Le 28 juin 2025, à une encablure du centre de Tavel, dans un décor idyllique de vignes et de collines doré par le soleil couchant, l’Assemblière, chai du vignoble Dauvergne Ranvier, accueille Jacques Schwarz-Bart (à lire aussi) et son quartet dans le cadre de l’Avignon Jazz Festival.
Après que les spectateurs se soient régalés de planchas de charcuteries ou de fromages, de fougasses ou de quiches, le tout arrosé des vins de la maison, la soirée peut commencer. François Dauvergne commence par remercier les équipes qui contribuent à la bonne marche du festival, puis souligne que la formation du jour « est véritablement au niveau d’un grand cru… ». Gilles Louis-Eloi, directeur de l’Avignon Jazz Festival, présente ensuite brièvement le quartet qui investit la terrasse de l’Assemblière pour une heure et demie de musique intense.
François Dauvergne – 28 Juin 2025 © PLM |
Même si Schwarz-Bart constate qu’« il faut vraiment vouloir écouter du jazz pour ne pas être en ce moment en train de siroter une boisson fraîche dans l’air conditionné » car la journée a été suffocante, la légère brise qui balaie la pelouse de l’Assemblière rend ce début de soirée singulièrement agréable. Le programme du concert reprend des morceaux des deux avant-derniers disques du saxophoniste, The Harlem Suite (2023) et Soné ka-la 2, Odyssey (2020). Tous les thèmes ont été composés par le leader. Schwarz-Bart est entouré de Reggie Washington à la contrebasse et Arnaud Dolmen à la batterie, deux piliers de son quartet européen. Le troisième compère habituel, Grégory Privat, n’étant pas disponible, c’est donc Georges Granville qui fera vibrer le Yamaha C3.
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Georges Granville, Reggie Washington, Jacques Schwarz-Bart & Arnaud Dolmen – 28 Juin 2025 © PLM |
Le concert démarre avec « Jacques – Pa Gadé », également morceau d’ouverture de Soné ka-la 2. Dès les premières mesures l’ambiance est donnée : le saxophone ténor expose tranquillement le thème-riff sur un ostinato chaloupé, construit à partir d’un leitmotiv dansant de la batterie, une ligne solide de la contrebasse et des accords plaqués du piano. Dolmen en met partout avec joie et légèreté pendant que Granville prend un solo simple et efficace, puis Schwarz-Bart et Washington dialoguent avec intelligence. Une alternance de traits virtuoses, entrecoupés de motifs sautillants et de sauts d’intervalles caractérisent le chorus du saxophone. La musique circule en souplesse entre les quatre complices. Mention spéciale à l’ingénieur du son pour le bel équilibre les voix, souvent une gageure en extérieur avec, qui plus est, du vent.
Georges Granville, Reggie Washington, Jacques Schwarz-Bart & Arnaud Dolmen – 28 Juin 2025 © PLM |
Suivent cinq morceaux de The Harlem Suite. Schwarz-Bart présente « Time Travel » comme un « syncrétisme de tous les rythmes modernes que m’a inspiré cette scène post-bop des années 90 et 2000 à New York ». Là encore, le thème, court et vif, fait la part belle aux poly-rythmes de la batterie et à la carrure inaltérable de la contrebasse. Le piano profite de cette pulsation contagieuse pour se lancer dans un solo où les phrases dynamiques laissent place à des blockchords aux consonances caribéennes. Le ténor prend la suite avec un discours bigarré et bien construit autour de phrases rapides et brèves, de ruptures brutales, d’envolées dans les aiguës, d’arpèges véloces… dans un style néo-bop relevé. « Equivox » s’appuie d’abord sur des rythmes enchevêtrés, puis Granville s’évade dans des variations bop vigoureuses, soutenu par une walking et un chabada parfaits. Le saxophone revient à un discours post-bop tendu sur une contrebasse qui vrombit, une batterie foisonnante et un piano puissant. La ballade « From Gorée to Harlem » fait évidemment référence à l’île éponyme au large de Dakar, triste symbole de la déportation des esclaves vers les Amériques, où ils donneront naissance au jazz. Quant à