Le 9 novembre 2019, dans le cadre de Jazz sur le vif,
Arnaud Merlin propose un double concert : Pour Barbara, l’hommage à la Dame en Noir de Guillaume de Chassy, en solo, et Rituels, un programme de
l’Orchestre National de Jazz conçu autour des rites
quotidiens… Le Studio 104 affiche complet pour l’occasion !
Preuve en est que le jazz a bien sa place sur les ondes et que
nous ne remercierons jamais assez Merlin et ses collègues de
« défendre becs et ongles les concerts de jazz à Radio
France », comme le disent de Chassy et Frédéric Maurin.
Pour
Barbara
Guillaume
de Chassy
Entre
le monde merveilleux de Broadway, les Chansons sous les bombes
ou celles du siècle dernier, les chants de William Shakespeare
ou ceux de Lili Marleen, Guillaume de Chassy aime les
chansons à texte. Dans son dernier projet en date il décide de
rendre hommage à une artiste qui l’a accompagné depuis sa
jeunesse : Barbara. Pour Barbara sort en avril
2019 chez NoMad Music.
Pour
le concert de Chassy reprend le répertoire du disque : « Dis !
Quand reviendras-tu ? » (disque éponyme de 1964),
« Göttingen » (Le Mal de vivre – 1964), « Les
Rapaces » (Ma plus belle histoire d’amour – 1967) et
« L’Aigle Noir » (album éponyme 1970), « Nantes »
(Dis ! Quand reviendras-tu ?), « Ma plus belle
histoire d’amour » (disque éponyme), « Une petite
cantate » (Le Mal de vivre), dédiée à Liliane
Benelli, sa pianiste favorite, disparue à trente ans dans un
accident de voiture et « Septembre (quel joli temps) »
(Le Mal de vivre). S’ajoutent « Pour Barbara »,
composé par de Chassy et, en bis, « L’âme des poètes »
de Charles Trenet, sortie en 1951, et hommage à son ami Max
Jacob.
De
Chassy traite les thèmes de Barbara avec beaucoup de sensibilité et
de respect (« Les Rapaces » / « L’Aigle Noir »).
L’osmose entre le pianiste et la musique de la chanteuse est
palpable (« Nantes »). Le public ne s’y trompe pas
et de Chassy le souligne également : « je vous trouve d’une
concentration extrême et c’est très agréable pour moi ».
Le déroulé des morceaux suit globalement la structure d’une
chanson, même si, entre les couplets, les refrains ne sont
qu’effleurés (« Göttingen »). Les phrasés, toujours
raffinés (« Ma plus belle histoire d’amour »), servent
à merveille le climat mélancolique de l’univers de Barbara
(« Septembre »). Le touché à la fois ferme et délicat,
les lignes rubato sur des tempos plutôt lents, les envolées
lyriques (« Dis ! Quand reviendras-tu ? ») ou
majestueuses (« Une petite cantate ») et la pulsation,
romantique plutôt que syncopée, s’inscrivent davantage dans la
lignée de Franz Schubert que de Thelonious Monk.
Une
interprétation aussi personnelle d’une musique aussi intime dans
un auditorium comble peut paraître impudique… mais les
« écouteurs » sont indéniablement tombés sous le
charme !
Rituels
Orchestre
National de Jazz
Maurin
a pris la tête de l’ONJ en janvier 2019 et rendra ses baguettes de
chef d’orchestre en décembre 2022. Il place son mandat sous le
signe de l’échange en invitant des compositeurs, des arrangeurs,
des solistes… venus d’horizons différents. Pour le premier
projet, Dancing In Your Head(s), La galaxie Ornette,
Maurin a demandé à Fred Pallem d’arranger la musique. Pour
le deuxième, Rituels, Maurin a imaginé un programme qu’il
a « souhaité écrire à dix mains, avec quatre autres
compositrices et compositeurs » : Ellinoa, Sylvaine
Hélary, Leïla Martial et Grégoire Letouvet. A la
musique, s’ajoutent des vidéos, réalisées par Mali Arun.
