29 septembre 2018

Inner core - Irene Aranda


Depuis Ininterfrequency 23 7, sorti en 2008, la pianiste espagnole Irene Aranda continue d’explorer l’avant-garde sans relâche, comme en témoignent Yetzer (2012), Jazz At La Montaña Rusa (2015), Tribus et Phonophobia (tous les deux publiés en 2016). Elle s’embarque dans sa nouvelle aventure avec le contrebassiste Johannes Nästesjö et la percussionniste Núria Andorrà.

Référence à la graine terrestre, cet alliage de fer et de nickel qui forme le cœur brûlant de la planète et que la sismologue danoise Inge Lehmann a découvert en 1936, Inner Core est constitué de six pièces aux titres évocateurs, comme le morceau éponyme, bien sûr, mais aussi « Planck Mass » (unité de mesure utilisée pour les particules), « Nucleation » (germination des atomes ou des ions), « Allotropism » (faculté de démultiplication de certains éléments chimiques), « Zeldovich Factor » (transfert d’énergie entre électrons et photons)… Bienvenue dans la physique musicale !

Dans « Planck Mass », les particules sonores s’entrechoquent pendant plus d’un quart d’heure, d’abord dans un brouhaha touffu de clusters, chocs, slap, pédales, splash, martèlements… un magma sonore suggestif et tendu, proche de la musique concrète, puis dans des vrombissements, grincements, vibrations… minimalistes à peine audibles. « Incoming Matter » est un court interlude dans lequel les phrases heurtées du piano percutent les traits d’archet de la contrebasse. Les grattements, frottements, tintinnabulements et autres crissements de « Nucleation » ressemblent à une installation sonore mécaniste. « Inner Core » continue dans la même voie : une sculpture tumultueuse, digne d’un atelier de chaudronnier. Par touches légères, l’archet, les cymbales, les clochettes et les cordes du piano installent l’ambiance spatiale d’« Allotropism », qui se déroule ensuite dans une abstraction expressive, toujours à la limite du perceptible. Le disque se conclut par « Zeldovich Factor », un crescendo rythmique sur fond de roulements serrés de la batterie, de grondements de la contrebasse et d’accords profonds du piano, à peine interrompus par quelques esquisses de motifs mélodique et qui se termine en apothéose.

Avec Inner Core, Aranda, Nästesjö et Andorrà plongent les auditeurs dans leur « géophysique musicale » à grand renfort d’expérimentations sonores et rythmiques dans un esprit musique contemporaine.

28 septembre 2018

CrossBorder Blues - Kennedy Milteau Segal


Le 2 février 2017, Le chanteur, guitariste, banjoïste… Harrison Kennedy (Chairmen of the Board, Stevie Wonder, Tom Jones…), le violoncelliste Vincent Segal (Lionel Suarez, Julien Lourau, Ibrahim Maalouf, Oxmo Puccino, Sting, Ballaké Sissoko…) et l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau. (Eddy Mitchell, Michel Jonasz, les Enfoirés, Manu Galvin…) s’associent pour la première fois à l’occasion du festival Sons d’hiver. Ils sortent CrossBorder Blues chez Naïve en septembre 2018 .

Au menu : sept blues composés par le trio ; « What’s Going On », tube de 1971 d’un ancien « patron » de Kennedy, Marvin Gaye ; « Georgia On My Mind », signée Stuart Gorrell et Hoagy Carmichael, qui l’a enregistrée en 1930, mais qui a été immortalisée par Ray Charles ; « T-Bone Shuffle », qu’Aaron « T-Bone » Walker a écrit en 1947 ; « Imagine », la chanson de John Lennon et Yoko Ono, de l’album éponyme de 1971 ; et « The Thrill Is Gone », un morceau écrit en 1951 par Roy Hawkins et Rick Darnell, et popularisé par B.B. King.

Disons-le d’emblée, le blues n’a pas de secret pour ce trio ! Pourtant, si le banjo, la guitare, l’harmonica et la voix ont toujours fait partie de la bande-son du Mississippi, le violoncelle, lui, est plutôt inhabituel ! Mais c’est sans compter la maestria et le feeling de Segal : il bondit d’un ostinato entraînant en pizzicato (« What’s Going On ») ou, plus nostalgiques, à l’archet (« That’s Just Stupid »), à une tournerie folk (« Blues Solution »), en passant par d’irrésistibles walking agrémentées de shuffle (« Georgia On My Mind »), d’une pédale rock’n roll dansante à souhait (« T-Bone Shuffle ») ou de motifs solennels (« Back Alley Moan »)… 

Milteau est évidemment dans son élément, avec des réponses toujours à propos (« What’s Going On »), des lignes en contrepoints qui magnifient le chant (« No Monopoly On Hurt »), d’autant plus qu’avec les pédales, l’harmonica sonne parfois quasiment comme une trompette (« That’s Just Stupid »), des phrases vives et heurtées (« Judgment Day »), avec une bonne pulsation (« Prisoners In The Open Air »), et des chorus qui transpirent le vague à l’âme (« The Thrill Is Gone »). 

Une voix plutôt haute, un timbre proche et intimiste (« What’s Going On »), des intonations profondes (« Back Alley Moan »), une articulation souple et syncopée (« That’s Just Stupid »), une liberté de phrasé (« Judgment Day »), des effets expressifs – vocalises (« What’s Going On »), prêches (« Here Comes Sunday Morning »), notes trainées (« Georgia On My Mind »), accents grasseyants (« The Thrill Is Gone »), vibratos (« Georgia On My Mind »), cris de shouter (« T-Bone Shuffle »)… – et une gravité de ton (« Back Alley Moan ») : Kennedy a le blues dans la peau.

