13 mai 2025

Résurgence d’Adrien Brandeis à l’Espace Sorano

Passé par les conservatoires de Nice et de Paris, sous la houlette de Manuel Rocheman, Adrien Brandeis sort son premier album, Euforia, en 2018. Après des études à La Havane avec Ernán Lopéz-Nussa, Brandeis publie Meetings en 2020, avec un quartet constitué de Damian Nueva, Inor Sotolongo et Arnaud Dolmen, plus Orlando Poleo en invité. En 2021, Brandeis se produit au Mexique et en tire Simpre más allá, en compagnie de musiciens sud-américains rencontrés lors de la tournée. 
 

Le 2 mais 2025 le pianiste sort Résurgence chez Mantodea Music Productions, avec son quintet composé de Felipe Cabrera à la contrebasse, Abraham Masfarroll et Yaroldy Abreu Robles aux percussions et Arnaud Dolmen à la batterie. Pour le concert de lancement qui a lieu le 20 mars à l’Espace Sorano, Andy Berald remplace Dolmen et Abreu est seul aux percussions. Le concert reprend des titres de Simpre más allá et de Résurgence, et reflète parfaitement l’état d’esprit des disques.
 

La plupart des mélodies sont des thèmes-riffs (« Cha-Cha Blue »), vifs (« Aguas Profundas ») et entraînants (« Zig Zag Road »). Qu’ils se rapprochent de la salsa (« Un air de fête ») ou de la samba (« Samba para un Sol »), les airs sont toujours dansants (« Au fil du temps »), avec çà et là des accents funky (« Illusion ») et autres passages sautillants (« Samba para un Sol »). Au milieu de cette luxuriance latine, le quintet glisse un morceau be-bop sur-vitaminé (« Just in Time »). Brandeis joue deux morceaux en solo dans une veine lyrique (« Pôr do Sol »), même romantique (« Nayeli »), et le quintet interprète également une ballade élégante en hommage à McCoy Tyner (« Dear McCoy »). Les développements marient les codes des musiques sud-américaines et ceux du bop : arabesques du piano avec les deux mains à l’unisson (« Cha-Cha Blue »), jeu en accords (« Au fil du temps »), phrases staccato (« Keep on Grooving »), foisonnement (« Dear McCoy »), arpèges véloces (« Aguas Profundas »), traits virtuoses (« Au fil du temps »)… Musique latino oblige, les poly-rythmes sont de rigueur (« Illusion »), avec des congas exubérantes (« Cha-Cha Blue »), une clave typique (« Un air de fête »), des percussions puissantes (« Zig Zag Road »), voire déchaînées (« Samba para un Sol »), et une batterie aussi chaloupée (« Aguas Profundas ») que subtile (« L'Instant »). Quant à la contrebasse, au son plein et rond, elle joue tantôt des lignes minimalistes (« L'Instant »), tantôt des motifs profonds (« Illusion »). Sa walking inaltérable complète à merveille le chabada de la batterie dans « Just In Time ».

Le latin-jazz de Brandeis est dynamique et malicieux, Résurgence va irrésistiblement faire dodeliner les têtes et déhancher les bustes !

Le disque


Résurgence

Andrien Brandeis

Adrien Brandeis (p), Felipe Cabrera (b), Abraham Masfarroll et Yaroldy Abreu Robles (perc) et Arnaud Dolmen (d).
Mantodea Music Production – MMP002
Sortie le 2 mai 2025

Les morceaux

01. « Cha-Cha Blue » (4:50).
02. « Keep on Grooving » (5:11).
03. « Un air de fête » (6:27).
04. « Aguas Profundas » (4:44).
05. « Pôr do Sol » (5:26).
06. « Illusion » (6:45).
07. « Zig Zag Road » (3:44).
08. « L'Instant » (5:28).
09. « Just in Time » (5:24).
10. « Au fil du temps » (4:58).
11. « Dear McCoy » (5:44).
12. « Nayeli » (3:01).
13. « Samba para un Sol » (5:07).
 
Tous les morceaux sont signés Brandeis.

26 avril 2025

Hélène Duret partage ses émotions à l’Atelier du Plateau

Le 26 mars 2025 l’Atelier du Plateau présente la troisième et dernière création d'Hélène Duret, réalisée pendant sa résidence dans ce « lieu pluridisciplinaire dédié aux résidences, à la création et à la diffusion, autoproclamé Centre dramatique national de quartier ». Après le duo pop-jazz Couple Sympathique, en compagnie du saxophoniste ténor Quentin Biardeau, et un spectacle en solo, Duret propose une suite en sextet.

Hélène Duret – L’Atelier du Plateau – 26 mars 2025 © PLM


Duret commence par le théâtre et le cinéma à l’université de Montpellier avant de bifurquer vers la musique, via le Conservatoire à Rayonnement Régional de Montpellier, puis le Conservatoire Royal Flamand de Bruxelles. Au début de sa carrière, elle explore tour à tour le théâtre musical (Zorozora), les musiques balkaniques (Quatuor Syrto), antillaises (Le Bal de Marie-Galante) et indé (The Pool Sessions). En 2020, Suzanne – Duret, Maëlle Desbrosses à l’alto et Pierre Tereygeol à la guitare – est lauréate de Jazz Migration # 7. En 2023, avec Emile Parisien en invité, le trio publie Travel Blind. Dans l’intervalle, Duret a rejoint Tricollectif et monté le Synestet avec Sylvain Debaisieux au saxophone ténor, Benjamin Sauzereau à la guitare, Fil Caporali à la contrebasse et Maxime Rouayroux à la batterie. Le quintet sort Les usures en 2019, Rôles en 2022 et Live in Belgium en 2024. En parallèle, la clarinettiste joue aux côtés de Sauzereau et Rouayroux dans FUR, qui enregistre Boîte noire en 2021 et Bond en 2024.

