11 novembre 2019

Nouvelles d’outre-Manche...


Whirlwind Recordings, le label londonien fondé en 2010 par le bassiste Michael Jarnisch, continue d’enrichir son catalogue à un rythme soutenu. Voici quatre disques qui viennent s’ajouter aux quelques cent trente références déjà publiées : Worlds Collide de Jarnnisch, Still Point: Turning World du guitariste Joel Harrison, A Throw of Dice du guitariste Rez Abbasi et We Speak Luniwaz du claviériste Scott Kinsey.


Worlds Collide
Michael Janisch

Janisch ne se contente pas de son travail au sein de Whirlwind Recordings, mais compte également une discographie bien fournie. Depuis Traveling Song en compagnie du TransAtlantic Collective et Patrick Cornelius, publié en 2008, il a sorti deux autres disques en co-leader : Banned in London en 2013 avec Aruan Ortiz et, en 2014, First Meeting: Live In London, Volume 1, en quartet avec Lee Konitz, Dan Tepfer et Jeff Williams. En solo, le bassiste a produit Purpose Built (2010) et Paradigm Shift (2015). C’est en quintet que Janisch revient en studio pour enregistrer Worlds Collide qui sort en septembre 2019. Il s’entoure de « cadres maison », le saxophoniste alto John O’Gallagher, le trompettiste Jason Palmer et le guitariste Rez Abbasi, plus Clarence Penn à la batterie, et quelques invités prêtent main forte au combo : Andrew Bain aux percussions, George Crowley au saxophone ténor et John Escreet aux claviers. Le répertoire est constitué de six morceaux, tous de la plume du leader.

Un ostinato de la basse rejoint par les claviers et une pédale des soufflants introduisent « Another London ». La batterie installe un rythme rock chaloupé, pendant que la trompette et le saxophone croisent leurs voix et que la guitare intercale des phrases aux accents pop, sur fonds de nappes sonores synthétiques. Après un intermède ésotérique, O’Gallagher prend un chorus aux couleurs funky.

Toujours dynamique, « An Ode To A Norwegian Strobe » démarre sur un motif répétitif de la guitare, puis Penn déclenche les hostilités et provoque l’envol des soufflants, qui dialoguent à tombeau-ouvert ou se coupent la parole dans un foisonnement tonitruant sur les nappes de notes planantes du synthétiseur en arrière-plan.

« The JJ I Knew » marque une pause : rythmique assagie, bien que toujours aux aguets, chorus placide de Palmer et développement rapide, mais sobre d’Abbasi, suivi d’un solo tout en retenu de Penn.

Un unisson de la trompette et du saxophone alto exposent « Frocklebot », un thème à la Ornette Coleman, qui se déroule dans une ambiance entre free et contemporain, avec des conversations échevelées et tendues entre tous les musiciens du quintet, soutenus par un Janisch en verve et un Penn musical à souhait.

O’Gallagher introduit a capella « Pop », dédié à l’épouse de Janisch. Un ostinato lent de la contrebasse et de la guitare sur une batterie discrète sert de fondation aux contrepoints langoureux de l’alto et de la trompette. Dans le deuxième tableau, Abbasi change de riff, Janisch joue une ligne minimaliste et Penn reste discret, pendant qu’O’Gallagher et Palmer se répondent tranquillement. Le troisième tableau permet à O’Galalgher de s’évader dans des discours aux accents free et à Abbasi et Palmer de revenir davantage dans l’esprit initial du morceau, avec un bon swing. « Freak Out » clôt Worlds Collide dans un climat rock : mélodie-riff entraînante de la guitare, batterie puissante, unissons mélodieux de la trompette et du saxophone alto et basse sourde. Abbasi se lâche dans un solo véloce et imprégné de rock – la sonorité – et de bop – le phrasé. Palmer prend la suite dans une veine hard-bop sur une rythmique funky.

Moderne et nerveuse, la musique de Worlds Collide puise ses sources dans le rock, le hard-bop et le free : le choc des mondes selon Janisch n’est pas un long fleuve tranquille !

Le disque

Worlds Collide
Michael Janisch
John O'Gallagher (as), Jason Palmer (tp), Rez Abbasi (g), Michael Janisch (b, perc) et Clarence Penn (d), avec John Escreet (kb), George Crowley (ts) et Andrew Bain (d, perc).
Whirlwind Recordding – WR4742
Sortie le 6 septembre 2019.