Authentique et acoustique, CrossBorder Blues fleure bon le terroir et ses affres, avec une sincérité émouvante.

25 septembre 2018

Ezra Collective - Juan Pablo: The Philosopher


Ezra Collective est un quintet londonien créé autour de Dylan Jones à la trompette, James Mollison au saxophone ténor, Joe Armon Jones aux claviers, TJ Koleoso à la basse et son frère Femi Koleoso à la batterie. Quand Chapter 7 sort, en 2016, l’approche du collectif est comparée à celle de Christian Scott ou Shabaka Hutchings. Un an plus tard, le quintet revient sur disque avec Juan Pablo: The Philosopher.


Pour ce nouvel album, enregistré dans les célèbres studios d’Abbey Road, Ezra invite également la saxophoniste Nubya Garcia et le tubiste Theon Cross. Sept morceaux sont signés Ezra et le collectif interprète « Space Is The Place » de Sun Ra.

Un motif de reggae sur un brouhaha sert d’introduction à « Juan Pablo », qui s’aventure dans les terres afrobeat : le thème-riff, exposé d’abord aux claviers, est repris en chœur par les saxophones et trompette, soutenu par des boucles rythmiques serrées, rapides et régulières. Une polyrythmie vrombissante, d’une efficacité redoutable anime la plupart des morceaux de Juan Pablo: The Philospher, tandis que les chorus des solistes restent davantage ancrés dans le jazz (Jones dans « Juna Pablo » ou Mollison et Armon-Jones dans « The Philosopher »). A l’instar du court préambule a capella de la trompette (« Dylan’s Dilemma ») qui précède « People In Trouble », Ezra utilise ce procédé pour « Juan Pablo » et « Space Is The Place » (« James Speaks To The Galaxy », joué par le saxophone ténor). Dans « People In Trouble », le piano et les vents prennent leur temps pour dévoiler leurs idées sur des motifs mats, denses et sourds. Le contraste des sonorités et des discours n’est pas sans rappeler certains aspects du Wadada Leo Smith’s Organic. La reprise de « Space Is The Place » met en avant la mélodie, développée par Mollison, toujours porté par une rythmique touffue, entraînante et d’une régularité infaillible. Quant à « Mace Windu Riddim », également sorti en single, il explose dans des roulements brutaux et véloces, un piano électrique impétueux et les riffs fougueux des soufflants.

Juan Pablo: The Philospher est un album concis et fulgurant : Ezra Collective réussit son pari de fusionner jazz, afrobeat et funk dans une musique volcanique !

17 septembre 2018

The Swaggerer - Thomas Delor


En 2010 Thomas Delor abandonne les mathématiques pour se consacrer à la musique… Le batteur, de formation autodidacte, se produit entre autre aux côtés de Philip Catherine, Christophe Wallemme, Philippe Petit, Pierre Marcus… En dehors de son solo et du Chamber Metropolitan Trio (avec Matthieu Roffé et Damien Varaillon), il a monté le Thomas Delor Trio en compagnie de Simon Martineau à la guitare et Georges Correia à la contrebasse.

Le trio sort son premier opus, The Swaggerer, chez Fresh Sound New Talent en juillet 2018. Au programme, cinq compositions du batteur, deux adaptations de thèmes classiques – « Moonlight » de Ludwig van Beethoven et « From The New World » d’Antonín Dvořák – et deux standards : « Blue In Green » de Miles Davis (et Bill Evans), et « Rhythm-a-ning » de Thelonious Monk.

Le disque démarre avec un « Prélude en Si Majeur », solo de batterie à base de frappes ténues et de sons étouffés, qui débouche sur « Hidden Meaning », thème minimaliste que la guitare expose sur un ostinato de la contrebasse et les cliquetis de la batterie. Martineau déroule ensuite un solo mélodieux sur les motifs sobres de Correia et un Delor foisonnant, à l’instar de son chorus, alliage de puissance et de musicalité. L’interprétation de la sonate au clair de lune est majestueuse, avec la mélodie jouée sur les peaux et les cymbales, la ligne de basse économe et le discours de la guitare tout en sobriété. « The Swaggerer » porte bien son titre : c’est un morceau à tiroirs qui alterne blues épais, walking et chabada énergiques, cavalcade hard-bop et rock massif ! Les musiciens s’écoutent bien et interagissent sur un pied d’égalité. Mélodieux et raffiné, « L.N.A. » évoque un hymne solennel. Un trilogue habile introduit La symphonie du nouveau monde, puis Martineau joue le thème sur une rythmique tendue, qui entraîne bientôt le morceau dans une ambiance rock, avec une guitare saturée, une contrebasse sourde et une batterie binaire. Le trio reste fidèle à « Rhythm-a-ning », interprété en souplesse, sur une walking – chabada entrecoupée de jeux rythmiques. « Blue In Green » est évoqué en filigrane et les trois musiciens, graves et subtils, tournent autour du thème. « Tu l’as vu, Monk ? », clin d’œil plein de malice à « Melodious Tonk », reprend les canons du be-bop : exposé rapide de la mélodie, walking et chabada véloces, chorus endiablés…

Le Thomas Delor Trio s’inscrit dans une lignée néo-bop moderne et The Swaggerer déploie une énergie communicative…

16 septembre 2018

Caribbean Stories - Samy Thiébault


Né en Côte d’Ivoire, passé par le conservatoire de Bordeaux, puis le CNSMDP, sept albums en leader et fondateur de Gaya Music Production, le parcours de Samy Thiébault est exemplaire ! Fasciné par les musiques des Caraïbes, le saxophoniste sort ses Caribbean Stories en septembre 2018.

