30 novembre 2024

Oxyd présente Lapse au Studio de l’Ermitage

Mercredi 20 novembre 2024, au Studio de l’Ermitage, Oxyd présente Lapse, son dernier opus en date. Créé en 2006, le quintet en est à son sixième opus et, en dehors d’Oliver Degabriele qui a remplacé Matteo Bartone à la basse en 2013, les quatre autres musiciens sont fidèles au poste : Julien Pontvianne au saxophone ténor, Olivier Laisney à la trompette, Alexandre Herer, au piano et aux claviers, et Thibault Perriard à la batterie.


Gilles Coronado ouvre la soirée avec son projet Solotone, suivi des assemblages électro de Maria Teriaeva, puis d’Oxyd, avec le répertoire du disque Lapse, sorti le 13 septembre 2024 sur le label Onze Heures Onze.
 
Tout commence donc par Solotone : un accordeur diffuse une note en continu, qui passe vite au second plan, un peu comme un acouphène, sur laquelle Coronado jette des bribes de phrases, d’accords et de jeux sonores divers. Le guitariste change ensuite de note – diffusée par son téléphone portable – et continue de broder en pointillés, ponctués de quelques embardées mélodiques. Même topo pour le troisième mouvement, avec un déroulé tout en douceur. Le quatrième mouvement est davantage bruitiste, avec la guitare à plat sur les genoux et une cale placée sous les cordes qui permet à Coronado de produire des effets de distorsion, frottements, grincements, crissements… Le guitariste conclut son set avec un morceau ténébreux. Solotone s’apparente à de la recherche musicale, centrée sur des modelages sonores.
 

Gilles Coronado - Maria Teriaeva – Studio de l’Ermitage – 20 Novembre 2024 © PLM


Aux commandes de son synthétiseur modulaire Music Easel, créé en 1972 par Don Buchla, Teriaeva se lance dans un long – vingt minutes – morceau minimaliste, qui oscille entre ambient et pop électro. Ambiance d’hôpital garantie avec ses bips, balayages, électrocardiogrammes, battements, alarmes, gargouillis, couinements électriques et, ça et là, quelques nappes de sons éthérées, le tout sur une rythmique mécanique.

Après ces quarante minutes expérimentales, Oxyd prend place sur scène. Avant de jouer le répertoire de Lapse, l’écrivain Nicolas Flesch lit un texte poétique dramatique sur les réfugiés. Oxyd joue Lapse un peu comme une suite. Le titre des mouvement n’est pas annoncé et ils ne suivent pas nécessairement l’ordre du disque.

Les trois premiers morceaux, aux ambiances sombres, – « Lapso », « Overcrowding » et « Modules oubliés » – sont enchaînés. Thème-riff à l’unisson (« Modules oubliés »), phrases graves et nostalgiques du saxophone ténor (« Lapso »), échappées désespérées de la trompette (« Lapso ») et contre-chants obscurs (« Modules oubliés ») s’appuient sur les décors minimalistes et fondus (« Lapso ») ou aériens (« Overcrowding »), voire spatiaux (« Modules oubliés ») du Fender, mais aussi sur une basse et une batterie foisonnantes (« Lapso »), dans un veine rock alternatif (« Overcrowding ») puissant (« Modules oubliés »).
 

Alexandre Herer, Oliver Degabriele, Olivier Laisney & Julien Pontvianne

Studio de l’Ermitage – 20 Novembre 2024 © PLM


Comme sur disque, « Three Body Theory » est particulièrement dramatique (il faut dire que la théorie des trois corps, qui cherche à déterminer la trajectoire d’astres qui s’attirent les uns les autres, n’a rien de comique), avec un déroulé mystérieux, une rythmique épaisse et des solistes qui se fondent dans ce décor pesant. Retour à une énergie rock avec « Peak Oil » : entre des lignes impétueuses et des frappes violentes, Degabriele et Perriard s’en donnent à cœur joie, Herer plante un décor tendu, tandis que Pontvianne et Laisney se lancent dans des envolées endiablées. « Choir » apporte un peu de calme avec son environnement digne d’un film de science-fiction, dynamisé par la paire rythmique et le chorus lyrique de la trompette. L’avant-dernier morceau, a priori hors Lapse, reste néanmoins dans l’esprit du disque : thème dissonant, Fender éthéré, timbres denses et rythmique fougueuse, dans un sillon rock. En rappel, Oxyd joue « Collapsology ». Après un démarrage tonitruant, un thème aux contours solennels laisse place à un développement bouillonnant sur une rythmique dantesque.

