Du trio classique avec
piano – contrebasse à l’original trompette – guitare, en passant par saxophone –
contrebasse et saxophone – Fender, quatre fois trois musiciens avec, comme seul
instrument commun, la batterie…
Touch and Flee
Neil Cowley Trio
Précoce, Neil Cowley commence par une carrière de
concertiste classique, mais au début des années quatre-vingts dix, il s’oriente
vers la soul, le funk et le jazz-rock. A partir de 2002 Cowley se tourne vers
la musique électronique downtempo : c’est d’abord le duo Fragile State, en
compagnie du DJ Ben Mynott, puis, en
2006, Soundcastles, sous le nom Pretz.
La même année il crée le Neil Cowley Trio avec Rex Horan à la contrebasse et Evan
Jenkins à la batterie. En parallèle Cowley accompagne et enregistre avec
les chanteuses de variété Adele, Emeli Sandé, Birdy etc.
Depuis sa création, le Neil Cowley Trio publie un disque
tous les deux ans et Touch and Flee
et son cinquième album, sorti chez Naïm en septembre 2014. Les neufs
compositions – concises et denses – sont signées Cowley.
A part quelques effets discrets de synthétiseur dans
« Mission », Touch and Flee
est acoustique. L’influence de la pop est tangible dans l’approche
mélodique : des ritournelles délicates (« Kneel Down »,
« Bryce »), minimalistes (« Queen »), qui contrastent avec
les motifs sourds de la main gauche du pianiste, de la contrebasse et de la
batterie. Quant à l’électro, il est présent dans le traitement rythmique :
ostinatos presque mécaniques (« Kneel Down »), tourneries répétitives
(« Sparkling »), boucles imbriquées (« Couch Slouch »),
roulements serrés de la batterie (« Queen »)… Cowley met à profit une
indépendance des mains peu commune : sa main gauche – rythmique plutôt
qu’harmonique – fait corps avec la contrebasse et la batterie, tandis que la
main droite joue volontiers des mélodies élégantes, aigues et cristallines.
Horan est un peu l’électron libre du trio qui tantôt renforce l’impact
rythmique d’un rif sourd, tantôt promène ses lignes souples et sinueuses
au-dessus de la mêlée. Jenkins est un alliage de jeu binaire, mat et rapide,
typiquement rock, et de légèreté entre pop et jazz, mais toujours ramassé et
tendu.
Avec son esprit pop jazz, ses mélodies astucieuses et ses
rythmes irrésistibles, Touch and Flee
a tous les atouts pour plaire, d’autant plus que le Neil Cowley Trio possède
une sonorité séduisante.
Le disque
Touch and Flee
Neil Cowley Trio
Neil Cowley (p), Rex Horan (b) et Evan Jenkins (d).
Naim Jazz Records – naimcd206
Sortie en septembre 2014
Liste des morceaux
01. « Kneel Down » (5:53).
02. « Winterlude
» (1:58).
03. « Sparkling
» (4:55).
04. « Gang
of One » (3:11).
05. « Couch
Slouch » (4:02).
06. « Bryce
» (3:48).
07. « Mission
» (2:29).
08. « Queen
» (6:17).
09. « The Art » (3:03).
Tous les morceaux sont signés Cowley, sauf indication
contraire.
Whahay
Paul Rogers, Robin
Fincker & Fabien Duscombs
Le contrebassiste Paul
Rogers s’est fait remarquer dès le début des années soixante-dix dans les
formations d’Elton Dean, Evan Parker, Kenny Wheeler, Tony Levin…
En 1986, Rogers intègre le quartet Mujician de Keith Tippett, puis s’installe à New-York, le temps d’accompagner Gerry Hemingway, Don Byron, Tim Berne… De
retour en Europe, Rogers rejoint Equip’Out de Pip Pyle avec Dean et Sophia
Domancich, puis s’installe en France dans les années quatre-vingts dix. En
2012, il forme un trio avec Robin
Fincker et Fabien Duscombs pour créer
une suite musicale autour de l’œuvre de Charles
Mingus.