Thiébault est accompagné d’Hugo Lippi (Fabien Mary Quartet, Florent Nicolescu, Alain Jean-Marie…) aux guitares, Felipe Cabrera (Gonzalo Rubalcaba, Eddy Palmieri, Omar Sosa, Harold Lopez Nussa…) à la contrebasse, Inor Sotolongo (Sosa, Roberto Fonseca, Michel Camilo, Patrice Caratini…) aux percussions et Arnaud Dolmen (Mario Canonge, Jacques Schwarz-Bart, Hervé Samb, Gégory Privat…) à la batterie. Le trombone de Fidel Fourneyron (ONJ, Umlaut Big Band, Wite Desert Orchestra, Animal…) et la guitare de Ralph Lavital (Sonny Troupé, Cyrille Aimée, Anthony Jambon…) viennent renforcer le quintet sur quelques titres. Le répertoire marie cinq compositions de Thiébault, un air traditionnel vénézuélien (« Pajarillo verde »), une adaptation du « Limonero » de Marta Topferova, « Let Freedom Reign » du musicien rasta Count Ossie, « Presagio » de l’artiste vénézuélien Enrique Hidalgo et « Aïda », de la musicienne cubaine Marta Valdes.

La musique de Caribbean Stories pétille ! Belle mélodie aux accents nostalgiques, « Santeria » décolle portée par une batterie et des percussions rapides, vives et entraînantes, tandis que saxophone ténor et guitare superposent subtilement leurs voix. Une élégance très « Getzienne », marquée par un semblant de nonchalance, des lignes sinueuses et une mise en place précise, anime « Poesia sin fin ». Sur un riff délicat de la guitare et de la contrebasse, le ténor expose «  Les mangeurs d’étoiles » en contre-chant, avant de se lancer dans un développement légato véloce. La rythmique souple et les contrepoints ingénieux du trombone et du saxophone magnifient « Calypsotopia ». La Perle du Nord est évoquée sous la forme d’une balade mélancolique : « Tanger la negra ». Entre meringue et salsa, avec une clave dynamique, « Puerto Rican Folk Song » invite à la danse, encouragé par les « Ah ! Ouai ! » du chœur… Une mélodie caverneuse, une rythmique minimaliste et un déroulé placide plantent le décor de « Let Freedom Reign ». Dans une ambiance dansante, exacerbée par la pulsation énergique de la section rythmique, les lignes ondulées du ténor emmènent le « Presagio » sur un chemin animé !  Prise sur un tempo rapide, la jolie valse « Pajarillo verde » permet à Lippi et Thiébault de laisser aller leur inspiration. L’album se conclut sur « Aïda », un bolero décontracté dans lequel Thiébault et Lippi se renvoient la balle.

Avec ses Caribbean Stories, Thiébault propose aux auditeurs une croisière caribéenne grisante, aux rythmes des îles…

Boggamasta - Flat Earth Society & David Bové


Voilà trente ans que les soufflants déjantés et la rythmique fantasque de Flat Earth Society écument les scènes du monde avec ou sans invités venus d’horizons hétéroclites. Peter Vermeersch et ses plus ou moins quinze musiciens comptent une quinzaine de disques à leur actif… dont 13 (2013) et Terms of Embarrassment (2016) chez Igloo Records. Le dernier né, Boggamasta, est sorti en octobre 2017, suivi d’une version « dubisée » par Vermeersch et publiée en mai 2018.

Le guitariste et chanteur David Bovée, ami de FES depuis le début des années 2000, est l’invité d’honneur de Boggamasta. Vermeersch et Bovée se partagent d’ailleurs les dix titres. Boggamasta commence avec (« The Rule of The Mule »), qui imite un réveil plutôt burlesque : stridences de la guitare, auxquelles répond un chœur énergique sur des bruits de natures, le chant du coq, un discours déformé et lointain… Ensuite, la musique décolle et, en dehors de « Coisi Miniti », une ronde folk aux parfums de balade western, tous les morceaux sont survoltés. Dans Boggamasta, la guitare complète la palette sonore du Flat Earth Society : envolées de guitar hero (« Sing Hallelujah »), phrases planantes (« Slave »),  traits rocks (« Boggamasta »)… La voix, passée au vocodeur, accompagne quasiment tous les morceaux et renforce le côté underground (« The Prince of All »), avec un petit côté vintage (« From Darkness To Light »), sans oublier l’humour (« Confiscated Song »). Quant à la rythmique, elle navigue entre rock underground (« Sing Hallelujah ») ou noisy (« The Prince of All »), soul (« boggamasta »), dance floor (« Da Beava »), groove (« Slave »), mais toujours placée sous le signe du funk (« Confiscated Song »). Fidèle à sa réputation, l’orchestre joue frénétique (« From Darkness To Light »), grouille dans un esprit swing foutraque (« Sing Hallelujah »), s’ébat sur des arrangements à la Henry Mancini (« Da Beava »), foisonne dans une ambiance cirque (« The Prince of All »), bouffonne dans une atmosphère tibétaine (« Slave »)… enfin, il s’amuse quoi !

Flat Eearth Society envoie valdinguer les sons et les rythmes dans tous les sens : jazz, rock, funk, soul… Un véritable orchestre Dada !

