28 septembre 2020

Samâ – Anne Paceo

En janvier 2019 Anne Paceo sortait Bright Shadow, un album de neuf chansons dans une veine pop. La batteuse poursuit sur sa lancée et publie Samâ le 11 septembre 2020, toujours chez Laborie Jazz, mais uniquement en vinyle et en numérique.

Paceo garde la même équipe : Ann Shirley et Florent Mateo au chant, Christophe Panzani au saxophone et à la clarinette, Pierre Perchaud à la guitare et Tony Paeleman aux claviers. Cinq morceaux sont au programme : trois inédits enregistrés en studio et deux reprises de Bright Shadow, « Tomorrow » et « The Shell », enregistrés en concert.

Le disque est placé sous le signe du soufisme avec le Samâ, cette pratique spirituelle, notamment caractérisée par la danse giratoire sacrée des derviches tourneurs. Avec la pédale du Fender, les boucles entêtantes, les chants en voix de tête et la batterie entraînante, le morceau-titre porte bien son nom. « Les châteaux de sable », entre chanson folk et pop, est portée par une guitare aérienne et le bruissement des cymbales. Après des vocalises à l’unisson sur une ligne de basse sourde et un thème cinématographique, « Le cri » se développe dans une ambiance davantage rock, avec Panzani et Paceo qui font monter la tension. Sur la deuxième face, les deux chansons s’appuient sur les claviers cristallins de Paeleman, le drumming puissant de Paceo et le chant éthéré de Shirley.

Dans Samâ, Paceo continue son exploration du versant pop de l’univers de la chanson.

Le disque

Samâ
Anne Paceo
Ann Shirley, Florent Mateo (voc), Christophe Panzani (sax, cl), Pierre Perchaud (g), Tony Paeleman (kbd) et Anne Paceo (d, voc).
Laborie Jazz – LJLP05
Sortie le 11 septembre 2020

Liste des morceaux

01. « Samâ »
02. « Les châteaux de sable »
03. « Le cri »
04. « Tomorrow »
05. « The Shell »

Tous les morceaux sont signés Paceo.

Solos – Lionel Martin

Dans le cadre du festival Rhino Jazz(s) qui se déroule du 2 au 20 octobre 2020, à Saint-Etienne, Le Grand Barouf du Rhino propose une programmation originale autour du projet Solos de Lionel Martin et des peintures de Robert Combas. Le peintre est d’ailleurs l’auteur de l’affiche du festival, mais aussi des illustrations de la pochette de Solos, qui sort le 2 octobre en vinyle chez Ouch!Records et en digital chez Cristal Records.

Pour Solos, Martin s’est associé à l’ingénieur du son Bernard Larrieu, qui a enregistré le saxophoniste sur le vif, au grès de ses pérégrinations : sous un pont à Goussainville, dans le métro parisien, dans un champ de la Beauce et au bord de la Loire. Les deux hommes ont également eu recours au re-recording pour rajouter des percussions, des effets électro et des parties musicales supplémentaires.

Une mélodie profonde, un rythme puissant, le foisonnement des saxophones, un ostinato et le souffle caractérisent la « Vibration », qui s’amplifie tout au long du morceau. La « Fiction » prend d’abord un tour mécaniste et contemporain – les boucles du saxophone forment des vagues sur les communiqués marmonnés en arrière-plan – puis une mélodie fragile flotte, avant de se faire absorber par une voix-off qui annonce la station « Stalingrad »... Les tableaux se succèdent comme autant de collages sonores. L’« Eternité » est élégante au soprano et majestueuse au ténor, mais rappelée à l’ordre par des rafales et des motifs stridents qui forment un décor austère. La Nouvelle-Orléans et ses fanfares s’immiscent dans la « Réalité », parsemée de bruits d’eau, de claquements des clés et de cris d’oiseaux. « La chute » lorgne vers un dance floor : riff sourd martelé, percussions touffues et répétitives, effets électro, réverbération et trait vifs du ténor… Haute en couleur, la musique de Martin crépite, bouillonne, explose… un peu comme la « figuration libre » de Combas et ses peintures chamarrées, entre bande dessinées et graffitis.

Les Solos de Martin s’inscrivent dans une esthétique expérimentale et les timbres, rythmes et textures apportent la touche de sensualité qui les rend enthousiasmants.

Le disque

Solos
Lionel Martin
Lionel Martin (sax, électro)
Ouch!Records – V001/13
Sortie le 2 octobre

Liste des morceaux

01. « Vibration » (4:05).
02. « Fiction » (12:47).
03. « Éternité » (6 :26).
04. « Réalité » (3 :03).
05. « La chute » (6:33).

Tous les morceaux sont signés Martin.


