15 juillet 2017

Live in San Francisco

Live in San Francisco
Giulia Valle Trio
Marco Mezquida (p), Giulia Valle (b) et David Xirgu (d).
Discmedi Blau – B-20446-16
Sortie en avril 2016

Voici près de vingt ans que la contrebassiste catalane d’origine italienne Giulia Valle se produit un peu partout dans le monde. En 2004, elle enregistre son premier disque en leader, Colorista, chez Fresh Sound New Talent, avec son Giulia Valle Group. C’est également avec ce quintet que Valle enregistre Danza Imprevista (2007), Berenice (2010) et Live (2012), toujours chez FSNT. Avec deux musiciens de son Group, le pianiste Marco Mezquida et le batteur David Xirgu, sortis, comme elle, de la célèbre Escola Superior de Música de Catalunya (ESMUC), elle forme un trio, qui publie Enchanted House en 2008 (FSNT). En parallèle, Valle a monté le septuor Líbera, qui mêle des influences de tous horizons, de la techno à la rumba...

En 2011, lors d’un concert de son quintet à Barcelone, les directeurs artistiques Jeff Levenson (Blue Note) et Randall Kline (San Francisco Jazz Center) repère Valle et l’invitent à venir jouer aux Etats-Unis. Mais c’est en 2015, lors d’une tournée avec son trio, que Valle décide d’enregistrer le concert au SFJC : ce sera leur deuxième opus, Live in San Francisco. Le disque sort sur le label indépendant catalan Discmedi Blau, peu connu de ce côté des Pyrénées, mais aux collections pour le moins prolifiques (plus de cinq mille références) et éclectiques (de la Habanera au New Age, en passant par le classique, le jazz, les musiques de films, le reggae, la samba, la pop, le rock…). Une mention pour l’illustration stylée de la pochette du disque, signée Quim Marín, avec un graphisme contemporain soigné, sur fond de photo en noir et blanc.

Valle signe sept des huit morceaux et Mezquida propose « Joya ». « Reguetown » annonce la couleur : rythmique légère, mais touffue, lignes de basse souples et entraînantes, jeu simultané au piano et à l’orgue électrique, changements d’ambiances au grès des interactions… Avec sa mélodie chaloupée qui débouche sur un développement dans une veine musique classique, avant de partir dans du folk, « Opening » confirme la versatilité des morceaux. « Llueve » et « Captain Courage » se situent davantage dans un intimisme  élégant, qui montre que le free n’est pas forcément rageur. Dans une même lignée, calme, « Joya » se développe comme un hymne au lyrisme grave. Musique espagnole, free et blues marquent « Break A Loop 2.0 » de leurs sceaux. « Lucy-Lú » s’apparente à une tournerie folklorique vive, presqu’irlandaise… La « Chacarera Búlgara » fusionne une danse traditionnelle argentine et la tradition bulgare dans un morceau chatoyant.

Mezquida maîtrise son répertoire classique (« Captain Courage »), joue le blues avec autorité (« Joya »), s’aventure en territoires funk (« Lucy-Lú »), sait se montrer intimiste (« Llueve »), fait des incursions convaincantes dans le folk, à la manière de Keith Jarrett (« Opening »), et insère volontiers des envolées free dans son discours (« Break A Loop 2.0 »). Valle passe d’un balancement mélodieux (« Opening ») à un riff percutant (« Chacarera Búlgara ») et s’appuie sur toutes les techniques (« Break A Loop 2.0 ») – roulements, doublements, slap, shuffle, walking, multi-cordes… Mélodieuse, elle expose souvent les thèmes à l’unisson avec le piano (« Captain Courage ») et taquine volontiers les aigus (« Opening »), tout en conservant une sonorité ronde et boisée (« Joya »). Le drumming de Xirgu est un mélange de luxuriance (« opening ») et de légèreté (« Reguetown »). Constamment sur la brèche (« Chacarera Búlgara »), le batteur se montre tantôt dansant et expressif (« Lucy-Lú »), tantôt d’une subtilité élégante (« Llueve »), et maintient toujours ses compères sous pression (« Break A Loop 2.0 »).

