Février apporte son lot de nouveautés, et tous les goûts seront servis !
Désordre, Ceol Mor, Dédales… pour l‘une, Das Kapital, The Langston Project, Open Fist… pour l’autre, et Busking pour les deux ! Complices de longue date, Hélène Labarrière et Hasse Poulsen ont monté un duo pour « Jouer dans la rue » (busking).
Les deux artistes ont un attrait commun pour la chanson populaire plutôt à tendance folk (ou non) et ils ont décidé d’interpréter des titres connus à leur manière : de « Take This Waltz » de Leonard Cohen (I’m Your Man – 1988), sur un poème de Federico García Lorca, à « Farewell » de Bob Dylan, en passant par « Special To Me », composé par Paul Williams pour le film de Brian DePalma, Phantom Of The Paradise (1974), « Formidable » de Stromae (Racine carrée – 2013), « Let It Die » de Feist (2004), « Lucy In The Sky With Diamonds » des Beatles (Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band – 1967), « Les uns contre les autres », tiré de Starmania, l’opéra-rock de Michel Berger et Luc Plamondon (1978), « Hand In My Pocket » d’Alanis Morissette (Jagged Little Pill – 1995) et « Stjerne til Støv » du musicien danois Sebastian (1981). Figure également au répertoire, « Mørke », un morceau signé Poulsen.
Labarrière et Poulsen font le choix de l’acoustique, servi par une prise de son naturelle et chaude, même si la guitare joue parfois avec l’électricité (« Special To Me »). Dans l’ensemble, les deux musiciens respectent l’esprit des mélodies (« Let It Die », « Hand In My Pocket ») qu’ils exposent à tour de rôle (« Lucy In The Sky With Diamonds » par la contrebasse, « Let It Die » par la guitare) ou à l’unisson (« Stjerne til Støv »). Ils jouent aussi, judicieusement, avec le contraste entre la sonorité puissante, grave et boisée de la contrebasse et le son souple et métallique de la guitare (« Formidable »). En vieux complices qui se connaissent sur le bout des cordes, Labarrière et Poulsen se renvoient les notes avec habileté. Des lignes d’accords (« Take This Waltz »), des motifs minimalistes (« Let It Die »), des ostinatos (« Formidable ») ou des riffs (« Les uns contre les autres ») soutiennent les solos. Les chorus se répondent, ou se complètent au grès des atmosphères : le plus souvent nostalgiques (« Take This Waltz », « Let It Die », « Mørke »), mais teintées de free (« Special To Me »), de blues (« Les uns contre les autres »), de pop (« Stjerne til Støv »), voire bruitiste (« Lucy In The Sky With Diamonds »)…
Dans Busking, Labarrière et Poulsen relisent des tubes populaires avec une voix originale et poignante qui les sublime. Un disque de plus dans la musicothèque !
A la fin des années cinquante, Dr.Lonnie Smith apprend l’orgue Hammond. Par la suite, il est engagé par George Benson, puis Lou Donaldson. A
partir des années soixante-dix il poursuit sa carrière principalement sous son
nom. Depuis Finger Lickin’ Good, en
1967, Smith compte plus de vingt-cinq disques à son actif et une
multitude de collaborations…
Evolution marque le retour
de Smith chez Blue Note. L’organiste s’appuie sur Jonathan Kreisberg à la guitare et Jonathan Blake à la batterie. Selon les morceaux, le trio invite Robert Glasper, John
Ellis, Keyon Harrold, Joe Dyson, Joe Lovano ou Maurice Brown.
Le répertoire s’articule autour de cinq compositions de Smith,
« Straight No Chaser » de Thelonious
Monk et « My Favorite Things » de Richard Rodgers et Oscar
Hammerstein II.
Si la fusion des années soixante-dix sert de toile de fonds à Evolution, le be-bop – chabada et
walking – reste en ligne de mire (« Straight No Chaser »), mais aussi
l’Afrique et ses tambours (« African Suite », qui évoque Randy Weston). Quant à « My
Favorite Thing », Smith en donne une version énergique et touffue. Avec
ses rythmiques funky (« Talk About This »), son orgue churchy
(« Play It Back »), ses unissons groovy (« Afrodesia »),
ses effets wawa (« Straight No Chaser »), ses chorus de shouter
(« Play It Back ») et ses mélodies simples (« For Heaven’s
Sake »), la musique de Smith est redoutablement efficace.