Pour sa création à l’Atelier du Plateau, Duret s’entoure de Biardeau, Léa Chiechelski au saxophone alto et à la flûte, Delphine Joussein à la flûte, Jessica Simon au trombone et Ariel Tessier à la batterie. La suite est composée de cinq mouvements, « morceaux inspirés d’états émotionnels intenses ».

Hélène Duret Sextet – L’Atelier du Plateau – 26 mars 2025 © PLM


Le premier mouvement – environ vingt cinq minutes, soit la moitié de la durée de la suite – est constitué de plusieurs tableaux. Tout d’abord, une ligne de basse à la clarinette s’intercale avec les cliquetis de la batterie pour planter le décor rythmique. Le trombone et le saxophone alto rejoignent bientôt la section rythmique qui continue sur sa lancée, entraînante et régulière. Pendant ce temps, le saxophone ténor brode avec majesté des phrases aériennes. Il fait monter la tension, appuyé par la batterie et les soufflants qui s’emballent, avant de s’envoler lui-même vers un free sauvage, dans l’esprit des années soixante-dix. Le duo des flûtes assure la transition vers un chorus mainstream du trombone, sur un foisonnement rythmique énergique. La parole est ensuite aux flûtes, avec un chorus expressionniste de Joussein, à grand renfort de bruitages, effets électro, vocoder, déflagrations, souffles, cris, voix... toujours poussée par une batterie imposante. S’ensuit un mouvement apaisé, tremplin idéal pour le saxophone alto qui passe d'un discours fluide et majestueux à des lignes aériennes puissantes, portées par une batterie fougueuse et des unissons denses. 
 
Accalmie après la tempête, le deuxième mouvement commence comme une ode, duo étiré entre la clarinette basse et le trombone sur la batterie jouée aux mailloches pour renforcer l’ambiance solennelle. Le solo de la clarinette basse, mélodieux et élégant, s’intensifie avec les contre-chants des soufflants, dans une atmosphère de musique de chambre. 
 
« La joie », troisième mouvement, est marquée par un démarrage dansant, construit à partir d'un décalage des voix et des crépitements de la batterie, musicale et énergique de bout en bout. Sur un décor de riffs à l'unisson, la clarinette basse et la flûte chantent un air qui débouche sur un superbe chorus de la clarinette. Les croisements de voix du final évoquent la musique contemporaine. 
 
« Révolution » porte bien son titre : un démarrage abrupt dans un style fanfare introduit un thème vif, exposé par le trombone sur un rythme de marche. Le morceau part en vrille dans une ambiance totalement débridée. Tous les instruments s’émancipent avec furie, dans un développement free collectif que conclut un solo monumental de la batterie. 
 
Dernier mouvement de la suite, « Tragédie » repose sur une batterie en apesanteur, une clarinette basse et un trombone qui jouent un motif lancinant, tandis que les saxophones et la flûte exposent une mélodie entraînante. La flûte se lance ensuite dans un chorus expressionniste à base d’effets électriques , paroles, souffles, cris… Le morceau se clôture de manière théâtrale sur une longue pédale sinistre.

Expérimentale, mais assaisonnée d’ingrédients figuratifs, la musique de Duret est particulièrement expressive et son sextet envoie du lourd !
 

06 avril 2025

A l’ouest – Les Incendiaires

Membres de l’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire, Olivier Bost, Guillaume Grenard et Eric Vagnon forment Les Incendiaires en 2013, et publient un disque éponyme en 2016. Le 7 février 2025, le trio sort A l’Ouest, autour de la musique d’Ennio Morricone.  


Pour A l’ouest, Bost joue du trombone et du banjo, Grenard de la trompette, du bugle et de l’euphonium, et Vagnon, des saxophones baryton et alto, et de la flûte à bec. Le trio a également demandé à Alfred Spirli, batteur et percussionniste, de combiner des percussions, et à Fred Soria, régisseur plateau, de construire le mécanisme adéquat, pour leur permettre de jouer à la fois de leurs instruments à vent (ou pas) et des percussions. Pas étonnant qu’avec une telle instrumentation le trio sonne comme une fanfare !

Bost, Grenard et Vagnon reprennent les musiques composées par Morricone pour un film de Tonino Valerii, Mon nom est personne (1973), et cinq films de Sergio Leone : Pour une poignée de dollars (1965), Le bon, la brute et le truand (1966), Il était une fois dans l’ouest (1968), Il était une fois la révolution (1971) et Il était une fois en Amérique (1984).