Le concert reflète évidemment l’atmosphère sépulcrale de Lapse, mais les aspects ambient du disque sont atténués par la puissance de la rythmique, l’intensité des échanges et la longueur des chorus. Oxyd a trouvé sa voie, à mi-chemin entre le jazz, la musique contemporaine et le rock expérimental.
 

19 novembre 2024

What About? – Christiane Bopp Bernard Santacruz Bruno Tocanne

Le samedi 1er juillet 2023, pendant la deuxième édition du festival Jazz à Oppède – petite commune du Vaucluse située dans le parc naturel régional du Luberon –, Christiane Bopp, Bernard Santacruz et Bruno Tocanne sont réunis sur scène : la connivence est immédiate et un nouveau trio voit le jour. What About?, leur premier opus, sort le 26 octobre 2024 chez Instant Music Records.

Les douze morceaux et les quatre intermèdes sont tous de courtes improvisations en trio, duo ou solo (de vingt secondes à six minutes quarante-cinq, et deux minutes quarante secondes en moyenne... Voilà pour les statistiques !). Le trio a construit ces mouvements sur la base de dialogues spontanés qui dégagent des sensations souvent évanescentes. 
 
Si What About? démarre en fanfare et tambours battants (« Isocèle »), le mystère – bref thème-riff du trombone, gravité de la contrebasse et frémissements de la batterie – s’insinue dès « La conjugaison des pluriels », tandis que le langoureux et délicat « Poetry In Motion » renforce cette ambiance énigmatique. Les « Parallélébipèdes » sont résolument plus turbulents : les cliquetis de la batterie et les propos expressifs du trombone et de la contrebasse débouchent sur un trilogue crépitant et caquetant. Après des roulements puissants de la batterie pour l’« Interlude 1 », portés par l’ostinato aiguë de la contrebasse et les vibrations du trombone, les « Rêves célestes » prennent une allure surnaturelle qui leur va comme un gant. Allez savoir si l’« Eveil » est paisible ou difficile ! Des battements lointains, une complainte aérienne et un bourdonnement sombre, d’abord à peine audibles, s’amplifient lentement pour finir par une mélopée éthérée sur un riff entêtant et des frappes sourdes. Le morceau-titre reste dans une veine similaire, avec des crissements, gémissements, frottements, coups étouffés… qui interagissent en arrière-plan, comme autant d’échanges bruitistes contemporains, avant que les envolées du trombone ne se marient à une rythmique heurtée entraînante. Les questions-réponses entre Bopp et Santacruz sur les bruissements de Tocanne donnent à « Trialogo » un caractère exquis. La contrebasse et la batterie commencent par batifoler dans la « Fantaisie » à grand renfort de glissando, résonances et froufrous des cymbales, puis elles démarrent une conversation subtile. En guise d’« Interlude 2 » Bopp joue a capela un mouvement grave et torturé. Retour à un murmure à peine perceptible, bientôt suivi de croisements de textures et de timbres inouïs, qui pourraient presque faire de l’« Odyssée » un morceau de musique concrète. Viennent ensuite deux « Interludes », le troisième autour d’une ligne musicale de la batterie en solo, et le quatrième, à base de modulations et de phrases amples et boisées, jouées à l’archet. Le foisonnement de la batterie répond aux jets de notes du trombone, qui profitent d’être « Enfin seuls ! » pour faire l’école buissonnière... Quant à « Itiner(r)ances » qui clôture What About?, c’est une véritable sculpture sonore contemporaine qui fait songer à la jungle, avec ses caquètements, clameurs, frictions, grincements, heurts, clappements… et autres bruitages étranges.

Dans What About?, Bopp, Santacruz et Tocanne jouent avec les sons au grès de leurs émotions pour former un véritable recueil d’haïkus musicaux à la fois abstraits et organiques. Fascinant !

Le disque

What About?