Créé
au festival Jazzèbre le 18 octobre 2019, Rituels est donc
repris à Paris le 9 novembre. Maurin associe l’orchestre
« traditionnel » – Catherine Delaunay
(clarinette et cor de basset), Julien Soro (saxophone alto et
clarinette), Fabien Debellefontaine (saxophone ténor et
flûte), Susana Santos Silva (trompette et bugle), Christiane
Bopp (trombone), Didier Harvet (tuba et trombone basse),
Stéphan Caracci (vibraphone et marimba), Bruno Ruder
(piano) et Rafaël Koerner (Batterie) – à un quatuor à
cordes – Elsa Moati (violon), Séverine Morfin
(alto), Juliette Serrad (violoncelle) et Raphaël Schwab
(contrebasse) – et à un quartet vocal – Ellinoa, Martial, Linda
Oláh
et Romain
Dayez.
Pour les absents, le
concert sera diffusé dans le Jazz Club d’Yvan
Amar, le 30 novembre
2019 à dix-neuf heures...
« La
musique comme fondement des rituels humains »
« Le
monde fleur », signé Hélary, se base sur un poème de
Federico García
Lorca adapté par
Romain Maron.
La clarinette a capella, les cordes et
leurs dialogues
étranges, le tic-tac lancinant, les voix et le piano distants…
puis le trombone éclatant
sur une
rythmique puissante : si
le morceau, entre musique contemporaine et jazz, évoque des fleurs,
elles sont urticantes ou carnivores… L’ONJ
enchaîne « Rituels ».
Maurin s’est appuyé sur une danse traditionnelle des indiens
Ayacucho du Pérou, dont les paroles sont également adaptées par
Maron. Après une introduction bruitiste
à base de pizzicato, souffles, grincements et voix lointaines, un
riff et une clave lancent le bal dans une ambiance plutôt sombre et
dramatique ! Finalement, la danse à le dessus avec des
mouvements vigoureux, une
pulsation entraînante, des effets expressifs, un foisonnement
orchestral enjoué et des vocalises imposantes.
Composée
par Letouvet, « La métamorphose » s’inspire du dieu
créateur égyptien de Memphis, Ptah. Des crissements, des notes
ténues et autres petites phrases discrètes accompagnent les voix
qui déclament le texte, comme un récitatif. Les tambours entrent
ensuite en jeu, pendant que la clarinette se lance dans un chorus
aérien. L'atmosphère de marche solennelle est renforcée par
la voix imposante de baryton de Dayez et l’orchestre, majestueux,
soutenu par une rythmique musclée. Le morceau combine des éléments
de musique ancienne avec des composants de musique contemporaine.
Martial
signe « Femme délit » sur des arrangements de Letouvert.
Le texte donne lieu à un jeu rythmique de chassés-croisés de voix,
bientôt soutenu par un crépitement orchestral, empreint de gravité.
Les échanges vocaux, le solo enlevé du saxophone ténor, le
foisonnement du big band et la pulsation carrée emmènent le morceau
dans un univers enjoué.
La
« Naissance de la nuit » selon Ellinoa commence par des
sifflements, bruissements des cordes, crissements des percussions,
souffles des vents… dans une atmosphère nostalgique. Après des
mouvements conjoints de l’orchestre et des voix, la nuit entre dans
une phase contemporaine… puis, sous l’impulsion du vibraphone, de
la section rythmique et du piano, particulièrement en verve, un jazz
moderne et vif s’invite à la fête.
Maurin
explique que le programme est conçu pour couvrir une journée,
« comme Vingt-quatre heures chrono » et
« Aïon », la pièce qui clôture le concert, se situe
« entre 3:45 et 6:00 du matin, à peu près... » !
Le piano reste à l’honneur : d’abord contemporain et
minimaliste, avec les voix, le violoncelle et la clarinette en
contrepoint, il s’empare ensuite d’un rôle de soliste de
concerto, au discours intense. Avec les voix, aux accents
dramatiques, le deuxième tableau ressemble presque à un requiem.
Après un emballement porté par la batterie sèche et mate, le
piano, toujours minimaliste, et la marimba, le final est tranquille
et apaisé...
Maurin
présente Rituel comme un oratorio, mais il y a aussi des
côtés opéra-jazz-contemporain… Toujours est-il que le projet est
enthousiasmant pour ses explorations sonores, ses couleurs
rythmiques et sa modernité.