26 novembre 2022

La bibliothèque Andrée Chedid monte le son…

Du 3 novembre au 3 décembre les bibliothèques de Paris organisent le festival Monte le son, qui, en 2022, est consacré au jazz. La programmation est riche et variée : des conférences (Joëlle Léandre sur la place des femmes dans le jazz, Franck Bergerot sur Mary Lou Williams, Toshiko Akiyoshi et Carla Bley, Lionel Eskenazi sur Charles Mingus…), des ateliers animés par David Patrois, des expositions photos (Fabrice Journo) et, bien sûr, des concerts avec, entre autres, Madeleine et Salomon, Claudia Solal et Benjamin Moussay, le trio ETE (Andy Emler, Claude Tchamitchian, Eric Echampard)…

Le 19 novembre, la bibliothèque Andrée Chedid accueille le Sébastien Paindestre Trio. Depuis près de quinze an, Paindestre joue avec ses deux compères, Jean-Claude Oleksiak à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie, un répertoire qui va des standards à des tubes pop, en passant par des compositions originales. Le trio a enregistré quatre disques : Ecoutez-moi (2005), Parcours (2008), Live @ Duc des Lombards (2010) et Paris (2016).

Sébastien Paindestre (c) PLM

La petite salle d'animation de la bibliothèque affiche complet. Le piano d’étude Yamaha, le clavier Nord, la contrebasse et la batterie Remo n’attendent plus que les musiciens… Paindestre présente le concert comme un voyage musical des Etats-Unis à l’Europe en passant par le Brésil, entre standards, reprises de chansons pop et compositions originales.

Jean-Claude Oleksiak (c) PLM

Le trio commence par « Bud Powell », signé Chick Corea, un morceau construit dans l’esprit be-bop : thème – chorus – thème, walking, chabada et vélocité contrôlée ! Toujours aux USA, George Cables est un pianiste sous-estimé, malgré ses enregistrements pour SteepleChase, ses duos avec Art Pepper et autres disques avec Bobby Hutcherson, Archie Shepp, Joe Henderson… Il est l’auteur de plusieurs morceaux devenus classiques, à l’instar de « Naima’s Love Song ». Après une entame abrupte, Paindestre développe la jolie mélodie avec élégance, sur une rythmique tendue, dans une ambiance néo-bop. Après un vol au-dessus de l’Atlantique, voilà le trio en Angleterre, chez les Beatles, avec « Mother Nature’s Son » de Paul McCartney. La version qu’en donnent les trois musiciens repose sur une carrure de basse solide, une batterie syncopée et des claviers groovy. « Crystal Corea », composition de Paindestre dédiée au pianiste, décédé en février 2021, revient dans une dynamique be-bop, fluide et énergique. Radiohead – groupe fétiche de Paindestre, célébré notamment avec son Amnesiac Quartet – fournit « Everything in Its Right Place », traité en douceur sur une rythmique entraînante, et qui débouche sur un riff funky inspiré d’« In a Silent Way ». Paindestre et Oleksiak exposent à l’unisson « Luiza ». La belle mélodie nostalgique d’Antonio Carlos Jobim est mise en relief par un chorus particulièrement musical de la contrebasse, une batterie toute en finesse et un piano aux lignes staccato, qui clôture le thème sur une citation du « clavier bien tempéré ». « En rouge » est le morceau titre du disque éponyme d’Atlantico (2015), le quartet de Paindestre avec Dave Schroeder au saxophone, Martin Wind à la contrebasse et Billy Drummond à la batterie. Un thème-riff, une contrebasse puissante et une batterie foisonnante : le morceau est dense, avec une connivence évidente entre les trois musiciens et un solo de batterie imposant. Hommage aux attentats du 13 novembre 2015, « Gaza – Paris – Jérusalem » change d’ambiance en cours de route : d’abord emphatique et touchant, ensuite oriental et festif, puis chaotique et trapu, avant un retour à la mélancolie… La « Scottish Folk Song » de Walt Weiskopf s’apparente à une ritournelle, soutenue par une rythmique solide. « Pyramid Song », encore de Radiohead, conclut le concert sur une touche mélodieuse, portée par les traits vigoureux de la contrebasse et de la batterie.

