18 octobre 2020

Remembering Jaco Pastorius – Multiquarium Big Band & Biréli Lagrène

Après avoir joué aux côtés de
Didier Lockwood au début des années quatre-vingt-dix, André Charlier et Benoît Sourisse forment un duo de choc. En 1999, le violoniste, l’organiste et le batteur cofondent le Centre des Musiques Didier Lockwod  (CMDL) puis, en 2001, ils sortent Gemini avec Jerry Bergonzi en guest star. C'est le premier album sous le nom « Charlier/Sourisse », qui devient au fil des ans une véritable marque de fabrique. Suivront Eleven Blues (2004) avec Kenny Garrett, Héritage (2007) avec Kurt Rosenwinkel, Imaginarium (2010), European New Quartet (2018) et Tales From Michael (2019), un hommage à Michael Brecker avec Louis Winsberg.


Quant à l'épisode Multiquarium, il commence en 2013 avec un disque éponyme en compagnie du trompettiste Claude Egéa, du saxophoniste Stéphane Guillaume, du guitariste Pierre Perchaud et du contrebassiste Jean-Michel Charbonnel. Quelques années plus tard, le sextet est devenu un orchestre de dix-sept musiciens qui publie Multiquarium Big Band en 2016, avec des arrangements signés Carine Bonnefoy et Pierre Drevet. Forts de cette expérience, Charlier/Sourisse décident de poursuivre l'aventure en jouant la musique de Jaco Pastorius. Remembering Jaco sort le 16 octobre 2020 chez Naïve Records et il est dédié à « notre grand ami Didier Lockwood ».


Décédé le 21 septembre 1987 à Fort Lauderdale, Pastorius n'avait que trente-cinq ans. Non content d'avoir révolutionné la basse électrique, Pastorius a également fait partie, entre 1976 et 1982, de l'un des premiers et des plus influents groupes de jazz-fusion : Weather Report.  Pour tenir le rôle du bassiste, Charlier/Sourisse font appel à un… guitariste ! Mais pas n'importe lequel : Biréli Lagrène, qui, pour l'occasion, troque la six cordes pour une basse électrique fretless, comme celle de son illustre prédécesseur. Sans oublier que Lagrène connaît bien Pastorius car ils ont joué ensemble à New York en 1985, puis tourné en Europe et publié Stuttgart Aria en 1986. Autre invité d'honneur, Peter Erskine, batteur de Weather Report de 1978 à 1982, à qui revient la tâche de présenter Remembering Jaco. Charlier/Sourisse ont également demandé à Yannick Boudruche de chanter « Fanny Mae ».


Globalement, il y a peu de changements dans le Multiquarium Big Band par rapport à l'équipe de 2016 : Erick Poirier et Yves Le Carboulec  rejoignent Egéa et Drevet aux trompettes,  Stéphane Chausse se joint à Lucas Saint-Cricq, Guillaume, Frédéric Borey et Frédéric Couderc dans la section des hanches, Denis Leloup, Damien Verherve, Philippe Georges et Didier Havet sont toujours derrière les pupitres des trombones, Perchaud tient encore la guitare et les percussions de Nicolas Charlier continuent d’accompagner la batterie. Les morceaux ont été arrangés par Sourisse, Guillaume, Drevet ou Nicolas Folmer.


En introduction, Erskine pose une question qui lui sert de fil conducteur pour commenter Remembering Jaco : « la question que les étrangers me posent le plus souvent c’est : comment c’était de jouer avec Jaco ? ». 


Le périple de Multiquarium Big Band commence par « (Used To Be a) Cha Cha », tiré du premier disque de Pastorius en leader, sorti en 1976, et dans lequel il affiche déjà son goût pour les orchestres à dimension variable, avec quelques musiciens aux côtés desquels il fera un bout de route, comme Herbie Hancock, Wayne Shorter, Randy et Michael Brecker, Don Alias, Narada Michael Walden, Lenny White… Nerveux et tonitruant, « (Used To Be a) Cha Cha » ressemble à une bande originale des années soixante-dix, avec un Lagrène véloce et mélodieux à l’instar de Pastorius et un Guillaume convaincant à la flûte. 


C’est dans Black Market, le septième album de Weather Report, publié en 1976, que Pastorius fait ses débuts avec Joe Zawinul et sa bande. Le bassiste joue sur « Cannon Ball », hommage à Cannonball Adderley, décédé en 1975, et sur sa composition « Barbary Coast », que Charlier/Sourisse interprètent dans une ambiance soul funky foisonnante, soutenus par la basse virevoltante de Lagrène et le chorus relevé de Saint-Cricq.