15 septembre 2018

Méloditions - Badault & Lareine


En 2000, le chanteur Eric Lareine et le pianiste Denis Badault s’associent pour un concert d’improvisations baptisé le Duo Reflex. Leur premier opus, L’Evidence des contrastes, voit le jour en 2014. Le 19 février 2015, La Cave Poésie René Gouzenne, à Toulouse, accueille le concert de création de Méloditions, qui sort sur disque en septembre 2017.

Dans le sillon de la mélodie française, Badault et Lareine mettent en musique des poèmes – Guillaume Apollinaire, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine… –  sur des airs écrits essentiellement par des compositeurs français du début du vingtième – Gabriel Fauré, Arthur Honegger, Maurice Ravel, Francis Poulenc... Le duo reprend également « L’invitation au voyage » et « Ô triste, triste était mon âme » de l’un des maîtres du genre au vingtième : Léo Ferré. D’un autre amateur de cet exercice, Georges Brassens, Badault et Lareine interprètent « Dans l’eau de la clairefontaine » et « Marquise », sur un texte de Corneille. Avec « La noyée », les deux musiciens rendent également hommage à un autre poète-chanteur (et réciproquement), Serge Gainsbourg. Méloditions est constitué de dix-sept chansons, d’une moyenne de trois minutes…

Dès « Après un rêve », un poème de Romain Bussine sur Fauré, le duo annonce la couleur : le jeu en accords et la sonorité claire et nette du piano de Badault portent la voix grave et veloutée de Lareine. Lareine privilégie le parler-chanter (« L’adieu »), qui évoque parfois Gainsbourg (« La noyée »), avec des esquisses de valse (« L’invitation au voyage »), des courbes mélodieuses (« Dans l’eau de la clairefontaine »), des onomatopées potaches (« Honolulu »), des envolées quasi-lyriques doublées au piano (« Le papillon et la fleur »)… mais il reste toujours dans une veine plutôt intimiste (« Soleil couchant »). Comme il se doit dans ce genre musical, le piano est au service du chant : balancements subtils (« L’invitation au voyage »), réponses pertinentes (« La noyée »), unissons (« Ophélia »), motifs astucieux (« Le ciel est par-dessus les toits »)… le tout servi par un touché précis (« Ô triste, triste était mon âme »), de belles articulations (« Les berceaux ») et un accompagnement d’une acuité évidente (« Le papillon et la fleur »). « Dans l’eau de la clairefontaine », Badault se laisse aller à des développements plus syncopés, tandis que « Le martin-pêcheur » flirte avec la musique contemporaine et que l’introduction de « Soleil couchant », dense et profonde, n’est pas sans rappeler Keith Jarrett.

« L’entreprise de Méloditions » de Lareine et Badault poursuit l’aventure du lied à la française, tout en esprit et élégance.





10 septembre 2018

Fälk


Quintet membre du Collectif Koa, Fälk sort son premier opus éponyme en juin 2018. Autour du guitariste Gilles Yvanez, également compositeur du groupe, Mickaël Pernet au saxophone ténor, Rémi Ploton aux synthétiseurs, Romain Delorme à la basse et Maxime Rouayroux à la batterie.

Fälk propose sept morceaux et la direction de la musique du quintet n’est pas sans rappeler celle du Gratitude Trio, lui aussi sociétaire du Collectif Koa.

Ballade prise sur un tempo slow, « Love Cliché » évoque un hymne, avec une section rythmique régulière, une pédale du synthétiseur, un chœur lointain et une guitare dans les aigus. « Chinese Thing » déroule lentement sa mélodie jazz pop aux accents extrême-orientaux. Le synthétiseur installe une nappe vaporeuse sur laquelle le ténor égrène la petite mélodie de « Grammar », avant que le rythme ne s’accélère et que le clavier se lance dans un solo cristallin. Une basse minimaliste et des effets de sonar accompagnent la guitare qui expose une ritournelle dépouillée, « Silence », que Ploton développe ensuite au piano. Dans « Iamani », des traits de guitar hero s’intercalent au milieu d’un chorus aérien, porté par une rythmique et des claviers aux touches pop. « To Be Continued » mise sur le minimalisme et une atmosphère langoureuse. Le ténor accentue la majesté de « Läk » en étirant la mélodie sur les accords éthérés du synthétiseur et une rythmique emphatique. Le quintet termine part « Hymnopédie », un morceau aux consonances pop asiatique, parsemé d’effets électroniques sur une basse et une batterie mates, sèches et sourdes.

Planante et lyrique, Fälk puise avant tout son inspiration dans les musiques synthétiques (Brian Eno et l’ambient ne sont pas loin) et une pop sophistiquée venue du nord…

Le disque

Fälk
Mickaël Pernet (ts), Gilles Yvanez (g), Rémi Ploton (synthé), Romain Delorme (b) et Maxime Rouayroux (d).
Sortie le 9 juin 2018

Liste des morceaux

01.  « Love Cliché » (3:53). 
02. « Chinese Thing » (4:09). 
03. « Grammar » (7:25).
04. « Silence » (4:32).
05. « Iamami » (5:45).
06. « To Be Continued » (6:26).
07. « Läk » (6:11).
08. « Hymnopédie » (7:34).

Toutes les compositions sont signées Yvanez.

Gratitude III – Gratitude Trio


Formé en 2010, le Gratitude Trio regroupe la saxophoniste Jeroen Van Herzeele (Mâäk, Greetings from Mercury…), le bassiste Alfred Vilayleck (Koa) et le batteur Louis Favre (Maarten Decombel, Selah Sue, Ghost Before Atlantic…).