Liste des morceaux

01. « Another London » (07:02).
02. « An Ode to A Norwegian Strobe » (06:03).
03. « The JJ I Knew » (08:04).
04. « Frocklebot » (09:05).
05. « Intro to Pop » (01:14).
06. « Pop » (14:02).
07. « Freak Out » (07:25).

Tous les morceaux sont signés Janisch.



Still Point: Turning World
Joel Harrison

Avec plus de vingt disques sous son nom, Joel Harrison poursuit sa quête de métissages musicaux : après Spirit House, Leave The Doors Open et The Other River sortis respectivement en 2003, 2014 et 2017 chez Whirlwind Recordings, le guitariste américain publie Still Point: Turning World en septembre 2019.

Pour cette suite en huit mouvement, Harrison marie un trio de jazz – Ben Wendel au saxophone et basson, Stephan Crump à la basse et Dan Weiss à la batterie – avec le joueur de sarode Anupam Shobhakar, un quartet (trio pour l’occasion) de percussion contemporain – le Talujon Percussions Quartet, avec David Cossin, Matt Ward et Michael Lipsey – et deux percussionnistes invités – Selvaganesh et Nittin Mitta. Harrison annonce la tonalité de sa suite : « le concept de Still Point: Turning World est d’emmener l’auditeur dans un voyage émouvant ».

Cocktail de musique minimaliste et de musique du monde, « Raindrops in Uncommon Times » repose sur une mélodie chatoyante soulignée par la marimba. Le développement, d’abord introspectif, débouche sur un dialogue entre le sarode et une guitare aux accents rock, sur un couple basse – percussions énergique. Des vocalises rythmiques ouvrent « One Is Really Many », qui prend ensuite une tournure folklorique, avec un foisonnement de percussions et des boucles imbriquées, des accords lointains et un jeu aérien du saxophone. Le troisième mouvement de la suite, « Permanent Impermanence », met en avant un thème aguicheur, porté par les percussions, toujours touffues, brassé par un solo virtuose du sarode et un chorus mélodieux du saxophone. Dans une ambiance mixte funky et indienne, la guitare expose tranquillement « Wind Over Eagle Lake ». Le morceau est ensuite propulsé par une batterie puissante vers des rivages rock, avant que le saxophone prenne la parole dans une veine néo-bop. La « Ballad of Blue Mountain » est courte et mélancolique, avec des échanges énigmatiques entre la marimba, les percussions et le saxophone et la guitare. Elle débouche sur « Time Present Time Past » qui. mené sur une cadence chaloupée, joue à grand renfort de contre-chants sur les contrastes entre les rythmes occidentaux et indiens et les timbres des instruments. Des roulements et sonnailles dans l’esprit d’une ode annoncent « Creator / Destroyer ». Après des jeux rythmiques aux couleurs indiennes, saxophone, guitare et sarode dialoguent dans une atmosphère percussive nerveuse et des stop-chorus tendus de la batterie. Still Point: Turning World se conclut dans une ambiance plus paisible, avec une mélodie langoureuse, des cliquetis rythmiques, des questions-réponses entre tabla et kanjira et un solo véloce du sarode.

Still-Point: Turning World emprunte un chemin jazz-world sur lequel des mélodies gracieuses fusionnent avec des rythmes indiens pour des promenades hautes en couleur.


Le disque

Still Point: Turning World
Joel Harrison
Ben Wendel (sax, ba), Joel Harrison (g), Anupam Shobhakar (sarode), Hans Glawischnig (b), Stephan Crump (b) et Dan Weiss (d, perc), avec le Talujon Percussion Quartet, David Cossin, Matt Ward et Michael Lipsey, plus Selvaganesh (perc) et Nittin Mitta (perc).
Whirlwind Recordding – WR4745
Sortie le 27 septembre 2019.

Liste des morceaux

01. « Mvt.1 Raindrops in Uncommon Times » (09:50).
02. « Mvt. 2 One is Really Many » (06:58).
03. « Mvt. 3 Permanent Impermanence » (05:16).
04. « Mvt. 4 Wind Over Eagle Lake » (02:27).
05. « Mvt. 5 Ballad of Blue Mountain » (05:55).
06. « Mvt. 6 Time Present Time Past » (04:11).
07. « Mvt. 7 Creator:Destroyer » (12:47).
08. « Mvt. 8 Blue Mountain (A Slight Return) » (07:36).

Tous les morceaux sont signés Harrison.




