Whirlwind Recordings, le label londonien fondé en 2010 par le bassiste Michael
Jarnisch, continue d’enrichir son catalogue à un rythme soutenu.
Voici quatre disques qui viennent s’ajouter aux quelques cent
trente références déjà publiées : Worlds Collide de
Jarnnisch, Still Point: Turning World du guitariste Joel
Harrison, A Throw of Dice du guitariste Rez Abbasi et We
Speak Luniwaz du claviériste Scott Kinsey.
Worlds Collide
Michael Janisch
Michael Janisch
Janisch
ne se contente pas de son travail au sein de Whirlwind Recordings,
mais compte également une discographie bien fournie. Depuis
Traveling Song en compagnie
du TransAtlantic Collective et Patrick
Cornelius, publié en 2008, il a sorti deux autres disques
en co-leader : Banned in London en 2013 avec Aruan
Ortiz et, en 2014, First Meeting: Live In London, Volume 1,
en quartet avec Lee Konitz, Dan Tepfer et Jeff
Williams. En solo, le bassiste a produit Purpose Built (2010) et
Paradigm Shift (2015). C’est en quintet que Janisch revient
en studio pour enregistrer Worlds Collide qui sort en
septembre 2019. Il s’entoure de « cadres maison », le
saxophoniste alto John O’Gallagher, le trompettiste Jason
Palmer et le guitariste Rez Abbasi, plus Clarence Penn
à la batterie, et quelques invités prêtent main forte au combo :
Andrew Bain aux percussions, George Crowley au
saxophone ténor et John Escreet aux claviers. Le répertoire
est constitué de six morceaux, tous de la plume du leader.
Un
ostinato de la basse rejoint par les claviers et une pédale des
soufflants introduisent « Another London ». La batterie
installe un rythme rock chaloupé, pendant que la trompette et le
saxophone croisent leurs voix et que la guitare intercale des phrases
aux accents pop, sur fonds de nappes sonores synthétiques. Après un
intermède ésotérique, O’Gallagher prend un chorus aux couleurs
funky.
Toujours
dynamique, « An Ode To A Norwegian Strobe » démarre sur
un motif répétitif de la guitare, puis Penn déclenche les
hostilités et provoque l’envol des soufflants, qui dialoguent à
tombeau-ouvert ou se coupent la parole dans un foisonnement
tonitruant sur les nappes de notes planantes du synthétiseur en
arrière-plan.
« The
JJ I Knew » marque une pause : rythmique assagie, bien que
toujours aux aguets, chorus placide de Palmer et développement
rapide, mais sobre d’Abbasi, suivi d’un solo tout en retenu de
Penn.
Un
unisson de la trompette et du saxophone alto exposent « Frocklebot »,
un thème à la Ornette Coleman, qui se déroule dans une
ambiance entre free et contemporain, avec des conversations
échevelées et tendues entre tous les musiciens du quintet, soutenus
par un Janisch en verve et un Penn musical à souhait.
O’Gallagher
introduit a capella « Pop », dédié à l’épouse de
Janisch. Un ostinato lent de la contrebasse et de la guitare sur une
batterie discrète sert de fondation aux contrepoints langoureux de
l’alto et de la trompette. Dans le deuxième tableau, Abbasi change
de riff, Janisch joue une ligne minimaliste et Penn reste discret,
pendant qu’O’Gallagher et Palmer se répondent tranquillement. Le
troisième tableau permet à O’Galalgher de s’évader dans des
discours aux accents free et à Abbasi et Palmer de revenir davantage
dans l’esprit initial du morceau, avec un bon swing. « Freak
Out » clôt Worlds Collide dans
un climat rock : mélodie-riff entraînante de la guitare,
batterie puissante, unissons mélodieux de la trompette et du
saxophone alto et basse sourde. Abbasi se lâche dans un solo véloce
et imprégné de rock – la sonorité – et de bop – le phrasé.
Palmer prend la suite dans une veine hard-bop sur une rythmique
funky.
Moderne
et nerveuse, la musique de Worlds Collide puise ses sources
dans le rock, le hard-bop et le free : le choc des mondes selon
Janisch n’est pas un long fleuve tranquille !
Le
disque
Worlds
Collide
Michael
Janisch
John
O'Gallagher (as), Jason Palmer (tp), Rez Abbasi (g), Michael Janisch
(b, perc) et Clarence Penn (d), avec John Escreet (kb), George
Crowley (ts) et Andrew Bain (d, perc).
Whirlwind
Recordding – WR4742
Sortie
le 6 septembre 2019.
Liste
des morceaux
01.
« Another London » (07:02).
02.
« An Ode to A Norwegian Strobe » (06:03).
03.