Le trio reprend fidèlement les principaux airs, à l’unisson (« Pour une poignée de dollars »), avec des riffs en contre-chant (« Mon nom est Personne »), dans un style vieux jazz (« Il était une fois dans l'ouest ») ou sous forme de questions-réponses (« Le bon, la brute et le truand »). Les Incendiaires retranscrivent parfaitement les ambiances dramatiques (« Le bon, la brute et le truand ») ou le suspens (« Mon nom est Personne »), tout en gardant ce recul propre aux westerns spaghettis (« Il était une fois dans l'ouest »), avec des traits d’humour (« Pour une poignée de dollars »), parfois bouffons (« Il était une fois la révolution »). Saxophones, trompettes, bugle et trombone se chargent des parties mélodiques, l’euphonium déroule ses lignes de basse, l’harmonica et le sifflement sont des clins d’yeux directs à Morricone, le banjo et la flûte apportent la touche folk western. Quant aux techniques étendues et aux percussions, elles jouent un rôle fondamental. Celui de retranscrire le côté expressif, voire figuratif de la musique de Morricone, avec les cavalcades tonitruantes (« Pour une poignée de dollars »), le tic-toc de la montre dans « Mon nom est Personne », et des effets concrets qui plantent des décors réalistes (« Il était une fois dans l'ouest »), comme les explosions d’« Il était une fois la révolution » ou le brouhaha des Années Folles (« Il était une fois en Amérique »). Les chorus débridés du baryton (« Il était une fois en Amérique ») et de l’alto (« Il était une fois dans l'ouest ») mettent du free dans la musique cinématographique de Morricone. Le trio sonne comme un brass band grâce à la superposition de lignes mélodiques et rythmiques (« Pour une poignée de dollars »), au croisement et décroisement des voix (« Il était une fois dans l'ouest »), au maniement habile des contrepoints (« Il était une fois la révolution »), à l’utilisation de décalages astucieux (« Il était une fois en Amérique ») et aux jeux avec le volume sonore et le tempo (« Le bon, la brute et le truand »).

Les Incendiaires mettent en scène les thèmes des bandes originales de Morricone avec beaucoup de sagacité et font revivre les films en une dizaine de minutes. Ce qui fait d’A l’ouest un disque savoureux du début à la fin !

Le disque

A l’ouest

Les incendiaires

Olivier Bost (tb, bj, percu), Guillaume Grenard (tp, bg, eu, percu) et Eric Vagnon (bs, as, fl, percu).
ARFI – AM078 2025
Sortie le 7 février 2025

Liste des morceaux

01 - Pour une poignée de dollars (10'52)
02 - Mon nom est personne (10'09)
03 - Il était une fois la révolution (12'29)
04 - Il était une fois en Amérique  (12'12)
05 - Il était une fois dans l'ouest (12'04)
06 - Le bon, la brute et le truand (10'33)

Toutes les compositions sont signées Morricone.

30 mars 2025

Quatre instruments migrateurs au Comptoir

Le 13 mars 2025 Le Comptoir programme le quinzième rendez-vous mensuel de Joce Mienniel et des instruments migrateurs. La règle du jeu est simple : le flûtiste invite des musiciens de tous horizons qui se rencontrent pour répéter le jour même et donnent leur concert dans la foulée.
 

Joce Mienniel – Musique au Comptoir – 13 mars 2025 © PLM


Pour cette session Mienniel est entouré de Séverine Morfin à l’alto, Daouda Mangara au n’goni et Denis Colin aux clarinettes basse et contralto. 

Denis Colin © PLM


Les thèmes des morceaux font la part belle aux rythmes, d’un thème-riff (« Stéréométries ») à un motif dansant (« Oeuvre sans titre »), parfois teinté de blues quand le n’goni s’en mêle. Ils laissent quand même la place à des dialogues quasiment langoureux entre l’alto et la flûte (« Musique au Comptoir »), avec, souvent, des couleurs folk world. Côté section rythmique, l’alto joue des ostinato en pizzicato ou des motifs folk, tandis que le n’goni place ses riffs entêtants, la flûte fait tourner ses boucles mélodico-rythmiques et la clarinette basse aligne des lignes entraînantes. Dans les développements, la flûte et ses techniques étendues – ou l’harmonica (« Musique au Comptoir ») – empruntent les sentiers de la World Music. L’alto, très à son aise dans ses musiques ethniques, ne se prive pas pour faire des excursions dans la musique médiévale (« Stéréométrie »), la clarinette basse swingue en contre-chant (« Œuvre sans titre ») et dans des dialogues pimentés (« Musique au Comptoir »), tandis que le n’goni lui répond avec verve (« Œuvre sans titre ») ou place des contre-chants élégants (« Improvisation collective » en bis).
 
 

Daouda Mangara © PLM


Comme dans chaque session, Mienniel laisse les musiciens jouer un morceau en solo a cappella pour présenter leur musique. Morfin part dans un chorus sombre et majestueux, avec des contrepoints qui évoquent la musique baroque. Mais, fait rarissime, la plaque de tête ou la tête de l’archet cèdent et la mèche avec, et elle doit s’interrompre… Ce n’est que partie remise, espérons-le, car son chorus était de toute beauté. Le solo de Mangara évoque le blues. Aidé par le public qui frappe des mains à sa demande, il alterne variations mélodiques et phrases rythmiques, ce qui donne l’effet d’avoir deux instruments en alternance. A la clarinette contralto, Colin prend son tour de chant sur « Samba e amo » de Chico Buarque. Colin transcende cette samba crépusculaire avec une sonorité ronde et grave, un swing contagieux et des lignes sinueuses d’une grande tenue. Quant à Mienniel, avec sa flûte et ses pédales, il commence par des boucles lointaines, des ostinatos, des phrases courtes vives et hachées, des effets multiples, pour un morceau dans un esprit rythmique, quasi musique concrète.
 
 
Bravo ! La musique des Instruments Migrateurs de Mienniel est réjouissante pour les oreilles et l’esprit. Espérons que cette belle résidence débouche sur un (des?) disque(s) et des tournées… qui ne pourront que faire du bien à tous !
 

