La joyeuse bande de déjantés du batteur Gilles Le Rest est de retour avec un double-album dense : No Wind Tonight. Le sextet est toujours composé
de Laurent Skoczek au trombone, et
co-fondateur de Free Human Zoo, Samy Thiébault
au saxophone ténor, Matthieu Rosso à
la guitare et Nicolas Feuger à la
basse. Seul changement : Emmanuel
Guerrero remplace Patrice Kornheiser
au piano. Pour étoffer sa palette sonore, Free Human Zoo invite La chanteuse Camille Fritsch, les flûtistes Joce Mienniel et Bruno Ortega, ainsi que le percussionniste Jonathan Edo.
Les morceaux ont été composés par Le Rest (avec un emprunt à
un thème traditionnel du XIIIe) et les arrangements co-écrits avec Skoczek. Sur
le premier disque, « Bab’Y », ou « le ravin de la
grand-mère », est une suite en onze mouvements en mémoire aux victimes de
la seconde guerre mondiale. Le deuxième disque s’articule autour de trois
morceaux : « Curritur ad Vocem », pièce en cinq parties, hommage
au pionnier de la redécouverte de la musique médiévale, René Clemencic, et à Joel
Cohen, autre spécialiste des musiques du Moyen-âge et instigateur de la
fête de la musique ; « Talitha Koum » (« jeune fille :
lève-toi ») s’inspire de la phrase symbolique que Jésus prononce lorsqu’il
ressuscite une fillette de douze ans ; « No Wind Tonight… » est dédié
au batteur et pédagogue Georges
Paczynski.
L’enregistrement a été réalisé au Studio Sextan – La
Fonderie, à Malakoff, par Vincent Mahey.
Quant à la pochette du disque, toujours aussi ethnique et animalière que celle
de Freedom Now!, elle est encore
signée Gérald Nimal. Le livret
concocté par Le Rest propose de nombreuses illustrations – clichés de
femmes et d’enfants pris pendant la deuxième guerre mondiale, miniatures
extraites du Codex Manesse, photos
des musiciens de Jeff Humbert… –,
des citations tirées de témoignages de l’holocauste, mais aussi des poèmes et
extraits d’œuvres d’Hanna Dallos, Anne van Kakerken, Pierre Rabhi, François Cheng…
« Bab’Y » démarre en force et majesté avec un
« Prologue » touffu, porté par la batterie et la guitare. Dans
« Barbarossa », les boucles du piano accompagnées des riffs des
soufflants et de la guitare évoluent progressivement, dans une ambiance tantôt minimaliste
hypnotique, tantôt luxuriante répétitive, soutenue par une basse et une
batterie musclées. Comme son titre l’indique, « Klezmer Volutes »
s’inspire de la musique des Juif ashkénazes : Le trombone et le saxophone
répondent aux traits mélodiques de la guitare, sur une pulsation toujours
robuste et entraînante. La ronde « Die fröhlichen Kameraden » se
développe sur rythmique vigoureuse, une guitare en mode guitar hero et un trombone
mélodieux. « Pitchipoï » s’oriente vers un funk dansant, animé par Thiébault
et des dialogues savoureux avec Scoczek et Rosso. Un leitmotiv du piano, un foisonnement
rythmique, des superpositions des voix, une tourneries de la flûte et de la
guitare… constituent les ingrédients joyeux et énergiques de « L’espoir au
cœur », qui porte bien son nom. Retour à un funk sous influence rock
pour « The Yar », avec des ostinatos, chœurs des soufflants, effets
électro de la guitare, solo coloré du piano, riffs entêtants de la basse et
frappes mates et sèches de la batterie… Le piano et la flûte exposent « My
African Little Doll », mélodie touchante qui part rapidement sur des
sentiers africains, emmenée par une polyrythmie enjouée, un trombone expressif,
une flûte démonstrative, un piano lyrique et des chœurs en contrepoints.
