24 décembre 2017

Mélodies romanesques au Triton…

Le 30 novembre 2017 est frisquet : la neige tombe sur Le Triton pendant les deux sets de la soirée consacrée à Aldo Romano. Un manteau de quelques centimètres recouvre bientôt Les Lilas... Ecrin de choix pour la musique du plus parisien des batteurs italiens.

A l’occasion de la sortie de Mélodies en noir & blanc sur le label maison, Le Triton consacre une soirée à Romano. Le batteur présente deux trios aux esthétiques différentes : l’un propose une musique plutôt encadrée tandis que l’autre s’inscrit dans une lignée free. Le premier trio – Mélodies en noir et blanc – se compose du pianiste Dino Rubino et du contrebassiste Michel Benita. Quant au deuxième – Liberi Sumus –, il est constitué de Vincent Lê Quang au saxophone et Henri Texier à la contrebasse.


Mélodies en noir & blanc

« Cela pourrait être le titre d’un polar des années 50. Un peu de nostalgie du temps de ma jeunesse, bien sûr », c’est ainsi que Romano présente son disque.

Les dix morceaux sont courts : la durée d’une chanson, format qu’affectionne Romano. Le répertoire est composé de neufs thèmes signés Romano et de « Il voyage en solitaire », chanson de Gérard Manset sortie en 1975. Les neuf autres titres s’articulent autour de cinq reprises et de quatre inédits, tous signés Romano : « On John’s Guitar » (Prosodie – 1995), « Song for Elis » (Corners – 2000), « Dreams And Waters » (éponyme – 1991) et « Inner Smile » (Intervista – 1997) pour les titres déjà enregistrés ; « Lontano », « Rosario », « L.A. 58 », « Webb » et « Favela » pour les nouvelles compositions, sur disque.


Pendant le concert le trio joue quatre morceaux de Mélodies en noir & blanc et reprend « Il Piacere » et « Il camino », deux titres phares de Romano, sortis la première fois en 1979 sur Il Piacere. En bis, Romano chante le tube de Bruno Martino et Bruno Brighetti, « Estate », créé en 1960, et qu’il a déjà enregistré pour Chante, en 2006.


Les mélodies sont aux petits oignons (« Favela », « Lontano »…), comme toujours avec Romano et, côté rythmes, le set est plutôt paisible : le trio passe d’une ballade (« Dreams And Waters ») à un chabada - walking be-bop (« L.A. 58 »), avec des incursions dans le funk (« Il Piacere »). Même si sa condition physique ne lui permet plus les pirouettes de sa jeunesse, notamment avec la charleston, Romano garde une écoute mélodique hors pair (« Lontano »), un touché subtil (« Dreams And Waters ») et un charisme intact (« Il piacere »). Benita joue dans Palatino depuis les années quatre-vingts dix… Rien d’étonnant à ce que la connivence avec Romano soir évidente : chorus chantants (« Lontano », « Dreams and Waters »), lignes tantôt souples et légères (« Lontano »), tantôt graves et fermes (« L.A. 58 »), et une imagination fertile (« Il camino »). Rubino est aussi à l’aise dans des phrasés bop (« L.A. 58 ») que dans des ambiances nostalgiques (« Favela »), folk (« Il piacere »), romantiques (« Dreams and Waters »), voire des ballades aux nuances orientales (« Lontano »).


Ce premier set est dans la lignée de la musique du quartet Palatino, avec des thèmes envoutants et des développements mélodieux, portés par une rythmique élégante.

Le disque



Mélodies en noir & blanc
Aldo Romano
Dino Rubino (p), Michel Benita (b) et Aldo Romano (d)
Le Triton – TRI17539
Sortie le 22 septembre 2017






Liste des morceaux

01.  « Lontano » (4:26).
02.  « Rosario » (3:19).          
03. « L.A. 58 » (4:06).
04. « Song for Elis » (4:25).              
05. « Webb » (3:17). 
06. « On John's Guitar » (4:57).                   
07. « Favela » (2:19).
08. « Dreams and Waters » (5:30).              
09. « Inner Smile » (3:17).                
10. « Il voyage en solitaire », Manset (4:10).                      

Toutes les compositions sont signées Romano, sauf indication contraire.


Liberi Sumus

Entendu lors d’une jam session en 2014, Lê Quang redonne envie à Romano de jouer free. Il organise donc un concert au Triton avec Texier dans un format complètement libre, sans partition. De cette séance d’improvisation totale sort Liberi Sumus, en 2016, toujours publié sur le label du Triton.

C’est la troisième fois que le trio se produit ensemble et Romano de l’introduire : « nous partons à l’aventure sur l’Amazone, sur une île ou dans un cosmos improbable… Liberi Sumus… Nous sommes libres… ». Lê Quang, Texier et Romano jouent trois morceaux ou, pour être exact, s’arrêtent entre trois séquences d’improvisation.


Dès les premières mesures, une succession de sauts d’intervalles entrecoupés de motifs de basse soulignés par les pêches de la batterie, la musique est évidente : les spectateurs ont affaire à trois orfèvres en sons aux aguets, à la recherche de l’inouï. Le ténor, velouté, la contrebasse, boisée et la batterie, subtile, échangent des propos intenses. Pendant que Lê Quang rebondit d’intervalle en intervalle, Romano alterne chabada, roulements et pêches, tandis que Texier répond par une walking ou des motifs tout en souplesse. Le chorus particulièrement mélodieux de la contrebasse est un cas d’école qui débouche sur un trilogue passionnant, avec un solo « tribal » de la batterie sur les peaux, soutenu par les pédales de la contrebasse et du ténor. S’ensuit un final entre fulgurances néo-bop et dérapages free contrôlés d’une densité haletante.

Dans le deuxième échange, après un foisonnement rythmique, Romano installe une cadence régulière sur les cymbales, appuyée par un ostinato de la contrebasse. Sur cette rythmique carrée, le ténor expose un motif dans un esprit coltranien avec moult variations à base de boucles, traits supersoniques, volutes… C’est Texier qui conclut avec un chorus grave et plein de swing.

La troisième discussion s’engage sur un sujet bruitiste free : frappes éparses sur les cymbales, notes isolées de la contrebasse et soprano fragile et lointain. Technique étendue – le pavillon du soprano à moitié bouché sur la jambe repliée de Lê Quang – splashs violents sur les cymbales et double-cordes qui grondent… l’introduction est expressive ! Texier et Romano se lancent ensuite dans un accompagnement bluesy et Lê Quang étire la mélodie avec une pointe de mélancolie.

La liberté est éblouissante !

En bis Romano demande au premier trio de les rejoindre et Rubino passe au bugle. Le quintet démarre abruptement dans une atmosphère touffue de batterie qui en met partout, des soufflants qui fourmillent et des deux contrebasses qui marient leurs lignes puissantes… Comme un retour au bon vieux free des années soixante-dix ! Romano bifurque ensuite vers un rythme régulier, pendant que Texier et Benita jouent des lignes groovy, sur lesquels Lê Quang et Rubino, nonchalamment allongé dans un fauteuil, exposent « Tompkins Square », qui se développe dans un climat hard-bop, prolongé par un second rappel du même acabit.

Un double-concert captivant qui permet d’apprécier deux facettes de Romano, finalement assez proches l‘une de l’autre : le romantisme et la liberté…