29 novembre 2018

Hard Swing Mango au Sunset…


Le 21 novembre 2018, le Sunset propose un concert de Hard Swing Mango pour la sortie de leur premier disque, Rhapsodie, enregistré dans les studios de l’Alhambra et paru chez Cristal Records le 26 octobre 2018.

Hard Swing Mango est un trio découvert lors du festival Jazz à Vienne en 2017, avec Julien Queriaud (école de musique Syrinx, conservatoire de Poitiers, Cyril Atef, Jean-Luc Capozzo, Afro Diamond…) au piano, Xavier Garnier (Syrinx, Le Lobe de Claire Bergerault…) à la contrebasse et Arnaud Perrin (Junk Fizz…) à la batterie.


Le programme du premier set du concert reprend « Traveller », « Breaking Stars », « D’un seul coup », « Ascencion » et « Rhapsodie », tirés du répertoire du disque, auxquels le trio rajoute deux reprises : « Creep » de Radiohead et « Roxane » de The Police.


Mélodieux (« Ascencion »), lyriques (« Traveller »), avec des accents orientaux (« Rhapsodie »)… le trio soigne ses thèmes. Les développements s’inscrivent dans une lignée plutôt post bop (« Breaking Stars ») avec quelques emprunts à la musique contemporaine (« Creep ») et une gestion de la tension – détente particulièrement habile (« Ascension ») : aux alternances de passages vifs et calmes (« Traveller ») viennent s’ajouter des variations d’intensité sonore (« D’un seul coup »). De son côté, la rythmique garde toute sa liberté par rapport au sacro-saint walking – chabada. Hard Swing Mango n’usurpe d’ailleurs pas son nom et chacun participe au dynamisme rythmique du trio (« D’un seul coup », « Rhapsodie ») avec une énergie qui se rapproche parfois du rock (« Roxane »). Perrin ne lâche jamais ses comparses et son jeu volontiers luxuriant (« D’un seul coup »), nerveux (« Rhapsodie ») avec des frappes rapides et serrées (« Ascencion ») maintient la pression. La sonorité grave et claire de Garnier, ses lignes fluides (« Traveller »), riffs profonds (« Creep »), roulements puissants (« Rhapsodie ») et autres ostinatos (« D’un seul coup ») sont également garants de la pulsation. Outre ses dispositions mélodiques (« Breaking Stars »), Queriaud utilise astucieusement la dissociation de ses mains pour être à la fois à l’unisson de la contrebasse (« D’unseul coup ») ou jouer un motif répétitif (« Rhapsodie »), et faire danser les thèmes (« Ascencion »).


Hard Swing Mango imbrique étroitement rythmes et mélodies. Ce qui donne à  la musique de Rhapsodie une ardeur et une densité convaincantes.



28 novembre 2018

A la découverte de Julien Daian


Jazz, variété, musiques du monde, électro, publicité, cinéma… le saxophoniste, compositeur et directeur musical Julien Daian n’arrête pas ! Partons à la découverte du fondateur du label éclectique French Paradox.


La musique

Je cherchais à palier une puissante timidité et, dans une optique de séduction, j’ai choisi le saxophone… J’ai d’abord commencé en autodidacte avant de rejoindre le conservatoire. Quant au jazz, je l’ai découvert par hasard au coin d’une rue ! Puis j’ai été influencé par Jackie MacLean, Charlie Parker, Dexter Gordon, Maceo Parker et tous les autres…


Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ?  C’est cool…

Pourquoi la passion du jazz ? Il est cool !

Où écouter du jazz ?  A la cool.

Comment découvrir le jazz ?  Soyez cool.

Une anecdote autour du jazz ?  Duke Ellington est né à la Maison Blanche…


Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un manchot,
Si j’étais une fleur, je serais une marguerite,
Si j’étais un fruit, je serais un ananas,
Si j’étais une boisson, je serais un bon rouge
Si j’étais un plat, je serais une poutine,
Si j’étais une lettre, je serais J,
Si j’étais un mot, je serais Jazz,
Si j’étais un chiffre, je serais 9,
Si j’étais une couleur, je serais saumon,
Si j’étais une note, je serais Mi.


Les bonheurs et regrets musicaux

 Ma plus belle réussite musicale est mon premier album… et je n’ai aucun regret !


Sur l’île déserte…

Quels disques ?  Life On Planet Groove de Parker et Quadrangle de McLean.

Quels livres ? Souvenir d’un Européen de Stefan Zweig.

Quels films ? Over The Top de Sylvester Stallone.

