Unis. Mais dans mon cas, c’est que, une fois sortie de la Bill Evans Academy à Paris, j’ai eu mon fils ! Je serais peut-être parti pour expérimenter, mais là ce n’était plus possible...

JSB : Et puis, il faut dire une chose, aujourd’hui ça fait moins de sens qu’à l’époque. A l’époque il y avait bien sûr de très bons musiciens de jazz en France, mais c’était des musiciens qui étaient soit vraiment ancrés dans la tradition des années 50 et 60, soit dans une sorte d’avant-garde, mais pour tout ce qui est post-bop, en fait, il n’y avait qu’à New-York que ça se passait. Alors qu’aujourd’hui il y a vraiment un nombre énorme de musiciens qui jouent terrible en France, mais aussi d’Antillais qui créent un jazz qui leur est propre. Donc si j’étais jeune aujourd’hui à Paris je n’aurais pas eu la même motivation pour partir.

Pour revenir à The Harlem Suite, tu retraces des moments de ton histoire aux Etats-Unis ?

JSB : Oui, c’est ça. L’un des moments forts, par exemple, c’est mon premier coup de fil pour partir en tournée avec D’Angelo. Ça 
m’a inspiré « Sun Salutation ». « Equivox » correspond plus à ma première rencontre avec Roy et ce mélange avec toutes sortes de musiciens. « Look No Further » représente cette philosophie que je me suis forgée, d’apprécier dans l’instant toute chose à travers la musique. « Central Park North » est la description du contraste assez triste entre la partie opulente de New York et Harlem, avec tout ce que ça implique de politique raciale. Je ne vais pas décliner tout l’album… Mais « From Gorée to Harlem » est un hommage à tous ceux qui ont fait la traversée de l’Atlantique, mais aussi à tous ceux qui ont été dans les différentes plantations en Amérique Latine, dans les Caraïbes ou dans différentes parties des Etats-Unis, pour finalement se retrouver à Harlem, où ils se côtoient et créent une vie en communautés. Elles sont souvent séparées, mais se mélangent quand même. La diaspora africaine se retrouve à Harlem. Comme je l'ai dit à ma mère, chaque morceau de The Harlem Suite est un éclat de vie. 

The Harlem Suite est sorti en 2023, les morceaux ont-ils été composés pendant le Covid ?

JSB : Non, les morceaux ont été composés sur une vingtaine d’années, à différentes périodes. Lorsque je m’apprêtais à quitter New-York pour déménager à Boston, j’ai parcouru mes cahiers et j’ai vu qu’il y avait une cohérence entre tous ces morceaux que j’avais écrits à Harlem, sur Harlem en fait. C’est comme ça que j’ai perçu le fil conducteur. C'est à partir de là que j'ai vraiment voulu peaufiner et finaliser ces compositions pour enregistrer un disque.
 

Georges Granville, Reggie Washington, Jacques Schwarz-Bart & Arnaud Dolmen – 28 juin 2025 © PLM


Tu fais tourner The Harlem Suite aux Etats-Unis et en France ?

JSB : Nous avons pas mal tourné aux Etats-Unis et au Canada. J’ai plusieurs groupes. Pour l’Amérique du nord, les musiciens sont basés entre Boston et New-York avec Obed Calvaire à la batterie, Matt Penman ou Ian Quinton Banno à la contrebasse, et Domas Zeromskas ou Victor Gould au piano. Pour l’Europe et les Antilles, c’est Grégory, Reggie et Arnaud.  

Il y a une différence entre jouer en Amérique et en Europe ?

JSB : Pour moi, c’est le même monde. A n’importe quel moment, que ce soit au Canada ou à New-York, aux Antilles ou en Europe, s’il y a une connexion entre le public et les musiciens, il peut y avoir des moments de magie. On ne sait jamais où, quand ni comment ça va se faire...

Où en êtes-vous de la tournée ?

JSB : C’est la dernière date. J’ai fait trois concerts aux Antilles, deux séances d’enregistrement à Paris et là, c’est ce qui conclut ma petite quinzaine sur les routes. 

Si tu habites toujours à Harlem, pouvons-nous s’attendre à une deuxième Harlem Suite, et quels sont tes projets ?


JSB : J’habite maintenant à Boston, où je me suis installé il y a huit ans pour enseigner à la Berklee School of Music. Mais il y aura peut-être une suite à The Harlem Suite... Enfin, pour l’instant, je voudrais revenir un petit peu à mes racines guadeloupéennes ou antillaises et monter un projet en quartet, voire en quintet qui soit imprimé de nos rythmes. 

Sinon, je viens de sortir mon tout dernier disque il y a un mois et demi avec Grégory Privat.