  Séverine Morfin – Musique au Comptoir – 13 mars 2025 © PLM





29 mars 2025

While We’re Strollin’ – Virginie Daïdé Quartet

A ce jour, la discographie de Virginie Daïdé s’articule autour de trois axes : le jeune public avec la formation Rit Qui Qui et deux albums – Les vacances zones A, B, C (2019) et Vivre heureux dans un pull qui gratte (2021) –, la musique brésilienne avec également deux disques – De todo lado (2017), en trio avec Léo Cruz et Nicholas Thomas, puis Dream Jobim (2019), en compagnie d’un groupe à géométrie variable et la participation de Tom Harrell – et le Virginie Daïdé Quartet, avec encore deux opus, Moods (2023) et While We’re Strollin’ qui sort le 7 février 2025.

La saxophoniste a monté son quartet avec Nicolas Dri au piano, Thomas Posner à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie. Daïdé signe huit des onze compositions et les autres membres du quartet en proposent chacun une. Le titre de l'album évoque peut-être par hasard le Strollin' d'Horace Silver, mais ce n'en est pas moins une belle référence !

La plupart des morceaux commence par des thèmes-riffs (« Last Minute »), joyeux (« Let’s Go To The Gig ») et entraînants (« Rue du poulet »). Ils ont parfois des accents latin jazz (« Cerise pêche prune abricot »), voire funky (« Blowing Notes »). Le quartet ne boude pas non plus les ballades nonchalantes (« Forgetting »), langoureuses (« Gone ») ou sentimentales (« El descarillador »). Si ses chorus sont mélodieux (« Rue du poulet ») et ses riffs puissants (« Ginger Blues »), Posner joue plutôt des lignes minimalistes (« Esplanade ») et aérées (« El descarillador »). Comme quand il jouait avec Henri Texier, d’ailleurs « Let’s Go To The Gig » rappelle certaines compositions du contrebassiste, Rabeson déploie un jeu chatoyant (« Last Minute »), truffé de crépitements (« Ginger Blues »), cliquetis (« Cerise pêche prune abricot »), roulements mats et secs (« Esplanade »), frappes imposantes (« El descarillador »), chabada flexible (« Forgetting »)… et le solo sur les tambours de « Let’s Go To The Gig » est impressionnant. Le swing de Dru est contagieux (« Blowing Notes ») et dansant (« El descarillador »). Son touché clair (« Last Minute »), son phrasé élégant (« Esplanade ») et ses contre-chants judicieux (« Let’s Go To The Gig ») fomentent la cohésion du quartet. Quant à Daïdé, sa sonorité ample et velouté (« Blowing Notes ») sert un discours dynamique (« Ginger Blues »), tout en souplesse (« Cerise pêche prune abricot ») et fluidité (« Last Minute »). Ses dialogues avec la batterie (« The Milman On The Steps ») ou le piano (« Gone ») et ses interactions en trio (« Forgetting ») ne manquent pas de sel.

La structure thème – solos – thème (« Last Minute »), les expositions à l’unisson (« The Milkman On The Steps »), les variations enlevées (« Cerise pêche prune abricot ») et la rythmique énergique (« Esplanade ») inscrivent While We’re Strollin’ dans une lignée néo-bop moderne et tendue.
 
Le disque
 
While We’re Strollin’
Virginie Daïdé Quartet

Virginie Daïdé (ts, ss), Nicolas Dri (p), Thomas Posner (b) et Tony Rabeson (d).
DSY – 2BPR018
Sortie le 7 février 2025
 
Liste des morceaux
 
01. « Last Minute » (4:42).
02. « Ginger Blues » (3:28).
03. « Esplanade » (5:28).
04. « Cerise pêche prune abricot », Rabeson (6:18).
05. « Forgetting » (3:53).
06. « The Milkman On The Steps », Posner (4:04).
07. « Rue du poulet » (3:29).
08. « Gone » (3:40).
09. « Blowing Notes » (4:51).
10. « El descarillador », Dri (5:51).
11. « Let’s Go To The Gig » (3:45).

Toutes les compositions sont signées Daïdé sauf indication contraire.

22 mars 2025

Décollage au Bal Blomet

Pour célébrer la sortie de Liftoff, le 11 mars 2025 le Bal Blomet programme le trio du saxophoniste Robin Verheyen, avec Drew Gress à la contrebasse et Billy Hart à la batterie.

Créé en 1924, le Bal Blomet est le plus ancien club de jazz d’Europe encore en activité. Situé à quelques encablures de Montparnasse, dans le quinzième arrondissement, le Bal Blomet, un temps surnommé le « Bal Nègre » par Robert Desnos, a traversé les années folles et des artistes emblématiques l’ont fréquenté à l’instar de Joséphine Baker, Foujita, Man Ray, Jean Cocteau, Joan Miro, Piet Mondrian, Henry Miller… Plus tard, et avant qu’ils ne fassent de Saint-Germain-des-Prés leur quartier général, Jacques Prévert, Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Simone de Beauvoir, Juliette Greco… y font également la fête. Au cours des années soixante le club périclite, puis se transforme en café pendant plus de vingt-cinq ans. A partir de 1989 il redevient un club de jazz, le Saint-Louis Blues, mais ferme définitivement ses portes en 2006. En 2011, alors qu’il va disparaître, Guillaume Cornut décide de le réhabiliter et le Bal Blomet rouvre ses portes en 2017. La salle (et son bar, fort sympathique) proposent à deux cent cinquante spectateurs d’écouter et de voir des concerts de jazz ou de musique classique, des spectacles musicaux et des conférences culturelles.
 