Quelles peintures ? Gustav Klimt.

Quels loisirs ? La chasse aux pingouins.


Les projets

 Mon prochain album et mon label French Paradox.


Trois vœux… 

1. Une bonne anche.
2. Santé.
3. Argent.

Un autre nord à l’Institut Finlandais


Situé en plein cœur de Paris dans un ancien cinéma rénové par Juhani Pallasmaa et inauguré en 1990, l’Institut Finlandais de Paris propose des expositions, des conférences, des spectacles, des concerts…

Le 14 novembre 2018 le trio du pianiste Aki Rissanen investit l’Institut Finlandais pour présenter Another North, paru en novembre 2017 chez Edition Records. Passé l’accueil sympathique, auquel s’ajoute un verre de bienvenue, nous voilà dans la grande salle lumineuse de l'Institut où se tient le concert. « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté » : grandes baies vitrées élégantes, hauteur sous plafond imposante, tableau monumental signé Renata Jakowleff, mobilier scandinave épuré, minimalisme raffiné de la rénovation réalisée par Joanna Laajisto et Pekka Littow en 2018... Si nous ajoutons l’absence de scène, de sonorisation et la proximité des instruments, toutes les conditions pour une écoute comme à la maison sont réunies !

Encore peu connu en France, Rissanen est pourtant passé par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris après avoir suivi une formation classique en Finlande. Il a en outre glané des deuxièmes prix de soliste aux concours du festival de jazz de Montreux et à celui de Jazz à La Défense... Rissanen a ensuite étudié sept ans le jazz à la célèbre Sibelius Academy d’Helsinki. Le pianiste compte six disques sous son nom, dont deux avec son trio, chez Edition Records : Amorandom, publié en 2016, et Another North. Comme Rissanen, le contrebassiste Antti Lötjönen et le batteur Teppo Mäkynen sortent également de la Sibelius Academy, mais leur carrière est davantage centrée sur la scène finlandaise.


Johanna Råman, la nouvelle directrice de l’Institut Finlandais, présente le lieu et laisse Charles Gil, qui a organisé la tournée de Rissanen en Europe, annoncer le concert. Le trio enchaine d’abord deux morceaux tirés d’Amorandum, « Pulsar » et « For Jimmy Giuffre », puis joue l’« Etude 5: Arc-en-ciel Reimagined » de Györgi Ligeti et « Hubble Bubble », tous les deux au répertoire d’Another North. Suivent « Moro, lasso ! Al mio duolo », dix-septième madrigal du sixième livre de Carlo Gesualdo et « Blind Desert », lui aussi au programme d’Another North. En bis, le trio joue un air traditionnel (?) finlandais.

Dès les premières notes, la complicité des trois musiciens est palpable et c’est d’autant mieux que le développement des morceaux est complexe : des passages contemporains laissent place à des parties bop, avant de revenir à de la musique postmoderne ; une profusion de percussions sur un accompagnement minimaliste prolonge des phrases élégantes en notes à notes, elles-mêmes nées de mouvements arpégés sinueux ; une walking et un chabada alternent avec des crépitements contemporains ; de la musique répétitive se substitue à une ambiance quasiment latino… Mélange de fougue (« Etude 5: Arc-en-ciel Reimagined »)  et de subtilité  (« Moro, lasso ! Al mio duolo »), le drumming de Mäkynen est particulièrement agréable. Constamment aux aguets, il répond au quart de tour aux propositions de ses compères (« Blind Desert »). La belle sonorité boisée de la contrebasse met en relief les lignes précises et mélodieuses de Lötjönen, sur tout l’ambitus de l’instrument (« Hubble Bubble ») ou ses motifs sobres (« Etude 5: Arc-en-ciel Reimagined »), voire ses ostinatos entêtants (« Blind Desert »). Quant à Rissanen, il laisse beaucoup d’espace à ses compagnons (« Pulsar ») tout en démontrant une variété de jeu impressionnante : boucles répétitive et trumpet style (« For jimmy Giuffre »), cellules enchevêtrées (« Etude 5: Arc-en-ciel Reimagined »), malice be-bop (les citations du « Bud’s Bubblle » de Bud Powell qui servent de fil conducteur à « Hubble Bubble »), développement mélodique ingénieux (« Moro, lasso ! Al mio duolo »), voire lyrique (le bis), avec, toujours, en filigrane, un esprit musique contemporaine qui bouscule les codes (« Blind Desert »).