25 septembre 2020

Fragments – Yves Rousseau Septet

Yves Rousseau monte des projets plus passionnants les uns que les autres au grès de ses méditations (Akasha, Spirit Dance…), écoutes (Franz Schubert, Frank Zappa…), lectures (François Cheng…)… Fragments ne déroge pas à la règle et puise sa source dans la musique des groupes de rocks phares des années soixante-dix, que l’artiste écoutait pendant son adolescence : King Crimson, Genesis, Soft Machine, Pink Floyd, Crosby, Stills & Nash, The Mothers of Invention…

Pour ce nouveau projet, Rousseau a monté un septuor de haut vol avec Géraldine Laurent au saxophone alto, Thomas Savy à la clarinette basse, Jean-Louis Pommier au trombone, Csaba Palotaï à la guitare, Etienne Manchon aux claviers et Vincent Tortiller à la batterie.

Créé les 1 et 2 février 2019 à La Barbacane, à Beynes, et au Triton, aux Lilas, Fragments a également été repris le 4 septembre 2019 au Studio de l’Ermitage, dans le cadre de Jazz à la Villette. Le disque, enregistré en février 2020, sort chez Yolk Records, le 18 septembre 2020.

Les huit morceaux du répertoire sont signés Rousseau. La coda de « Personal Computer » est une brève reprise de « Orleans, Beaugency » de David Crosby (1971), tandis que le troisième mouvement de « Winding Pathway » s’inspire de l’album In the Court of King Crimson du groupe éponyme (1969).

Certes, Rousseau nous avait déjà habitué à son art de bâtisseur sonore (Murmures, Akasha, Spirit Dance…), mais l’architecture des morceaux de Fragments est particulièrement brillante ! Les fondations reposent sur une batterie dense et puissante. Au ré-de-chaussé, la guitare alterne ostinato et suite d’accords, mais ses contrepoints montent également jouer avec les soufflants. Les claviers passent d’un palier à l’autre : les lignes sourdes du Moog se mêlent aux roulements de la batterie, tandis que le Fender Rhodes, lui, papillonne entre la guitare et les vents. Même si la contrebasse souligne le plus souvent la carrure aux côtés des percussions, elle s’amuse aussi à prendre de la hauteur pour aller taquiner ses compères. Le saxophone, la clarinette basse et le trombone se partagent les étages supérieurs, mais ne tiennent pas en place et sont toujours fourrés les uns chez les autres !

Le sens mélodique de Rousseau n’est plus à démontrer non plus : quand ce ne sont pas des chants solennels (« Reminiscence I »), élégants (« Darkness Desire II »), avec une touche vingtièmiste (« Oat Beggars », « Efficient Nostalgia I »), ou cinématographiques (« Winding Pathway »), les airs sont des thèmes-riffs (« Abyssal Ecosystem »), le plus souvent vigoureux (« Darkness Desire I »).

Le timbre (« Oat Beggars »), les interactions (« Personnal Computer ») et les parties solistes (« Winding Pathway IV ») du saxophone alto, de la clarinette basse et du trombone forment le versant jazz et musique de chambre de Fragments. Les rythmes imposants (« Abyssal Ecosystem »), les sonorités et effets électriques (« Crying Shame ») et les envolées fulgurantes (« Oat Beggars ») de la batterie, de la guitare électrique et des claviers façonnent le côté rock de Fragments, avec son apothéose dans « Efficient Nostalgia II ». Quant à la contrebasse, malicieuse, elle ne choisit pas son camps…

Avec ses sonorités contrastées, ses constructions fouillées et ses rythmes exubérants. Fragments est aussi captivant en concert que sur disque !

 

Le disque


Fragments
Yves Rousseau Septet
Catherine Laurent (as), Thomas Savy (bc), Jean-Louis Pommier (tb), Csaba Palotaï (g), Etienne Manchon (kbd), Yves Rousseau (b) et Vincent Tortiller (d).
Yolk Records – Yolk 32081
Sortie le 18 septembre 2020

Liste des morceaux

01. « Reminiscence » (10:59).

part I (3:59).
part II (7:00).
02. « Personal Computer » & « Orleans », David Crosby (7:21).
03. « Abyssal Ecosystem » (5:11).
04. « Darkness Desire » (8:07).
part I (3:50).
part II (4:17).
05. « Crying Shame » (4:27).
06. « Oat Beggars » (4:24).
07. « Winding Pathway » (11:08).
part I (3:04).
part II (2:59).
part III, In the Court of the King Crimson (2:16).
part IV (2:49).
08. « Efficient Nostalgia » (11:42).
part I (3:59).
part II (7:00).

