13 juillet 2024

Le marché de la musique enregistrée

Le SNEP met à disposition deux rapports instructifs sur le marché de la musique enregistrée : L’IFPI Global Music Report 2024 et La production musicale française en 2023 du SNEP. L’occasion passer en revue quelques statistiques…

Un marché mondial numérique et dynamique

Le marché mondial de la musique enregistré ne se porte pas trop mal : avec quelques 26 milliards d’euros, le chiffre d’affaires global a augmenté de +10.2% en 2023. Pendant que les revenus liés à l’écoute en ligne par abonnement, qui représentent près de la moitié du marché mondial, croissent de +11,2%, les ventes physiques, elles, sont en hausse de +13,4%, au détriment des revenus des droits voisins (principalement les redevances liées à la diffusion) et de la synchronisation (en gros les royalties sur les bandes sons).

Un marché français timide

Avec 4% du marché mondial de la musique enregistrée, la France se place au sixième rang, derrière les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Unis, l’Allemagne et la Chine. Le marché français de la musique enregistrée a cru de +5,1% en 2023, soit moitié moins que la moyenne mondiale. Il faut dire qu’avec son petit milliard d’euros de chiffre d’affaires, la musique enregistrée semble moins préoccuper les Français que le pain (15 milliards d’euros) ou le vin (25 milliards d’euros)…

Une musique enregistrée convalescente

En vingt ans le marché de la musique enregistrée en France a été quasiment divisé par deux ! En 2002 100 % des 1,5 milliards d’euros de ventes de musique enregistrée sont des supports physiques. Vingt ans après, ces mêmes supports ne représentent plus que 20 % des ventes, soit 195 millions d’euros. Or, sur la même période, l’essor des supports numériques, passés de 0 à 620 millions d’euros de ventes, est loin de compenser la baisse des ventes de supports physiques...

Les supports numériques (hors droits voisins et synchronisation) représentent désormais près des trois quart du marché français, mais, avec un quart du marché, les supports physiques n’ont pas encore dit leur dernier mot. L’écoute en ligne par abonnement représente près de 60% des supports numériques, alors que l’écoute en ligne financée par la publicité et les vidéos sont à moins de 10% chacune. Quant au téléchargement, qui représentait quelques 60 % de l’écoute numérique en 2010, il est tombé autour d’1% aujourd’hui.

Intéressant également de constater que les vinyles et les disques compacts pèsent chacun 12% du marché en valeur, alors qu’en unités, il y a deux fois plus de disques compacts vendus (10,5 millions d’unités) que de vinyles (5,5 millions d’unités). Quant aux canaux de distribution des supports physiques, sans surprise, le e-commerce continue sa croissance avec +48% depuis 2009 et représente désormais un tiers des revenus physiques.

Il n’est peut-être pas surprenant que les moins de trente cinq ans soient les principaux écouteurs en ligne (52%), mais contrairement aux idées reçues ils sont également les principaux consommateurs de vinyles (43% contre 20% pour les 35 – 44 ans et 37 % pour les 45 – 64 ans) et de disques compacts (54% contre 17% pour les 35 – 44 ans et 29% pour les 45 – 64 ans).

L’écoute en ligne, un vertige sonore

Même si, en France, l’écoute en ligne par abonnement représente près de 80% du chiffre d’affaires de l’écoute en ligne totale, loin devant l’écoute en ligne financée par la publicité (12%) et l’écoute en ligne vidéo (11%), elle reste en deçà des autres marchés. A titre comparatif, le nombre d’abonnés rapporté au nombre d’internautes est de 16% en France, contre 18% en Allemagne, 27% au Royaume Unis et 30% aux Etats-Unis.