Visiblement heureux de jouer ensemble, le trio communique son plaisir à la salle. D’autant plus que Rissanen prend la peine d’annoncer les morceaux en français avec une bonne dose d’humour, jusqu’à lire le texte de « Moro, lasso ! Al mio duolo » :
« Je meurs, hélas ! dans mes tourments,
Qui pourra me rendre la vie ?
Ah ! Qu’ils me tuent, que nul ne me vienne en aide.
Ô douloureux sort :
Celle qui peut me donner vie, hélas ! me donne la mort ! »

Pétillante et inventive, la musique du trio de Rissanen mérite le détour et Another North est chaudement recommandé !

25 novembre 2018

Bonnes vibrations à Malakoff et Sceaux…


En 2017, les Gémeaux, à Sceaux, et le Théâtre 71, à Malakoff, ont uni leurs efforts pour créer le festival Jazz Vibrations. Du 6 novembre au 17 novembre, six formations se succèdent sur les scènes des deux théâtres : Julien Lourau & The Groove Retrievers, Xavier Desandre Navarre, Fred Pallem & Le Sacre duTympan, Nox.3 & Linda Oláh, le Umlaut Big Band et Michel Barbaud Septet.


Julien Lourau & The Groove Retrievers
Les Gémeaux – Mardi 6 novembre

Clin d’œil à son mémorable Groove Gang des années quatre-vingts dix, Lourau a formé The Groove Retrievers en 2016. L’orchestre compte dix musiciens venus de tous horizons : Antoine Berjeaut (Surnatural Orchestra, la Société des Arpenteurs, Wasteland…) à la trompette, Céline Bonacina (Megapulse Orchestra, Didier Levallet, Nguyen Lê, Dominique Fillon…) au saxophone Baryton, Jasser Haj Youssef (Didier Lockwood, Khalil Chahine, Geoffroy De Masure, Youssou N’Dour…) au violon, Mathilda Haynes (O’Magreena, Kiala and the Afroblaster, Winston McAnuff & Fixi…) à la guitare, Robert Mitchell (Tomorrow’s Warriors, Courtney Pine, Panacea, Stéphane Payen… ) au piano, Felipe Cabrera (Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca, Harold Lopez-Nussa, Cuban Descargas… ) à la basse, Sebastian Quezada (Rumbabierta, Maxime Le Forestier, Salif Keita, Patrice Caratini,  ) et Javier Campos Martinez (Rumbabierta, Minino Garay, Sangoma Everett, La Llave,  ) aux percussions, et Jon Scott (Kairos 4Tet, George Crowley, Mulatu Astatke, Dice Factory…) à la batterie. The Groove Retrievers invite également la chanteuse haïtienne Mélissa Laveaux sur quelques titres.


Le concert reprend le répertoire du disque éponyme sorti en novembre 2017. Dans une ambiance caribéenne dansante, les thèmes aguicheurs – « Tu Mi Turbi », « Mah-Ore » – sont développés dans des solos tournoyants de Lourau (« Gafieira Universal »), Bonacina (« Mah-Ore ») et Berjeaut (« La Congo »). Haj Youssef apporte une certaine douceur et des couleurs moyen-orientales ou tziganes (« Tu Mi Turbi »). La voix médium aux accents rauques de Laveaux, son phrasé qui mâche les mots, les paroles en créole ou en anglais et une mise en place chaloupée (« Postman »), donnent un charme particulier à ses chansons folks haïtiennes. The Groove Retrievers ne porte pas son nom pour rien : le rythme est la composante centrale de la musique de l’orchestre et Lourau compte sur six musiciens pour dynamiter le tempo ! Entre la batterie de Scott et les percussions de Quezada et Campos Martinez, une polyrythmie luxuriante accompagne chaque morceau (« Baltimore »), tandis que la carrure est assurée par les lignes grondantes (« La Congo ») de Cabrera, couplée aux riffs d’Haynes (« Baltimore »). Quant à Mitchel, il complète l’ensemble avec ses accords latinos (« La gitana me ha dejado ») et autres ostinatos puissants (« Samuel »). Sans oublier le chœur des vents, qui se joint volontiers au foisonnement ambiant pour pousser les solistes (« Eddie Wildfire »).



Entre le funk, la soul, l’électro, la clave… Lourau aime depuis toujours les ambiances qui déménagent, sans pour autant sacrifier la créativité des musiciens sur l’autel de la facilité. The Groove Retrievers ne contreviennent pas à la règle et leur musique, enthousiaste, a de quoi transformer une salle de concert en dance floor !