Et toi, Georges, quels sont tes projets ?

GG : Il y a deux ans j’ai sorti mon premier album en tant que leader avec Arnaud à la batterie et Michel Alibo à la contrebasse. C’est une sorte de retour au jazz, parce que j’ai eu un parcours atypique. En sortant de la Bill Evans Academy, j’ai été happé par tout ce qui est musique de variété, populaire, que ce soit hip-hop, R’n’B, soul, musique traditionnelle des Antilles – biguines et mazurkas. Et, finalement, j’ai joué très peu de jazz et pas de projet perso jusqu’en 2020, cette fameuse année Covid. J’ai tout remis à plat. Je me suis interrogé sur comment j’avais envie de redémarrer après cette période de confinement. J’ai commencé à composer et me suis dit que ce serait bien d’aller au bout. Perspectives est sorti en 2023. La semaine dernière, je viens de sortir un maxi single de trois titres, qui est une sorte d’extension de l’album, avec contrebasse, batterie et une voix. Mais c’est en attendant le prochain bébé.
 

Georges Granville – 28 juin 2025 © PLM


Tu incorpores également des éléments Gwoka ?

GG : Comme je suis de la Martinique, c’est plutôt le Bèlè. Sur mon premier album, deux morceaux viennent directement du Bèlè. La Biguine et la Mazurka sont les plus connues et les plus jouées, mais moi j’ai vraiment un faible pour le Bèlè. Même si sur ce que j’ai sorti récemment, c’est plus inhabituel… Je recherche, j’expérimente… Les racines sont toujours là, mais on fait avancer !

Au tour d’Arnaud ?

Arnaud Dolmen – 28 juin 2025 © PLM

AD : J’ai mon quartet… Jazz contemporain, Gwoka… avec, comme j’aime dire, mes influences parisiennes aussi ! A Paris, on voyage sans bouger. Il y a tellement de sons et d’excellents musiciens, que j’ai la chance d’accompagner. Tout m’influence en fait. J’ai aussi un duo piano – batterie avec Leonardo Montana. Je fais beaucoup de créations. Je viens par exemple de sortir un album avec Michel Alibo, Jowee Omicil et la harpiste Sophye Soliveau. Un nouveau disque va sortir au mois d’octobre avec Grégory Privat et Laurent Coulondre. Mes projets perso qui tournent vraiment sont le quartet et le duo, mais aussi un groupe électrique que j’ai, mais qui n’est pas encore prêt pour enregistrer... C’est un groupe qui s’appelle VityGroove, une sortie de résidence… La musique a plu ! Du coup il y a des dates qui tombent, mais franchement je ne suis pas encore prêt à enregistrer parce que le projet n’est pas fini dans ma tête et les morceaux ne sont pas encore aboutis non plus. Ça prendra un peu de temps…


Et toi, Reggie, quels sont tes projets à venir ?

RW : Devenir fou ! [Rires] Avec Black Live Collective, qui est devenu un groupe, nous continuons notre chemin. J’ai finalement réussi à avoir quatre musiciens en même temps au même endroit… avec moi, Gene Lake, David Gilmore et Ravi Coltrane. Nous avons une date en décembre pour enregistrer...
 

Reggie Washington – 28 juin 2025 © PLM


Tu partages ton temps entre les Etats-Unis et l’Europe ?

RW : Non, non. Je vis à Bruxelles. J’ai trois filles. C’est ça mon vrai boulot ! Aujourd’hui je suis en vacances ! [Rires] Mais c’est un plaisir de sortir et de jouer avec les vieux copains… ou de jeunes nouveaux copains ! [Rires]

Le mot de la fin : jouer avec cette chaleur ? 


Collectivement : Ne parlons pas de ça ! [Rires]

JSB : Par contre, Avignon, moi j’adore… Lorsqu’on me parle de la France et que je fantasme un petit peu sur les bons côtés de ce pays, je ne pense jamais à Paris, mais je pense à Avignon, Montpellier, Toulouse, Bordeaux… mais je ne pense jamais, mais alors jamais, à Paris ! Pour moi, toute cette région c’est le meilleur que la France ait à offrir !


The Harlem Suite à L’Assemblière


Le 28 juin 2025, à une encablure du centre de Tavel, dans un décor idyllique de vignes et de collines doré par le soleil couchant, l’Assemblière, chai du vignoble Dauvergne Ranvier, accueille Jacques Schwarz-Bart (à lire aussi) et son quartet dans le cadre de l’Avignon Jazz Festival.