Tous les morceaux sont signés Rousseau sauf indication contraire.


21 septembre 2020

Simone – Rue de Tanger

Le contrebassiste Pierre-Yves Le Jeune a monté Rue de Tanger avec l’accordéoniste Laurent Derache et le percussionniste Dogan Poyraz. Le choix du nom du groupe ne doit rien au hasard : la rue de Tanger, dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, est cosmopolite, à l’image de la musique du trio. Par ailleurs, de 1926 à 1968, le numéro huit de cette rue a abrité un célèbre bal musette : le Tourbillon. Or le musette est l’une des sources d’inspiration de Le Jeune, dont un grand-père était accordéoniste…

Rue de Tanger publie son premier disque, Simone, le 21 août 2020 chez Wopela et le concert de sortie aura lieu le 7 novembre au Zèbre, à Belleville. Au programme de Simone, « un personnage mystérieux et insaisissable », cinq compositions signées Le Jeune, et deux reprises de Jo Privat : « La Zingara » et « Balajo ».

Sur une darbouka et des percussions enjouées, l’accordéon et la contrebasse dialoguent sur « La Zingara ». L’atmosphère est à la fête, dans une ambiance musette du monde. Après un ostinato de la contrebasse, l’accordéon expose le thème-riff « Simone », bientôt rejoint par la batterie, foisonnante et toujours aussi entraînante. Le développement, bien qu’empreint d’une certaine nostalgie, reste d’un dynamisme élégant, porté par les poly-rythmes de Poyraz et les lignes rondes de Le Jeune. Avec son tempo enlevé, transporté par le cliquetis des percussions, interrompu par des passages plus mélancoliques joués par Le Jeune à l’archet, le « Balajo » retrouve le climat chamarré des cabarets… Grave et boisée, la contrebasse introduit « Rétrospection », avant que Derache n’expose le thème, solennel, soutenu par une ligne sourde de Le Jeune et un Poyraz luxuriant, auteur d’un chorus mat et puissant. « Denya quoi ! » commence par un slam moyen-oriental profond, renforcé par la ligne sourde de la contrebasse et le bruissement de la batterie. La suite s’inscrit dans une lignée musette moyen-orientale avec les vocalises et modulations de Saïdi, entrecoupées de spoken word, sur des motifs chaloupés. « Chez Odette » tangue au rythme des phrases sinueuses et énergiques de Derache, des shuffle de Le Jeune et des frappes touffues de Poyraz. « La poule aux yeux d’or » n’est pas franchement gaie : l’accordéon étire une valse sur une contrebasse minimaliste. Les cliquetis de Poyraz redonnent de la vitalité au morceau et Le Jeune continue dans la même veine, avant que le trio ne parte dans une ronde joyeuse.

Rue de Tanger rejoint le monde du jazz musette cher à Richard Galliano. Simone est un disque qui pétille de bout en bout, avec des mélodies chantantes et des rythmes pétulants !


Le disque

Simone
Rue de Tanger

Laurent Derache (acc), Pierre-Yves Le Jeune (b) et Dogan Poyraz (perc), avec Sofiane Saïdi (voc).
Wopela
Sortie le 21 août 2020

Liste des morceaux

01.« La Zingara », Jo Privat (6:14).
02.« Simone » (6:18).
03.« Balajo », Jo Privat (5:23).
04.« Rétrospection » (8:30).
05. « Denya quoi! » (5:49).
06. « Chez Odette » (4:26).
07. « La poule aux yeux d'or » (5:41).

Tous les morceaux sont signés Le Jeune, sauf indication contraire.

17 septembre 2020

Faune - Raphaël Pannier

Installé aux Etats-Unis depuis 2008, année de son admission au Berklee College of Music, Raphaël Pannier compte déjà plus d’une vingtaine d’albums à son actif, mais sort Faune, son premier disque en leader le 18 septembre 2020 chez French Paradox.

Le batteur s’entoure d’un trio de haut vol : Miguel Zenón au saxophone alto (David Sánchez, Ray Barretto, SFJazz Collective, Liberation Music Orchestra…), Aaron Goldberg au piano (Joshua Redman, Kurt Rosenwinkel, Wynton Marsalis…) et François Moutin à la contrebasse (Jean-Michel Pilc, Antoine Hervé, Rudresh Mahanthappa…). Le pianiste classique Giorgi Mikadze est également invité sur trois morceaux.