Beat Body & Soul – Xavier Desandre Navarre
Théâtre 71 – Jeudi 8 novembre

De l’ensemble Lumière de Laurent Cugny à l’Orchestre National de Jazz de Denis Badault, en passant par les groupes de Michel Portal, Tana Maria, Franck Tortiller, Manu Dibango, Niels Lan Doky, Yves Rousseau… mais aussi en étudiant sur le terrain les rythmes iraniens et brésiliens, Desandre Navarre a multiplié les expériences.

En 2012 il crée Beat Body & Soul, un spectacle en solo. Aucune batterie sur scène, mais un ordinateur, des pédales et, surtout, un fourmillement de percussions : bongos, congas, tambourins, cymbales, berimbau, casserole, sifflets, steel tongue drum, sanzas, tube wah wah, flûte en bambou et une multitude d’accessoires…


Les cinq morceaux du concert prouvent, s’il en est besoin, que les percussions peuvent développer une multitude d’ambiances toutes plus différentes les unes que les autres.  Le set démarre sur une mélodie rythmique douce et hypnotique, jouée sur un tambour à lamelles en acier, qui évoque ça-et-là un gamelan. Desandre Navarre ajoute ensuite une basse continue sourde qui contraste avec la sonorité cristalline du métal. Puis, petit à petit, le percussionniste superpose des motifs en contrepoints à base de clochettes, sifflets, vocalises… A cette musique à la fois entraînante et méditative, succède une polyrythmie virtuose sur une base de tambourin frotté aux balais. Après avoir joué avec une casserole remplie d’eau, Desandre Navarre égrène des riffs sur une sanza, puis termine sur les peaux de ses tambours. C’est plutôt vers la musique contemporaine et les percussions de Strasbourg que penche le début du morceau suivant, mais avec le thème-riff que joue le musicien dans une flûte à bec en bambou, il prend la route des musiques du monde. Pour l’hommage à Caetano Veloso et Gilberto Gil, Desandre Navarre passe au berimbau et, entre glissandos et effets bluesy, il chante à mi-chemin entre un air mélodique et des spoken words. Le dernier morceau reboucle avec le premier : sur un décor sombre de roulements profonds et de grondements sourds, des mélodies étouffées et vibrantes replongent l’auditeur dans un climat de recueillement, renforcé par l’accélération rythmique. Le bis est court car, si Desandre Navarre arrive à faire jouer au public un rythme avec les mains, en revanche il n’arrive pas à l’entraîner dans ses jeux de beatbox.

Beat Body & Soul est un solo mélodieux et varié : du début à la fin, l’auditeur reste toujours à l’affût de savoir quelle direction va prendre Desandre Navarre avec tout son attirail de percussions…


L’Odyssée – Fred Pallem & Le Sacre du Tympan
Les Gémeaux – Vendredi 9 novembre

En 1998, Pallem monte un orchestre à géométrie variable au nom humoristique évocateur : Le Sacre du Tympan. Il sort un premier disque éponyme chez Le Chant du Monde en 2002. Suivent : Le Retour ! chez Label Bleu (2005), La Grande Ouverture pour Atmosphériques (2008), SoundTrax chez Music Unit (2011), puis François de Roubaix (2015), Soul cinéma (2017), Cartoons (2017) et L’Odyssée (2018) sur le label Train Fantôme.



Dans le cadre de Jazz Vibrations, Pallem joue le programme de L’Odyssée, sorti en mai. Pendant le concert, les œuvres psychédéliques, géométriques et colorées d’Elzo Durt, illustrateur de la pochette du disque, sont projetées en arrière-plan. Pour l’occasion, Le Sacre du Tympan est composé de Christine Roch (saxophone ténor et clarinette basse), Rémi Sciuto (flûte et saxophone baryton), Sylvain Bardiau (trompette et bugle), Robinson Khoury (trombone), Guillaume Magne (guitare), Sébastien Palis (orgue et clavinet), Pallem (basse) et Vincent Taeger (batterie). L’octuor est accompagné par un quatuor à cordes : Anne Le Pape et Aurélie Branger au violon, Séverine Morfin au violon alto et Michèle Pierre au violoncelle.

Le Sacre du Tympan interprète cinq des sept compositions de L’Odyssée, « Les scélérates » et la « Suite italienne », tirées de SoundTrax, « Pierre de Roubaix », de l’album éponyme et, en bis, le thème de Taxi Driver, signé Bernard Herrmann.