Antoine Paganotti (c) PLM

Belle initiative de la part des Bibliothèques de Paris que ce festival, qui permet d’écouter d’aussi beaux concerts que celui du Sébastien Paindestre Trio !

16 novembre 2022

Exude - Francesca Han & Ralph Alessi

Le 6 octobre 2022
Francesca Han et Ralph Alessi sortent Exude, enregistré à La Buissonne pour le label Hanji. En 2011, la pianiste avait déjà enregistré Illusion avec le trompettiste, mais en quartet, avec Drew Gress ou Corcoran Holt à la contrebasse, et Justin Brown à la batterie.
 
Le duo propose six compositions de Han, trois d’Alessi, un chant traditionnel coréen, « Arirang » et le « Pannonica » de Thelonious Monk. La couverture bleue épurée de l’album est une œuvre du peintre argentin Lucio Fontana, père du mouvement spatialiste.
 
Une mélodie douce jouée à la trompette bouchée sur les lignes délicates du piano se mue en phrases légato aux nuances romantiques (« Apollo – Tokyo »). Les lignes sobres et veloutés de la trompette répondent aux phrases raffinées du piano (« Sage Advice »). Les traits bluesy de la sourdine wah-wah croisent les arabesques du piano dans un chant émouvant (« Arirang »). Une sonate au balancement subtil est à peine perturbée par quelques envolées de la trompette (« Camargue »). Des contre-chants sophistiqués et tranquilles accentuent l’intimité du tête-à-tête (« Humdrum »). Des boucles gracieuses et des dialogues mélodieux rivalisent d’élégance (« They Agree »). Une causerie aux accents contemporains débouche sur un unison mélancolique (« Throwing Like A Girl »). Un air nostalgique de la trompette wah-wah et un ostinato du piano plantent un décor cinégénique (« Diagonal Lady »). A capella, le piano développe un thème impressionniste dans l’esprit du début vingtième (« Présent »). Les volutes de la trompette et les motifs profonds du piano rendent un hommage poignant à Masabumi Kikuchi (« Chrysanthemum (for Kikuchi) »). « Pannonica » se pare d’échanges spirituels et de contrepoints distingués…

Ecoute, interaction et harmonie caractérisent la musique de Han et Alessi... Exude transpire la quiétude et la sagesse !

Le disque
 
Exude
Francesca Han & Ralph Alessi
Francesca Han (p) et Ralph Alessi (tp)
Hanji – HJCD001
Sortie le 6 octobre 2022
 
Liste des morceaux
 
01. « Apollo – Tokyo », Han (04:07).
02. « Sage Advice », Alessi (03:49).
03. « Arirang », Traditionnel (06:12).
04. « Camargue », Han (03:48).
05. « Humdrum », Alessi (04:51).
06. « They Agree », Han (03:42).
07. « Throwing Like A Girl », Alessi (03:58).
08. « Diagonal Lady », Han (04:17).
09. « Présent », Han (02:51).
10. « Chrysanthemum (for Kikuchi) », Han (05:22).
11. « Pannonica », Monk (04:16).

13 novembre 2022

Miniatures du dedans – Hirsute

En dehors des différents projets du collectif Pince-oreilles et autres,
Anne Quillier se partage entre Suricate, en solo, Watchdog, un duo en compagnie du clarinettiste Pierre Horckmans, Blast, un trio avec Horckmans et Guillaume Bertrand à la batterie, et son quintet Hirsute, dans lequel le contrebassiste Michel Molines et le saxophoniste baryton Damien Sabatier se joignent aux musiciens de Blast.

Miniatures du dedans, premier opus d’Hirsute, sort le 13 mai 2022 sur le label de Pince-oreilles. Les onze morceaux sont signés Quillier. La pochette, un peu dans l’esprit onirique d’un Douanier Rousseau légèrement psychédélique, est une création de l’artiste Lola Roubert.