Robin Verheyen - Le Bal Blomet - 11 mars 2025 © PLM

Diplômé du Conservatorium van Amsterdam et passé par la Manhattan School of Music, Verheyen s’est installé à New York en 2006. Il fait ses classes avec le gotha du jazz new-yorkais, de Ravi Coltrane à Brandford Marsalis, en passant par Maria Schneider, Roy Hargrove, Tom Rainey, Tyshawn Sorey… En 2012, il joue avec Marc Copland en duo et en quartet, aux côtés de Gary Peacock et Joey Baron. C’est également à cette époque qu’il collabore avec Gress. En 2018, Verheyen publie When The Birds Leave en compagnie de Copland, Gress et Hart.
 
Drew Gress - Le Bal Blomet - 11 mars 2025 © PLM

Pour son dix-neuvième album, Liftoff, qui sort le 7 février 2025 chez InnerVoiceJazz, Verheyen est accompagné de Gress et Hart. Il signe neuf compositions et le trio reprend « Trippin’ In Times Square » de Copland et « Over The Rainbow » d’Harold Arlen et Edgar Yipsel Harburg. Pour le concert, le trio joue neuf titres de Liftoff et le fameux thème de Thelonious Monk, « Blue Monk ». 
 
Billy Hart - Le Bal Blomet - 11 mars 2025 © PLM

Comme sur le disque, le set commence par « Tripping in Time Square ». Après un démarrage fracassant dans un style hard-bop, soutenu par une batterie puissante et une contrebasse tout en souplesse, le saxophone ténor développe le thème dans une veine néo-bop tendue. Instrumentation sans piano et énergie obligent, l’ombre de Sonny Rollins plane sur ce premier morceau. C’est en hommage à un autre géant du jazz, Wayne Shorter, que Verheyen a composé la jolie valse intimiste « Saudades ». Les motifs minimalistes de Gress, les balais admirables de subtilité d’Hart et l’élégance du discours de Verheyen expriment à merveille cette nostalgie savoureuse qui caractérise la saudade. Verheyen est parti d’un air écrit par sa fille pour composer « Sophie’s Musing ». Cette comptine prend une tournure solennelle avec un saxophone ténor entre blues et ballade, une batterie intense aux mailloches et un chorus majestueux de la contrebasse. Composé pendant une résidence au Sénégal, « Sur la route de Tamba » démarre sans crier gare, puis, encouragé par une contrebasse solide et une batterie pêchue, le saxophone soprano déroule des lignes à la fois nerveuses et fluides, dans un esprit shorterien. « Soul Searching » porte bien son titre. La jolie mélodie au parfum mélancolique débouche sur un solo du saxophone ténor nonchalant, mais plein de swing, un peu à la Stan Getz, tandis que les balais d’Hart font toujours des prodiges et la sonorité profonde de Gress renforce la noblesse du morceau. Après une introduction impressionnante de la batterie à base de roulements de tambours, le morceau-titre de l’album part dans une direction free, qui rappelle l’univers de Steve Lacy. La walking rapide de la contrebasse et le jeu touffu de la batterie mettent le saxophone soprano sous pression. Dense et fiévreux, « Liftoff » se conclut sur un solo monumental d’Hart. Retour au saxophone ténor pour « Over The Rainbow », avec un préambule raffiné a cappella de Verheyen suivi d’un développement au cordeau, souligné par une contrebasse économe et des balais toujours aussi voluptueux. Le trio reste dans la délicatesse avec « Slow Eleven ». L’introduction habile et mélodieuse de Gress lance les variations sophistiquées de Verheyen, mises en relief par les mailloches imposantes d’Hart. « The Bounce » s’inscrit typiquement dans l’esthétique néo-bop : les envolées énergiques du saxophone ténor sont propulsées par une walking vive et un chabada leste. La conclusion d’Hart est un solo imposant, d’abord sur les cymbales, puis sur les peaux, avec des roulements furibonds. En 2017, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Monk, Verheyen a monté MixMonk avec le pianiste Bram De Looze et le batteur Joey Baron. Pour le bis, il puise donc dans le répertoire de ce trio et interprète « Blue Monk ». Verheyen, Gress et Hart prennent le thème au ralenti en accentuant le côté blues : saxophone ténor sale et criard, rythmique bluesy avec les shuffle de la contrebasse et les frappes ternaires appuyées de la batterie.

Liftoff s’inscrit dans une lignée néo-bop moderne marquée par la touche personnelle de Verheyen : une musique nette et précise, servie par une dynamique spontanée et une mise en place irréprochable...

Le disque

Liftoff

Robin Verheyen

Robin Verheyen (ts, ss), Drew Gress (b) et Billy Hart (d)
InnerVoiceJazz – IVJ109
Sortie le 7 février 2025

Liste des morceaux

01. « Tripping in Times Square », Marc Copland (04:15).
02. « The Bounce » (06:12).
03. « Sur La Route de Tamba » (04:38).
04. « Soul Searching » (06:24).
05. « A Feather » (05:37).
06. « Sophie's Musings » (05:07).
07. « Over The Rainbow », Harold Arlen et Yip Harburg (08:25).
08. « Saudades » (05:33).
09. « Liftoff » (03:28).
10. « Slow Eleven » (03:02).
11. « The Path » (04:40).

Tous les morceaux sont signés Verheyen sauf indication contraire.

15 mars 2025

A Tree In The Mist – Matteo Bortone No Land’s

Bassiste transalpin passé par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Matteo Bortone monte Travelers au début des années 2010 avec Antonin-Tri Hoang au saxophone alto et aux clarinettes, Francesco Diodati aux guitares et Guilhem Flouzat à la batterie. Le premier opus, Travelers, sort en 2013. Pour Time Images, publié en 2015, Ariel Tessier succède à Flouzat. Le saxophoniste ténor et clarinettiste Julien Pontvianne et le pianiste Yannick Lestra rejoignent le quartet qui devient No Land’s. Le premier album éponyme du sextet sort en 2020. En parallèle, avec son trio constitué d'Enrico Zanisi au piano et Stefano Tamborrino à la batterie, Bortone a enregistré ClarOscuro en 2018.