Harlem, c’est le quartier de New York qui devient le centre névralgique du monde afro-américain à partir des années 30. Entre pédales et contre-chants, le piano souligne habilement la mélodie douce et nostalgique jouée par le ténor, tandis que les balais caressent la batterie et que la contrebasse, minimaliste, égrène ses notes. Ce calme précède une tempête funky sur laquelle Granville surfe élégamment. Schwarz-Bart ramène de la placidité, et, sous une apparente nonchalance, prend un chorus plein de relief, toujours porté par une rythmique nerveuse. « Twisted » s’inscrit dans la lignée hard-bop : thème-riff fougueux exposé par le ténor en alternance avec la rythmique à l’unisson, suivi d’une walking athlétique de la contrebasse, des chabadas musclés de la batterie et des progressions d’accords trapus du piano. Dans cette atmosphère imposante, le ténor virevolte avec un mélange de fluidité et de swing. Le piano continue dans la même veine. Quand le tempo se dédouble, grâce à une mise en place aux petits oignons, le quartet s’amuse toujours avec la même aisance ! « Dreaming of Freedom » a une histoire : « je jouais une série de concerts à New York et, tous les jours, il y avait un homme d’un certain âge qui s’asseyait au premier rang, très vocal dans ses applaudissements et sa façon de réagir à la musique, mais qui ne disait jamais rien, ni à moi, ni à personne d’autre… comme une sorte d’âme solitaire. Et un jour, après l’avoir vu, revu et revu dans mes concerts, je lui dis « c’est un plaisir de te rencontrer. Comment se fait-il que tu ne parles jamais à quiconque ? »... Nous sommes devenus amis et, de fil en aiguille, il m’a expliqué qu’il avait passé une trentaine d’années en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis, à cause de la couleur de sa peau ». Retours aux balais pour Dolmen et à la parcimonie pour Washington, qui installent une rythmique soyeuse et légère. Grave, Schwarz-Bart enchaîne des propos mélodieux aérés, alors que Granville le double à l’unisson ou en contrepoint.
Les trois derniers morceaux du concert sont tirés de Soné ka-la 2, Odyssey. Basé sur le rythme léwoz (deux temps et un arrêt) du Gwoka, « Konk a Lambi », est implacablement dansant : des roulements et une syncope sur les fûts s’intercalent entre les deux temps marqués par la charleston. Le solo de contrebasse est à la fois musical et entraînant. Le piano et le ténor s’aventurent en terrain néo-bop, poussés par une batterie qui se déchaîne petit à petit et fait monter la pression. « New Padjanbel » s’appuie sur un autre rythme du Gwoka : le padjanbèl, à trois temps. Après une entame abrupte du ténor sur une batterie imposante et une contrebasse profonde, le piano et le saxophone partent de concert. Les développements fiévreux de Granville et Schwarz-Bart sont aiguillonnés par les coups de butoir de Dolmen, qui passe en binaire, et le jeu funky de Washington. Une accélération du tempo emballe le quartet qui rugit furieusement ! En bis, Schwarz-Bart et ses compagnons interprètent « Mendé », autre rythme du Gwoka, à quatre temps. Le saxophoniste invite le public à taper dans les mains et à danser, puis attaque un scat guttural rythmique. « Mendé » prend une tournure fanfare des îles. Les roulés pétillants de la batterie, les motifs alertes de la contrebasse, les boucles frétillantes du ténor et les lignes pimpantes du piano invitent irrésistiblement à se déhancher…
Du début à la fin du concert le public reste concentré, écoute attentivement les propos du quartet et sa connexion avec la musique est palpable. Il faut dire que Schwartz-Bart, Granville, Washington et Dolmen maintiennent un suspens de tous les instants par des constructions mélodico-rythmiques particulièrement variées, des mouvements complexes, mais toujours avec la danse en filigrane, et, surtout, un plaisir de jouer communicatif !
Georges Granville, Reggie Washington, Jacques Schwarz-Bart & Arnaud Dolmen – 28 Juin 2025 © PLM |