Gratitude III sort en avril 2018 et c’est le troisième opus du trio après Gratitude (2012) et Alive (2015). Van Herzeele signe « Xin Yi », Favre propose « Sur une autre planète » et les six autres sont des compositions collectives.

La rythmique régulière et dense, avec un riff de basse sourd, soutient la mélodie synthétique, d’abord jouée à l’EWI, avant que le saxophone ne prenne le relais dans un bourdonnement free : « Drum’n Bass » porte bien son nom, même s’il y a aussi un côté funk underground. « Xin Yi » est exposé par le saxophone a cappella. La batterie, mate, et la pédale de la basse contrastent avec le développement mélodieux de Van Herzeele, qui passe à l’EWI pour des jeux de vocaux électriques. Groovy et entraînante, « La danse des souris » se transforme presque en dance floor, avec des accords lointains et un ténor quasiment free. « Gifle 3 » est un intermède qui part dans tous les sens sur des bruitages rythmiques. La ballade « I Love You Too » reste d’autant plus mystérieuse que l’EWI accentue son côté évanescent. Autre mélodie étirée par le saxophone, « Sur une autre planète » part dans une direction pop, avec une rythmique en suspension. Morceau en deux mouvements, « The True Greatness of Spirit » plonge l’auditeur dans une ambiance de Science-Fiction, avec des sonorités synthétiques, une batterie et une basse distantes, et un ténor qui met un zeste de réverbération.

Gratitude III emprunte à l’ambient, au Drum’n Bass, voire au smooth jazz, avec quelques traits free dans une atmosphère électronique.

Le disque

Gratitude III
Gratitude Trio
Jeroen Van Herzeele (ts, EWI), Alfred Vilayleck (b) et Louis Favre (d, voc).
Sortie le 20 avril 2018

Liste des morceaux

01. « Drum 'n Bass » (03:39).
02. « Xin Yi », Van Herzeele (05:18).
03. « La Danse Des Souris » (03:29).
04. « Gifle 3 » (02:01).          
05. « I Love You Too » (03:15).         
06. « Sur Une Autre Planète », Favre (07:42).         
07. « The True Greatness Of Spirit I » (09:17).        
08. « The True Greatness Of Spirit II » (03:21).       

Toutes les compositions sont du trio sauf indication contraire.

08 septembre 2018

Funk in France & Stick! - Grant Green


Créé en 2008 par George Klabin et Zev Feldman en Californie, Resonance Records s’est fait une spécialité des éditions de bandes oubliées ou rarement rééditées, de Wes Montgomery à Stan Getz, en passant par Larry Young, Bill Evans, Sarah Vaughan, Jaco Pastorius… La distribution du catalogue en Europe est confiée à Bertus, société fondée en 1971 à Rotterdam et qui fait désormais partie des leaders de la distribution musicale.

En mai 2018, Resonance Records sort deux coffrets inédits de Grant Green : le double album Funk in France et le disque Slick!



Funk in France
Grant Green

En 2017, Feldman découvre sur YouTube que Green a enregistré deux concerts en France qui n'ont pas vu le jour sur disque. Christiane Lemire et Pascal Rozat, de l'INA, lui fournissent les bandes du concert produit par André Francis dans le Studio 104 de l’ORTF, à Paris, le 26 octobre 1969, et celui d’Antibes, enregistré dans la pinède Gould, le 18 et le 20 juillet 1970. Après une restauration méticuleuse, Resonance Records publie les deux disques dans un coffret soigné, avec un livret d’une quarantaine de pages qui contient des photos, entretiens, souvenirs, récits… autour des trois concerts, de Green et de son orchestre.


The Round House

The Round House, en hommage à la Maison de la Radio, contient les six morceaux de l’ORTF avec un patchwork de thèmes : « I Don’t Want Nobody to Give Me Nothing (Open Up the Door I’ll Get It Myself) » tube de James Brown, « Oleo » et « Sonnymoon For Two » signés Sonny Rollins, « How Insensitive (Insensatez) », titre de Vinícius de Moraes, Norman Gimbel et Antônio Carlos Jobim, et le classique « Que reste-t-il de nos amours ? », de Charles Trenet et Léo Chauliac. Quant à « Untitled Blues », il a été composé par Green. Repris de Carryin’ On, disque publié chez Blue Note quelques mois avant le concert. « Upshot » complète le programme de ce premier disque, mais appartient davantage au deuxième volume, car il a été enregistré à Antibes le 18 juillet.

Le soir du concert au Studio 104, Green joue avec Larry Ridley à la contrebasse et Don Lamond à la batterie. Le guitariste Barney Kessel les rejoint pour « I Wish you Love »…
The Round House s’articule autour de six ambiances différentes avec, déjà, un fumet funk en filigrane. Epaulée par une batterie funky à la sonorité acoustique sèche et des riffs groovy de la contrebasse, la guitare fait swinguer le tube de Brown. Sur une walking et un chabada vigoureux, Green met son phrasé clair et fluide au service d’« Oleo », dans une veine bop. Le guitariste ne cite pas pour rien Charlie Christian et Wes Montgomery en références principales… Un chorus véloce de Ridley et un stop-chorus énergique de Lamond complètent le tableau. La belle bossa nova « Insensatez » est interprétée avec élégance, dans le registre grave, sur une rythmique à la fois vive et souple, typiquement latine. « Untitled Blues » porte bien son nom et, dans une atmosphère bluesy éloquente, le trio montre de l’inspiration. Le hard-bop reprend les rênes dans « Sonnymoon For Two », avec une walking ferme, un drumming qui alterne chabada et foisonnement et des lignes puissantes de la guitare. Green et Kessel jouent « I Wish You Love » tranquillement, avant de partir dans un décor latino qui permet aux deux guitaristes de laisser libre court à des envolées musclées.

