25 janvier 2015

Trios d’automne… pour réchauffer l’hiver !

Du trio classique avec piano – contrebasse à l’original trompette – guitare, en passant par saxophone – contrebasse et saxophone – Fender, quatre fois trois musiciens avec, comme seul instrument commun, la batterie…

 Touch and Flee
Neil Cowley Trio

Précoce, Neil Cowley commence par une carrière de concertiste classique, mais au début des années quatre-vingts dix, il s’oriente vers la soul, le funk et le jazz-rock. A partir de 2002 Cowley se tourne vers la musique électronique downtempo : c’est d’abord le duo Fragile State, en compagnie du DJ Ben Mynott, puis, en 2006, Soundcastles, sous le nom Pretz. La même année il crée le Neil Cowley Trio avec Rex Horan à la contrebasse et Evan Jenkins à la batterie. En parallèle Cowley accompagne et enregistre avec les chanteuses de variété Adele, Emeli Sandé, Birdy etc.

Depuis sa création, le Neil Cowley Trio publie un disque tous les deux ans et Touch and Flee et son cinquième album, sorti chez Naïm en septembre 2014. Les neufs compositions – concises et denses – sont signées Cowley.

A part quelques effets discrets de synthétiseur dans « Mission », Touch and Flee est acoustique. L’influence de la pop est tangible dans l’approche mélodique : des ritournelles délicates (« Kneel Down », « Bryce »), minimalistes (« Queen »), qui contrastent avec les motifs sourds de la main gauche du pianiste, de la contrebasse et de la batterie. Quant à l’électro, il est présent dans le traitement rythmique : ostinatos presque mécaniques (« Kneel Down »), tourneries répétitives (« Sparkling »), boucles imbriquées (« Couch Slouch »), roulements serrés de la batterie (« Queen »)… Cowley met à profit une indépendance des mains peu commune : sa main gauche – rythmique plutôt qu’harmonique – fait corps avec la contrebasse et la batterie, tandis que la main droite joue volontiers des mélodies élégantes, aigues et cristallines. Horan est un peu l’électron libre du trio qui tantôt renforce l’impact rythmique d’un rif sourd, tantôt promène ses lignes souples et sinueuses au-dessus de la mêlée. Jenkins est un alliage de jeu binaire, mat et rapide, typiquement rock, et de légèreté entre pop et jazz, mais toujours ramassé et tendu.

Avec son esprit pop jazz, ses mélodies astucieuses et ses rythmes irrésistibles, Touch and Flee a tous les atouts pour plaire, d’autant plus que le Neil Cowley Trio possède une sonorité séduisante.

Le disque

Touch and Flee
Neil Cowley Trio
Neil Cowley (p), Rex Horan (b) et Evan Jenkins (d).
Naim Jazz Records – naimcd206
Sortie en septembre 2014

Liste des morceaux

01. « Kneel Down » (5:53).
02. « Winterlude » (1:58).
03. « Sparkling » (4:55).
04. « Gang of One » (3:11).
05. « Couch Slouch » (4:02).
06. « Bryce » (3:48).
07. « Mission » (2:29).
08. « Queen » (6:17).
09. « The Art » (3:03).

Tous les morceaux sont signés Cowley, sauf indication contraire.


Whahay
Paul Rogers, Robin Fincker & Fabien Duscombs

Le contrebassiste Paul Rogers s’est fait remarquer dès le début des années soixante-dix dans les formations d’Elton Dean, Evan Parker, Kenny Wheeler, Tony Levin… En 1986, Rogers intègre le quartet Mujician de Keith Tippett, puis s’installe à New-York, le temps d’accompagner Gerry Hemingway, Don Byron, Tim Berne… De retour en Europe, Rogers rejoint Equip’Out de Pip Pyle avec Dean et Sophia Domancich, puis s’installe en France dans les années quatre-vingts dix. En 2012, il forme un trio avec Robin Fincker et Fabien Duscombs pour créer une suite musicale autour de l’œuvre de Charles Mingus