Live in San Francisco est un disque attachant car Valle, Mezquida et Xirgu jouent une musique sincère et libre, fidèle reflet de leur personnalité.

Liste des morceaux

01.  « Reguetown » (7:17).
02.  « Opening » (9:57).
03.  « Break a Loop 2.0  » (8:17).
04.  « Llueve » (6:11).
05.  « Lucy-Lú » (5:09).
06.  « Capitan Courage » (6:08).
07.  « Chacarera Búlgara » (9:43).
08.  « Joya », Mezquida (4:52).

Toutes les compositions sont signées Valle sauf indication contraire.

14 juillet 2017

Gant de velours et main de fer à La Dynamo

Après avoir été en résidence au Carreau du Temple, la Fabric de l’ONJ s’installe à la Dynamo à partir de janvier 2017. Le 13 juin La Dynamo accueille deux projets aux antipodes : le Daniel Erdmann’s Velvet Revolution, trio acoustique à l’instrumentation originale – saxophone, violon et vibraphone – et Kolkhöse Printanium de Paul Brousseau, quintet électrique classique – saxophone, guitare, claviers, basse et batterie.

Comme Sons d’hiver, son cousin du Val-de-Marne, Banlieues Bleuees est née de la volonté des communes de la Seine-Saint-Denis de proposer un fetival de jazz. La première édition a lieu en 1984. C’est en 1990 que sont lancées les Actions Musicales, projets développés par des musiciens avec des écoles, des danseurs, des comédiens, des musiciens amateurs... En 2006, Banlieues Bleues s’installe à la Dynamo et propose désormais des concerts tout au long de l’année. Située dans le quartier des Quatre-Chemins, à Pantin, la salle, moderne, a été construite dans une ancienne fabrique de sacs de toile de jute. 

Ambiance décontractée dans la cafétéria avant le concert : spetateurs et musiciens devisent devant une bière et un sandwitch (tbc). Toujours assidu, Olivier Benoît est venu écouter les projets des musiciens de l’ONJ. Hasse Poulsen et Edward Perraud sont là aussi, solidaires avec leur ami de Das Kapital, Erdmann.


Daniel Erdmann’s Velvet Revolution

La soirée commence par le concert de Velvet Revolution. Outre Erdmann au saxophone ténor, Théo Ceccaldi (membre de l’ONJ) est donc au violon et Jim Hart au vibraphone. Leur premier disque, A Short Moment of Zero G, est sorti en octobre 2026 chez BMC. Le nom du trio d’Erdmann est évidemment un hommage à la Révolution de velours, qui mit fin au régime communiste tchécoslovaque en 1989.


Les six morceaux au programme sont signés Erdmann et tirés de A Short Moment of Zero G. A noter, « Quand j’étais petit je rêvais d’être pauvre », un clin d’œil aux Contes de Rose Manivelle en trio avec Vincent Courtois et le musicien-griot-poète André Ze Jam Afane.