Un opus brillant et spirituel, encore marqué par les prodiges du bop et de ses descendants directs, The Round House lorgne déjà vers les développements soul et funky du jazz de Green.


Haute Funk

Haute Funk est un clin d’œil au Festival de Jazz d’Antibes et à la direction prise par la musique de Green à la fin des années 60. Au programme, « Hurt So Bad », un hit de 1965, écrit par Teddy Randazzo, Bobby Weinstein et Bobby Hart, tiré du répertoire de  Carryin’ On et enregistré le 18 juillet, plus deux morceaux joués le 20 juillet : « Upshot » et « Hi-Heel Sneakers », le blues de Tommy Tucker, tube de l’année 1963.

Pour les concerts d’Antibes, Green est en compagnie de Claude Bartee au saxophone ténor, Clarence Palmer à l’orgue et Billy Wilson à la batterie.

Neuf mois après Paris, la musique de Green a changé et le guitariste s’engage sur la voie du funk : un quartet se substitue au trio, un saxophone ténor enrichit la palette sonore, la basse sourde de l’orgue remplace la contrebasse, des lignes aux sonorités churchy font leur apparition et la durée des morceaux passe de six à vingt minutes.

Jouées à deux jours d’intervalle, les deux versions d’« Upshot » se ressemblent, sans se répéter. Celle du 18 juillet est davantage churchy avec un Palmer plus présent : ligne de basse rapide et entraînante et chorus groovy. Dans les deux interprétations la batterie de Wilson foisonne et les cymbales crépitent. Green développe le côté cinématographique du thème-riff avec des phrases tendues, des chapelets de notes rapides et nerveuses. Des traits brutaux entrecoupés de motifs faussement calmes, une sonorité grasse, voire criarde, des élans de shouter, un jeu expressif… Bartee s’inscrit tout à fait dans la lignée des saxophonistes funky. Exposé à l’unisson sur une basse grondante et un back-beat entraînant, « Hurt So Bad » permet à Green de faire monter la pression par des développements ardents, parsemés de touches bluesy. Le saxophone ténor continue d’endosser la chasuble funky. Palmer encourage les solistes par des suites d’accords luxuriantes, ponctuées de couinements et Wilson les pousse avec un drumming touffu et puissant. Le quartet prend son temps pour planter les décors et faire entrer les spectateurs dans l’ambiance des morceaux. Haute Funk s’achève en apothéose avec « Hi-Heel Sneakers ».qui dure presque une demi-heure : une batterie fébrile, des motifs de basse excitants, un orgue énervé, un ténor allumé et une guitare qui joue au chat et la souris… La musique s’emballe, irrésistible, dans un tournoiement de notes et de rythmes qui laisse les auditeurs à bout de souffle.

Haute Funk marque un tournant dans la musique de Green : le hard-bop a cédé sa place au funk, mais le guitariste conserve toujours ce doigté élégant, rapide et précis dont il a fait sa marque de fabrique.

Le disque

Funk in France
Grant Green
Resonance Records – HCD 2033
Sortie en mai 2018

Liste des morceaux

The Round House
Grant Green (g), Larry Ridley (b) et Don Lamond (d), avec Barney Kessel (g).

01. « I Don’t Want Nobody to Give Me Nothing (Open Up the Door I’ll Get It Myself) » James Brown (4:34).
02. « Oleo », Sonny Rollins (4:24).
03. « How Insensitive (Insensatez) », Norman Gimbel, Antônio Carlos Jobim & Vinícius de Moraes (7:18).
04. « Untitled Blues » (8:09).
05. « Sonnymoon for Two », Sonny Rollins (7:00).
06. « I Wish You Love », Charles Trenet & Léo Chauliac (7:06).   

Les morceaux sont signés Green, sauf indication contraire.

Haute Funk
Grant Green (g), Claude Bartee (ts), Clarence Palmer (org) et Billy Wilson (d).

07. « Upshot » (18:02).
01. « Hurt So Bad », Teddy Randazzo, Bobby Weinstein et Bobby Hart (14:38).
02. « Upshot » (19:46).
03. « Hi-Heel Sneakers », Tommy Trucker (27:13).

Les morceaux sont signés Green, sauf indication contraire.



Slick!
Grant Green

Automne 1975, Green et son quintet sont à Vancouver. Le 5 septembre ils jouent au Oil Can Harry’s pour la radio CHQM-FM. Le producteur de la session, Gary Barclay, a aidé Feldman à publier ce concert. C’est le quatrième et sans doute le dernier live du guitariste sorti sur disque, car Green décède en 1979.

Green a réuni Emmanuel Riggins au piano électrique, Ronnie Ware à la basse, Gerald Izzard aux percussions et Greg Williams à la batterie. Le guitariste a déjà pris un chemin de traverse qui mêle jazz et funk. Après un « hommage » aux racines avec « Now’s The Time » de Charlie Parker, le quintet joue « Insensatez » et un « Medley » d’airs à la mode composés par Stanley Clarke (« Vulcan Princess »), The Ohio Players (« Skin Tight »), Bobby Womack (« Woman’s Gotta Have It »), Stevie Wonder (« Boogie On Reggae Woman ») et O’jays (« For The Love of Money »)…