Whahay évoque les
onomatopées qui émaillent les interventions de Mingus. Le disque, enregistré
par Gérard de Haro aux Studios La
Buissonne, sort en octobre 2014 sur le label du collectif toulousain FreddyMorezon. Toutes les compositions sont signées Mingus : « Better Git
It In Your Soul », « Bird Calls » et « Goodbye Pork Pie Hat » sont
reprises – entre autres – de Mingus Ah Um
(1959), « Jump Monk » et « Work Song » sortent de Mingus at the Bohemia (1955), « Pithecanthropus Erectus » et «
Reincarnation of a Lovebird » proviennent des albums éponymes (respectivement
1956 et 1960), « Ecclusiastics » est tiré de Oh Yeah (1962), quant à « Canon », sans doute moins connu, il vient
de Mingus Moves (1973).
Avec trois musiciens qui sillonnent l’avant-garde européenne
depuis autant d’années, une relecture du répertoire de Mingus ne peut qu’être
non conformiste. Whahay, c’est
d’abord une matière sonore compacte, franche et naturelle. Le parti-pris acoustique
et le format en trio donnent une sonorité chaude, renforcée par
l’instrumentation : clarinette ou saxophone ténor, contrebasse (avec sept
cordes qui la font sonner parfois comme un violoncelle, « Ecclusiastics ») et
batterie. Même s’ils sont souvent cités en filigrane dans les développements
(« Better Git It In Your Soul » dans le chorus du ténor) les mélodies
de Mingus ne servent que de prétexte aux improvisations souvent débridées du
trio (« Pithecanthropus Erectus »). Après
l’exposition du thème, la structure des morceaux évolue au grès des
idées : dans « Work Song » Rogers prend un chorus stupéfiant à
l’archet, dans lequel les contrepoints de Johann
Sebastian Bach côtoient les cris aylériens, en pizzicato il croise le gros
son ample et la tessiture de sa contrebasse pour jouer des solos
particulièrement savoureux (« Jump Monk ») ; « Canon »
donne à Duscombs l’occasion de faire les quatre cent coups sur ses peaux, d’une
série de cliquetis nuancés à des roulements furieux encouragés par un unisson
tendu de la contrebasse et du ténor ;
La clarinette de Fincker se montre apaisée et sensuelle dans « Goodbye
Pork Pie Hat », tandis que le ténor passe d’une ligne délicate (« Reincarnation
of a Lovebird ») à des hurlements sauvages (« Pithecanthropus Erectus »)… Sans
la contrainte du temps, Fincker – Rogers – Duscombs doivent pouvoir laisser
libre-court à leur imagination fertile et, l’écoute de Whahay laisse présumer que leurs concerts doivent valoir le
déplacement !
Whahay a beau
taquiner la musique contemporaine (« Reincarnation of a Lovebird »),
s’encanailler avec le rock (« Bird Calls »), voire flirter avec la musique
indienne (« Goodbye Pork Pie Hat »), le disque s’inscrit clairement dans la
lignée free.
Le disque
Whahay
Paul Rogers, Robin Fincker & Fabien Duscombs
Robin Fincker (ts, cl), Paul
Rogers (b) et Fabien Duscombs (d).
Mr Morezon / 009
Sortie en octobre 2014
Liste des morceaux
01. « Better Git It in Your Soul » (6:18).
02. « Ecclusiastics » (5:09).
03. « Jump Monk » (6:49).
04. « Canon » (5:59).
05. « Pithecantropus Erectus » (5:08 ).
06. « Reincarnation of a Lovebird »
(8:15).
07. « Bird Call » (2:18).
08. « Work Song » (5:23).
09. « Goodbye Pork Pie Hat » (5:48).
Toutes les compositions
sont signées Mingus.