« Liberty City » est au répertoire de Word of Mouth, deuxième disque de Pastorius sous son nom, édité en 1981. Pastorius reprend souvent ce morceau, notamment lors d’une tournée avec son big bang de 1981 à 1983. Big band dans lequel nous retrouvons notamment Randy Brecker et Don Alias, mais aussi Bob Mintzer, Toots Thielemans et… Peter Erskine. Les concerts au Japon sont enregistrés et sortent sur disque en 1983 sous le titre Invitation, du thème éponyme de Bronislaw Kaper. Le Multiquarium Big Band enchaîne les deux morceaux dans un esprit voisin des originaux. Là encore, les unissons brillants et la vivacité rythmique mettent en relief le côté cinématographique des morceaux de Pastorius. Le trombone élégant de Leloup, le saxophone soprano tourbillonnant de Guillaume, la basse virtuose de Lagrène, le piano entraînant de Sourisse et les percussions puissantes des Charlier viennent animer les morceaux. « Continuum », également au programme d’Invitation, s’appuie sur un dialogue la ligne de basse, un brin nostalgique, et l’orchestre, brillant.


Speak Like A Child est un album « classique » d’Hancock sorti en 1968. Dans son premier disque, Pastorius en reprend le morceau-titre qu’il associe à « Kuru ». Riffs rapides, percussions ardentes et chœurs impétueux permettent au piano de Sourisse et au ténor de Borey de laisser voguer librement leurs phrases aux accents bluesy.  


« Teen Town » est extrait de Heavy Weather, huitième album de Weather Report – 1977 – dans lequel Pastorius joue pour la première fois sur tous les titres. Dans ce morceau funky, le jeu de Lagrène évoque Pastorius avec maestria.


Charlier/Sourisse réinterprètent ensuite « Three Views of A Secret » de Word of Mouth en mettant l’accent sur le caractère mélancolique de cette ballade. La clarinette de Chausse, la guitare de Perchaud et le bugle d’Egéa s’envolent sur les volutes de l’orchestre. 


Toujours dans Heavy Weather, « Palladium » est une composition de Shorter, avec un balancement et une joie rythmiques qui rappellent une samba. Le ténor de Guillaume et la trompette de Drevet emmènent le morceau vers des horizons hard-bop aux touches funky.


Remembering Jaco s’achève sur « Fannie Mae », tube de 1959 chanté par Buster Brown, et qui est au menu d’Invitation. Un rock’n roll chanté par Boudruche dans la plus pure tradition et mis en relief par les chorus de Sourisse à l’orgue Hammond et Verherve au trombone.


Le mot de la fin revient à Erskine : « Donc… comment c’était de jouer avec Jaco ? En un mot, c’était… chouette ! »… comme Remembering Jaco !


Le disque


Remembering Jaco Pastorius
Multiquarium Big Band & Biréli Lagrène
Claude Egéa, Pierre Drevet, Erick Poirier, Yves Le Carboulec (tp), Stéphane Chausse (as, cl), Lucas Saint-Cricq (as, ts), Stéphane Guillaume (ss, ts, fl, cl), Frédéric Borey (ts), Frédéric Couderc (bs, bcl), Denis Leloup, Damien Verherve, Philippe Georges (tb), Didier Havet (btb), Pierre Perchaud (g), Benoît Sourisse (p, org), Biréli Lgrène (b), André Charlier (d) et Nicolas Charlier (perc), avec Yannick Boudruche (voc) et Peter Erskine (voc).
Naïve Records – NJ7195
Sortie le 15 octobre 2020.


Liste des morceaux


    01. « Introduction », Peter Erskine (1:19).
    02. « Used to Be a Cha Cha » (4:49).
    03. « Barbary Coast » (6:19).
    04. « Interlude # 1 », Peter Erskine (1:08).
    05. « Liberty City » & « Invitation », Bronislaw Kaper (9:46).
    06. « Continuum » (2:01).
    07. « Kuru » & « Speak Like a Child », Herbie Hancock (6:42).
    08. « Interlude # 2 », Peter Erskine (1:30).
    09. « Teen Town » (3:32).
    10. « Three Views of A Secret » (6:15).
    11. « Palladium », Wayne Shorter (8:15).
    12. « Conclusion », Peter Erskine (2:10).
    13. « Fannie Mae », Clarence L. Lewis, Morris Levy & Waymon Glasco (3:46).

Tous les morceaux sont signés Pastorius sauf indication contraire.