A Throw of Dice
Rez Abbasi Silent Ensemble

Rez Abbasi revient sur disque avec une nouvelle formation, le Silent Ensemble, qui vient compléter le trio Junction (Behind The Vibration – 2016), le sextet Invocation (Things To Come – 2009, Suno Suno – 2012, Unfiltered Universe – 2017), le quartet RAAQ (Natural Selection – 2011, Intents & Purposes – 2015) et un trio avec John Hébert et Satoshi Takeishi (Continuous Beat – 2013).

En 2017, David Spelman – entre autres fondateur du New York Guitar Festival – demande à Abbasi de composer une bande originale pour accompagner en ciné-concert le filme muet A Throw of Dice. Sorti en 1929, A Throw of Dice est le troisième film d’une saga tirée de l’épopée indienne Mahabharata et réalisé par Franz Osten. l’un des premiers cinéastes à travailler pour Bombay Talkies. studios de cinéma indien précurseurs de Bollywood, fondés par Himanshu Rani...

Le Silent Ensemble est constitué du saxophoniste et flûtiste Pawan Benjamin, la violoncelliste et bassiste Jennifer Vincent, le percussionniste Rohan Khrishnamurthy et le batteur Jake Goldbas. A Throw of Dice sort en octobre 2019 et s’articule autour de dix neuf courtes pièces (d’une minute trente à six minutes) qui illustrent les séquences du film.

De par leur nature cinématographique, les morceaux comportent souvent plusieurs tableaux (« Mystery Rising », « Love Prevails ») ou se basent sur des motifs répétés (« Moving Forward ») et des phrases concises (« Falsehood » ). Abbasi est indéniablement doué pour composer des thèmes mélodieux, tour à tour élégants («Love Prevails », « Changing Worlds »), mélancoliques (« Bissful Moments », « Morning of The Weddings »), fragiles (« Seven Days Until), « Bissful Moment », « Morning of The Wedding ») aériens (« Facing Trught »)… Il marie les sonorités des instruments pour créer des climats méditatifs avec le bansuri (« Mystery Rising »), sombres avec le violoncelle (« Duplicity »), dramatiques avec des unissons flûte, guitare et violoncelle (« Changing Worlds »), lourds avec les percussions (« Chase for Liberation ») ou enjoués avec des questions-réponses énergiques (« Wedding Preparation »). Le traitement des rythmes, souvent composés, s’inspire de la musique indienne (« Hopeful Impression ») : ostinatos (« Boy Changes Fate »), pédales (« Jugglers »), foisonnements (« Snake Bite »), cliquetis (« True Home »), riffs (« Moving forward »)… avec un savant dosage de légèreté et de profondeur (« Mystery Rising »).

Sans les images, A Throw of Dice s’écoute comme une suite de préludes, avec son lot trouvailles astucieuses qui mériteraient d’être davantage développées.

Le disque

A Throw of Dice
Rez Abbasi Silent Ensemble
Pawan Benjamin (ts, ss, fl, basuri), Rez Abbasi (g), Jennifer Vincent (b, cello), Rohan Khrishnamurthy (perc) et Jake Goldbas (d).
Whirlwind Recordding – WR4741
Sortie le 18 octobre 2019.

Liste des morceaux

01. « Mystery Rising » (06:02).
02. « True Home » (02:01).
03. « Hopeful Impressions » (01:29).
04. « Love Prevails » (03:23).
05. « Facing Truth » (03:53).
06. « Amulet and Dagger » (02:21).
07. « Blissful Moments » (04:31).
08. « Seven Days Until News » (03:03).
09. « Duplicity » (05:22).
10. « Jugglers » (01:48).
11. « Snake Bite » (03:17).
12. « Moving Forward » (02:03).
13. « Wedding Preparation » (06:08).
14. « Morning Of The Wedding » (03:20).
15. « Gambling Debt » (01:46).
16. « Boy Changes Fate » (01:38).
17. « Falsehood » (01:33).
18. « Changing Worlds » (03:31).
19. « Chase For Liberation » (03:05).

Tous les morceaux sont signés Abbasi.




We Speak Luniwaz
Scott Kinsey

Le claviériste Scott Kinsey, collaborateur et ami de Joe Zawinul, mais aussi directeur du Zawinul Legacy Band, s’attaque au répertoire du maestro avec l’album à l’anagramme évocateur : We Speak Luniwaz. Kinsey constitue un quartet avec des musiciens du Zawinul Legacy Band, Katise Buckingham aux soufflants, Hadrien Feraud à la basse et Gergö Borlai à la batterie. Il fait également appel à de nombreux invités, pour la plupart liés de près ou de loin à l’univers de Zawinul, à l’instar de Robert Thomas Jr., percussionniste de Weather Report ou Jimmy Haslip, bassiste de Yellowjackets...