Après que les spectateurs se soient régalés de planchas de charcuteries ou de fromages, de fougasses ou de quiches, le tout arrosé des vins de la maison, la soirée peut commencer. François Dauvergne commence par remercier les équipes qui contribuent à la bonne marche du festival, puis souligne que la formation du jour « est véritablement au niveau d’un grand cru… ». Gilles Louis-Eloi, directeur de l’Avignon Jazz Festival, présente ensuite brièvement le quartet qui investit la terrasse de l’Assemblière pour une heure et demie de musique intense. 

François Dauvergne – 28 Juin 2025 © PLM


Même si Schwarz-Bart constate qu’« il faut vraiment vouloir écouter du jazz pour ne pas être en ce moment en train de siroter une boisson fraîche dans l’air conditionné » car la journée a été suffocante, la légère brise qui balaie la pelouse de l’Assemblière rend ce début de soirée singulièrement agréable. Le programme du concert reprend des morceaux des deux avant-derniers disques du saxophoniste, The Harlem Suite (2023) et Soné ka-la 2, Odyssey (2020). Tous les thèmes ont été composés par le leader. Schwarz-Bart est entouré de Reggie Washington à la contrebasse et Arnaud Dolmen à la batterie, deux piliers de son quartet européen. Le troisième compère habituel, Grégory Privat, n’étant pas disponible, c’est donc Georges Granville qui fera vibrer le Yamaha C3.

Georges Granville, Reggie Washington, Jacques Schwarz-Bart & Arnaud Dolmen – 28 Juin 2025 © PLM


Le concert démarre avec « Jacques – Pa Gadé », également morceau d’ouverture de Soné ka-la 2. Dès les premières mesures l’ambiance est donnée : le saxophone ténor expose tranquillement le thème-riff sur un ostinato chaloupé, construit à partir d’un leitmotiv dansant de la batterie, une ligne solide de la contrebasse et des accords plaqués du piano. Dolmen en met partout avec joie et légèreté pendant que Granville prend un solo simple et efficace, puis Schwarz-Bart et Washington dialoguent avec intelligence. Une alternance de traits virtuoses, entrecoupés de motifs sautillants et de sauts d’intervalles caractérisent le chorus du saxophone. La musique circule en souplesse entre les quatre complices. Mention spéciale à l’ingénieur du son pour le bel équilibre les voix, souvent une gageure en extérieur avec, qui plus est, du vent. 

Georges Granville, Reggie Washington, Jacques Schwarz-Bart & Arnaud Dolmen – 28 Juin 2025 © PLM

Suivent cinq morceaux de The Harlem Suite. Schwarz-Bart présente « Time Travel » comme un « syncrétisme de tous les rythmes modernes que m’a inspiré cette scène post-bop des années 90 et 2000 à New York ». Là encore, le thème, court et vif, fait la part belle aux poly-rythmes de la batterie et à la carrure inaltérable de la contrebasse. Le piano profite de cette pulsation contagieuse pour se lancer dans un solo où les phrases dynamiques laissent place à des blockchords aux consonances caribéennes. Le ténor prend la suite avec un discours bigarré et bien construit autour de phrases rapides et brèves, de ruptures brutales, d’envolées dans les aiguës, d’arpèges véloces… dans un style néo-bop relevé. « Equivox » s’appuie d’abord sur des rythmes enchevêtrés, puis Granville s’évade dans des variations bop vigoureuses, soutenu par une walking et un chabada parfaits. Le saxophone revient à un discours post-bop tendu sur une contrebasse qui vrombit, une batterie foisonnante et un piano puissant. La ballade « From Gorée to Harlem » fait évidemment référence à l’île éponyme au large de Dakar, triste symbole de la déportation des esclaves vers les Amériques, où ils donneront naissance au jazz. Quant à Harlem, c’est le quartier de New York qui devient le centre névralgique du monde afro-américain à partir des années 30. Entre pédales et contre-chants, le piano souligne habilement la mélodie douce et nostalgique jouée par le ténor, tandis que les balais caressent la batterie et que la contrebasse, minimaliste, égrène ses notes. Ce calme précède une tempête funky sur laquelle Granville surfe élégamment. Schwarz-Bart ramène de la placidité, et, sous une apparente nonchalance, prend un chorus plein de relief, toujours porté par une rythmique nerveuse. « Twisted » s’inscrit dans la lignée hard-bop : thème-riff fougueux exposé par le ténor en alternance avec la rythmique à l’unisson, suivi d’une walking athlétique de la contrebasse, des chabadas musclés de la batterie et des progressions d’accords trapus du piano. Dans cette atmosphère imposante, le ténor virevolte avec un mélange de fluidité et de swing. Le piano continue dans la même veine. Quand le tempo se dédouble, grâce à une mise en place aux petits oignons, le quartet s’amuse toujours avec la même aisance !  « Dreaming of Freedom » a une histoire : « je jouais une série de concerts à New York et, tous les jours, il y avait un homme d’un certain âge qui s’asseyait au premier rang, très vocal dans ses applaudissements et sa façon de réagir à la musique, mais qui ne disait jamais rien, ni à moi, ni à personne d’autre… comme une sorte d’âme solitaire. Et un jour, après l’avoir vu, revu et revu dans mes concerts, je lui dis « c’est un plaisir de te rencontrer. Comment se fait-il que tu ne parles jamais à quiconque ? »... Nous sommes devenus amis et, de fil en aiguille, il m’a expliqué qu’il avait passé une trentaine d’années en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis, à cause de la couleur de sa peau ». Retours aux balais pour Dolmen et à la parcimonie pour Washington, qui installent une rythmique soyeuse et légère. Grave, Schwarz-Bart enchaîne des propos mélodieux aérés, alors que Granville le double à l’unisson ou en contrepoint.