La passion de Pallem pour le cinéma et les bandes originales de film n’est pas une nouveauté et la musique du concert en apporte une confirmation supplémentaire. Sur la batterie de Taeger, puissante (« Death And Life Of A Suburban Guy »), sourde (« Les scélérates »), parfois binaire (« Suite italienne ») et le plus souvent régulière (« L’intrus »), la basse de Pallem gronde (« Astringent Mouse Trap »), vrombit (« Haemophilus Aphrophilus ») et maintient une carrure solide. Les claviers de Palis apportent des touches vintage (« Astringent Mouse Trap ») et ses riffs rappellent parfois les séries des années quatre-vingt (« Death And Life Of A Suburban Guy »). Les effets wah-wah de Magne renforcent encore ces évocations nostalgiques (« L’Odyssée »), tandis que son chorus déchaîné dans « Astringent Mouse Trap » nous entraîne vers le rock alternatif. Roch, Sciuto et Bardiau alternent des chœurs à l’unisson (« Suite italienne »), des chorus vifs (« L’Odyssée ») ou un foisonnement de voix (« Haemophilus Aphrophilus »). Chaque morceau est construit comme un mouvement d’ensemble qui se développe progressivement (« François de Roubaix » sous influence de la musique répétitive), avec un sens dramatique évident (« Taxi Driver », « Haemophilus Aphrophilus »), une gestion de la tension soignée (« Suite italienne ») et une expressivité descriptive (« L’intrus »). Le quatuor à cordes accentue ces caractéristiques (les très Morriconiennes « Scélérates ») et renforce encore un peu plus le côté cinématographique de la musique du Sacre du Tympan (« Taxi Driver », « L’intrus »…).

Funk, rock, psychédélique, contemporaine… la musique de Pallem déborde de vitalité et possède ce côté farfelu qui la rend singulière.



  
Umlaut Big Band
Théâtre 71 – Jeudi 15 novembre

Le collectif Umlaut est né à Stockholm en 2004. Aujourd’hui installé à Berlin et à Paris, il réunit une douzaine de musiciens autour d’une vingtaine de projets, un festival et un label fort d’une cinquantaine de titres…

A l’initiative du collectif, Pierre-Antoine Badaroux monte le Umlaut Big Band en 2011 avec treize musiciens rencontrés pour la plupart sur les bancs du Conservatoire National Supérieur de Paris ou dans des projets communs. Dès le départ, le but de l’orchestre est de relire le répertoire du « Vieux Jazz », à partir de transcriptions et de réarrangements d’œuvres enregistrées des années vingt aux années quarante. En 2013, le Umlaut Big Band enregistre Nelson’s Jacket, un hommage à Gene Gifford, John Nesbitt, Will Hudson, Mary Lou Williams et Bennie Carter, cinq arrangeurs clés de l’ère swing. Badaroux poursuit son travail d’historien avec Euro Swing, sorti en 2015 et consacré aux musiciens de jazz européens entre 1926 et 1940. Cet opus est suivi, l’année d’après, par un deuxième volume centré sur les œuvres écrites en Europe de 1925 à 1940, par des musiciens américains.

The King of Bungle Bar, publié en septembre 2018, revisite l’œuvre de Don Redman. Le disque, enregistré sur le vif au Lavoir Moderne Parisien, s’articule autour de vingt-six morceaux, pour la plupart signés Redman. Chef d’orchestre, compositeur, multi-instrumentiste, chanteur… Redman (1900 – 1964), « the little giant of jazz » (pour sa petite taille, mais son immense talent), a donné ses lettres de noblesse à l’arrangement dans le jazz. Dans le compte-rendu du concert de Redman à la salle Pleyel le 25 décembre 1946, Boris Vian écrit : « Don Redman est un peu devin, voire météorologiste, et son cœur généreux lui a dicté sa conduite : ils sont venus pour nous réchauffer. Ils n’y ont pas manqué […] ». De Fletcher Henderson à Count Basie, en passant par Louis Armstrong, Cab Calloway, Paul Whiteman, Jimmie Lunceford… Redman a travaillé avec le gotha du jazz de l’ère swing.



