08 mars 2025

Les instruments migrateurs de retour au Comptoir…

Le 13 février 2025, au Comptoir, Joce Mienniel présente le quatorzième opus des Instruments Migrateurs. Pour ce deuxième épisode de la saison trois le flûtiste convie la musicienne palestinienne Kamilya Jubran à l’oud et à la voix, nouvelle venue dans l’univers de Mienniel, mais ouverte au jazz, comme le prouve Yokal, un duo avec la contrebassiste Sarah Murcia publié le 6 décembre 2024, et Iyad Haimour au qanûn et au ney, musicien syrien qui a participé au sextet de Mienniel pour le disque Babel, sorti en 2018.

Joce Mienniel – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM

Le programme du concert tourne autour de sept morceaux plus un rappel : trois compositions signées Mienniel – « Baïkal », « Stéréométrie » et un solo a cappella –, une chanson de Jubran – « Yokal » –, une pièce d’Haimour – « Melisdjane » –, « Aho Dah elli Sar » de Sayed Darwich et « Ya Zarif Al-Toul », un chant traditionnel palestinien.
 
Une construction sophistiquée de phrases mélodieuses, contrepoints, pédales et ornements du qanûn introduit « Baïkal » avec une majesté monumentale. Ce morceau tiré de Babel est souvent au répertoire de Vincent Peirani et François Salque, comme le souligne Mienniel. Sur un motif rythmique dynamique de la flûte et soutenu par le qanûn, l’oud prend un solo solennel, parsemé de trémolos. S’ensuit un chorus de la flûte, qui alterne des passages graves et lointains avec des envolées débridées, sur un accompagnement en forme de dialogue astucieux entre l’oud et le qanûn. 
 
« Stéréométrie », le fil rouge des Instruments Migrateurs est interprété systématiquement à chaque concert et permet à Mienniel de présenter les musiciens. C'est un thème-riff aux couleurs world. Les enchevêtrements de boucles de la flûte servent de décor aux développements mélodico-rythmiques dansants de l’oud et du qanûn, qui égrène des lignes arpégées véloces, préludes à des questions-réponses piquantes. 
 
Comme à chaque session les musiciens jouent chacun un solo a cappella, reflet de leur univers. Jubran commence avec « Yokal », morceau-titre du disque qu’elle vient de sortir et qui signifie « on dit que ». Jubran déclame d’abord un marabout sur la situation des Palestiniens, « un peuple en révolte avec un cœur tendre [qui] trouvera sa liberté » ! Quant à l’air, sorte de blues moyen-oriental, il est souligné par les motifs rythmiques entraînants de l’oud. 
 
Le trio se reforme ensuite pour « Melisdjane », un hommage à la danseuse et conteuse Melisdjane Melisanda Sezer. Ce morceau émouvant repose sur un thème-riff oriental imposant exposé par le qanûn, souligné par les motifs minimalistes de l’oud et par les variations rythmiques de la flûte. Le développement de « Melisdjane » révèle une belle connivence du trio. 
 
Le chorus a cappella de Mienniel s’appuie sur des boucles imbriquées, des superpositions de phrases courtes et des effets sonores, comme une sorte de musique du monde concrète. Pour son solo, Haimour a troqué le qanûn contre le ney. Il reprend « Ya Zarif Al-Toul » (« celui qui a une belle allure »). Entre passages mélodieux et rappels rythmiques, l’air évoque une ronde folklorique, servie par le son épais, vibrant et nasillard de cette flûte orientale. 
 
Iyad Haimour – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM
 
Jubran essaie ensuite de faire chanter le public sur « Aho Dah elli Sar », un taqtûqa ou chanson légère. Même si l’air, typiquement moyen-oriental, est séduisant, entre la prononciation de l’Arabe, les modulations et le traitement rythmique, le public a bien du mal à suivre ! L’oud et le qanûn s’en donnent à cœur joie, la flûte intervient subtilement, tandis que la voix élégante de Jubran déroule les couplets, avant une montée en tension particulièrement intense. Dans le bis, un leitmotiv vif et répétitif sert d’arrière-plan aux volutes fluides et  gracieuses de la flûte.
 
Kamilya Jubran – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM

 

Mienniel et les Instruments Migrateurs montrent une fois encore par la musique qu’avec un brin de curiosité et une once d’écoute, le paradis c’est les autres…