A Tree In The Mist, cinquième disque de Bortone et deuxième de No Land’s, est sorti le 28 février sur le label Onze Heures Onze. Pontvianne, Lestra et Tessier sont toujours de l’aventure, mais Benjamin Garson remplace Diodati à la guitare. Les titres des neuf morceaux signés Bortone reflètent son goût pour la mythologie – « Mnémosyne », la Déesse grecque de la Mémoire, « Hyades », les nymphes de la pluie, « Jukurrpa », le temps de la création du monde dans la culture aborigène – la philosophie – « Panthéisme » – et les voyages – « Okra », autre nom du gombo, typique de la Louisiane, « Tosh », village hippie dans le nord de l’Inde, « Sud Sud Est » qui, en navigation, est l’un des huit vents collatéraux secondaires.

A Tree In The Mist porte bien son titre : les mélodies sont tour à tour planantes (« Jukurrpa »), lancinantes (« Counter Hit »), éthérées (« Sud Sud Est »), mélodieuses et lointaines (« Okra ») ou dépouillées (« Panthéisme »). Thème-riff aux allures rock, « Tosh » est l’exception qui confirme la règle. Les développements restent le plus souvent dans une ambiance vaporeuse (« White Count »), cérémoniale (« Mnémosyne ») ou aérienne (« Jukurrpa »). Des leitmotiv servent de base à des variations sobres (« Hyades ») et le quintet joue aussi sur des contrastes entre des lignes mélodiques flottantes et des arrières-plans touffus (« Counter Hit »), voire carrément rock (« Tosh »). Côté rythme, la batterie crépite (« Hyades »), cliquette (« Counter Hit »), en met partout (« Panthéisme »), roule furieusement (« Hyades »)… mais se montre également bruissante (« Okra ») et souple (« Sud Sud Est »). Le son organique très acoustique de la batterie met en relief la sonorité aérienne des autres instruments (« Mnémosyne »). La guitare saturée (« Tosh »), les claviers cristallins (« White Count »), les textures électro (« Jukurrpa »), les effets de souffle (« Okra »), les atmosphères crépusculaires (« Mnémosyne »), les bourdonnements diffus (« Hyades »), les bruitages électriques (« Jukurrpa »)… dessinent des paysages sonores entre science-fiction et médiéval fantastique.

A Tree In The Mist combine jazz, minimalisme, ambient et rock alternatif pour un cocktail musical élégant et corsé.
 
Le disque
 
A Tree In The Mist

Matteo Bortone No Land’s

Julien Pontvianne (sax, cl), Benjamin Garson (g), Yannick Lestra (kbd), Matteo Bortone (b, electro) et Ariel Tessier (d)
Onze Heures Onze – ONZ055
Sortie le 28 février 2025
 
Liste des morceaux
 

01. « Jukurrpa » (03:48).
02. « Counter Hit » (03:57).
03. « Okra » (07:06).
04. « White Count (05:43).
05. « Mnémosyne » (06:57).
06. « Pantheisme » (05:36).
07. « Sud Sud Est » (03:47).
08. « Tosh » (04:16).
09. « Hyades » (06:30).
 
Tous les morceaux sont signés Bortone sauf indication contraire.
 

08 mars 2025

Les instruments migrateurs de retour au Comptoir…

Le 13 février 2025, au Comptoir, Joce Mienniel présente le quatorzième opus des Instruments Migrateurs. Pour ce deuxième épisode de la saison trois le flûtiste convie la musicienne palestinienne Kamilya Jubran à l’oud et à la voix, nouvelle venue dans l’univers de Mienniel, mais ouverte au jazz, comme le prouve Yokal, un duo avec la contrebassiste Sarah Murcia publié le 6 décembre 2024, et Iyad Haimour au qanûn et au ney, musicien syrien qui a participé au sextet de Mienniel pour le disque Babel, sorti en 2018.

Joce Mienniel – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM

Le programme du concert tourne autour de sept morceaux plus un rappel : trois compositions signées Mienniel – « Baïkal », « Stéréométrie » et un solo a cappella –, une chanson de Jubran – « Yokal » –, une pièce d’Haimour – « Melisdjane » –, « Aho Dah elli Sar » de Sayed Darwich et « Ya Zarif Al-Toul », un chant traditionnel palestinien.
 
Une construction sophistiquée de phrases mélodieuses, contrepoints, pédales et ornements du qanûn introduit « Baïkal » avec une majesté monumentale. Ce morceau tiré de Babel est souvent au répertoire de Vincent Peirani et François Salque, comme le souligne Mienniel. Sur un motif rythmique dynamique de la flûte et soutenu par le qanûn, l’oud prend un solo solennel, parsemé de trémolos. S’ensuit un chorus de la flûte, qui alterne des passages graves et lointains avec des envolées débridées, sur un accompagnement en forme de dialogue astucieux entre l’oud et le qanûn. 
 
« Stéréométrie », le fil rouge des Instruments Migrateurs est interprété systématiquement à chaque concert et permet à Mienniel de présenter les musiciens. C'est un thème-riff aux couleurs world. Les enchevêtrements de boucles de la flûte servent de décor aux développements mélodico-rythmiques dansants de l’oud et du qanûn, qui égrène des lignes arpégées véloces, préludes à des questions-réponses piquantes. 
 