Whahay évoque les onomatopées qui émaillent les interventions de Mingus. Le disque, enregistré par Gérard de Haro aux Studios La Buissonne, sort en octobre 2014 sur le label du collectif toulousain FreddyMorezon. Toutes les compositions sont signées Mingus : « Better Git It In Your Soul », « Bird Calls » et « Goodbye Pork Pie Hat » sont reprises – entre autres – de Mingus Ah Um (1959), « Jump Monk » et « Work Song » sortent de Mingus at the Bohemia (1955), « Pithecanthropus Erectus » et « Reincarnation of a Lovebird » proviennent des albums éponymes (respectivement 1956 et 1960), « Ecclusiastics » est tiré de Oh Yeah (1962), quant à « Canon », sans doute moins connu, il vient de Mingus Moves (1973).

Avec trois musiciens qui sillonnent l’avant-garde européenne depuis autant d’années, une relecture du répertoire de Mingus ne peut qu’être non conformiste. Whahay, c’est d’abord une matière sonore compacte, franche et naturelle. Le parti-pris acoustique et le format en trio donnent une sonorité chaude, renforcée par l’instrumentation : clarinette ou saxophone ténor, contrebasse (avec sept cordes qui la font sonner parfois comme un violoncelle, « Ecclusiastics ») et batterie. Même s’ils sont souvent cités en filigrane dans les développements (« Better Git It In Your Soul » dans le chorus du ténor) les mélodies de Mingus ne servent que de prétexte aux improvisations souvent débridées du trio (« Pithecanthropus Erectus »).  Après l’exposition du thème, la structure des morceaux évolue au grès des idées : dans « Work Song » Rogers prend un chorus stupéfiant à l’archet, dans lequel les contrepoints de Johann Sebastian Bach côtoient les cris aylériens, en pizzicato il croise le gros son ample et la tessiture de sa contrebasse pour jouer des solos particulièrement savoureux (« Jump Monk ») ; « Canon » donne à Duscombs l’occasion de faire les quatre cent coups sur ses peaux, d’une série de cliquetis nuancés à des roulements furieux encouragés par un unisson tendu de la contrebasse et du ténor ;  La clarinette de Fincker se montre apaisée et sensuelle dans « Goodbye Pork Pie Hat », tandis que le ténor passe d’une ligne délicate (« Reincarnation of a Lovebird ») à des hurlements sauvages (« Pithecanthropus Erectus »)… Sans la contrainte du temps, Fincker – Rogers – Duscombs doivent pouvoir laisser libre-court à leur imagination fertile et, l’écoute de Whahay laisse présumer que leurs concerts doivent valoir le déplacement !

Whahay a beau taquiner la musique contemporaine (« Reincarnation of a Lovebird »), s’encanailler avec le rock (« Bird Calls »), voire flirter avec la musique indienne (« Goodbye Pork Pie Hat »), le disque s’inscrit clairement dans la lignée free.

Le disque

Whahay
Paul Rogers, Robin Fincker & Fabien Duscombs
Robin Fincker (ts, cl), Paul Rogers (b) et Fabien Duscombs (d).
Mr Morezon / 009
Sortie en octobre 2014

Liste des morceaux
           
01.  « Better Git It in Your Soul » (6:18).                  
02.  « Ecclusiastics » (5:09).   
03.  « Jump Monk » (6:49).                
04.  « Canon » (5:59).            
05.  « Pithecantropus Erectus » (5:08            ).         
06.  « Reincarnation of a Lovebird » (8:15).             
07.  « Bird Call » (2:18).         
08.  « Work Song » (5:23).                 
09.  « Goodbye Pork Pie Hat » (5:48).           

Toutes les compositions sont signées Mingus.