Dans « Now’s The Time », Green et ses musiciens restent dans les clous du be-bop : thème – solos – thèmes, walking et chabada, chorus virtuoses… Seule la sonorité sourde de la basse, le son aigrelet du piano électrique et les accents bluesy rappellent que Green s’est tourné vers le jazz-funk. « Insensatez » démarre en ligne avec ses origines brésiliennes : la mélodie se développe élégamment sur le doux balancement rythmique de la bossa nova… Puis le ton monte avec les accords funky du piano électrique, la ligne de basse mate et les percussions qui s’animent. La guitare lance les hostilités et, dans une atmosphère très années 70, la rythmique s’emporte, excitée et soulful, à grand renfort de riffs grondants et de percussions. Tambourin, sifflets, slap, splash… accompagnent les solos. La danse est au rendez-vous pendant près de trente minutes. Le «  Medley » qui suit dure également une demi-heure. Même ambiance festive et entraînante, typique funk, mais la guitare se fait plus présente ; son phrasé jazz et sa sonorité chaude contrastent avec la rythmique d’autant plus formatée Motown que Green et ses compères reprennent des tubes à la mode.

A l’époque de Slick!, comme le dit Williams, Green joue de la musique « commerciale plutôt que de rester orthodoxe – il prend des mélodies au goût du jour qui passent à la radio et les interprète dans un style jazz avec une approche commerciale ». Ce qui ne l’empêche pas de toujours jouer avec subtilité...

Le disque

Slick!
Grant Green
Grant Green (g), Emmanuel Riggins (el p), Ronnie Ware (b), Gerald Izzard (perc) et Greg Williams (d).
Resonance Records – HCD 2034
Sortie en mai 2018

Liste des morceaux

01. « Now’s the Time », Charlie Parker (9:03).
02. « How Insensitive (Insensatez) » (26:04).
03. « Medley » (31:57).
. « Vulcan Princess », Stanley Clarke.
. « Skin Tight », Marvin Pierce, Clarence Satchell et James Williams.
. « Woman’s Gotta Have It », Daryl Carter, Linda Cooke et Bobby Womack.
. « Boogie On Reggae Woman », Stevie Wonder.
. « For the Love of Money », Leon Huff et Anthony Jackson.

Les morceaux sont signés Green, sauf indication contraire.



03 septembre 2018

One – Simon Martineau


Premier disque en leader du guitariste Simon Martineau, One sort chez We See Music Records en mars 2018. Pour One, Martineau est en compagnie du quartet qu’il a créé en 2016 avec Robin Nicaise au saxophone ténor, Blaise Chevallier à la contrebasse et Fred Pasqua à la batterie. Martineau et Nicaise se partagent les huit titres de l’album, séparés par trois interludes finement ciselés.

La guitare et le ténor exposent à l’unisson des mélodies constituées de courts motifs vifs (« Phobos ») et recherchés (« Tarot »), tantôt néo-bop (« Like Fat Cats ») ou funky (« Actual Game »), tantôt paisibles (« Félix »), voire mystérieux (« Poison »). Les chorus de la guitare et du ténor se succèdent, tout en maitrise (« Phobos »), avec des phrases sinueuses (« Actual Game ») et fluides (« Like Fat Cats »). La guitare affiche souvent une espèce de nonchalance (« 9777 »), tandis que le ténor se montre volontiers intimiste (« Duke The Great »). La paire rythmique est marquée par une batterie charnelle (« Phobos ») et luxuriante (« Actual Game »), et une contrebasse grave (« 9777 ») qui maintient une carrure minimaliste, mais solide (« Poison »). Les rythmes sautent d’une walking et chabada (« Like Fat Cats ») à des accents sud-américains (« Poison »), en passant par des riffs dansants (« 9777 »), des ballades (« Félix »), des  touches funk (« Actual Game »)… Le quartet possède un son dense : sèche et mate, la batterie de Pasqua foisonne ; imposante, la contrebasse de Chevallier gronde ; plein et rond, le saxophone de Nicaise brode ses développements ; à la fois métallique et feutrée, la guitare de Martineau rappelle parfois Kurt Rosenwinkel.

Des thèmes concis, des lignes dissonantes, une rythmique entraînante et une sonorité franche : One s’inscrit parfaitement dans l’air du temps.

Le disque

One
Simon Martineau
Robin Nicaise (ts), Simon Martineau (g), Blaise Chevallier (b) et Fred Pasqua (d)
We See Music Records – WSMD006-18
Sortie en mars 2018

Liste des morceaux

01. « Phobos », Martineau (04:27).  
02. « 9777 », Nicaise (04:19).
03. « Interlude », Martineau (01:01).          
04. « Félix », Martineau (05:52).
05. « Actual Game », Nicaise (05:57).         
06. « Deimos », Martineau (01:49). 
07. « Tarot », Martineau (05:49).
08. « Poison », Nicaise (06:08).
09. « Thyroxine », Martineau (01:00).
10. « Like Fat Cats », Nicaise (03:49).          
11. « Duke, The Great », Nicaise (05:29).