Lors du concert au Théâtre 71, le Umlaut Big Band puise dans les morceaux de The King of Bungle Bar. Le titre du disque, qui pourrait se traduire par « le roi de la barre brisée », traduit bien la construction des morceaux avec les différentes sections qui se superposent, se croisent, se chevauchent, se répondent… sans trop se soucier des barres de mesure, dans des tourbillons de notes parfaitement maîtrisés et cadrés par une rythmique qui suit implacablement les quatre temps. Des breaks (« The Whiteman Stomp ») et des splash (« T.N.T. ») ponctuent les phrases de l’orchestre, tandis que les solistes envoient quelques phrases virevoltantes au-dessus de la mêlée des soufflants (« Have It Ready »).  Les questions-réponses fusent (« Blue Black Bottom Stomp ») avant que les notes ne rebondissent d’un instrument à l’autre (« Sugar Foot Stomp »). Le piano stride attise le feu (« Feeling The Way I Do ») et tout le big band est dans la danse (« The Henderson Stomp »)… 

Les syncopes sautillent, les pieds frétillent, les notes scintillent, les oreilles pétillent… Avec l’Umlaut Big Band, c’est comme si nous y étions ! Bienvenue au royaume du swing !

11 novembre 2018

L’Orphicube au Studio de l’Ermitage


Créé en 2012 par Alban Darche, l’Orphicube est un orchestre à géométrie variable qui compte quatre disques à son actif : l’éponyme de 2012, my Xmas traX en 2013, Perception instantanée en 2014 et The Atomic Flonflons, sorti en mars 2018, toujours sur le label nantais Yolk, cofondé par Darche, Sébastien Boisseau et Jean-Louis Pommier en 2000.

La tournée de sortie de The Atomic Flonflons passe par le Studio de l’Ermitage où l’Orphicube se produit le 17 octobre. L’octuor du disque est réuni pour l’occasion : Chloé Cailleton  au chant, Darche aux saxophones baryton, alto et soprano et à la clarinette, Stéphane Payen au saxophone alto, Olivier Laisney à la trompette, Didier Ithursarry à l’accordéon, Nathalie Darche au piano, Sébastien Boisseau à la contrebasse et Christophe Lavergne à la batterie. L’orchestre invite également deux musiciens souvent associés à l’Orphicube : Matthieu Donarier aux saxophones ténor et soprano et Marie-Violaine Cadoret au violon.


L’instrumentation de l’Orphicube tient du big band de jazz, bien sûr, mais aussi de l’orchestre de bal musette. La formation met à sa sauce des thèmes inspirés de la musique populaire et joue de « la musique de genre détournée ». Conçu comme la « B.O. d'un film imaginaire » en deux actes de six scènes chacun, The Atomic Flonflons propose huit morceaux signés Darche, « Automne », lied de Gabriel Fauré et Armand Silvestre, « La Paloma », tango de Sebastián de Iradier, « I’m A Fool To Want You », chanson de Franck Sinatra, Jack Wolf et Joel Herron, et « I’ll Be Seing You », composé par Sammy Fain et Irving Kahal. Darche met en musique deux poèmes : « Lluvia lenta » de l’auteur chilienne Gabriela Mistral, et « Le ciel est par-dessus les toits » de Paul VerlaineLe chapiteau d’un cirque éclairé de mille feux, au milieu de la nuit, sans âme qui vive, illustre la pochette du disque et contribue également à l’univers chimérique de The Atomic Flonflons. 

Pendant le concert, l’Orphicube reprend dix des douze titres de l’album, « Opium » (Crooked House – 2015), « Paso doble » (Perception instantanée – 2014), une relecture de « Hit The Road Jack » (en bis) et « Crepusculo », un tango écrit par Eduardo Blanco, compositeur argentin tristement célèbre pour sa proximité avec les fascistes et les nazis, et à qui Joseph Goebbels a demandé de jouer devant Adolf Hitler « Plegaria », renommé « Le Tango de la Mort » quand il devient la musique qui accompagne les déportés juifs vers les chambres à gaz.