Unissons mélodieux (« Miniatures du dedans »), broderies dans une veine classique (« Irruption volcanique »), mélodies-riffs aux allures de comptines (« L’homme et l’arbre »), lignes mélancoliques (« Longue route »), minimalistes (« Mouche borgne »), contemporaines (« Des souris dans le ventre »), proche des airs du vingtième (« Serrures »), quasi-klezmer (« Objets muets ») ou rock prog (« Pyramide de plasma ») : Quillier élabore des thèmes sophistiqués (« Le serviteur ivre ») qui swinguent constamment (« Un mot venu du dehors »). Les développements du quintet, qui évoquent la musique de chambre (« Des souris dans le ventre ») avec des contre-chants délicats (« Serrures » ), des contrepoints relevés (« Longue route ») et une construction en plusieurs mouvements (« L’homme et l’arbre »), s’appuient sur des pédales (« Un mot venu du dehors »), walking (« Serrures »), poly-rythmes chaloupés (« Longue route »), motifs en chœur (« Pyramide de plasma »), couleurs moyen-orientales (« Le serviteur ivre ») ou sud-américaines (« Miniatures du dedans »), frappes serrées et puissantes (« Pyramide de plasma »), carrures robustes (« Miniatures du dedans »)… Les croisements de voix sont touffus (« Mouche borgne »), voire débridés (« Pyramide de plasma »), avec, parfois, un côté fanfare circassienne (« Longue route »). Le piano gère la tension (« Miniatures du dedans ») à coup de phrases legatos (« Serrures »), d’ostinatos (« Irruption volcanique »), et autres soutiens harmoniques entraînants (« Miniatures du dedans »). Quant à la rythmique, elle maintient une pression constante (« Irruption volcanique ») et volontiers dansante (« Le serviteur ivre »). Cet alliage d’architecture raffinée, d’ambiance de danse et de variété de timbres donne un caractère tout à fait personnel à la musique d’Hirsute.

Captivantes, recherchées et énergiques, les Miniatures du dedans sont une superbe réussite !

Le disque

Miniatures du dedans
Hirsute
Pierre Horckmans (cl), Damien Sabatier (bs), Anne Quillier (p), Michel Molines (b) et Guillaume Bertrand (d).
Label Pince-oreille
Sortie le 13 mai 2022

Liste des morceaux

01. « Un mot venu du dehors » (05:29).
02. « Le serviteur ivre » (06:27).
03. « Irruption volcanique » (04:45).
04. « L'homme et l'arbre » (03:42).
05. « Mouche borgne » (04:33).
06. « Des souris dans le ventre » (05:10).
07. « Serrures » (04:39).
08. « Longue route » (05:14).
09. « Miniatures du dedans » (05:15).
10. « Objets muets » (03:23).
11. « Pyramide de plasma » (02:59).

Tous les morceaux sont signés Quillier.

08 novembre 2022

Le désert rouge embrase L’Ermitage…

Le 20 octobre 2022, Eve Risser et son Red Desert Orchestra fêtent à l’Ermitage la sortie d’Eurythmia chez Clean Feed Records. Le studio affiche archi-complet ! Au programme : Julia Robert, sa viole d’amour et ses chants Mapuches en première partie, Eurythmia en deuxième partie, et, en conclusion-surprise, Wassa Kouyaté du Kaladjula Band.

Eve Risser (c) PLM

Chanteuse, altiste et violiste, membre du trio Saltarello, du quartet Impact, du duo Exit, de l’orchestre ONCEIM... Julia Robert a également composé le solo Alètheia (« l’être vrai » en mapudungun), inspiré de chansons de la communauté Mapuche. « La canción de la fuerza » repose sur des vocalises puissantes, souvent écorchées, soutenues par les brefs traits mélodiques et bruitages joués à la viole d’amour. Lhymne à la terre, chanté en espagnol et porté par un ostinato, revient en territoire mélodique. Quant au dernier morceau, très rythmique, il s’apparente à une danse rituelle. L’univers musical d’Alètheia trouve ses origines dans une World Music nuancée de Free et de musique contemporaine.