Trust
Jozef Dumoulin & The Red Hill Orchestra

Au début des années quatre-vingts dix Jozef Dumoulin découvre le jazz et s’inscrit au Conservatoire Royal de Bruxelles dans les classes de Diederik Wissels et Nathalie Loriers. Il suit ensuite pendant deux ans les cours de John Taylor au Musikhochschule de Cologne. Dans  les années deux mille, Dumoulin se partage entre le piano – Mogno avec la chanteuse Barbara Wiernik – et le Fender Rhodes – Magik Malik, Octurn, Benzine, Reggie Washington… Installé à Paris depuis 2006, il enregistre trois disques pour le label Bee Jazz : Trees Are Always Right avec Lidlboj, Rainbow Body avec un trio constitué de Trevor Dunn et Eric Thielemans et A Fender Rhodes Solo. Dumoulin joue également avec Benoît Delbecq, Nelson Veras, Jérôme Sabbagh… En 2013, Le French – American Jazz Exchange (FAJE) lui octroie des fonds pour monter un projet avec Ellery Eskelin et Dan Weiss : c’est The Red Hill Orchestra qui sort Trust sur le label Yolk en novembre 2014.

Dumoulin a composé neuf des douze thèmes de Trust, « Now that I have a Human Body » est un intermède en duo avec Eskelin et Dumoulin, tandis que les deux derniers sont des improvisations collectives. Pas d’unité de temps pour The Red Hil Orchestra : les morceaux durent d’une minute treize, « Sleeping Warriors », à dix minutes seize, « The Gate ». Pas d’unité harmonique pour The Red Hill Orchestra : fonds sonores synthétiques (« M ») et motifs mélodiques dissonants (« Up And Down ») se partagent la partition. En revanche, l’unité d’atmosphère, c’est le truc du Red Hill Orchestra …

Le Fender, mystérieux et lointain (« Sea Green »), voire spatial (« Inner White »), évoque  souvent la science-fiction (« Lord Blue Throat »). Au milieu des nappes électro et des effets bruitistes (fritures dans «  M »), Dumoulin joue des motifs de basse sourds et entraînants (« The Gate ») et déroule des lignes arpégées cristallines (« Sea Green »), mais semble surtout concentré sur le climat sonore de chacun des morceaux. Son feutré et souffle omniprésent, le son d’Eskelin renforce l’ambiance énigmatique du trio. Ses lignes courtes à la fois dissonantes, fragiles et mélodieuses (« Water Bears »), passent aussi d’un minimalisme délicat presqu’abstrait (« Inner White ») à un intimisme chaleureux (« M »), puis à un développement free (« The Gate »). Eskelin se fait également solennel et majestueux, à la Charles Lloyd de Lift Every Voice, dans « Said A Blade Of Grass ». Weiss est le garant du côté terrien du trio : un son franc et mat (« Inner White »), des lignes claires et régulières (« Water Bears »), des roulements secs et vifs (« All the Dragons in our Lives »), des rim shot percussifs ardents (« Sea Green »), des cymbales d’une subtilité à toute épreuve (« M »), des rifs dansants (« Said A Blade Of Grass »), un jeu charnel et chantant (« Up and Down »)…

De Trust se dégage souvent une ambiance cinématographique, faites de textures aériennes soutenues par une rythmique tendue. Dumoulin, Eskelin et Weiss jouent une musique incontestablement différente, qui excite la curiosité.

Le disque

Trust
Jozef Dumoulin & The Red Hill Orchestra
Ellery Eskelin (ts), Jozef Dumoulin (kbd) et Dan Weiss (d)
Yolk Records
Sortie en novembre 2014

Liste des morceaux

01. « Sea Green » (4:49).
02. « Water Bears », Eskelin, Dumoulin & Weiss (3:32).
03. « M » (7:14).
04. « Sleeping Warriors », Eskelin, Dumoulin & Weiss (1:13).       
05. « Inner White » (4:18).
06. « Lord Blue Throat » (8:59).
07. « All the Dragons in our Lives » (2:19).
08. « Up and Down » (6:35).
09. « Now that I have a Human Body », Eskelin & Dumoulin (2:11).
10. « The Gate » (10:16).
11. « Said a Blade of Grass » (6:53).
12. « Sea Green » (4:48).