Un élégant duo entre l’accordéon et le saxophone alto introduit « Saudade », puis, sur un rythme chaloupé porté par le piano, la batterie et les shuffle de la contrebasse, Cailleton chante une mélodie aux parfums nostalgiques, soutenue par le chœur des soufflants. Le timbre médium suave et chaud de Cailleton, parfaitement au diapason du violon et du bloc des vents, répand la même atmosphère tranquille dans le mélancolique « Opium » et les deux ballades immortalisées par Billie Holiday et Sinatra, « I’ll Be Seing You » et « I’m Fool To Want You » (agrémenté d’un chorus chantant de Boisseau). C’est plutôt une ambiance de lied début XXe qui anime « L’oiseau qu’on voit chante sa plainte », avec une orchestration dense et sophistiquée. En dehors de « Crepusculo », tango de salon, interprété quasiment au pied de la lettre du début à la fin, les autres morceaux démarrent le plus souvent dans l’esprit de leur genre (« Java », « Ragtime », « Paso doble »…), pour mieux s’en éloigner ! Tambours, riffs, chœurs éclatants, vocalises et décor charleston lancent « Jungle » à la grande manière de Duke Ellington, mais très vite, tout se détraque avec une voix qui devient expressionniste et l’orchestre qui part dans des phrases débridées. Après une intro harmonico-mélodique du baryton et l’exposition de « Tango vif », les sections croisent leurs notes avec un côté musique de cirque, avant que la trompette ne prenne un solo stimulant, suivi du violon, a capella, qui conclut par des grattements, glissandos et autres crissements… comme une boîte à musique déglinguée. Emaillée de mesures de samba, la chansonnette « Rhythm Song » pétille, sur un rythme heurté, porté par les questions-réponses de la batterie et du saxophone alto ou de la clarinette. « Paso doble » est une caricature ludique de la danse espagnole avec un foisonnement bouffon, comme si tous les instruments avaient leur mot à dire. Après le démarrage du piano dans le plus pur style, « Ragtime » part dans tous les sens en gardant l’esprit original en filigrane. Le piano doublé d’un sifflement et de l’accordéon lancent « Java » sur trois temps entraînants, puis après une séquence nostalgique l’Orphicube fait exploser le morceau et « la java se fait la malle ». Même topo pour « Musette » : après un dialogue pimenté de la clarinette et de l’accordéon, l’orchestre déroule une belle valse non sans glisser des détournements et des clins d’œil amusants. La batterie commence le bis par un solo sur les peaux et une pédale de grosse caisse, vivant, musical et charnel, puis vocalises et chœurs partent sur un « Hit The Road Jack » luxuriant jusqu’à l’explosion finale qui libère tous les instruments dans un malstrom expressionniste.

Darche et l’Orphicube s’amusent sérieusement et The Atomic Flonflons porte parfaitement son nom : une musique tonitruante, joyeuse et nucléaire !



05 novembre 2018

Espaces à l’Ermitage


Edward Perraud est un musicien présent dans moult formations: Das Kapital, Hubbub, Supersonic, Synaesthetic Trip… pour n’en citer que quelques-unes ! Le 15 octobre, il présente sa dernière création au Studio de l’Ermitage dans le cadre du Festival Jazz surSeine. C’est également l’occasion de célébrer la sortie d’Espaces chez Label Bleu.


C’est au pianiste Paul Lay et au contrebassiste Bruno Chevillon que Perraud propose de « tenter d’établir un pont entre l’écoute du son, la théorie musicale et la physique des particules »… Le programme est ambitieux et couvre plusieurs Espaces que le batteur – compositeur caractérise par l’espace acoustique dans lequel se propage la musique, l’espace entre deux sons, les intervalles – concept central du disque –, l’espace au sens cosmologique, l’espace-temps de la théorie de la relativité et l’espace visuel, car Perraud est également photographe… Dans le livret du disque, il a d’ailleurs lié chaque morceau à l’une de ses photos de « musicien nomade » : « Collapse » est associé à une vue plongeante en noir et blanc d’un escalier en colimaçon vertigineux ; un gros plan d’une tête de cheval, les naseaux grands ouverts, qui apparaît comme un fantôme sur un fond noir, illustre « Singularity »… Sujets immobiles et souvent décharnés, cadrages travaillés, effets de lumières et d’ombres sophistiqués, les photographies de Perraud évoquent des natures mortes sobres, aux parfums oniriques.


Enregistré au Studio Sextan par Philippe Teissier du Cros, Espaces comprend quatorze pièces, d’une durée d’une heure dix. Pendant le concert, le trio reprend onze titres du disque. Volontiers disert et facétieux, Perraud commente ses compositions. Les référence du batteur parlent d’elles-mêmes : Thelonious Monk (« Space Time »), Henry Purcell (« Collapse »), John Coltrane (« La dernière carte »), les « cloches civiles » (« Tocsin »), Wolfgang Amadeus Mozart (« L’âge d’or »), Abdullah Ibrahim (« Just One Dollar » pour Dollar Brand, nom de naissance d’Ibrahim), Lord Byron (« Tone It Down »)… Il détaille également les intervalles auxquels il rend hommage : l’octave d’« Elevations », la quarte pour « La dernière carte » et « Tone It Down », la septième majeure sur « Melancholia », la sixte mineure avec « Le sixième sens », la quinte dans « Hiatus » (« on peut faire une quinte de tout », comme plaisante Perraud…), la tierce majeure dans « L’âge d’or »…