Les trois derniers morceaux du concert sont tirés de  Soné ka-la 2, Odyssey. Basé sur le rythme léwoz (deux temps et un arrêt) du Gwoka, « Konk a Lambi », est implacablement dansant : des roulements et une syncope sur les fûts s’intercalent entre les deux temps marqués par la charleston. Le solo de contrebasse est à la fois musical et entraînant. Le piano et le ténor s’aventurent en terrain néo-bop, poussés par une batterie qui se déchaîne petit à petit et fait monter la pression. « New Padjanbel » s’appuie sur un autre rythme du Gwoka : le padjanbèl, à trois temps. Après une entame abrupte du ténor sur une batterie imposante et une contrebasse profonde, le piano et le saxophone partent de concert. Les développements fiévreux de Granville et Schwarz-Bart sont aiguillonnés par les coups de butoir de Dolmen, qui passe en binaire, et le jeu funky de Washington. Une accélération du tempo emballe le quartet qui rugit furieusement ! En bis, Schwarz-Bart et ses compagnons interprètent « Mendé », autre rythme du Gwoka, à quatre temps. Le saxophoniste invite le public à taper dans les mains et à danser, puis attaque un scat guttural rythmique. « Mendé » prend une tournure fanfare des îles. Les roulés pétillants de la batterie, les motifs alertes de la contrebasse, les boucles frétillantes du ténor et les lignes pimpantes du piano invitent irrésistiblement à se déhancher… 

Du début à la fin du concert le public reste concentré, écoute attentivement les propos du quartet et sa connexion avec la musique est palpable. Il faut dire que Schwartz-Bart, Granville, Washington et Dolmen maintiennent un suspens de tous les instants par des constructions mélodico-rythmiques particulièrement variées, des mouvements complexes, mais toujours avec la danse en filigrane, et, surtout, un plaisir de jouer communicatif !

Georges Granville, Reggie Washington, Jacques Schwarz-Bart & Arnaud Dolmen – 28 Juin 2025 © PLM

 




22 juin 2025

The Day We Decided To Live At Night – Ozma

Depuis 2005 et son premier album éponyme, Ozma a quasiment sorti un disque tous les deux ans. The Day We Decided To Live At Night, qui sort le 4 avril 2025 chez Berthold Records, est donc le neuvième. Autour de l’inamovible et historique paire rythmique constituée de Stéphane Scharlé à la batterie et Edouard Séro-Guillaume à la basse, le quintet est complètement remanié avec Musina Ebobissé au saxophone ténor, Martin Ferreyros à la guitare et Dan Jouravsky aux claviers. Par ailleurs, de nombreux invités ont été conviés au fil des morceaux : Dramane Dembélé à la flûte peul, Lynn Adib à la voix, Delphine Joussein à la flûte, Thomas Ketterer à la guitare et Meritxell Nedderman aux effets électro.

Neuf des douze morceaux sont signés Scharlé, compositeur de la plus grande partie du répertoire d’Ozma. Jouravsky se joint au batteur pour « Magnetic Mist ». Quant à « Crystal Flare » et « This is Umbra », il s’agit de courtes improvisations du quintet. Le disque est accompagné d’un livret de vingt pages de constructions photographiques en noir et blanc, réalisées par Andrea Ciuliu, qui évoquent le futurisme, la science-fiction, l’onirisme, l’apocalypse… autant de thèmes qui illustrent à merveille les ambiances de The Day We Decided To Live At Night.