« The JJ I Knew » (08:04).
04.
« Frocklebot » (09:05).
05.
« Intro to Pop » (01:14).
06.
« Pop » (14:02).
07.
« Freak Out » (07:25).
Tous
les morceaux sont signés Janisch.
Still Point: Turning World
Joel Harrison
Joel Harrison
Avec
plus de vingt disques sous son nom, Joel Harrison poursuit sa
quête de métissages musicaux : après Spirit House,
Leave The Doors Open et The Other River sortis
respectivement en 2003, 2014 et 2017 chez Whirlwind Recordings, le
guitariste américain publie Still Point: Turning World
en septembre 2019.
Pour
cette suite en huit mouvement, Harrison marie un trio de jazz – Ben
Wendel au saxophone et basson, Stephan Crump à la basse
et Dan Weiss à la batterie – avec le joueur de sarode
Anupam Shobhakar, un quartet (trio pour l’occasion) de
percussion contemporain – le Talujon Percussions Quartet, avec
David Cossin, Matt Ward et Michael Lipsey – et
deux percussionnistes invités – Selvaganesh et Nittin
Mitta. Harrison annonce la tonalité de sa suite : « le
concept de Still Point: Turning World est d’emmener
l’auditeur dans un voyage émouvant ».
Cocktail
de musique minimaliste et de musique du monde, « Raindrops in
Uncommon Times » repose sur une mélodie chatoyante soulignée
par la marimba. Le développement, d’abord introspectif, débouche
sur un dialogue entre le sarode et une guitare aux accents rock, sur
un couple basse – percussions énergique. Des vocalises rythmiques
ouvrent « One Is Really Many », qui prend ensuite une
tournure folklorique, avec un foisonnement de percussions et des
boucles imbriquées, des accords lointains et un jeu aérien du
saxophone. Le troisième mouvement de la suite, « Permanent
Impermanence », met en avant un thème aguicheur, porté par
les percussions, toujours touffues, brassé par un solo virtuose du
sarode et un chorus mélodieux du saxophone. Dans une ambiance mixte
funky et indienne, la guitare expose tranquillement « Wind Over
Eagle Lake ». Le morceau est ensuite propulsé par une batterie
puissante vers des rivages rock, avant que le saxophone prenne la
parole dans une veine néo-bop. La « Ballad of Blue Mountain »
est courte et mélancolique, avec des échanges énigmatiques entre
la marimba, les percussions et le saxophone et la guitare. Elle
débouche sur « Time Present Time Past » qui. mené sur
une cadence chaloupée, joue à grand renfort de contre-chants sur
les contrastes entre les rythmes occidentaux et indiens et les
timbres des instruments. Des roulements et sonnailles dans l’esprit
d’une ode annoncent « Creator / Destroyer ». Après des
jeux rythmiques aux couleurs indiennes, saxophone, guitare et sarode
dialoguent dans une atmosphère percussive nerveuse et des
stop-chorus tendus de la batterie. Still Point: Turning World
se conclut dans une ambiance plus paisible, avec une mélodie
langoureuse, des cliquetis rythmiques, des questions-réponses entre
tabla et kanjira et un solo véloce du sarode.
Still-Point:
Turning World emprunte un chemin jazz-world sur lequel des
mélodies gracieuses fusionnent avec des rythmes indiens pour des
promenades hautes en couleur.
Le disque
Still
Point: Turning World
Joel
Harrison
Ben
Wendel (sax, ba), Joel Harrison (g), Anupam Shobhakar (sarode), Hans
Glawischnig (b), Stephan Crump (b) et Dan Weiss (d, perc), avec le
Talujon Percussion Quartet, David Cossin, Matt Ward et Michael
Lipsey, plus Selvaganesh (perc) et Nittin Mitta (perc).
Whirlwind
Recordding – WR4745
Sortie
le 27 septembre 2019.
Liste
des morceaux
01.
« Mvt.1 Raindrops in Uncommon Times » (09:50).
02.
« Mvt. 2 One is Really Many » (06:58).
03.
« Mvt. 3 Permanent Impermanence » (05:16).
04.
« Mvt. 4 Wind Over Eagle Lake » (02:27).
05.
« Mvt. 5 Ballad of Blue Mountain » (05:55).
06.
« Mvt. 6 Time Present Time Past » (04:11).
07.
« Mvt. 7 Creator:Destroyer » (12:47).
08.
« Mvt. 8 Blue Mountain (A Slight Return) » (07:36).
Tous
les morceaux sont signés Harrison.