Christiane Bopp Bernard Santacruz Bruno Tocanne
Christiane Bopp (tb), Bernard Santacruz (b) et Bruno Tocanne (d)
Instant Music Records – IMR 024
Sortie le 26 octobre 2024

Liste des morceaux
 
01. « Isocèle » (00:32).
02. « La conjugaison des pluriels » (03:05).
03. « Poetry in motion » (01:31).
04. « Parallallébipèdes » (06:45).
05. « Interlude 1 » (00:20).
06. « Rêves célestes » (01:24).
07. « Eveil » (05:18).
08. « What about? » (05:53).
09. « Trialogo » (02:55).
10. « Fantaisie » (02:29).
11. « Interlude 2 » (01:30).
12. « Odyssée » (04:11).
13. « Interlude 3 » (00:37).
14. « Interlude 4 » (02:08).
15. « Enfin seuls » (01:00).
16. « Itiner(r)ances » (05:57).

Tous les morceaux sont signés du trio.

17 novembre 2024

A la découverte d’Emiliano Vernizzi

Si Emiliano Vernizzi – Emi pour les intimes – s’est fait un nom avec le trio Pericopes + 1, formé en 2007, il n’en reste pas moins un saxophoniste hyper actif, tant sur les scènes européennes qu’américaines, en concerts que sur disques (près d’une trentaine sous son nom et plus d’une quarantaine en accompagnateur), sur les ondes que dans les salles de cours, avec ses propres formations (Blue Moka, Budokan) que celles des autres (Izzy & The Catastrophics). L’occasion de découvrir un musicien aussi bien bercé par le jazz, le funk, la pop et le rock, que le hip-hop, l’électro et l’American Roots...


La musique

J'ai grandi dans un environnement musical classique, mais j'aimais aussi d'autres genres musicaux : pop, rock, métal, rap, house, funk… et je jouais de nombreux instruments. Or, ils se trouve que mon oncle avait un saxophone que je trouvais brillant et très sexy ! Il m’a laissé l’essayer et comme il manquait un saxophoniste dans mon groupe, ce fût l’opportunité de commencer à en jouer…

C’est mon père, musicien, qui m’a fait découvrir le jazz. Au début, je n'aimais pas beaucoup cette musique, mais, par la suite, en étudiant les grands noms du saxophone, j'ai commencé à apprécier ce langage musical et j'étais curieux de comprendre comment il fonctionnait.

Quand j’ai découvert que la Fusion pouvait englober tous les univers musicaux que j’aimais, j’ai commencé un voyage à rebours jusqu’au jazz des années 1920. D’ailleurs, beaucoup de musiciens m’ont influencé, même trop ! De Deep Purple à John Coltrane, de Public Enemy à l'orchestre de Glenn Miller, sans oublier la musique symphonique… En fait, tout ce qui est upbeat, pour ainsi dire ! Ma formation est complètement transversale.
 
Emi Vernizzi - Blue Note Milano © Roberto Cifarelli

 

Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? Le jazz est le présent, mais hors des sentiers battus...

Pourquoi la passion du jazz ? Parce que c’est une manière de voir la musique en 3D !
 
Où écouter du jazz ?  En concert et sur disques, mais surtout pas sur un téléphone portable et en mangeant !

Comment découvrir le jazz ?  Suivez le Lapin Blanc...

Une anecdote autour du jazz ? Le jazz, c'est comme le football : ceux qui en font l'aiment autant (même si différemment) que ceux qui le suivent.


Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un singe,
Si j’étais une fleur, je serais une nymphéa,
Si j’étais un fruit, je serais une noix de coco,
Si j’étais une boisson, je serais un jus de fruit,
Si j’étais un plat, je serais du riz basmati,
Si j’étais une lettre, je serais zêta,
Si j’étais un mot, je serais palindrome,
Si j’étais un chiffre, je serais 15,
Si j’étais une couleur, je serais violette,
Si j’étais une note, je serais un fa.


Les bonheurs et regrets musicaux

Je suis heureux de savoir exprimer mes pensées en musique et je regrette de ne pas avoir vu Motorhead en concert.


Sur l’île déserte…

Quels disques ? Transition de Coltrane, The Nightfly de Donald Fagen et Powerslave d’Iron Maiden.

Quels livres ?  Dieu et l'État de Mikhaïl Bakounine et Siddharta d’Hermann Hesse.

Quels films ?  Barry Lyndon de Stanley Kubrick, Alien de Ridley Scott, Il était une fois dans l'ouest de Sergio Leone et The Empire Strikes Back d’Irvin Kershner.

Quelles peintures ?  N'importe quoi de René Magritte !

Quels loisirs ?  La photographie argentique et le yoga.