Dans des décors le plus souvent électro futuristes (« Atomic Winter ») et planants (« I Love Snakes – part 2 »), les airs sont mélodieux (« The Day We Decided To Live At Night») et entraînants (« Multiple »), avec des touches délicates (« Magnetic Mist »). Côté rythmique, le binaire (« Quadratisch ») et la puissance (« To The Braves») sont de mise, dans un genre rock (« Atomic Winter ») parfois brutal (« Rapide & Furieuse ») et qui frise le hard (« The Day We Decided To Live At Night»). La plupart des développements sont tendus (« Metalycra») avec des mouvements foisonnants (« Quadratisch »), des stridences (« The Day We Decided To Live At Night»), des passages particulièrement expressifs (la flûte peul et les cris dans « Rapide & Furieuse »), des effets électro touffus (« Multiple ») et des envolées de guitar hero (« Amours Volatiles »). Ozma pimente son metal (« Metalycra »), d’électro (« Magnetic Mist »), bien sûr, mais aussi de science-fiction (« Atomic Winter »), de musique arabo-andalouse (« Amours Volatiles »), de smooth jazz (« I Love Snakes – part 2 ») et de musiques du monde (« Rapide & Furieuse »).

Si Ozma poursuit un parcours explosif, The Day We Decided To Live At Night marque un tournant dans sa musique, avec un nouveau quintet et une musique résolument électro jazz rock ! 

Le disque

The Day We Decided To Live At Night

Ozma

Musina Ebobissé (ts), Martin Ferreyros (g), Dan Jouravsky (kbd), Édouard Séro-Guillaume (b) et Stéphane Scharlé (d), avec Dramane Dembélé (fl), Lynn Adib (voc), Delphine Joussein (fl), Thomas Ketterer (g) et Meritxell Nedderman (voc, electro).
Berthold Records – BR324113
Sortie le 4 avril 2025

Liste des morceaux

01. « The Day We Decided To Live At Night» (04:27).
02. « Rapide & Furieuse » (03:39).
03. « To The Braves» (04:36).
04. « Multiple » (04:03).
05. « Crystal Flare », Ozma (00:41).
06. « Amours Volatiles » (05:30).
07. « Metalycra» (03:48).
08. « I Love Snakes – part 2 » (03:47).
09. « Magnetic Mist », Scharlé et Jouravsky (04:32).
10. « This is Umbra », Ozma (00:37).
11. « Atomic Winter » (05:33).
12. « Quadratisch » (04:32).

Tous les morceaux sont signés Scharlé sauf indication contraire.

09 juin 2025

Notes dans les vignes…

Le 28 juin 2025, dans le cadre de l’Avignon Jazz Festival, le vignoble Dauvergne et Ranvier organise dans sa propriété de Tavel un concert de Jacques Schwarz-Bart avec son projet The Harlem Suite qui réunit Georges Granville au piano, Reggie Washington à la basse et Arnaud Dolmen à la batterie. Ce n’est pas une nouveauté : Dauvergne et Ranvier avait déjà produit Raphaël Lemonnier & La Trova Project le 27 juillet 2024. Que des « créateurs de vins hors cadre » programment des concerts de jazz mérite de comprendre le pourquoi du comment et de découvrir François Dauvergne, un œnojazz patenté…


Mettre du jazz dans son vin

Pour planter le décor, peux-tu nous décrire les activités de Dauvergne et Ranvier ?
 
Nous sommes en effet des « créateurs de vins » : en 2004, Jean-François Ranvier et moi avons fondé notre maison sans avoir ni cave ni vignoble, seulement un peu de savoir-faire. 
 
Pour faire contre mauvaise fortune bon cœur, nous nous sommes dit que nous pouvions vinifier nos vins sans être propriétaires de vignes et nous avons mis en place une méthode originale. Les vignerons avec lesquels nous travaillons nous donnent accès à leur vignoble et à leur chai et sont d’accord pour cultiver leurs terres en tenant compte de nos conseils. Ce dialogue avec les viticulteurs permet de mieux travailler et, au final, d’obtenir des raisins de meilleure qualité. C’est avec le même état d’esprit que nous échangeons avec ces producteurs lors des vinifications. Nous obtenons ainsi des vins uniques qui correspondent à notre goût.
 

 
Comment passe-t-on « de la création et du partage vinicoles » à l’organisation de concerts de jazz ?

En se disant qu’il faut faire ce qu’on a envie de faire. Et en sifflant… quelques bouteilles.

Sur les contre-étiquettes de certaines bouteilles tu cites des morceaux de jazz à boire en dégustant un verre : comme il y a des « synesthètes » qui associent des couleurs aux notes, serais-tu un peu « oenolesthète » ?

Un oenolesthète de l’art, pour sûr ! 

D’ailleurs comme cette pratique est plutôt rare, tu dois bien avoir une anecdote à raconter avec un client qui l’a prise au mot ?