Créé en 2011, The Record Company commence par faire les premières
parties de B.B. King, Buddy Guy, Trombone Shorty… avant de tourner pour la première fois en Europe
en 2015. Give It Back To You est leur
premier album, qui sort chez Concord en février.
The Record Company, c’est Chris
Vog à la guitare, à l’harmonica et au chant, Alex Stiff à la guitare et à la basse et Max Cazorla au piano et à la batterie. Stiff et Cazorla soutiennent
également Vog en chœur.
Les neuf titres sont de leur cru. Give It Back To You est un disque de rock pur et brut : rythmique rock’n roll
(« Don’t Let Me Get Lonely »), esprit blues omniprésent (« This
Crooked City »), guitare slide (« Rita Mae Young »), chant grasseyant
(« Off The Ground »)… Un disque destiné sans doute davantage aux inconditionnels
de John Lee Hooker qu’aux fanatiques
de John Coltrane…
Gogo Penguin est un Power Trio venu tout droit de Manchester. Marqués par
l’électro, la pop, le rock, la musique répétitive et le jazz, le pianiste Chris Illingworth, le contrebassiste Nick Blacka et le batteur Rob Turner suivent une voie située
quelque part entre EST, The Bad Plus, Aphex Twin… Man Made Object est le troisième disque de Gogo Penguin, après
Fanfares en 2012 et v.2.0 en 2014, mais c'est le premier chez Blue Note.
Pour les dix compositions du disque, le trio a trouvé son inspiration
dans des sources aussi diverses que l’iPhone, des logiciels de séquençage, le
miaulement d’un chat, des synthétiseurs, les jingles des jeux vidéo…
L’accent est mis sur les rythmes : les trois instruments imbriquent
avec une précision redoutable des motifs répétitifs, qui plantent un décor
électro nerveux (« Smarra »), sur lequel le piano égrène des mélodies
minimalistes aux accents pop (« Initiate »). La batterie est puissante et mate (« Unspeakable
World »), la contrebasse sourde et dense (« Protest ») et le piano
volontiers cristallin (« All Res »), tout en joignant ses ostinatos
au foisonnement rythmique ambiant (« Quiet Mind »).
Man Made Object est un album bien
construit et bien produit, qui propose une musique accroche-cœur, une sorte de
« lounge music acoustique ».
Voilà bientôt douze ans que Michael
League a monté Snarky Puppy, un grand orchestre à géométrie variable voué à
la scène : Family Dinner – Volume
Two n’est que le deuxième disque de Snarky Puppy, après Sylva, sorti en 2014.
Dix-sept musiciens sont réunis pour le dîner de famille, mais League
convie également une pléthore d’invités, à l’instar de Becca Stevens, Salif Keita,
David Crosby, Charlie Hunter… Les huit morceaux sont signés Snarky Puppy et
certains ont été enregistrés en concert.
Snarky Puppy puise dans la R’n’B (« Liquid Love »), la musique
andalouse (« Molino Moreno »), la pop folk (« I Asked »),
la pop rock (« Sing To The Moon »), la musique du monde (« Soro
(Afriki) »), le funk (« Don’t You Know », « I
Remember »), la chanson style crooner (« Somebody Home »)… Ecriture
et arrangements léchés, Family Dinner –
Volume Two est placé sous le signe du groove et de la danse. Un vrai
bal !
Le trompettiste Avishai Cohen
– qui s’est notamment fait connaître au sein des Three Cohen, avec son frère
Yuval et sa sœur Anat – a rejoint ECM et sort Into The Silence en février 2016. Il s’est entouré d’un compagnon
de longue date, le pianiste Yonathan
Avishai, du batteur de son trio Triveni, Nasheet Waits, et d’un contrebassiste souvent associé à
Waits : Eric Revis. Le trio
fait également appel au saxophoniste ténor Bill
McHenry.
Si la musique de Triveni est plutôt libre et expressionniste, celle d’Into the Silence est résolument
réfléchie et intimiste. Il faut dire que Cohen a composé les cinq morceaux
après le décès de son père, en novembre 2014.