Comme à chaque session les musiciens jouent chacun un solo a cappella, reflet de leur univers. Jubran commence avec « Yokal », morceau-titre du disque qu’elle vient de sortir et qui signifie « on dit que ». Jubran déclame d’abord un marabout sur la situation des Palestiniens, « un peuple en révolte avec un cœur tendre [qui] trouvera sa liberté » ! Quant à l’air, sorte de blues moyen-oriental, il est souligné par les motifs rythmiques entraînants de l’oud. 
 
Le trio se reforme ensuite pour « Melisdjane », un hommage à la danseuse et conteuse Melisdjane Melisanda Sezer. Ce morceau émouvant repose sur un thème-riff oriental imposant exposé par le qanûn, souligné par les motifs minimalistes de l’oud et par les variations rythmiques de la flûte. Le développement de « Melisdjane » révèle une belle connivence du trio. 
 
Le chorus a cappella de Mienniel s’appuie sur des boucles imbriquées, des superpositions de phrases courtes et des effets sonores, comme une sorte de musique du monde concrète. Pour son solo, Haimour a troqué le qanûn contre le ney. Il reprend « Ya Zarif Al-Toul » (« celui qui a une belle allure »). Entre passages mélodieux et rappels rythmiques, l’air évoque une ronde folklorique, servie par le son épais, vibrant et nasillard de cette flûte orientale. 
 
Iyad Haimour – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM
 
Jubran essaie ensuite de faire chanter le public sur « Aho Dah elli Sar », un taqtûqa ou chanson légère. Même si l’air, typiquement moyen-oriental, est séduisant, entre la prononciation de l’Arabe, les modulations et le traitement rythmique, le public a bien du mal à suivre ! L’oud et le qanûn s’en donnent à cœur joie, la flûte intervient subtilement, tandis que la voix élégante de Jubran déroule les couplets, avant une montée en tension particulièrement intense. Dans le bis, un leitmotiv vif et répétitif sert d’arrière-plan aux volutes fluides et  gracieuses de la flûte.
 
Kamilya Jubran – Le Comptoir – 13 février 2025 © PLM

 

Mienniel et les Instruments Migrateurs montrent une fois encore par la musique qu’avec un brin de curiosité et une once d’écoute, le paradis c’est les autres… 

22 février 2025

Digression – Crossing

Passés par l’IMEP - Paris College of Music, le saxophoniste Baptiste Poulin et le pianiste Xavier Belin ont monté Crossing en 2018. Digression, premier disque du duo, a été enregistré au Crescent dans les conditions d’un concert et sort chez Madajam le 24 janvier 2025. Les sept morceaux au programme sont signés Poulin et Belin.

Dans l’ensemble les thèmes sont plutôt mélodieux, parfois teintés de nostalgie (« Entre terre et mer »), avec un air de berceuse (« Solitude ») ou chatoyants (« Si j’avais »), et souvent construits sous forme de thème-riff (« Travail d’équipe »). Quand viennent les développements, le saxophone et le piano alternent des contre-chants (« Entre terre et mer ») et des unissons élégants (« In A Hurry »), des dialogues vifs (« Travail d’équipe ») et des questions – réponses piquantes (« Entre terre et mer »), des décalages des voix en canon (« Arquer bô lanmè ») et des ostinatos entêtants (« Digression »). Les interactions sont vives, parsemées de sauts rythmiques et de croisements de phrases chaloupées (« Entre terre et mer »), sur des accompagnements entrainants (« Si j’avais ») avec, ça-et-là, des riff funky (« Travail d’équipe ») et une mise en place aux petits oignons (« Arquer bô lanmè »). Ils essaiment leurs discours de fulgurances amusantes (« Solitude »), de ruptures impromptues (« Travail d’équipe »), de spatialisation du son, avec de la réverbération et de l’écho (« Digression »), ou de crépitements électriques (« In A Hurry »), dans une ambiance néo-bop high tech (« Digression »). Le duo gère le suspens avec une habileté (« In A Hurry ») qui lui donne beaucoup de présence (« Digression »). Les solos du piano et du saxophone alto sont sur la même longueur d’onde (« Travail d’équipe ») : les chorus du piano fleurent bons l’atmosphère dansante des îles (« Arquer bô lanmè »), avec des exposés énergiques (« Si j’avais ») et, toujours, des touches délicates en filigrane (« In A Hurry ») ; l’alto se montre tantôt gracieux (« Solitude »), tantôt dans une lignée néo-bop fluide et rapide (« In A Hurry »), avec des envolées d’autant plus nerveuses que le piano prend du plaisir à faire monter la pression (« Digression »).

Digression porte bien son titre : les discussions animées de Poulin et Belin prennent souvent la clé des champs, portées par des joutes de notes jubilatoires et des batailles d’idées bouillonnantes… Et Crossing n’en est qu’à son premier opus !


Le disque

Digression

Crossing

Baptiste Poulin (as) et Xavier Belin (p).
Madajam – MDJ001
Sortie le 24 janvier 2025
 
Liste des morceaux

01. « Entre terre et mer » (6:09).
02. « Arquer bô lanmè » (6:21).
03. « Solitude » (6:03).
04. « Travail d'équipe » (9:09).
05. « Si j'avais » (7:21).
06. « In A Hurry » (8:29).
07. « Digression » (9:07).

Tous les morceaux sont signés Crossing.

16 février 2025

Le Temps est parti pour rester à l’Ermitage

Voilà près de vingt-cinq ans qu’Andy Emler a formé ETE avec ses compères Claude Tchamitchian et Eric Echampard. Après cinq projets en trio – Tee Time (2003), A quelle distance sommes-nous ? (2005), Sad and Beautiful (2014), The Useful Report (2022) et There Is Another Way – ETE s’associe à un octuor de clarinettes.