Le répertoire de Faune s’articule autour de sept compositions de Pannier, deux standards jazz – « Lonely Woman » d’Ornette Coleman, tiré de The Shape of Jazz to Come de 1959, et « E.S.P. » de Wayne Shorter, extrait du disque éponyme de 1965 –, un thème signé Hamilton de Holanda, « Capricho de Raphael » (Caprichos – 2014) et deux morceaux classiques : « Le baiser de l’enfant Jésus » d’Olivier Messiaen (quinzième pièce de Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus – 1944) et « Forlane » de Maurice Ravel (troisième mouvement du Tombeau de Couperin – 1917). A noter sur la pochette du disque une inversion de titre entre « Forlane » et « Fauna ».

D’entrée de jeu, le quartet frappe fort : « Lonely Woman » fait sans doute partie des plus beaux standards du jazz et Zenón l’interprète avec beaucoup de sensibilité, soutenu par les accords arpégés de Goldberg, le balancement subtil de Moutin et les frappes profondes de Pannier. D’abord lent et tendu, le morceau s’emballe quand le saxophone alto se lance dans des phrases véloces, tandis que la contrebasse joue des lignes grondantes et que la batterie tonne. « Midtown Blues », joué en trio piano – contrebasse – batterie, démarre comme du hard-bop : un exposé abrupt et rapide à l’unisson. Le trio dialogue avec verve ! Goldberg montre la variété de son jeu : accords malins et série de questions-réponses astucieuses. Moutin n’est pas en reste, avec un chorus vif et boisé et des passages en walking basse rapide, accompagnée par le chabada impétueux de Pannier Dans « Lullaby », Zenón parsème son discours de touches moyen-orientales et développe le thème en boucles avec Goldberg et Moutin, alors que Pannier passe d’un drumming en suspension à des coups puissants et touffus. C’est un quatuor sans contrebasse, mais avec le saxophone alto et Mikadze au piano, qui interprète « Le baiser de l’Enfant-Jésus », dans un style chambriste élégant, agrémenté de contre-chants, et souligné par le glissement souple des balais. Un déferlement de vagues introduit « E.S.P. ». Le thème est d’autant plus entraînant que Zenón et Goldberg prennent des solos fluides et nerveux, dans un esprit néo-bop, pendant que Moutin et Pannier déroulent une walking et un chabada énergiques. Retour à la musique de chambre : « Forlane » est interprétée avec légèreté, dans une veine classique. Quant à « Fauna », il fleure bon la musique latino : thème chaloupé, riff déhanché de la contrebasse, jeux en accords du piano et batterie dansante. Dans le « Capricho de Raphaël », les chorus lestes de Moutin et Goldberg évoquent un peu les phrases allègres du bandolim d’Holanda, puis, sur les cliquetis de Pannier, le trio fait monter la tension. Le motif de « Monkey Puzzle Tree » se rapproche lui aussi de la musique de chambre. Le chorus du saxophone alto est séduisant, les interactions ingénieuses et la batterie particulièrement musicale.

Pannier peut être fier de sa Faune bigarrée et fougueuse : à quand sa Flore ?

Le disque

Faune
Raphaël Pannier
Miguel Zenón (as), Aaron Goldberg (p), François Moutin (b) et Raphaël Pannier (d), avec Giorgi Mikadze (p).
French Paradox – FP.004
Sortie le 18 septembre 2020.

Liste des morceaux

01. « Lonely Woman », Coleman (10:00).
02. « Midtown Blues » (5:23).
03. « Lullaby » (6:38).
04. « Le baiser de l’Enfant-Jésus », Messiaen (8:38).
05. « Intro to ESP » (0:53).
06. « E.S.P. », Shorter (6:00).
07. « Outro to ESP » (0:51).
08. « Forlane », Ravel (7:21).
09. « Fauna », (6:36).
10. « Capricho de Raphael », de Holanda (5:15)
11. « Monkey Puzzle Tree » (5:23).
12. « Monkey Puzzle Tree Final » (2:09).

 Tous les morceaux sont signés Pannier sauf indication contraire.

13 septembre 2020

Deux disques d’Alexandra Grimal

Dès le début de sa carrière, Alexandra Grimal s’est illustrée sur la scène des musiques improvisées par une approche expérimentale personnelle, enrichie auprès de Jean-Jacques Birgé, Benjamin Duboc, Joëlle Léandre, l’ONJ d’Olivier Benoît

C’est sur le récent label OVNI qu’elle a créé (à ne pas confondre avec Objet Vinyle Non-Identifié ou avec le label de musique hi-tech éponyme) que Grimal sort deux double-albums : Nāga en Avril 2019 et The Monkey in The Abstract Garden en juillet 2020.

Les deux pochettes des disques, d’un blanc élégant, sont illustrées par des dessins abstraits minimalistes signés Grimal.