Nous avons reçu plusieurs messages amicaux de personnes qui avaient pris du plaisir à (ré)écouter du jazz… et, peut-être, à boire ce qu’il y avait dans la bouteille !

Une fois quelqu’un m’a coincé : j’avais suggéré d’écouter « Crepuscule with Nellie » en dégustant un verre de notre bordeaux. Et voilà que je reçois un message me demandant quelle était la prise idéale : la quatrième, la cinquième ou bien la sixième ?

Une autre fois, j’ai reçu un message d’un ami de Rhoda Scott. Il m’a fait envoyer quelques cartons à son attention : la contre-étiquette évoquait le Lady all Stars que nous avions vu quelques semaines avant la mise en bouteille.

La scène des concerts n’est autre que la terrasse qui prolonge l’Assemblière, un bâtiment superbe – bureaux et chai de Dauvergne et Ranvier – qui marie avec élégance béton, verre et bois, clairs obscurs, intérieur et extérieur, tradition et modernité… Peux-tu nous raconter l’histoire de l’Assemblière ?

L’Assemblière © Dauvergne Ranvier

L’Assemblière tire son nom du mot « assemblage » qui désigne la création d’un vin en associant différentes cuves ou différents fûts. Le but est atteint quand le vin issu de l’assemblage surpasse chaque composante.

La rénovation et l’extension d’une ancienne cave qui se trouve au 47 chemin des Vestides à Tavel ont été confiées à un cabinet d’architectes de Gigondas, Dany & Febvay. Ils ont conservé l’ancien bâtiment, mais l’ont amélioré et nous en avons doublé la surface pour pouvoir y mettre le chai, bien sûr, mais aussi un laboratoire, des bureaux, un salon d’accueil pour nos visiteurs… Les travaux ont commencé en 2019 et nous avons emménagé début 2020.

J’aime cet endroit et je crois que les visiteurs et les salariés s’y sentent bien. Certains y trouvent une harmonie là où d’autres évoquent une note contemporaine jouée par le trio de matériaux dont tu parles.

Au pied de la terrasse, les spectateurs sont assis dans un parc avec une vue magnifique sur les collines et les vignobles de Tavel. Quel morceau de jazz entends-tu quand tu es dans cet écrin splendide ?

Beaucoup !

Mais s’il ne faut en choisir qu’un, j’évoquerais, bien entendu, « Harvest Time » !... Morceau tiré de l’album Pharoah, sorti chez India Navigation en 1977. D’autant plus que l’ami qui m’a fait découvrir Pharoah Sanders m’a aussi aidé à créer ma société… C’est donc un peu grâce à lui que l’Assemblière existe !

Autre évocation : Raphaël Lemonnier et la Trova Project, qui ont donné un concert ici l’an passé, dans le cadre de l’Avignon Jazz Festival. 


L’Assemblière a également accueilli en mai 2025 un trio manouche, Django-Charlie, qui a joué devant un public charmé !

Plus récemment, le club Jazz à Fip a diffusé une interprétation de « My Ship » par Keith Jarrett et Charlie Haden. C’est un morceau que j’écouterais bien ici un de ces soirs d’été quand le soleil vient de se coucher et que l’ombre du bâtiment ressemble à celle d’un navire...

L’Assemblière © Dauvergne Ranvier

Mettre du vin dans son jazz

Comment se traduit le partenariat avec l’Avignon Jazz Festival pour l’organisation des concerts ?

Avec Anne, ma femme, nous avions l’habitude d’aller au Cloître des Carmes voir et écouter des concerts organisés par ce festival. J’ai trouvé la programmation emballante et les bénévoles d’une gentillesse et d’une énergie communicative. C’est donc très naturellement que nous avons proposé d’aider le festival. Plusieurs membres du bureau et de l’équipe sont venus à Tavel. Ils ont aimé le lieu et ont proposé d’y organiser un premier concert. J’étais ravi !

L’équipe du Festival réalise l’essentiel du travail. Nous mettons à disposition le lieu, quelques paires de bras et faisons notre possible pour accueillir au mieux les spectateurs en proposant une petite restauration et, bien évidemment, quelques verres de vins à prix d’amis… à déguster avec plus de modération que la musique qui se joue sur scène.

Quelle est la partie que tu trouves la plus compliquée dans l’organisation d’un concert de jazz ?

 
Ce sont surtout les membres du Festival qui devraient répondre à cette question : à eux le stress, le choix délicat de trouver les artistes disponibles, de s’occuper de la logistique. Heureusement, ils ne manquent pas d’énergie et ces bénévoles sont toujours positifs, enthousiastes et souriants. Ils sont géniaux !

Notre équipe aussi est géniale car elle est toujours partante pour aider.

