21 septembre 2024

D-Day – Monty Alexander

Le 6 juin 1944 le Maréchal Bernard Law Montgomery débarque en Normandie avec les Alliés. Le même jour, à Kingston, en Jamaïque, la famille Alexander s’agrandit avec la venue au monde de Monty (diminutif du Maréchal, évidemment)... Le pianiste célèbre comme il se doit les quatre-vingt ans de son D-Day avec un disque éponyme qui sort le 29 mars chez PeeWee!.

Ce pourrait être aussi le soixantième anniversaire de sa discographie en leader, démarrée avec Alexander, The Great, enregistré pour Pacific en 1964… De l’eau a coulé sous les ponts et Alexander compte désormais près de quatre-vingt (décidément, ce nombre lui va comme un gant) disques sous son nom. A l’image de ses sources d’inspiration, Oscar Peterson, Art Tatum et Ahmad Jamal, Alexander n’a que peu enregistré en sideman, juste quelques disques avec Milt Jackson et Dizzy Gillespie, ou des échanges de bons procédés avec son compatriote guitariste Ernest Ranglin.
 
Comme ses ainés, Alexander est un grand adepte du solo et du trio. Si au départ il n’a pas vraiment d’accompagnateurs attitrés, dans les années quatre-vingt (encore !) Alexander se partage souvent entre deux compagnons de route de Peterson – le guitariste Herb Ellis et le contrebassiste Ray Brown – et son trio avec John Clayton (contrebasse) et Jeff Hamilton (batterie). Dans la décennie suivante Alexander monte des groupes à géométrie variable qui incluent des percussions, des claviers, des guitares électriques, le mélodica… et il ajoute une palette reggae à son jazz. Dans les années 2000 il poursuit dans cette voie, en alternant avec des trios, notamment pour rendre hommage à Nat King Cole et Tony Bennett, et des petites formations dans lesquels Hassan Shakur tient la plupart du temps la basse, tandis qu’Obed Calvaire ou Jason Brown sont souvent derrière les fûts. Pour D-Day Alexander revient à la formule du trio acoustique qu’il affectionne, avec Luke Sellick à la contrebasse et Brown à la batterie.

D-Day est construit autour d’une courte introduction sous forme d’extraits de discours de juin 1944, suivi de onze morceaux. Alexander joue deux standards : « I’ll Never Smile Again », composé en 1939 par Ruth Lowe et devenu un tube de Tommy Dorsey et Franck Sinatra, et « Smile », le thème des Temps Modernes (1936) de Charlie Chaplin, un classique du répertoire d’Alexander. Il réinterprète également trois compositions tirées de The River (1985) qu’il renomme pour l’occasion : « The Serpent » devient « Aggression », « The River » se transforme en « River of Peace » et « Renewal » en « Restoration ». « Oh Why » est une reprise de « That’s Why », du disque Reunion In Europe (1984) avec Clayton et Hamilton. Quant à « You Can See », il figure au programme de Jamboree (1988). Deux inédits complètent la liste : « June 6 » et « V.E. Swing ». D-Day se conclut sur le joyeux « Day-O », alias « The Banana Boat Song », un mento folklorique traditionnel de la Jamaïque rendu célèbre en 1956 par Harry Belafonte, et qu’Alexander reprend au mélodica  avec le public.

Égal à lui-même Alexander varie les ambiances, mais place toujours le swing au centre de sa musique. D’airs aux touches bluesy (« I’ll Never Smile Again ») ou latino (« You can see ») à un blues pur souche (« June 6 »), d’une pulsation entre boogie et stride (« Aggression [The Serpent] ») à un chant romantique (« Oh Why [That’s Why] »), d’un thèmes-riffs dynamiques (« Restoration [Renewal] ») à une une ballade apaisée (« River of Peace [The River] »), les morceaux bouillonnent (« Smile ») et font irrémédiablement dodeliner de la tête (« V.E. Swing »). Il faut dire que la section rythmique y met du sien. Les motifs athlétiques émaillés de shuffle (« I’ll Never Smile Again »), les riffs profonds (« Restoration [Renewal] »), les lignes arpégées (« Aggression [The Serpent] ») et la walking vigoureuse (« June 6 ») de Sellick, alliés aux chabada robustes (« V.E. Swing »), ponctués de pêches (« Aggression [The Serpent] ») et rim shot (« You can see »), les frappes lourdes (« D-Day Voices ») et les roulements serrés de Brown assurent une pulsation de tous les instants. Les morceaux se conforment le plus souvent à la structure thème – solos – thème chère au bop. Ce qui permet d’apprécier les variations sinueuses et mélodieuses de Sellick (« Smile ») et les stop-chorus musclés de Brown (« Aggression [The Serpent] »). Alexander s’est forgé un style tout à fait personnel construit sur un phrasé syncopé (« I’ll Never Smile Again ») particulièrement dansant (« Smile »), un foisonnement rythmique percé de fulgurances mélodiques (« Restoration [Renewal] »), une alternance de lyrisme et d’accords plaqués (« Aggression [The Serpent] »), un discours luxuriant et truffé de citations (à l’instar de « Jésus que ma joie demeure » au milieu de « You can see »).

Influencé par le bop – à tendance hard – le trio d’Alexander fonde avant tout sa musique sur des interactions rythmiques et des mélodies séduisantes. Il faut que ça bouge ! Enjoué et énergique du début à la fin, D-Day confirme la règle.

Le disque

D-Day

Monty Alexander

Monty Alexander (mélodica, p), Luke Sellick (b) et Jason Brown (d).
PeeWee! - PW1013
Sortie le 29 mars 2024

Liste des morceaux

01. « Introduction » (00:16).
02. « I’ll Never Smile Again », Ruth Lowe (04:18).
03. « Aggression [The Serpent] » (06:03).
04. « Oh Why [That’s Why] » (06:39).
05. « Restoration [Renewal] » (06:35).
06. « June 6 » (06:15).
07. « River of Peace [The River] », Monty Alexander & Frank Severino (05:49).
08. « Smile », Charlie Chaplin (06:30).
09. « V.E. Swing » (04:24).
10. « You can see » (05:35).
11. « D-Day Voices » (04:28).
12. « Day-O », Traditional (02:52).

Tous les morceaux sont signés Monty Alexander sauf indication contraire.