Nāga


Grimal place Nāga sous le signe des mythologies (peut-être un clin d’œil à son père, Nicolas, égyptologue renommé). A commencer par le titre de l’album, référence à un être mythique de l’hindouisme – serpent – qui garde les trésors de la terre… Tout un programme ! Les Incas sont évoqués à travers « Inti », force divine liée au soleil. « Perseús » est évidemment le roi argien qui décapita la Méduse, selon la légende grecque. Quant à l’Egypte antique (n’oublions pas que Grimal est née au Caire), elle a droit à « Noun », l’océan primordial, source de vie et de mort, « Rê », le dieu solaire créateur de l’univers, et la terrible « Sekhmet », fille de Rê. Deux morceaux échappent à la mythologie : « Meltémi », nom grec de l’étésien, ce vent puissant qui souffle sur le bassin méditerranéen oriental, et « Cambium », le tissu situé entre le bois et le liber, responsable de la formation du bois… Le nom des morceaux, tous signés Grimal, illustre parfaitement chaque ambiance.

Pour affronter toutes ces créatures divines, Grimal s’entoure de musiciens plus armés les uns que les autres : la voix expérimentale de Lynn Cassiers, La guitare « éclectrique » de Marc Ducret et celle « acousticréatrice » de Nelson Veras, les claviers avant-gardistes de Josef Dumoulin, le piano moderne de Benoît Delbecq et les percussions luxuriantes de Stéphane Galland.

La plupart des morceaux sont construits autour de plusieurs mouvements. Dans le premier mouvement de « Inti », des vocalises dissonantes aux contours légèrement pop flottent au-dessus des phrases heurtées, jouées à l’unisson, de la batterie foisonnante et, en arrière-plan, des nappes de sons déployées par la guitare et le piano. Le deuxième mouvement rappelle un peu l’ambiance de Qui parle ?, disque que Ducret a sorti en 2003. C’est d’ailleurs lui qui récite « Printemps Noir », un texte de l’écrivain polonais Bruno Schulz. Autre point commun des pièces de Nāga, leur durée : il y a sept morceaux pour quatre-vingt-neuf minutes de musique. Enchaîné sans transition avec « Inti », « Meltemi » n’échappe pas à la règle et se déroule sur onze minutes. La sonorité chaude de la guitare acoustique, le discours sinueux de Veras et les frappes poly-rythmiques de Galland contrastent avec les accords lointains et saturés de Ducret. L’intervention de Grimal reste dans l’esprit du chorus de Veras, tandis que Dumoulin assure une ligne de basse sourde au Fender. Avec ses unissons aériens, portés par les roulements de la batterie et les accords planants de la guitare, le deuxième volet de « Meltemi » est apaisé, puis les jeux de voix, les gazouillements, les effets électro et la mélopée minimaliste transportent l’auditeur dans un univers proche de la musique contemporaine. L’ambiance austère de « Noun » est accentuée par la ligne mélodique étirée du saxophone, les boucles de la guitare, les percussions dans un style gamelan et le chant, tranquille. La dernière partie passe d’un air solennel à des bruitages de science-fiction : grésillements, grincements, crissements, spatialisation du son… Changement de décor avec « Rê » : Galland imprime une pulsation légère et entraînante pendant que le reste de l’orchestre alterne unissons et contre-chants dans un environnement dense. Grimal prend un chorus tendu, pimenté d’accents moyen-orientaux et d’envolées free. La voix diaphane de Cassier s’élève au-dessus des bruitages électro et du foisonnement sonore, avant de partir dans un duo quasi-religieux avec le piano. Une mélodie minimaliste, élégante, murmurée apporte également une touche mystique à « Sekhmet », qui prend ensuite une direction pop, sur des échanges touffus entre tous les instruments. Dans un troisième temps, après un chorus acoustique, la guitare se lance dans un dialogue raffiné avec le soprano. Quand le groupe se retrouve, « Sekhmet » monte en puissance, poussé par la batterie, particulièrement énergique et entraînante. Le soprano virevolte au-dessus de la mêlée, dans une atmosphère intense entre free contemporain et M’Base. Le calme après la tempête : « Perseus » est un duo voix – piano tout en apesanteur. Quant à « Cambium », qui clôt le répertoire, il commence dans un décor de science-fiction, comme « Noun », avec des nappes de sons en fond, les cliquètements de la batterie, des traits véloces de la guitare, un Fender distant et cristallin, un saxophone tremblotant… L’arrière-plan du deuxième mouvement s’inspire de nouveau du gamelan, tandis que la voix est passée à la moulinette d’effets électro en tous genres. Dans la troisième partie, c’est le sopranino qui accompagne le récitatif sur le cambium. La conclusion de « Cambium » est puissante et entraînante.