02 septembre 2018

A la découverte de Samy Thiébault

Depuis Blues For Nel (2004), Samy Thiébault a sorti un disque quasiment tous les deux ans : Gaya Scienza, Upanishad Expériences, Clear Fire, Feast of Friends, Rebirth et Carribean Stories (en septembre 2018). En parallèle, le saxophoniste a créé son propres label : Gaya Music Production. Partons à la découverte de ce jazzman philosophe et prolifique…


La musique

Mon père, pianiste amateur, professeur de physique en lycée et baroudeur invétéré, rêvait d’être saxophoniste, il m’a donc mit un saxophone entre les mains le plus tôt qu’il a pu ! Et la greffe a bien marché ! J’ai découvert le jazz à l’âge de huit ans en écoutant les vinyles de mon père – Duke Ellington et Fats Navarro – et en les jouant d’oreille avec lui au piano et moi au saxophone…

Je suis resté dans la pratique amateur très longtemps. J’ai d’abord travaillé le classique, puis le jazz au sein du Big Band de mon conservatoire et des jam sessions auxquelles je me précipitais adolescent. Le niveau y était extraordinaire car dans le modeste Bassin d’Arcachon, où je vivais à l’époque, de magnifiques musiciens venaient jouer dans un club hors norme : une pizzeria tenue par un surfeur doux rêveur... On pouvait y entendre et jammer avec Alex Golino, Vincent Bourgeyx, Manuel Marchès, Frédéric Couderc, Jérôme Etchéberry… Les locaux de l’étape ! Mais aussi avec Mark Turner, Johnny Griffin, Yannick Rieu, Simon Goubert… et j’en passe !

Ensuite, je me suis installé à Paris pour terminer mes études de Philosophie, mais je me suis inscrit en parallèle à l’IACP. C’est une école incroyable, dirigée de manière passionnée par les frères Belmondo. J’y ai beaucoup appris. C’est à ce moment que j’ai décidé de tout abandonner pour me consacrer exclusivement à la musique. Puis je suis rentré au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris pour y vivre quatre belles années... En sortant, j’ai tout de suite enchaîné les disques et les concerts. Je suis passionné de travail et touche du bois pour que je puisse continuer de pouvoir satisfaire cet appétit !

Pendant mon apprentissage j’ai été influencé par un nombre incalculable de musiciens et plus j’avance, plus la liste s’étend, car je me nourris d’éléments de plus en plus divers… En vrac, je citerais John Coltrane, Cecilia Todd, Louis Armstrong, Sonny Rollins, Dexter Gordon, Maurice Ravel, The Doors, toutes les musiques traditionnelles du Maroc et de l’Afrique de l’ouest, le Merengue dans toutes ses formes, le Calypso, Mark Turner, Lester Young… mais, décidément, la liste est trop longue…



Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ?  La musique du peuple : généreuse, exigeante et novatrice !

Pourquoi la passion du jazz ? Il émeut, parle aux sens les plus profonds et nobles de notre humanité.

Où écouter du jazz ? Tous les moments sont bons dès lors qu’on est « entré en musique » : assis religieusement au premier rang, au bar d’un club en parlant avec sa voisine ou son voisin, au fin fond du chapiteau d’un grand festival… C’est la force de cette musique !

Comment découvrir le jazz ?  Il faut aller l’écouter en live et, surtout, oublier tout ce qu’on a pu vous en dire avant !

Une anecdote autour du jazz ? La genèse de cette musique qui est l’une des premières traces de l’invention Créole. La culture Créole est la première culture au monde à s’être auto engendrée. Elle s’est créée de toute pièce à partir du mélange d’autres cultures, dans un contexte de violence indéniable, mais donc aussi d’amour.


Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un serpent. C’est lui qui a rendu le plus grand service à l’humanité !
Si j’étais une fleur, je serais un lotus. J’en ai des mètres de tatouages !
Si j’étais un fruit, je serais de la passion, forcément !
Si j’étais une boisson, je serais une Caïpiroska,
Si j’étais un plat, je serais une pastilla au pigeon,
Si j’étais une lettre, je serais J. C’est l’initiale du prénom de notre fils…
Si j’étais un mot, je serais Amour,
Si j’étais un chiffre, je serais 0,
Si j’étais une couleur, je serais bleu,
Si j’étais une note, je n’en serais aucune… Les notes ne valent rien : c’est leur interprétation qui compte.


Les bonheurs et regrets musicaux

Me lever tous les matins en apprenant quelque chose de nouveau est ce qui me comble et je n’ai aucun regret : les erreurs sont des étapes aussi nécessaires que les moments d’harmonie… Seul le chemin compte.


Sur l’île déserte…

Quels disques ?  Il y en aurait trop à emmener, donc je n’en prendrais aucun ! La musique de ce qui m’entourera résumera tous les disques que j’aurais pu emporter…

Quels livres ? Un seul : L’Iliade et l’Odyssée. On peut le relire éternellement en y découvrant à chaque fois toute la magie de l’Humanité dans son entièreté.

Quels films ?  Mmhhh… A supposer que a batterie de mon lecteur DVD tienne suffisamment longtemps, je dirais : Interstellar de Christopher Nolan.

Quelles peintures ? Quel exil luxueux ! Je dirais des toiles de Pablo Picasso, pour son interrogation constante.

Quels loisirs ? Nager… Evidemment !


Les projets

J’ai beaucoup de projets ! Aujourd’hui, c’est de jouer mon nouveau répertoire : Caribbean Stories sort le 21 septembre et je veux que nous nous surprenions sur scène, le public et nous-même, les musiciens… La musique dont je me suis inspiré et que nous revisitons est d’une générosité et d’une modernité renversante. Pour la faire vivre de la manière la plus expressive et inventive possible, il faut une grande préparation en amont. Et c’est ce à quoi je m’attèle tous les jours... Dans quelques mois une autre surprise arrivera, dans une direction très différente, mais je préfère ne pas trop en dire pour le moment, chaque chose en son temps…


Trois vœux…

1. Que l’humanité découvre très bientôt la coopération plutôt que la lutte...
2. Que ceux et celles qui veulent la coopération gagnent la lutte ! 
3. « Omnia vincit amor et nos cedamus amori » (Virgile… et Sense8 ! Ah ! Ah !).