Trust
Jozef Dumoulin &
The Red Hill Orchestra
Au début des années quatre-vingts dix Jozef Dumoulin découvre le jazz et s’inscrit au Conservatoire Royal
de Bruxelles dans les classes de Diederik
Wissels et Nathalie Loriers. Il
suit ensuite pendant deux ans les cours de John
Taylor au Musikhochschule de Cologne. Dans
les années deux mille, Dumoulin se partage entre le piano – Mogno avec la chanteuse Barbara Wiernik – et le Fender Rhodes –
Magik Malik, Octurn, Benzine, Reggie Washington… Installé à Paris
depuis 2006, il enregistre trois disques pour le label Bee Jazz : Trees Are Always Right avec Lidlboj, Rainbow Body avec un trio constitué de Trevor Dunn et Eric Thielemans et A Fender
Rhodes Solo. Dumoulin joue également avec Benoît Delbecq, Nelson Veras,
Jérôme Sabbagh… En 2013, Le French –
American Jazz Exchange (FAJE) lui octroie des fonds pour monter un projet avec Ellery Eskelin et Dan Weiss : c’est The Red Hill Orchestra qui sort Trust sur le label Yolk en novembre
2014.
Dumoulin a composé neuf des douze thèmes de Trust, « Now that I have a Human Body »
est un intermède en duo avec Eskelin et Dumoulin, tandis que les deux derniers
sont des improvisations collectives. Pas d’unité de temps pour The Red Hil
Orchestra : les morceaux durent d’une minute treize, « Sleeping
Warriors », à dix minutes seize, « The Gate ». Pas d’unité
harmonique pour The Red Hill Orchestra : fonds sonores synthétiques
(« M ») et motifs mélodiques dissonants (« Up And Down »)
se partagent la partition. En revanche, l’unité d’atmosphère, c’est le truc du
Red Hill Orchestra …
Le Fender, mystérieux et lointain (« Sea Green »),
voire spatial (« Inner White »), évoque souvent la science-fiction (« Lord Blue
Throat »). Au milieu des nappes électro et des effets bruitistes (fritures
dans « M »), Dumoulin joue des motifs de basse sourds et entraînants
(« The Gate ») et déroule des lignes arpégées cristallines
(« Sea Green »), mais semble surtout concentré sur le climat sonore
de chacun des morceaux. Son feutré et souffle omniprésent, le son d’Eskelin renforce
l’ambiance énigmatique du trio. Ses lignes courtes à la fois dissonantes,
fragiles et mélodieuses (« Water Bears »), passent aussi d’un
minimalisme délicat presqu’abstrait (« Inner White ») à un intimisme
chaleureux (« M »), puis à un développement free (« The
Gate »). Eskelin se fait également solennel et majestueux, à la Charles Lloyd de Lift Every Voice, dans « Said A Blade Of Grass ». Weiss
est le garant du côté terrien du trio : un son franc et mat (« Inner
White »), des lignes claires et régulières (« Water Bears »),
des roulements secs et vifs (« All the Dragons in our Lives »), des
rim shot percussifs ardents (« Sea Green »), des cymbales d’une
subtilité à toute épreuve (« M »), des rifs dansants (« Said A
Blade Of Grass »), un jeu charnel et chantant (« Up and Down »)…
De Trust se dégage
souvent une ambiance cinématographique, faites de textures aériennes soutenues
par une rythmique tendue. Dumoulin, Eskelin et Weiss jouent une musique incontestablement
différente, qui excite la curiosité.
Le disque
Trust
Jozef Dumoulin &
The Red Hill Orchestra
Ellery Eskelin (ts),
Jozef Dumoulin (kbd) et Dan Weiss (d)
Yolk Records
Sortie en novembre 2014
Liste des morceaux
01. « Sea Green » (4:49).
02. « Water Bears », Eskelin, Dumoulin &
Weiss (3:32).
03. « M » (7:14).
04. « Sleeping Warriors », Eskelin, Dumoulin
& Weiss (1:13).
05. « Inner White » (4:18).
06. « Lord Blue Throat » (8:59).
07. « All the Dragons in our Lives » (2:19).
08. « Up and Down » (6:35).