Nāga est un album sophistiqué et profond. Grimal puise aussi bien son inspiration dans la musique contemporaine que dans le jazz et la pop progressive pour construire un monde onirique…

Le disque


Nāga
Alexandra Grimal
Alexandra Grimal (ts, ss, sops, voc), Lynn Cassiers (voc, electro), Marc Ducret (g, sg, voc), Nelson Veras (g), Josef Dumoulin (kbd, electro, p), Benoît Delbecq (p) et Stéphane Galland (d).
OVNI
Sortie en avril 2019

Liste des morceaux

Disque 1

01. « Inti » (6:55).
02. « Meltemi » (11:05).
03. « Noun » (11:35).
04. « Rê » (18:51).

Disque 2

01. « Sekhmet » (21:07).
02. « Perseus » (6:43).
03. « Cambium » (11:56).

Tous les morceaux sont signés Grimal.


The Monkey in The Abstract Garden


The Monkey in The Abstract Garden est un diptyque : le premier disque est la suite pour saxophone soprano en neuf mouvements, Ma, et le deuxième disque regroupe dix pièces pour voix et électronique, manipulée par Benjamin Lévy.

Comme le précise Grimal, Ma « est un terme japonais qui signifie « intervalle », « espace », « durée », « distance » ». Ce qui décrit parfaitement l’esprit de la suite. La musicienne choisit le raffinement (cinquième et huitième mouvements), la limpidité (sixième mouvement), la majesté (quatrième et neuvième mouvements)… Ses lignes mélodiques, souvent dissonantes, mais d’une étrange pureté (premier mouvement) se déroulent sereinement (huitième mouvement), avec des inflexions délicates (premier mouvement). L’artiste s’affranchit de toute carrure harmonique et rythmique pour se concentrer sur le son et le silence. C’est d’ailleurs l’utilisation particulièrement réussie des silences qui donne à Ma son élégance solennelle et sensible (sixième mouvement). Les silences aèrent le monologue (septième mouvement), servent de ponctuation (huitième mouvement) ou se fondent dans les airs (troisième mouvement). Même si l’ensemble est empreint de sobriété (septième mouvement), voire d’un certain minimalisme (huitième mouvement), Grimal pimente ses propos de traits vifs (cinquième mouvement), comme des pépiements (deuxième mouvement), mais aussi d’accélérations (troisième mouvement), de figures agiles (troisième mouvement) et de variations du volume sonore (huitième mouvement), sans aucune démonstration de virtuosité inutile. La sonorité est droite, claire et crue, tandis que le phasé est net et précis. Elle privilégie le registre aigu du soprano, place fréquemment des sauts d‘intervalles (sixième mouvement) et ne fait que rarement appel aux techniques étendues (neuvième mouvement).

D’une grande cohérence, d’une structure formelle soignée et d’une expressivité remarquable, les mouvements de Ma évoquent une suite ornithologique...

Changement radical de décor dans le deuxième disque. Il s’agit d’une installation sonore qui a été notamment montée dans le jardin suspendu de la rue de Bagnolet, dans le vingtième arrondissement de Paris, du 4 au 7 août 2020. Les dix morceaux ont tous des noms liés à la nature : « Arbres », « Steppes », « Fougères », « Pollen »… Si la plupart des morceaux se basent sur des vocalises, il y a également des scansions de noms de fleurs (« Graines », « Milieu sec »), un texte sur les plantes (« Soufles ») et un air en anglais (« Friche »). Tour à tour murmures (« Pépiements »), complainte (« Steppes »), chuchotements (« Souffles »), bourdonnements (« Fougères »), sifflements (« Pépiements »), onomatopées (« Oiseaux »)... Grimal jongle avec sa voix, qu’elle sculpte à l’aide d’effets : échos (« Milieu sec »), réverbération (« Graines »), stéréo (« Fougères »), éloignement (« Arbres »)... Les vocalises sont le plus souvent éthérées (« Arbres ») et planantes (« Steppes »). Ce qui renforce le côté méditatif de cette musique. L’accompagnement électro de Lévy est subtil et plante le décor des saynètes. Il reprend en filigrane les modulations (« Steppes »), carillonne discrètement (« Souffle »), déploie une nappe de sons en arrière-plan (« Arbres »), bruisse comme des cigales (« Fougères »), crépite (« Pollen »)… sans jamais prendre le pas sur la voix.

The Monkey in The Abstract Garden est à mi-chemin entre la musique concrète et la musique méditative. Zen, tout en étant expressive, elle est finalement plus figurative qu’abstraite. Ce serait une bande-son idéale pour accompagner les déambulations dans les Jardins d’Etretat, où nature, sculptures et musique entreraient en parfaite communion...