Phénomène étonnant, l’écoute en ligne par abonnement semble favoriser l’allongement du cycle de vie des titres : sur 80% de la consommation d’écoute en ligne payante, 59% concerne les catalogues de titres ayant plus de trois ans et la tendance est à la hausse (+5 points entre 2022 et 2023). Par ailleurs, le goût des auditeurs français est éclectique : ils écoutent en moyenne dix genres musicaux différents. Autre particularité française, par rapport aux autres marchés, la musique locale représente environ la moitié des écoutes en ligne.

A noter que le catalogue mondial de musique numérique s’enrichit de plus de 150 000 nouveautés par jour ! En 2023, sur les 121 milliards d’écoutes en France, moins de 5% du catalogue mondial a été écouté au moins une fois dans l’année… soit quand même près de 10 millions de titres !

Ecouter et manger font bon ménage

Les Français écoutent environ dix-huit heures de musique par semaine, soit 2 heures 34 minutes par jour, et ils consacrent en moyenne 2 heures 22 minutes par jour à leurs repas (source : INSEE)...

Le temps d’écoute a progressé de plus d’une heure par semaine par rapport à 2022, l’équivalent d’un millier de titres supplémentaire écouté par an et par Français. Avec environ quatre heures par semaine de temps d’écoute, la radio et l’écoute en ligne sont au coude à coude, devant Youtube, avec trois heures, et TikTok (ou autres vidéos courtes), avec seulement 1 heure 40 minutes, mais qui connaît la plus forte progression.

Le jazz aux abonnés absents

Les quinze albums les plus vendus en 2023 et dix-sept des vingt albums les plus vendus sont produits en France. Inutile de souligner qu’aucun album de jazz (ni de de classique, d’ailleurs) ne figure dans la liste. Même constatation concernant les répertoires les plus écoutés : seize artistes sur vingt sont produits en France, mais pas un seul n’est un musicien de jazz. Encore pire, aucun album, ni titre de jazz n’apparait dans les Top 200 des albums et titres vendus en France en 2023, ni même dans les Top 100 vinyles ou Top 100 radio...

Top des albums de jazz vendus en 2023

Comme le jazz ne concourt décidément pas dans la même cour que la pop, variété, rock, urbain, musiques du monde, country, bande originale, electro / dance, ni même classique (Sensations de Gautier Capuçon est 147ème et Letter de Sofiane Pamart arrive 185ème), limitons-nous à son marché...

Dans le Top 10 du jazz il n’y a qu’une production française : Capacity To Love d’Ibrahim Maalouf. A titre de comparaison, dans le répertoire classique, six productions françaises figurent dans le Top 10... Nina Simone truste les deux premières places et la sixième avec deux best of (The Very Best Of et Best of Nina Simone) et SinnermanGabi Hartmann arrive en troisième position avec son disque éponyme, devant Maalouf. Les inusables Stan Getz et Joao Gilberto pointent à la cinquième place, suivis, dans l’ordre et à partir de la septième par Samara Joy (Linger Awhile), Black Pumas (disque éponyme), Gregory Porter (Still Rising) et Kyle Eastwood (Eastwood Symphonic).

A côté de Maalouf, les seuls autres artistes français présents dans le Top 50 sont le quartet Ballaké Sissoko, Vincent Segal, Emile Parisien et Vincent Peirani avec Les égarés, qui se hisse à la treizième place, puis André Manoukian (23ème avec Anouch), Sébastien Collinet (24ème avec Pianophonie) et Thomas Dutronc (32ème avec Frenchy).

Maalouf place huit albums dans le Top 50, un record ! Des disques de Nina Simone apparaissent à six reprises. Melody Gardot et Ray Charles sont crédités chacun trois fois. Quant à Louis Armstrong, Gregory Porter et Chet Baker ils placent chacun deux albums. A noter la très belle quarantième place de Blue Train de John Coltrane… 

 

La musique enregistrée continue sa mutation vers un tout numérique qui submerge le monde d’un raz-de-marée de sons. Absent de tous les classements de ventes, de l’écoute en ligne aux supports physiques, en passant par les radios et autres, le jazz est noyé... Il n’est définitivement pas une musique de marché !