Décollage spatial avec « A Short Moment of Zero G » : Hart frotte les lamelles de son vibraphone avec des archets tandis que Ceccaldi et Erdmann chatouillent les aigus de leur instrument. Le trio change ensuite de registre avec un riff en pizzicato du violon et des nappes de sons du vibraphone, pendant que le ténor joue une mélodie torturée, aux accents mélancoliques. Les interactions élégantes du trio, ponctuées de boucles et d’envolées free, rappellent la musique de chambre contemporaine. Après un solo a capella tendu du ténor, le violon entre dans « I See A Strange Light » pour un dialogue moderne à base de traits dissonants, notes tenues, glissandos, rubatos… et, toujours, cet entrelacs subtil des voix. Le thème, exposé à l’unisson, n’est pas sans évoquer Ornette Coleman. Hart fixe des pinces et des bouts de papier sur les lamelles de son vibraphone pour jouer sur les sonorités tandis qu’Erdmann et Ceccaldi assurent un continuum sinueux en arrière-plan. Les échanges bruitistes heurtés de « Still A Rat » ramènent à une ambiance contemporaine, puis le morceau débouche sur une cavalcade entraînante, dynamisée par l’apport des techniques de jeu étendues. Des accents bluesy accueillent « Quand j’étais petit je rêvais d’être pauvre », mais le développement penche davantage vers des motifs hypnotiques dans une veine contemporaine. Ceccaldi s’en donne à cœur joie dans l’introduction des « [Les] frigos » : bourdonnements, multi-cordes, pizzicatos rythmiques, phrases nerveuses, grincements… Autant de contrastes avec la mélodie nostalgique, reprise par le ténor, imposant, et le vibraphone emphatique. Le concert s’achève sur « Infinity Kicks In ». Ceccaldi joue un riff endiablé en pinçant et frottant les cordes ; pendant tout le concert il a souvent utilisé son violon comme une guitare. Tantôt Hart se joint aux motifs du violon, tantôt il s’envole dans des longues phrases sinueuses. Quant à Erdmann, son discours passe du registre medium-grave à l’aigu avec une montée en tension progressive.


La musique du Velvet Revolution d’Erdmann est tout à fait convaincante : des sonorités insolites, des dialogues expressifs, des rythmes soutenus et une inventivité jamais prise à défaut. Bravo !




Kolkhöse Printanium

Brousseau forme Kolkhöze Printanium en 2007, avec Hugues Mayot aux saxophones, Maxime Delpierre à la guitare, Jean-Philippe Morel à la basse et Philippe Gleizes à la batterie. Leur premier opus, Kolkhoznitsa Vol. 1, sort la même année.

La politique s’invite au concert : le set commence par un extrait du discours prononcé par Emmanuel Macron le 7 janvier 2017 à Clermont-Ferrand – « Penser printemps », inspiré par un texte d’Alain, de 1935 – avec, en toile de fonds, un son de cloche de synthèse. Le développement de « Titan » est tranquille, dans une ambiance fusion, accentuée par les claviers. Dans « Allende en la ONU », après le discours, la rythmique s’emballe et installe un climat dense et lourd : Gleizes cogne sur sa batterie et Morel martèle sa basse. Le maelstrom sonore s’accentue encore avec « Our Face At ‘The Motown’ ». A l’inverse de Velvet Revolution, qui mise tout sur la lisibilité des échanges, Kolkhöse Printanium parie sur un magma sonore qui tient autant de la musique concrète que du rock alternatif. « Sans le savoir » commence encore par un discours, puis Delpierre enchaîne une ritournelle sur des boucles rythmiques touffues, pendant que Mayot joue une mélodie décalée. Démarrage tellurique pour « Ssen Soupape » : la batterie et la basse occupent le premier rang, la guitare peine à se faire entendre, les claviers et saxophone paraissent lointains. Après une succession de bruits industriels et de voix off, proches de la musique concrète, « Exhausteur » déroule une mélodie plus calme, sur un accompagnement binaire lent. Nouveaux bruits mécaniques d’atelier pour l’avant-dernier morceau, qui servent de décors aux boucles de la guitare et aux vrombissements des claviers. La batterie et la basse renforcent encore le côté hypnotique, tandis que le saxophone pousse des cris, avant un final mélodieux. La soirée s’achève dans une atmosphère de science-fiction, avec des nappes de sons aériennes, des phrases mélodiques distantes et une rythmique en suspension.

Kolkhöse Printanium vrombit dans un univers brutal, alimenté par une section rythmique violente, des effets bruitistes tonitruants, des claviers bourdonnants… une sorte de free rock alternatif puissant.