Le disque

The Monkey in The Abstract Garden
Alexandra Grimal
Alexandra Grimal (ss, voc) et Benjamin Lévy (électro).
OVNI
Sortie en juillet 2020

Liste des morceaux

Disque 1

01. « Ma 1 » (4:00).
02. « Ma 2 » (2:10).
03. « Ma 3 » (10:05).
04. « Ma 4 » (2:57).
05. « Ma 5 » (1:43).
06. « Ma 6 » (3:47).
07. « Ma 7 » (6:36).
08. « Ma 8 » (9:31).
09. « Ma 9 » (3:01).

Tous les morceaux sont signés Grimal.

Disque 2

01. « Graines » (1:12).
02. « Steppes » (10:19).
03. « Souffles » (7:40).
04. « Pépiements » (2:22).
05. « Arbres » (8:02).
06. « Milieu sec » (2;34).
07. « Fougères » (4:28).
08. « Oiseaux » (4:21).
09. « Pollen » (1:11).
10. « Friche » (7:04).

Tous les morceaux sont signés Grimal et Lévy.

11 septembre 2020

A la découverte de Raphaël Pannier

Rapahël Pannier n’a pas encore eu le temps de se faire un nom en France, mais cela ne saurait tarder ! De retour à Paris après une dizaine d’années passée aux Etats-Unis, le batteur sort son premier disque en leader, Faune, publié chez French Paradox le 18 septembre 2020. L’occasion de partir à la découverte d’un musicien passionné…

 

La musique

Le choix de la batterie s’est fait très naturellement, de manière évidente : quand j’avais deux ou trois ans, je tapais déjà partout et adorais chanter des rythmes. Je me souviens avoir été marqué par un reportage à la télé sur Doudou N’Diaye Rose, un très grand percussionniste sénégalais. Il enregistrait un disque avec une centaine de percussionnistes ! Ça m’a complètement fasciné ! A partir de là, mon attrait pour la batterie s’est développé pour devenir une passion… C’est inexplicable !


Raphaël Pannier © Jean-Baptiste Millot

A cinq ans, j’ai commencé l’apprentissage de la musique au conservatoire municipal. C’est à peu près l’année suivante que j’ai découvert le jazz : j’étais déjà fou de batterie et de percussions et ma mère m’a offert un disque d’Art Blakey. Je n’écoutais que les solos de batterie ! Et je les connais encore par cœur, évidemment ! Par la suite, je me suis intéressé au jazz plus sérieusement : passionné par la batterie et l’improvisation, le jazz est devenu incontournable...

J’ai fini le programme du conservatoire vers quatorze ans et j’ai enchaîné avec des cours particuliers en France. A dix-neuf ans, je suis parti à Boston pour étudier au Berklee College of Music. Quatre ans après, j’ai déménagé à New York et passé mon Master à la Manhattan School of Music. En parallèle j’accompagnais de nombreux musiciens. J’ai vécu six ans à New-York, donc dix ans en tout aux Etats-Unis, et là, je viens de me réinstaller à Paris.

J’ai été influencé par beaucoup de musiciens ! D’abord Doudou N’Diaye Rose bien sûr, mais aussi Art Blakey et Elvin Jones, que j’ai pu voir quand j’avais six ans… Sinon, il y a aussi mes professeurs : Thomas Patris, Ralph Peterson Jr. et Hal Crook. Plus récemment, Obed Calvaire, qui est à la fois un mentor et un ami. J’ai également eu la chance de suivre un stage de deux semaines avec l’un de mes héros vivant de la batterie, Eric Harland, dont je me suis beaucoup rapproché. Mais mon batteur favori reste Brian Blade. En dehors des batteurs, tous les musiciens avec qui je joue me marquent… La liste est longue, mais celui qui me vient à l’esprit immédiatement, c’est Emil Afrasiyab, un pianiste incroyable !... Il y a tellement de musiciens que j’admire… Allez ! J’en choisis trois : Brad Mehldau, Wayne Shorter et Miguel Zenón

 

Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? La liberté.

Pourquoi la passion du jazz ? L’écoute de l’autre, le don de soi… Le besoin crucial d’authenticité, d’humilité et de générosité… La traduction d’un « moment » éphémère…

Où écouter du jazz ? N’importe où, mais allez voir des très grands ! Ça vaudra toujours le coup : vous découvrirez la liberté !

Comment découvrir le jazz ? En concert ! C’est très important pour comprendre ce qui se passe, sentir l’énergie, ressentir l’importance du « moment »…

Une anecdote autour du jazz ? Un des meilleurs concerts que j’ai vu, surtout au niveau batterie : Obed Calvaire et David Binney qui jouent au 55 Bar, à New York, avec Ambrose Akinmusire en invité spécial… Jusqu’à trois heures du matin, sans aucun « filet » ou « filtre »... De la pure liberté… Incroyable !