Au programme, un florilège de sept morceaux joués par Zawinul, dont six titres tirés du répertoire de Weather Report : « Cucumber Slumber » (Mysterious Traveler – 1974), couplé avec « World Citizen », une composition de Buckingham, « Between the Thinghs » (Tale Spinnin – 1975), «  Black Market » (Black Market 1976), « Fast City » (Night Passage – 1980) et « Where the Moon Goes » (Procession – 1983), tous signés Zawinul, plus « Port of Entry », un thème de Wayne Shorter (Night Passage – 1980). Deux autres compositions de Zawinul viennent compléter le tableau : « The Harvest », au menu de Di.a.lects, disque sous son nom sorti en 1986, et « Victims of the Groove », une reprise de Lost Tribes, un disque du Zawinul Syndicate (1992). S’ajoutent également « Running The Dara Down » et « We Speak Luniwaz », composés par Kinsey et ses compères.

Le vocoder (« When The Moon Goes »), les sons wawa (« Cuculber Slumber »), les timbres créés aux claviers Nord (« Victims of The Groove »), les roulements saccadés (« Between The Things »), les lignes de basse sourdes (« Fast City »), les riffs en choeur (« Black Market »)… We Speak Luniwaz assume une sonorité vintage qui plonge l’auditeur dans les années soixante-dix / quatre-vingt. Avec ses mélodies-riffs endiablées (« Victims of The Groove »), ses tourneries entraînantes («Between The Things »), ses répétitions aux accents africains (« Black Market »), un passage de rap («Cucumber Slumber / World Citizen ») et ses motifs courts et vifs (« Fast City »), les thèmes s’inscrivent typiquement dans l’univers de la fusion. La rythmique funky à souhait fleure bon le parfum des seventies : les phrases vrombissantes de Ferraud (« Running The Dara Down ») et ses chorus virtuoses à la Jaco Pastorius (« Port of Entry »), les frappes mates, sèches et virevoltantes de Borlai (« The Harvest ») et les percussions foisonnantes de Thomas Jr. (« Between the Things ») mettent incontestablement les développements sous pression (« We Speak Luniwaz »). Que ce soit à la flûte (« Victims of The Groove ») ou au saxophone soprano (« Between The Things »), les envolées fougueuses de Buckingham apportent un grain de folie, alors qu’au ténor, parfois réverbéré (« Running The Dara Down »), il joue le plus souvent les chœurs funky en compagnie des claviers (« Port of Entry »). A l’instar de Zawinul dans Weather Report, Kinsey privilégie le son et la dynamique de groupe (« The Harvest »). Il soutient le groove à grand renfort d’effets (« We Speak Luniwaz ») , de jeu à l’unisson (« Fast City ») et de relances dansantes (« Between The Things »).

Force est de constater que l’écoute de We Speak Luniwaz est un excellent moyen d’appréhender le langage de Zawinul : Kinsey se réapproprie sa musique avec beaucoup de discernement, tout en restant dans l’esprit du « grand sorcier des claviers » (Sylvain Siclier)...

Le disque

We Speak Luniwaz
Scott Kinsey
Katise Buckingham (ts, ss, fl, rhymes), Scott Kinsey (kbd, p, vocoder), Hadrien Feraud - electric bass (b) et Gergö Borlai (d), avec Bobby Thomas Jr (perc), Arto Tunçboyaciyan (perc), Steve Tavaglione (sax), Jimmy Haslip (b), Michael Baker (d), Danny Carey (d), Cyril Atef (d), Brad Dutz (perc) et Naina Kundu (voc).
Whirlwind Recordding – WR4743
Sortie le 25 octobre 2019

Liste des morceaux

01. « The Harvest » (06:35).
02. « Victims of the Groove 07:26).
03. « Cucumber Slumber / World Citizen Medley », Zawinul, Alphonso Johnson & Buckingham (06:06).
04. « We Speak Luniwaz » , Kinsey, Steve Tavaglione & Cyril Aetf (04:01).
05. « Black Market » (07:37).
06. « Fast City » (05:54).
07. « Running the Dara Down », Kinsey, Buckingham, Ferraud & Borlai (07:23).
08. « Port of Entry », Shorter (07:21).
09. « Between the Thighs » (06:49).
10. « Where the Moon Goes », Zawinul & Nan Byrne (07:33).

Tous les morceaux sont signés Zawinul, sauf indication contraire.