A Throw of Dice
Rez Abbasi Silent Ensemble
Rez Abbasi revient sur disque avec une nouvelle formation, le Silent
Ensemble, qui vient compléter le trio Junction (Behind The
Vibration – 2016), le sextet Invocation (Things To Come
– 2009, Suno Suno – 2012, Unfiltered Universe –
2017), le quartet RAAQ (Natural Selection – 2011, Intents
& Purposes – 2015) et un trio avec John Hébert et
Satoshi Takeishi (Continuous Beat – 2013).
En
2017, David Spelman – entre autres fondateur du New York
Guitar Festival – demande à Abbasi de composer une bande originale
pour accompagner en ciné-concert le filme muet A Throw of Dice.
Sorti en 1929, A Throw
of Dice est le troisième film
d’une saga tirée de l’épopée indienne Mahabharata et
réalisé par Franz Osten.
l’un des premiers cinéastes
à travailler pour Bombay Talkies.
studios
de cinéma indien précurseurs
de Bollywood, fondés
par Himanshu Rani...
Le
Silent Ensemble est constitué du saxophoniste et flûtiste Pawan
Benjamin, la violoncelliste et bassiste Jennifer Vincent,
le percussionniste Rohan Khrishnamurthy et le batteur Jake
Goldbas. A Throw of Dice sort en octobre 2019 et
s’articule autour de dix neuf courtes pièces (d’une minute
trente à six minutes) qui illustrent les séquences du film.
De
par leur nature cinématographique, les morceaux comportent souvent
plusieurs tableaux (« Mystery Rising », « Love
Prevails ») ou se basent sur des motifs répétés (« Moving
Forward ») et des phrases concises (« Falsehood » ).
Abbasi est indéniablement doué pour composer des thèmes mélodieux,
tour à tour élégants («Love Prevails », « Changing
Worlds »), mélancoliques (« Bissful Moments »,
« Morning of The Weddings »), fragiles (« Seven
Days Until), « Bissful Moment », « Morning of The
Wedding ») aériens (« Facing Trught »)… Il marie
les sonorités des instruments pour créer des climats méditatifs
avec le bansuri (« Mystery Rising »), sombres avec le
violoncelle (« Duplicity »), dramatiques avec des
unissons flûte, guitare et violoncelle (« Changing Worlds »),
lourds avec les percussions (« Chase for Liberation ») ou
enjoués avec des questions-réponses énergiques (« Wedding
Preparation »). Le traitement des rythmes, souvent composés,
s’inspire de la musique indienne (« Hopeful Impression ») :
ostinatos (« Boy Changes Fate »), pédales
(« Jugglers »), foisonnements (« Snake Bite »),
cliquetis (« True Home »), riffs (« Moving
forward »)… avec un savant dosage de légèreté et de
profondeur (« Mystery Rising »).
Sans
les images, A Throw of Dice s’écoute comme une suite de
préludes, avec son lot trouvailles astucieuses qui mériteraient
d’être davantage développées.
Le
disque
A Throw of Dice
Rez Abbasi Silent Ensemble
Pawan
Benjamin (ts, ss, fl, basuri), Rez Abbasi (g), Jennifer Vincent (b,
cello), Rohan Khrishnamurthy (perc) et Jake Goldbas (d).
Whirlwind
Recordding – WR4741
Sortie
le 18 octobre 2019.
Liste
des morceaux
01.
« Mystery Rising » (06:02).
02.
« True Home » (02:01).
03.
« Hopeful Impressions » (01:29).
04.
« Love Prevails » (03:23).
05.
« Facing Truth » (03:53).
06.
« Amulet and Dagger » (02:21).
07.
« Blissful Moments » (04:31).
08.
« Seven Days Until News » (03:03).
09.
« Duplicity » (05:22).
10.
« Jugglers » (01:48).
11.
« Snake Bite » (03:17).
12.
« Moving Forward » (02:03).
13.
« Wedding Preparation » (06:08).
14.
« Morning Of The Wedding » (03:20).
15.
« Gambling Debt » (01:46).
16.
« Boy Changes Fate » (01:38).
17.
« Falsehood » (01:33).
18.
« Changing Worlds » (03:31).
19.
« Chase For Liberation » (03:05).
Tous
les morceaux sont signés Abbasi.
We Speak Luniwaz
Scott Kinsey
Le
claviériste Scott Kinsey, collaborateur et ami de Joe
Zawinul, mais aussi directeur du Zawinul Legacy Band, s’attaque
au répertoire du maestro avec l’album à l’anagramme évocateur :
We Speak Luniwaz. Kinsey constitue un quartet avec des
musiciens du Zawinul Legacy Band, Katise Buckingham aux
soufflants, Hadrien Feraud à la basse et Gergö Borlai à
la batterie. Il fait également appel à de nombreux invités, pour
la plupart liés de près ou de loin à l’univers de Zawinul, à
l’instar de Robert Thomas Jr., percussionniste de Weather
Report ou Jimmy Haslip, bassiste de Yellowjackets...