La compagnie Aime l’air présente Le temps est parti pour rester au Studio de l’Ermitage le 5 février 2025, à l’occasion de la sortie du disque éponyme chez PeeWee! deux jours plus tard. L’octuor est composé de trois clarinettistes d’obédience plutôt classique, voire musique contemporaine, mais pas que... – Emmanuelle Brunat, Florent Pujuila et Nicolas Fargeix – et de cinq clarinettistes rompus au jazz, mais pas que… : Elodie Pasquier (malheureusement en arrêt maladie le soir du concert), Catherine Delaunay, Thomas Savy, Laurent Dehors et « un soliste de renom », Louis Sclavis.

Le concert reprend les neuf morceaux du disques, structurés comme une suite. Emler constate que « les différents thèmes ont tous un rapport avec la météo... Pourquoi ? Je ne sais pas ». Les titres « sont des expressions détournées » : « Des temps de ouf », « Des nuages dans la tête », « Le temps est parti pour rester », « Précipitations 12023 », « Le vent du chnord », « Chaud... et show », « Des canards en froid », « Par les champs qui... »... Et il rajoute avec dérision : « ne me demandez pas d’explication pour les titres… Je demanderai au compositeur, mais il ne le sait pas lui-même, je crois... ».


La construction « Des temps de ouf » est complexe et rebondit dans tous les sens entre les chœurs de clarinettes fulgurants et touffus, les variations nerveuses de la section rythmique, les cabrioles aériennes de Fargeix au-dessus des lignes fluides d’Emler et des contrepoints des clarinettes, ou encore les musiciens qui se mettent à parler à qui mieux mieux comme une foule... « Des nuages dans la tête » frise le rock progressif : les riffs sourds des clarinettes et la rythmique puissante plantent un décor aux petits oignons pour les envolées free débridées de Sclavis. Un duo élégant, sorte de complainte aux accents contemporains entre le cor de basset de Delaunay et la contrebasse de Tchamitchian conclut le morceau. Les clarinettes à l’unisson accueillent Dehors et sa clarinette contrebasse grave, mais facétieuse. Par la suite « 2 climatologies » s’emballe, porté par les roulements furieux d’Echampard, les vrombissements de Tchamitchian, les motifs vigoureux d’Emler et le délire des clarinettes, tandis que Savy et Fargeix, imperturbables, développent chacun à leur tour des lignes claires et entraînantes. Le piano joue « Précipitations 12023 » en solo. C’est un intermède majestueux, souligné par un chœur discret en arrière-plan. Avant d’interpréter le morceau-titre prémonitoire, « Le Temps est parti pour rester », Emler salue le travail réalisé par Vincent Mahey et son label PeeWee!, d’autant plus que, comme il le constate avec une pointe d’amertume : « on enregistre des disques pourquoi ? Parce qu’on ne les vend plus ! Mais c’est pour montrer qu’on existe encore »… Et, sur une section rythmique toujours intense et teintée de rock prog, les clarinettes caquettent à l’envi et croisent leurs voix dans tous les sens, pleine de vie, comme pour donner raison à Emler ! « Les vents du chnord » commence dans une ambiance de sonate, avec un dialogue raffiné entre la clarinette de Brunat et le piano d’Emler. Delaunay et Tchamitchian, à l’archet, prennent la suite et passent d’un mouvement ample à un rock free, soutenus par une rythmique grondante. « Chaud et… Show » porte bien son nom : un accompagnement luxuriant et un piano – contrebasse – batterie déchaîné permettent à Fargeix d’enflammer sa clarinette pour un chorus de bravoure, dans l’esprit dixieland. Des riffs entraînants, de vives harmonies et des lignes enlacées soutiennent Pujuila, puis Savy, qui soliloquent avec éloquence sur « Des canards en froid ». La coda revient encore à Delaunay et Tchamitchian, toujours aussi subtils. Le concert (et le disque) se clôture sur « Par les champs… » tendu, qui met en avant la force de frappe d’Echampard, avant un final de contre-chants dans un esprit très début XXe. Le premier bis est une bagatelle bluesy que Sclavis joue... à l’harmonica, avec Tchamitchian et Emler. Pour le deuxième bis, l’orchestre reprend un extrait de « Par les champs... » avec toujours autant de densité et de pression.

Sophistiquée mais abordable, moderne et dansante, surprenante ou familière, la musique du « Temps est parti pour rester » est brillante et s’écoute sans fin...  


Le disque

Le Temps est parti pour rester
Andy Emler
Elodie Pasquier (cl), Nicolas Fargeix (cl), Emmanuelle Brunat (cl, bcl), Florent Pujuila (cl, bcl), Louis Sclavis (cl, bcl), Catherine Delaunay (cl, cdb), Thomas Savy (bcl), Laurent Dehors (cl, bcl, cbcl), Andy Emler (p), Claude Tchamitchian (b) et Eric Echampard (d).
PeeWee! – PW1016
Sortie le 7 février 2025

 

 

Liste des morceaux

01. « Des temps de ouf » (4:26).
02. « Des nuages dans la tête » (6:20).
03. « 2 climatologies » (6:48).
04. « Précipitations 12023 » (3:58).
05. « Le Temps est parti pour rester » (7:08).
06. « Les Vents du chnord » (5:11).
07. « Chaud et... show » (6:47).
08. « Des canards en froid » (8:28).
09. « Par les chants qui... » (5:05).

Tous les morceaux sont signés Emler.