09. « Now that I have a Human Body », Eskelin
& Dumoulin (2:11).
10. « The Gate » (10:16).
11. « Said a Blade of Grass » (6:53).
12. « Sea Green » (4:48).
Toutes les compositions
sont signées Dumoulin sauf indication contraire.
Circuit Rider
Ron Miles
Ron Miles se met
sérieusement à la musique quand il intègre la Denver East High School au milieu
des années soixante-dix. Il poursuit ensuite ses études à l’Université de
Denver, puis à la Manhattan School of Music. De retour à Denver à la fin des
années quatre-vingt, le trompettiste et cornettiste joue dans l’orchestre de Mercer Ellington, enregistre, entre
autres, avec le saxophoniste Fred Hess
ou le guitariste Bill Frisell,
compte une dizaine de disques en leader et enseigne également à la Metropolitan
State University of Denver.
En compagnie de Frisell et du batteur Brian Blade, Miles enregistre Quiver
chez Yellowbird, en 2012. Le trio revient sur disque en décembre 2014, avec Circuit Rider toujours publié sur le label
d’Enja, Yellowbird.
Au programme de Circuit Rider : cinq compositions
signées Miles, deux thèmes de Charles
Mingus, « Jive Five Floor Four », un thème peu repris, écrit
en 1974, et « Reincarnation Of A
Lovebird » de l’album éponyme (1960), et un morceau de Jimmy Giuffre, « Two Kind Of
Blues », qui figure sur le célèbre Jimmy
Giuffre 3 (1957).
Cornet, guitare électrique et batterie : le format est
rare… Dans un genre plutôt free, il y a bien le remarquable i.overdrive trio de
Rémi Gaudillat, Philippe Giordiani et Bruno
Tocanne, voire Tomas Fujiwara avec
Ralph Alessi et Brandon Seabrook, ou, plus proche du rock, Nils Petter Molvaer, Stian Westerhus et Erland Dahlen… Mais, dans tous les cas, ce n’est pas une formule
qui court les scènes…
La pâte sonore de Circuit
Rider est d’une grande homogénéité : sonorité claire, timbre ouvert, note
précise, Miles évolue volontiers dans le registre medium aigu du cornet et joue
mezzo forte (« Comma ») ; suites d’accords discrets, rifs légers et
entraînants, motifs élégants, Frisell fait sonner sa guitare électrique quasiment
comme une guitare acoustique (« The Flesh Is Weak ») ; un savant entrelacs
rythmique, des lignes mélodieuses, un foisonnement de percussions, une finesse et
une variété de frappes impressionnantes, Blade privilégie lui-aussi le son
naturel de sa batterie (« Jive Five Floor Four »). Dans la plupart des morceaux,
Blade assure la pulsation et maintient le trio sous tension, tandis que Frisell
alterne unissons ou contre-chants et accompagnements sobres. Dans cet écrin de
luxe, Miles n’a plus qu’à développer tranquillement son propos (« Reincarnation
of a Lovebird »)... Les interactions en contrepoints de « Circuit Rider »,
les touches bluesy et le balancement de « Two Kind Of Blue » et les échanges
élégants de « Reincarnation of a Lovebird » montrent que le trio n’a pas encore
fini de tout raconter.
Circuit Rider est
un disque moderne et sérieux, joué par des musiciens qui oscillent entre
discussions à bâton rompu et introspection.
Le disque
Circuit Rider
Ron Miles
Ron Miles (bg), Bill Frisell (g) et Brian Blade (d).
Yellowbird – yeb7745-2
Sortie en décembre 2014
Liste des morceaux
01. « Comma » (9:07).
02. « Jive Five », Mingus (6:56).
03. « The
Flesh Is Weak » (5:00).
04. « Dancing
Close and Slow » (8:50).
05. « Circuit
Rider » (4:55).
06. « Reincarnation
of a Lovebird », Mingus (7:07).
07. « Angelina » (5:04).
08. « Two
Kinds of Blues », Giuffre (9:41).