L’année dernière tu as programmé Lemonnier et cette année c’est Schwarz-Bart et son Harlem Suite qui seront sur scène. Comment as-tu sélectionné ces formations ?

Nous nous contentons d’accueillir le spectacle. Mais comme les organisateurs sont très partageurs ils me font part de leurs « short-list » pour que nous échangions ensemble. Je leur donne juste un ressenti étant donné ce que je connais du lieu et des musiciens.

 
J’ai toujours aimé les mélanges de cultures. La musique de Lemonnier associe Cuba et le Blues et j’ai hâte d’écouter The Harlem Suite qui montre ce que le Jazz contemporain doit à l’Afrique.

T’attendais-tu à ce que le concert de Lemonnier attire près de deux cent spectateurs ?

Nous l’espérions, mais nous avons eu des moments de doutes : une semaine avant le concert, à peine vingt personnes avaient réservé ! L’essentiel des billets s’est vendu le jour même, comme souvent dans le spectacle vivant…

Nous sommes bien loin du rythme viticole où, quand nous plantons une vigne, c’est pour les soixante prochaines années !

Dans un village, certes connu, mais relativement isolé, comment expliques-tu que les spectateurs répondent présents ?

Avignon Jazz Festival a une belle réputation et ça fait venir du monde ! La notoriété des musiciens, l’énergie des bénévoles et de nos salariés ont sans aucun doute attirer encore davantage de monde.

Le concert a conquis le public ! Il s’est mis à danser pendant le spectacle. Peut-être que les verres de Tavel, de Condrieu et de Côte-Rôtie que nous proposions au bar ont aussi contribué à la joyeuse ivresse du moment…

Raphaël Lemonnier & La Trova Project à l’Assemblière - 27 juillet 2024 © Anne Dauvergne
 

Penses-tu que ces concerts puissent avoir des retombées médiatiques et commerciales pour Dauvergne et Ranvier ?

Ce n’est pas le but. Tant mieux si c’est le cas. Quoi qu’il en soit, je vois beaucoup de correspondances entre le monde du jazz et celui du vin. 

Le vin est une production agricole, certes, mais, à mon avis, plus culturelle que naturelle. L’évolution naturelle du vin, c’est le vinaigre, le couac du vigneron.
 
Un vin est issu de mélanges, mélange de terroirs, mélange de cépages, mélange d’âges de vignes et de savoir-faire... C’est aussi, souvent, un assemblage de multiples fûts et de plusieurs cuves. C’est parfois, comme en champagne ou dans les vins doux, la subtile association de vins d’âges différents. Je vois un parallèle entre cet univers et celui du jazz qui aime les rencontres, la création, les fusions.

Il y a une réflexion derrière chaque vin qui laisse une grande part à l’expression des sentiments. La vigneronne ou le vigneron se projette dans son vin comme un musicien bâtit une mélodie. 

Mais pourquoi le jazz plutôt que la musique classique, la musique du monde, le rock, la variété ou autre ?

Parce que nous avons créé notre société en improvisant et en plaçant la liberté en haut de nos valeurs...

Mais aussi parce que le jazz accueille la musique classique, la musique du monde, le rock, la variété, le rap et bien d’autres genres musicaux sans rien exclure comme nous n’excluons aucun cépage ni aucun terroir dans nos assemblages.

En effet le jazz reste ouvert à tous les genres et les accueille comme l’univers du vin reste ouvert à tous les styles : les grands classiques très construits et somptueux comme les productions plus fantaisistes voire risquées, mais elles aussi émouvantes, telles que les vins sans soufre.

Bien sûr, il y a l’ivresse des notes, les corps qui se déhanchent, les têtes qui dodelinent. Après un verre de jazz, on se lâche, on se délasse. Cela n’empêche pas d’avoir les sens en éveil : l’oreille ou le nez, l’œil ou la bouche. Même les grands vins, qui sont très construits, laissent une place à l'improvisation, ne serait-ce qu'à travers le vieillissement en bouteilles. Il y a une dynamique dans la dégustation, les arômes évoluent, surprennent, font vagabonder l’esprit, comme dans une musique aussi vivante que le jazz.
 
Comme le monde du jazz également, le vignoble est accueillant, jamais clôturé... Sauf si les cochons sauvages rôdent ! Chaque visiteur est le bienvenu quelle que soit son origine. On a un grand sens du partage dans le monde entier. J’ai vu des vignerons célèbres échanger des bouteilles contre celles d’un petit nouveau passionné. Et je connais beaucoup d’amoureux du vin qui font le bœuf en soirée en apportant chacun des flûtes et de grosses caisses... de vins, bien entendu !