Red Desert Orchestra & Guests (c) PLM

Créé le 22 février 2019 dans le cadre de Sons d’hiver, Eurythmia met en musique le Red Desert Orchestra et un trio rythmique burkinabé. Les douze musiciens débordent de la scène de l’Ermitage ! Aux côtés d’Eve Risser, Sakina Abdou au saxophone ténor, Antonin-Tri Hoang au saxophone alto, clarinettes et clavier, Grégoire Tirtiaux au saxophone baryton, Nils Ostendorf à la trompette et clavier, Matthias Müller au trombone, Tatiana Paris à la guitare, Fanny Lasfargues à la guitare basse, Mélissa Hié et Ophélia Hié au balafon, Oumarou Bambara au djembé et n’goni, et Emmanuel Scarpa à la batterie. L’orchestre reprend cinq pièces tirées du disque. Avec son décor de soupirs, grondements, bourdonnements, frottements… digne d’un désert à la tombée de la nuit, « Harmattan », porte bien son titre ! Et le chorus nerveux du saxophone baryton a capela, qui égrène un chapelet de boucles en souffle continu, doublé d’effets vocaux, tournoie comme le vent du désert… Au Mali, « Le petit soir » est ce moment « entre chou et loup », lapsus de Risser qui provoque l’hilarité du public. Pour figurer cet instant crépusculaire, Tirtiaux déroule majestueusement une mélopée sur un tapis sonore grandiose. Très en verve, Risser disserte avec beaucoup d’humour sur l’épisode animalier du concert : « Gämse » – le chamois en allemand – lui rappelle les chameaux et les dromadaires… Piano préparé, batterie, balafons et djembé s’en donnent à cœur joie, superposent leurs ostinatos et rythmes dansants, pendant que Müller dialogue avec le reste du combo. Après les bovidés, les équidés : « So » signifie cheval en bambara. Trois djembés massifs, une batterie dense et une basse sourde imposent une ambiance touffue et d’autant plus entraînante que le chœur des soufflants n’est pas sans rappeler une descarga. Changement de climat avec « Désert rouge » qui commence par un lent mouvement solennel, écrin magistral pour les phrases sinueuses d’Hoang. Mais le naturel revient au galop : le Red Desert Orchestra repart dans un feu d’artifice rythmique. Tirtiaux abandonne même son baryton pour des karkabats et l’orchestre se lance dans un enchevêtrement de boucles évolutives, dans l’esprit de la musique minimaliste, juste troublé par les lignes aériennes de la trompette bouchée d’Ostendorf. Après avoir dédié le concert à Céline Grangey, ingénieure du son du big band, remercié les collaborateurs du projet et présenté les musiciens, Risser lance « Soyayya ». L’« amour », en haoussa, est un véritable brouet de bruitages, digne de la musique concrète ! Sur les riffs des balafons, de la batterie et de la basse, les solistes brodent leurs thèmes, à l’instar de Risser et son piano préparé, de Paris et ses effets électrisants, de Bambara et son djembé démonstratif ou d’Abdou et ses envolées free mystiques.

Wassa Kouyaté (c) PLM
Pour terminer le concert, Wassa Kouyaté monte sur scène avec sa magnifique kora. Membre du Kaladjula Band, un orchestre de sept musiciennes maliennes avec qui le Red Desert Orchestra a monté le projet Kogoba Basigui. Kouyaté chante d’abord « Futa » à la
mémoire de Bénin Coulibaly, consœur décédée en 2021. Après une introduction mélodique élégante à la kora, Kouyaté installe un riff hypnotique, sur lequel elle chante des airs intenses et mélodieux. Accompagnée de la basse de Lasfargues et du djembé de Bambara, elle enchaîne sur un hommage au Mali, puis, avec tout l’orchestre, un morceau groovy, aux saveurs afro-beat, qui conclut la soirée sur une touche dansante !

Avec Eurythmia, mariage heureux d’un jazz contemporain audacieux et de rythmes burkinabés. le Red Desert Orchestra a incontestablement trouvé son « beau mouvement »...