Le 13 janvier 2018, dans
le cadre de la saison jazz 2017 – 2018 de l’Espace Sorano, à Vincennes, son
directeur artistique, Vincent Bessières, a programmé le pianiste Edouard Ferlet
et son projet autour de Johann Sebastian Bach, Think Bach.
A partir de sept ans, Ferlet commence des études de piano
classique à l’Ecole Normale de Musique de Paris, puis au Conservatoire, et, en
parallèle, prend des cours de jazz. Au début des années quatre-vingts dix le
pianiste passe trois ans au Berklee Colleg of Music, dont il sort diplômé en
1992. A son retour en France, il joue dans les clubs de jazz parisiens et
compose pour la télévision. En 1996, Ferlet enregistre Escale, premier disque sous son nom, avec Simon Spang-Hanssen au saxophone, Claus Stotter à la trompette, Gary
Brunton à la contrebasse et Grebor
Hilbe à la batterie. Suivront une quinzaine d’autres albums, en quartet, en
trio, avec Jean-Philippe Viret et Antoine Banville ou Fabrice Moreau, en duo ou en solo (Par tous les temps – 2004)…
En 2012, Ferlet publie le premier opus de Think Bach sur Mélisse, label qu’il a
créé avec Benjamin Gratton en 2006. Il
continue sa relecture de l’œuvre du Cantor de Leipzig en compagnie de la
claveciniste Violaine Cochard et
enregistre Bach: Plucked / Unplucked
(2015 – Alpha). Quant à Think Bach Op. 2,
il sort en 2017, toujours chez Mélisse. Bercé par Bach depuis son enfance,
Ferlet a tissé des liens étroits avec la musique du « cinquième
évangéliste », comme il l’écrit dans les notes de la pochette du
disque : « Cher Jean-Sébatien, depuis longtemps maintenant, je te
joue et joue avec toi en te suivant sur le sentier d’à côté ». De fait,
Ferlet ne jazzifie pas Bach, comme les Play
Bach de Jacques Loussier ou les
Swingle Singers, mais cherche plutôt à fusionner sa musique avec celle du
Maître d’Eisenach.
Pour Think Bach Op. 2,
Ferlet s’appuie sur dix pièces de Bach, toutes rebaptisées, sauf « Es Ist
Vollbracht », l’air de la Passion
selon saint Jean et le « Concerto n° 5 en F mineur ». Dans les notes
de la pochette, le pianiste explique précisément sa démarche et la manière avec
laquelle il s’approprie chacune des œuvres de Bach.
Le concert débute par la retranscription d’une
improvisation, procédé largement utilisé par Bach, mais « L’histoire d’un
enfant de Saint-Agil », mélodieux et puissant, est davantage
lyrique que baroque. Ferlet enchaîne avec les contrepoints vifs et denses de « Crazy
B », basé sur les Variations Goldberg.
Quelques accents moyen-orientaux, une ligne de basse minimaliste et des
arabesques donnent un caractère majestueux à « Et si », qui laisse
affleurer ça-et-là l’air solennel de l’adagio de la troisième sonate pour
violon et clavecin. Le pianiste joue très naturellement avec les thèmes de Bach,
dont il a parfaitement compris l’esprit, à l’instar du magnifique « Es Ist
Vollbracht », partagé entre un développement rythmique au piano préparé et
une interprétation élégante de la mélodie. Ferlet continue au piano préparé
pour « Mécanique organique », avec une ambiance quasi électro – note aigue
tenue et jeu dans les cordes – qui débouche sur une décomposition du prélude du
Clavier bien tempéré. Selon le chef d’orchestre
et musicologue australien d’origine galloise Martin Jarvis, Anna Magdalena
Bach aurait composé plusieurs œuvres majeures attribuées à son mari… Ferlet
lui rend hommage avec un morceau dans lequel des boucles se déroulent dans un
esprit musique contemporaine qui aboutit à un passage solennel. A partir de la Chaconne, « Les Bacchantes »
démarre dans le texte, intense, puis s’émancipe, avec un contraste entre des
passages graves qui rappellent le mouvement de la partita et des moments
enlevés, appuyé par un accompagnement rythmique aux accents latino. Après une
introduction jazz toute en souplesse, « Anthèse », tiré d’un chorale
pour orgue, part une direction plus cérébrale. Sur une pédale hypnotique, le
prélude BWV 872 est déformé, puis « Mind The Gap » s’engage dans une danse entraînante et tendue
portée par un rythme Graj du Gwo Ka Guadeloupéen (d’après les notes de la
pochette…). En bis, Ferlet reprend « Par tous les temps », une de ses
compositions qui figure sur le disque éponyme sorti chez Sketch Records, en 2004.
Avec ses motifs superposés, ses boucles, sa pédale… le morceau évoque la
musique minimaliste répétitive, avec une pointe de lyrisme. Le largo du Concerto n° 5 est interprété avec
noblesse et austérité pour mettre en relief la profondeur de la mélodie. Pour
conclure la soirée, Ferlet enchaîne sur un morceau entraînant très cinématographique
et teinté de nuances romantiques.
Une compréhension subtile de l’écriture de Bach et des
développements tout en finesse, basés sur des improvisations habiles et modernes :
il y a fort à parier que le Cantor aurait beaucoup aimé, lui aussi, le récital de
Ferlet et son disque Think Bach Op. 2 !
Le disque
Think Bach Op. 2
Edouard Ferlet
Edouard Ferlet (p)
Mélisse – MEL666020
Sortie en avril 2017
Liste des morceaux
01. « Oves »
(05:17).
02. « Anthèse »
(05:20).
03. « Mind
The Gap » (04:45).
04. « Et
si » (05:26).
05. « Es
Ist Vollbracht » (04:50).
06. « Les
Bacchantes » (07:33).
07. « Mécanique
organique » (02:18).
08. « Concerto no. 5 in F minor »
(04:04).
09. « Crazy
B » (04:19).
10. « Miss
Magdalena » (05:58).
Toutes les compositions sont signées Bach & Ferlet.