Pris la plupart du temps sur des tempos mediums à lents et plutôt concis, les morceaux se déroulent avec une grande cohérence. Le trio soigne ses mélodies (« Melancholia »), avec des touches lyriques (« Elevation »), voire romantiques (« Tone It Down ») et volontiers solennelles (« Tocsin »). Des dialogues sophistiqués (« Space Time »), des interactions subtiles (« L’âge d’or »), des échanges élégants (« Hiatus »), des chorus denses (« Collapse ») et des développements mystérieux (« Just One Dollar ») s’appuient sur une rythmique qui crépite (« Sixième Sens »), foisonne (« Elevation »), gronde (« Tocsin ») et s’amuse avec les sons (« L’âge d’or »). La musique d’Espaces se promène entre musique classique, contemporain, free et rock alternatif, sans oublier les racines bop et blues (chabada, walking et trumpett style dans « La dernière carte ») !


La référence au Don Juan de Lord Byron n’est pas usurpée :

« Il y a de la musique dans le soupir du roseau ;
Il y a de la musique dans le bouillonnement du ruisseau ;
Il y a de la musique en toutes choses, si les hommes pouvaient l'entendre.
Leur terre n'est qu'un écho des astres. »

Lay, Chevillon et Perraud ont monté un trio exaltant qui a tout compris : à l’opposé du vide de l’infini, il se passe toujours quelque chose de concret dans leurs Espaces !




01 novembre 2018

Zn-1 - VolMeur


Une fois n’est pas coutume, c’est de peinture et non pas de musique que nous allons parler, mais, finalement, le but de l’improvisation picturale n’est-il le même que celui de l’improvisation musicale ?  


Le CERN, les champignons et la subligraphie...

Le 8 novembre 2018, à Genève, la galerie Images de Marque et VolMeur inaugurent « Breaking The Mould », une exposition inédite en coopération avec le Centre Européen pour la Recherche Nucléaire... 

Il y a deux ans, Jean-Yves Le Meur et Matteo Volpi, deux ingénieurs du CERN, tombent sur une collection d'archives photographiques de tunnels, de réacteurs, de hangars, de routes, de bâtiments... Mais voilà, avec le temps, les motifs et couleurs des diapositives ont été dévorés, malaxés, engloutis, digérés et déféqués par une armée de champignons gloutons. Projeté, le résultat est fascinant : des images fantasmagoriques défilent à l'écran, entre déformations abstraites et transformations figuratives. Les deux artistes, qui n'en font désormais plus qu'un, VolMeur, décident de révéler ces œuvres d'art au grand public grâce à un procédé inouï : la subligraphie. En bref, cette méthode d'impression permet de transférer des images sur pratiquement n'importe quel support traité au polyester, par pression à haute température. Le résultat est bluffant : couleurs, contrastes et luminosité sont rendus avec une exactitude et une présence flamboyante. 


A défaut de titre, la nomenclature de Mendeleïev suivie du numéro de tirage me semble judicieuse comme petit nom pour les œuvres de VolMeur : Zn-1 est donc arrivé le 1er janvier 2018. Il n’est pas exposé dans « Breaking The Mould », mais reflète à merveille l’univers des VolMeur. Tableau au format portrait de soixante sur quarante centimètres, Zn-1 appartient à la période abstraite. La construction rythmique du tableau se divise en trois parties scindées de haut en bas d'une manière harmonieuse, avec un quart d'en-tête, un demi de corps et un quart de pied. Les couleurs se complètent subtilement : une bande rouge coiffe un dégradé de gris séparé par une ligne noire d'un aplat blanc. L'ensemble est constellé de points, traits, rayures, tâches... qui viennent se mêler aux gris et donnent du tempérament au tableau. Si la dominante de gris-blanc inviterait à l'apaisement, le contraste avec le bandeau rouge met Zn-1 sous tension. D’autant plus que les teintes chaudes qui surplombent les couleurs froides créent un déséquilibre salutaire. D’un caractère bien trempé, Zn-1 invite l’imagination de chacun à se perdre avec délectation dans ce paysage mystérieux, comme un champ de neige par temps gris sous un ciel embrasé… Mais à chacun de trouver ce qu’il veut y voir !

VolMeur met en tableau la détérioration, joue avec la nature et la chimie, et crée un monde fantastique… « Breaking The Mould » (ou « Breaking The Mold » ?) est à voir et revoir !... avec ou sans les Spiritual Dimensions de Wadada Leo Smith dans les oreilles…