Au
programme, un florilège de sept morceaux joués par Zawinul, dont
six titres tirés du répertoire de Weather Report : « Cucumber
Slumber » (Mysterious Traveler – 1974), couplé avec
« World Citizen », une composition de Buckingham,
« Between the Thinghs » (Tale Spinnin – 1975),
« Black Market » (Black Market – 1976),
« Fast City » (Night Passage – 1980) et « Where
the Moon Goes » (Procession – 1983), tous signés
Zawinul, plus « Port of Entry », un thème de
Wayne Shorter (Night Passage – 1980). Deux autres
compositions de Zawinul viennent compléter le tableau : « The
Harvest », au menu de Di.a.lects, disque
sous son nom sorti en 1986, et « Victims of the Groove »,
une reprise de Lost Tribes, un
disque du Zawinul Syndicate (1992). S’ajoutent également
« Running The Dara Down » et « We Speak Luniwaz »,
composés par Kinsey et ses compères.
Le
vocoder (« When The Moon Goes »), les sons wawa
(« Cuculber Slumber »), les timbres créés aux claviers
Nord (« Victims of The Groove »), les roulements saccadés
(« Between The Things »), les lignes de basse sourdes
(« Fast City »), les riffs en choeur (« Black
Market »)… We Speak Luniwaz assume une sonorité
vintage qui plonge l’auditeur dans les années soixante-dix /
quatre-vingt. Avec ses mélodies-riffs endiablées (« Victims
of The Groove »), ses tourneries entraînantes («Between The
Things »), ses répétitions aux accents africains (« Black
Market »), un passage de rap («Cucumber Slumber / World
Citizen ») et ses motifs courts et vifs (« Fast City »),
les thèmes s’inscrivent typiquement dans l’univers de la fusion.
La rythmique funky à souhait fleure bon le parfum des seventies :
les phrases vrombissantes de Ferraud (« Running The Dara
Down ») et ses chorus virtuoses à la Jaco Pastorius (« Port
of Entry »), les frappes mates, sèches et virevoltantes de
Borlai (« The Harvest ») et les percussions foisonnantes
de Thomas Jr. (« Between the Things ») mettent
incontestablement les développements sous pression (« We Speak
Luniwaz »). Que ce soit à la flûte (« Victims of The
Groove ») ou au saxophone soprano (« Between The
Things »), les envolées fougueuses de Buckingham apportent un
grain de folie, alors qu’au ténor, parfois réverbéré (« Running
The Dara Down »), il joue le plus souvent les chœurs
funky en compagnie des claviers (« Port of Entry »). A
l’instar de Zawinul dans Weather Report, Kinsey privilégie le son
et la dynamique de groupe (« The Harvest »). Il soutient
le groove à grand renfort d’effets (« We Speak Luniwaz ») ,
de jeu à l’unisson (« Fast City ») et de relances
dansantes (« Between The Things »).
Force
est de constater que l’écoute de We Speak Luniwaz est un
excellent moyen d’appréhender le langage
de Zawinul : Kinsey se réapproprie sa musique avec
beaucoup de discernement, tout en restant dans l’esprit du « grand
sorcier des claviers » (Sylvain Siclier)...
Le
disque
We
Speak Luniwaz
Scott
Kinsey
Katise
Buckingham (ts, ss, fl, rhymes), Scott Kinsey (kbd, p, vocoder),
Hadrien Feraud - electric bass (b) et Gergö Borlai (d), avec Bobby
Thomas Jr (perc), Arto Tunçboyaciyan (perc), Steve Tavaglione (sax),
Jimmy Haslip (b), Michael Baker (d), Danny Carey (d), Cyril Atef (d),
Brad Dutz (perc) et Naina Kundu (voc).
Whirlwind
Recordding – WR4743
Sortie
le 25 octobre 2019
Liste
des morceaux
01.
« The Harvest » (06:35).
02. « Victims
of the Groove 07:26).
03.
« Cucumber Slumber / World Citizen Medley », Zawinul, Alphonso
Johnson & Buckingham (06:06).
04.
« We Speak Luniwaz » , Kinsey, Steve Tavaglione & Cyril
Aetf (04:01).
05.
« Black Market » (07:37).
06.
« Fast City » (05:54).
07.
« Running the Dara Down », Kinsey, Buckingham, Ferraud &
Borlai (07:23).
08.
« Port of Entry », Shorter (07:21).
09.
« Between the Thighs » (06:49).
10.
« Where the Moon Goes », Zawinul & Nan Byrne (07:33).
Tous
les morceaux sont signés Zawinul, sauf indication contraire.