« Revoir l’Aurore » s’articule autour de questions-réponses véloces,
de motifs sourds et de roulements rapides. Avec « Forces vitales »,
l’ambiance tourne au hard-bop funky, ascendant rock quand la guitare entre en
jeu. Après un solo virtuose de Rosso, Skoczek et Thiébault prennent la suite dans
une même veine, sur un accompagnement dense et répétitif. « Bab’y »
s’achève sur un « Epilogue » plus calme, marqué par le motif
lancinant du piano, la batterie emphatique et la basse grondante.
Le deuxième disque commence par « Curritur ad
Vocem », courte suite en cinq tableaux. La première danse sort tout droit
du Moyen-Âge : chant cadencé de Fritsch, bourdon, unissons, rythmes
sautillant et envolées de Mienniel. Autre époque avec le deuxième mouvement,
davantage inscrit dans une lignée hard-bop funky, avec son thème-riff brillant,
sur un motif rapide du piano, des roulements serrés de la batterie et les boucles
nerveuses de la basse. Le chorus de guitare est pimenté de rock, tandis que le
saxophone ténor part dans des phrases sinueuses et virevoltantes. Retour à la voix
et au piano pour une brève transition, avant que le trombone ne s’envole dans un
chorus ébouriffant sur une rythmique grondante. Le tableau suivant reste dans
un hard-bop sur-vitaminé : ligne de basse running, roulements vifs de la
batterie, avec passages en chabada, et discours fonceurs du trombone et de la guitare.
Au milieu du morceau, le rock fait surface avec un saxophone hurleur et une
guitar hero... « Curritur ad Vocem » se conclut sur des formules
mélodieuses de la basse, des phrases placides du piano, une batterie imposante,
une guitare lointaine et un ténor réverbéré en arrière-plan… Mais ce n’est que
le calme avant la tempête ! Le morceau se transforme brutalement en une ronde
folklorique luxuriante, avec la flûte qui se mêle au chant et autres cris… dans
une atmosphère de foire médiévale ! Changement de décor avec
« Talitha Koum » : du médiéval au post bop. Après une introduction
de Le Rest à base de frisés secs, sur une ligne sourde et rapide de Feuger et
un ostinato de Guerrero, les soufflants jouent des phrases courtes, puis le
piano déroule le thème dans un esprit rock – funk. Le deuxième volet du morceau
s’apparente davantage à une comptine (le motif du piano) avec des solos chantants
du trombone et de la basse. La conclusion revient à du hard-bop, poussée par un
saxophone ténor et un piano en verve, encouragés par une rythmique trapue. Le
morceau-titre, « No Wind Tonight… », débute par un trio majestueux,
mais s’engage rapidement sur un chemin mainstream : stimulé par une walking
parsemée de schuffle et un chabada sorti de derrière les fagots, le ténor déroule
des phrases inspirées et convaincantes sur les accords élégants du piano, qui reste
dans le même sillon, avec de jolis contrepoints entre la main droite et la main
gauche.
Sur les traces d’Aïki
Dõ RéMy (2014) et de Freedom, Now!
(2016), la musique de No Wind Tonight
crépite de mille feux, enflammée par une fusion détonante de jazz, funk, rock, folk
et musique ancienne !
Le disque
No Wind Tonight
Free Human Zoo
Samy
Thiébault (ts), Laurent Skoczek (tb), Matthieu Rosso (g), Emmanuel Guerrero
(p), Nicolas Feuger (b) et Gilles Le Rest (d), avec Camille Fritsch (voc), Joce
Mienniel (fl), Bruno Ortega (fl) et Jonathan Edo (perc).
Ex-tension Records – EX14
Sortie le 1er février 2019
Liste des morceaux
Disque 1
01. « Bab’Y » (44:06).
Disque 2
01.
« Curritur ad Vocem » (24:46).
02.
« Talitha Koum » (6:42).
03.
« No Wind Tonight... » (7:07).
Tous les morceaux sont signés Le Rest.