A la découverte de François Dauvergne

Le goût du jazz

Quand as-tu découvert le jazz ?

Au goulot de mon biberon.

La musique était peu présente à la maison quand j’étais enfant, mais ma mère, née en 1927, écoutait Duke Ellington, Stéphane Grappelli et le Jazz Nouvelle Orléans assez régulièrement. Elle nous a aussi fait aimer les chansons d’Yves Montand qui ont bien des côtés jazzy. Et puis, quand j’ai eu ma chaîne Hi-Fi, je me suis mis à écouter Julien Delli Fiori et Clémentine Célarié

Quel est ton parcours dans le jazz entre tes premières découvertes et aujourd’hui ?

C’est un parcours brouillon.

Je ne suis pas un grand connaisseur du jazz et ne pratique pas du tout la musique. Je suis comme un gars qui va au restaurant, écoute le sommelier avec respect, trouve le vin excellent, prend énormément de plaisir à le déguster, quand l’accord est parfait avec le plat, mais qui, à la sortie, ne sait plus exactement quel est la composition du sol ni le pourcentage exact des cépages car pour lui, l’important, c’était l’émotion au moment de la dégustation.

Mes goûts sont éclectiques et se sont formés au gré des concerts et des émissions de radio. Je remercie d’ailleurs Radio France et ses nombreux programmes jazzistiques !

Quel est ton instrument favori dans le jazz ?

Le saxophone, pour son côté charnel et intime. Mais aussi le piano parce que j’ai eu un choc la première fois que j’ai entendu Thelonious Monk.

Quels sont tes musiciens favoris ?

Nombreux sont les musiciens actuels qui me font vibrer, mais comment ne pas prendre le risque d’en oublier ? Donc je ne vais en citer que quelques-uns parmi les plus anciens : Freddie Hubbard parce que ça tranche ; Ella Fitzgerald parce qu’elle rassemble ; Billie Holliday pour « Strange Fruits » ; Miles Davis parce qu’il a toujours cherché ; John Coltrane pour la profondeur ; Fats Waller pour la joie ; Blossom Dearie pour « Sophisticated Lady » ; Monk parce qu’il a magnifié le pas de côté ; Bill Evans parce que converser avec soi-même est important ; Carla Bley pour son indépendance d’esprit et sa créativité, Oliver Nelson pour « Stolen Moments » ; Lee Morgan et les Jazz Messengers pour l’énergie ; Django Reinhardt pour « Minor Swing » ; Henri Crolla pour Montand ; Roy Haynes pour son élégance ; mais aussi John Lewis qui a tissé avec finesse un lien entre jazz et classique…

Sur l’île déserte, quels disques amènes-tu ?

L’anthologie complète du jazz si jamais elle sort un jour…

S’il ne faut en choisir qu’un : Somethin’Else parce que c’est un de mes tout premiers disques.


Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ?

C’est une manière de ne pas mettre de mots sur les sentiments.

Pourquoi la passion du jazz ?

Pour la liberté d’expression... Et parce que le jazz allie précision et création.

Où écouter du jazz ?

Pourquoi pas en venant à Tavel le 28 juin !

Vers chez nous, nous pouvons nous régaler avec de nombreux festivals dont l’Avignon Jazz Festival, bien sûr, mais aussi Jazz à Junas et ses deux cousins, Jazz en Pic-Saint-Loup et Jazz à Vauvert, sans oublier le magnifique Marseille Jazz des cinq continents…

Sinon, en voiture ou à la maison avec Nathalie Piolet ou l’équipe du Club Jazzafip.

Enfin, lors de montées à Paris, dans les nombreux clubs de la capitale...

Comment découvrir le jazz ?

Idéalement en concert lors d’un festival : l’ambiance fait partie du concert…


Le mot de la fin

Quel(s) projet(s) autour du jazz pour demain ?

Dans la mesure du possible, continuer à programmer des concerts et amener le plus de jeunes possible à découvrir le jazz...

 

En prime... une chrœnologique de Guy Tard 
 
  
Y a d'l'étoffe, c'est charnu, une bonne vivacité, très joli milieu de bouche, finale douce. 
Assemblage dominé par le cabercordeon, bien complété par le saxomerlot, rehaussé par la fraîcheur du piano noir, biodynamusiqué par la paire basse batterie discrète mais indispensable.
Riche, très néo vigneron, mais vraiment bien construit. 
J'en reprendrais bien un peu !
 
 
Le disque 
 
Living Being IV : Time Reflections
Living Being
Vincent Peirani (acc), Émile Parisien (ss), Tony Paeleman (kbd), Julien Herné (b) et Yoann Serra (d).
Sortie le 26 septembre 2025