Toutes les compositions sont signées Dumoulin sauf indication contraire.


Circuit Rider
Ron Miles

Ron Miles se met sérieusement à la musique quand il intègre la Denver East High School au milieu des années soixante-dix. Il poursuit ensuite ses études à l’Université de Denver, puis à la Manhattan School of Music. De retour à Denver à la fin des années quatre-vingt, le trompettiste et cornettiste joue dans l’orchestre de Mercer Ellington, enregistre, entre autres, avec le saxophoniste Fred Hess ou le guitariste Bill Frisell, compte une dizaine de disques en leader et enseigne également à la Metropolitan State University of Denver.

En compagnie de Frisell et du batteur Brian Blade, Miles enregistre Quiver chez Yellowbird, en 2012. Le trio revient sur disque en décembre 2014, avec Circuit Rider toujours publié sur le label d’Enja, Yellowbird.

Au programme de Circuit Rider : cinq compositions signées Miles, deux thèmes de Charles Mingus, « Jive Five Floor Four », un thème peu repris, écrit en  1974, et « Reincarnation Of A  Lovebird » de l’album éponyme (1960), et un morceau de Jimmy Giuffre, « Two Kind Of Blues », qui figure sur le célèbre Jimmy Giuffre 3 (1957).

Cornet, guitare électrique et batterie : le format est rare… Dans un genre plutôt free, il y a bien le remarquable i.overdrive trio de Rémi Gaudillat, Philippe Giordiani et Bruno Tocanne, voire Tomas Fujiwara avec Ralph Alessi et Brandon Seabrook, ou, plus proche du rock, Nils Petter Molvaer,  Stian Westerhus et Erland Dahlen… Mais, dans tous les cas, ce n’est pas une formule qui court les scènes…

La pâte sonore de Circuit Rider est d’une grande homogénéité : sonorité claire, timbre ouvert, note précise, Miles évolue volontiers dans le registre medium aigu du cornet et joue mezzo forte (« Comma ») ; suites d’accords discrets, rifs légers et entraînants, motifs élégants, Frisell fait sonner sa guitare électrique quasiment comme une guitare acoustique (« The Flesh Is Weak ») ; un savant entrelacs rythmique, des lignes mélodieuses, un foisonnement de percussions, une finesse et une variété de frappes impressionnantes, Blade privilégie lui-aussi le son naturel de sa batterie (« Jive Five Floor Four »). Dans la plupart des morceaux, Blade assure la pulsation et maintient le trio sous tension, tandis que Frisell alterne unissons ou contre-chants et accompagnements sobres. Dans cet écrin de luxe, Miles n’a plus qu’à développer tranquillement son propos (« Reincarnation of a Lovebird »)... Les interactions en contrepoints de « Circuit Rider », les touches bluesy et le balancement de « Two Kind Of Blue » et les échanges élégants de « Reincarnation of a Lovebird » montrent que le trio n’a pas encore fini de tout raconter.

Circuit Rider est un disque moderne et sérieux, joué par des musiciens qui oscillent entre discussions à bâton rompu et introspection.

Le disque

Circuit Rider
Ron Miles
Ron Miles (bg), Bill Frisell (g) et Brian Blade (d).
Yellowbird – yeb7745-2
Sortie en décembre 2014

Liste des morceaux

01. « Comma » (9:07).                        
02. « Jive Five », Mingus (6:56).
03. « The Flesh Is Weak » (5:00).       
04. « Dancing Close and Slow » (8:50).                     
05. « Circuit Rider » (4:55).
06. « Reincarnation of a Lovebird », Mingus (7:07).                        
07. « Angelina            » (5:04).
08. « Two Kinds of Blues », Giuffre (9:41).

Toutes les compositions sont signées Miles sauf indication contraire.