 

Les bonheurs et regrets musicaux

L’un de mes grands bonheurs est d’avoir enregistré ma musique avec mes héros musiciens : Miguel Zenón, Aaron Goldberg et François Moutin. C’est l’aboutissement de mes dix années passées aux Etats-Unis...

Pour la petite histoire : quand j’avais six ans, je suis allé voir François jouer au théâtre de Suresnes tous les soirs… Il accompagnait Antoine Hervé dans le spectacle « Mozart, la nuit ». Ce théâtre était dans le même immeuble que mon conservatoire et je connaissais un chemin secret pour m’introduire dans la salle et écouter les concerts… Je rêvais déjà de jouer avec François… Et quelques vingt-deux années plus tard, mon rêve s’est réalisé !... Miguel et Aaron sont des rêves plus tardifs mais aussi forts… Je les admire énormément !

Je ne pense pas avoir de regrets. Je suis fier de mon parcours aux Etats-Unis et aurais justement regretté de ne pas l’avoir fait. Evidemment j’aurais souhaité avoir toujours plus d’opportunités… Mais on rêve toujours d’avoir plus !

 

Sur l’île déserte…

Quels disques ? Djabote de Doudou N'Diaye Rose, Day Is Done de Brad Mehldau, Four & More de Miles Davis, Directions in Music: Live at Massey Hall d’Herbie Hancock, When the Heart Emerges Glistening d’Ambrose Akinmusire.

Quels Livres ? Le Petit Prince d’Antoine de Saint Exupery.

Quels films ? J’adore tout Quentin Tarantino, Pedro Almodóvar et Joel & Ethan Cohen.

Quelles peintures ? Toute l’œuvre de Michel-Ange… Ses sculptures m’ont particulièrement marqué.

Quels loisirs ? Les échecs.




Les projets

Dans l’immédiat je me concentre sur la sortie de Faune pour faire tourner le quartet et trouver de beaux concerts ! Sinon je dois aussi me réinstaller en France… Et comme j’ai remporté la bourse FACE (French-American Cultural Exchange) pour enregistrer un nouvel album avec Miguel Zenón en 2021, je compose !...

 

Trois vœux…

1. Artistique : développer ma carrière en leader et sideman. Réussir à jouer avec mes héros, comme Brad Mehldau. Faire des concerts magiques et toucher mon public ! Inviter / inspirer à toujours plus d’authenticité…

2. Personnel : me développer dans mes deux mondes, France – Etats-Unis, construire ma famille et garder des liens forts avec mes amis.

3. Extra-personnel : souhaiter au monde autant de bonheur que le mien !

  

Jazzquizz de septembre 2020

04 septembre 2020

Les grilles de Bob... Septembre 2020




Horizontal
A Indique le tempo à l'orchestre.
B Barbarisme pour une fantaisie composée pour un soliste.
C Notice irréprochable.
D Heureusement que les aveugles en ont.
E Il porte le nom de la ville où est né Bird.
        Putseys de son vrai nom.
F Il faut en avoir pour faire des gigs alimentaires.
G Patrie du jazz.
        Elle est anonyme.
        Quand on y passe c'est pour de bon.
H Initiales d'un tromboniste de l'orchestre de Satchmo.
        Sans lui, la fille d'Ipanema ne serait pas ce qu'elle est.
I Label de musique classique d'un gros consortium.
        Patrie d'un Parker qui n'est pas celui qu'on croit.
J Monk l'a fait six ans avant sa mort.

Vertical
1 Le trombone à piston est son instrument favori.
2 Initiales d'un pianiste qui n'a pas peur des leçons.
        La musique qu'on y entend est souvent du smooth jazz.
3 Sur des bambous, bien sûr !
        L'ado.
4 Initiales d'un contrebassiste de Bird.
        Album d'un pianiste italien dans lequel joue un bugliste américain.
        Avec WK et JC, il formait une rythmique historique.
5 S'ils ne l'avaient pas fait, le jazz ne serait pas.
6 Nom de scène d'une musicienne pop danoise.
        Ses prénom, surnom et nom commencent comme ça.
        Qui le fait assidûment, jouera bien. 
7 Prénom d'un batteur qui a remplacé Billy Higgins dans un certain quartet.
        Ce lever est dur pour maints musiciens de jazz.
8 Une deuxième personne de l'imparfait du subjonctif indéniable.
9 Prénom de l'un des fondateurs du Jazz Composers Collective.
        Groupe pop inspiré par l'Islande.
        D.
10 Il reproduit numériquement du son.

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