Les belles mélodies (« Life And Death »), la trompette bouchée
solennelle (« Behind the Broken Glass »), aérienne
(« Quiescence »), voire romantique (« Dream Like A
Child »), les interactions chambristes contemporaines (« Into The
Silence »), les développements mesurés (« Quiescence »)… rappellent Paolo Fresu. Le piano distille
subtilement ses contrepoints (« Life And Death »), tandis que la
contrebasse et la batterie s’entendent à merveille pour faire monter la
pression et installer une ambiance emphatique ((« Dream Like A
Child »), pendant que le ténor renforce le discours paisible de la
trompette (« Behind The Broken Glass »).
La musique d’Into The Silence respire
la sincérité et possède un lyrisme introspectif touchant.
Le nouveau projet de TordGustavsen ne manque pas de piquant : reprendre des hymnes liturgiques
norvégiens… en pachtoune ! Toujours associé au percussionniste Jarle Vespestad, Gustavsen a demandé à
la chanteuse afghano-allemande Simin
Tander d’interpréter des chants traditionnels en pachtoune, mais aussi de
chanter en anglais des textes du poète perse Jalal al-Din Rumi et du poète américain Kenneth Rexroth.
Au répertoire : sept chansons norvégiennes et six compositions de
Gustavsen. Tous les arrangements sont signés du pianiste, sauf « Journey
Of Life » et « Longing To Praise Thee », crédités au trio.
Des mélodies ourlées avec raffinement (« I See You ») sur des
rythmes langoureux (« Sweet Melting »), What Was Said reste dans le majestueux (« Imagine The Fog
Disappearing »), le mystérieux (les consonances du pachtoune) et le
romantique (« A Castle In Heaven »). Vespestad jongle en finesse avec
ses tambours et ses cymbales pour souligner la voix de Tander, sans l’occulter. Gustavsen
s’en tient le plus souvent à un minimalisme (« I See You », « A
Castle In Heaven », « The Source Of Now »…) ou une délicatesse
(« I Refuse ») qui se marie parfaitement avec le chant de Tander. Quand
il joue en duo avec Vespestad (« The Way You Play My Heart »,
« Rull »), l’influence de Keith
Jarrett – folk, lyrisme et rythme – perce dans son discours. Tander chante,
murmure et susurre les textes avec un timbre chaud, une tessiture de grave à
médium, un léger vibrato et une diction claire. Même si elle est toute en
retenue et précieuse, la voix est ensorcelante.
Avec ses chants profonds et sophistiqués, What Was Said a tout d’un disque mystique…
En 2003, Ramon Fossati, Olivier Brandily et Laurent Bronner montent Five In Orbit, qui sort un premier disque, chez Quadrant Record en 2005. En 2009,
le trio publie FrEaKs chez Fresh Sound
New Talent. Sept ans plus tard Five In Orbit retourne en studio, toujours
pour FSNT, et enregistre Tribulus Terrestris.
Entre temps, le contrebassiste Nicolas
Rageau et le batteur Luc Isenmann
ont intégré la joyeuse bande des cinq.
La Croix-de-Malte est une décoration, certes, mais pour Five In Orbit, c'est le nom commun du Tribule terrestre, une plante aphrodisiaque. Elle a inspiré Marcel.Lí Antúnez Roca (installations mécatroniques) pour créer un objet-disque qui vaut le détour : des
illustrations psychédéliques hautes en couleurs ornent la pochette et le
disque. Et, à l’ouverture du rabat, le disque surgit propulsé par un astucieux
pliage…
Côté répertoire, Bronner et Fossati apportent chacun quatre titres,
Brandily deux et le quintet joue « Lonesome Lover » d’Abbey Lincoln et Max Roach.
Five In Orbit est une tribu tonitruante ! Le foisonnement sonore
tient du carnaval des animaux : le trombone bouffonne avec sa wawa (« Dancing
Dogs »), les coquillages vrombissent, graves et vibrants (« La Fi Del
Nus »), le saxophone alto barrit, encouragé par le trombone (« The
Night Of Dead Cats »), la flûte s’agite comme une forcenée (« Tribulus
Terrestris »), la rythmique fourmille et gronde (« Roulotte
Russe »)… Et ce n’est pas une tribu pour rien : les jeux de groupes sont
le point central de la musique de Five In Orbit. Tout y passe : des
superpositions de voix, des lignes en contrepoints, des unissons, des
croisements, des décalages, des questions-réponses…
Orchestre déjanté, mais organisé, Five In Orbit concocte une musique explosive qui prend
ses sources dans les fanfares, le free, mais aussi le néo-bop et les musiques
du monde.