 
Les projets

Il y a eu la sortie de Good Morning World! en septembre. En ce moment je tourne beaucoup et prépare un album électronique. Sinon, j’aimerais avoir davantage de temps libre en dehors de la musique.
 

 

Trois vœux…

Un monde antispéciste,
La fin du capitalisme,
La paix partout dans le monde.

15 novembre 2024

Good Morning World! – Pericopes + 1

Il y a seize ans, en 2007, le saxophoniste Emiliano « Emi » Vernizzi et le pianiste Alessandro Sgobbio montent le duo Pericopes, bientôt devenu + 1 avec l’arrivée du batteur Nick WightThese Human Beings, le premier disque du trio sorti en 2015, sera suivi de Legacy en 2017, What What en 2018 et Up en 2020. Pour Good Morning World!, qui sort le 27 septembre 2024, Pericopes + 1 a changé d’équipe : Vernizzi joue désormais avec Claudio Vignali aux claviers  et Ruben Bellavia à la batterie.

Vernizzi signe sept des neufs thèmes, Vignali propose un interlude et le trio co-signe « The Dawn of Algo-Rhythm ». La violoniste Anaïs Drago rejoint le trio pour « Cosmic Nirvana » et la contrebasse de Rosa Brunello participe à « Assange ».

Avec ses « Logout », « Cosmic Nirvana », « Rue Sedaine Métavers », « Assange » et autres, Good Morning World! résonne au diapason de l’high-tec et de l’informatique, tandis que l’ambiance sépulcrale de « Logout », avec ses nappes sonores, les frémissements de la batterie et la voix off prémonitoire qui dit dans un souffle « j’ai peur, mon esprit s’en va, je le sens... », annoncent la couleur.

Des thèmes-riffs sourds (« Cosmic Nirvana ») et des introductions aux parfums contemporains (« The Dawn of Algo-Rhythm ») laissent place à des intermèdes acoustiques aux allures romantiques (« Interlude – Piano »), des mélodies amples et éthérées (« Liturgico ») ou délicates et solennelles (« Assange »). Ce qui n’empêche pas le trio de donner aussi rendez-vous à la danse (« Rue Sedaine Métavers »), voire même au dance floor « Good Morning World »), mais aussi au « vieux jazz » (sic), avec son swing et sa walking (« The Dawn of Algo-Rhythm »). Quant aux développements, ils sont le plus souvent puissants, portés par des dialogues violents digne d’un rock progressif (« Rue Sedaine Métavers ») ascendant punk (le violon et le saxophone ténor dans « Cosmic Nirvana »), une batterie volontiers binaire (« Good Morning World »), intense (« Liturgico ») et bouillonnante (« Assange »), sans oublier des ostinatos (« Good Morning World ») et lignes de basse (« Rue Sedaine Métavers ») joués au piano ou au Fender Rhodes. Quant aux lignes fluides et aériennes du saxophone ténor, elles flottent au-dessus de la rythmique (« Assange ») ou répondent en contrepoints au piano (« Liturgico »). Le trio incorpore également moult effets électro : voix off déformées et déclamatoires  (« Interlude -Oratio »), en mode radiophonique (« The Dawn of Algo-Rhythm », « Good Morning World »), arrière-plan synthétique style science-fiction (« The Dawn of Algo-Rhythm »), textures épaisses (« Rue Sedaine Métavers »)...
 
Timbres massifs, atmosphères denses, trames complexes, dans Good Morning World!, comme avec les précédents opus, Péricopes + 1 soigne sa présence sonore, toute en gravité et en force.

Le disque

Good Morning World!

Pericopes + 1

Emi Vernizzi (ts, electro), Claudio Vignali (p, fender, electro) et Ruben Bellavia (d), avec Anaïs Drago (vl) et Rosa Brunello (b).
Losen Records – LOS 294-2
Sortie le 27 septembre 2024.

Liste des morceaux

01. « Logout » (02:00).
02. « Cosmic Nirvana » (05:35).
03. « Interlude - piano », Vignali (01:14).
04. « Liturgico » (08:55).
05. « Rue Sedaine Métavers » (05:30).
06. « Interlude - oratio » (01:54).
07. « Assange » (10:09).
08. « The Dawn of Algo-Rhythm », Vernizzi, Vignali & Bellavia (04:38).
09. « Good Morning World » (08:17).

Tous les morceaux sont signés Vernizzi, sauf indication contraire.