Jeudi 15 octobre, il
est vingt-et-une heure, il bruine et il fait froid, mais pas au Triton car
Jean-Marie Machado et son trio réchauffent l’atmosphère du club des Lilas…
Si, depuis quelques années, les duos avec Dave Liebman ou Antonio Placer et l’orchestre Danzas sont au centre de la
discographie de Machado, c’est en trio piano – contrebasse – batterie, aux
côtés des frères Moutin, que Machado
enregistre ses premiers disques : Father
Songs en 1988 et Kah !
Pob ! Wah ! en 1989, suivis, en 1993, de Séquence Thmiryque. Il faut ensuite attendre 2007 et Sœurs de sang pour retrouver Machado
dans cette formule, en compagnie de Jean-Philippe
Viret et Jacques Mahieux. 2015
marque l’avènement d’un troisième trio, avec Henning Sieverts à la contrebasse et François Merville à la batterie. Cela fait déjà quelques années que
ces deux musiciens font partie de la sphère Machado : ils jouent notamment
dans Fiesta Nocturna, enregistré
en 2010 avec Danzas.
Le programme de la soirée s’articule autour de moreaux
signés Machado : « El Mar », au répertoire de Lagrima latina, « Kah !
Pob ! Wah ! », tiré du disque éponyme, « Fado Amalia »,
extrait de Sœurs de sang, « Ruffle
Bass », composé pour le trio, ou encore, trois morceaux inédits sur disque,
« Aspirer la lumière », « Slow Bird » et « Le voleur
de fleurs ». S’ajoutent « Nardis » de Miles Davis, « Les pas dans le ciel » de Merville, et « Tirana »
de Sieverts.
Le trio joue en équipe : pas de soliste attitré, mais
une circulation permanente des rythmes et des mélodies, d’un musicien à l’autre.
Lignes denses (« El Mar »), ostinatos efficaces (« Les pas dans
le ciel »), bruitismes contemporains (« Aspirer la lumière »), phrases
heurtées (« Nardis »), discours bop parsemé de citations (« Kah !
Pob ! Wah ! ») et, toujours, un lyrisme à fleur de peau (« Fado
Amalia »), autant d’ingrédients qui donnent à la musique de Machado un
caractère original, à la croisée des anciens et des modernes. Les
traits
puissants et graves de Sieverts (« Ruffle Bass ») soulignent à l’unisson
le discours du piano (« Le voleur de fleurs »), ponctuent énergiquement
les propos du trio (« El Mar »), distillent des motifs minimalistes (« Isela »),
passent d’une walking énergique (« Tirana ») à une complainte à l’archet
(« Slow Bird »)… le tout, avec une grande mobilité et une pertinence
précieuse (« Aspirer la lumière »). Merville est un batteur vif et mélodieux
(« Kah ! Pob ! Wah ! »), à l’instar de son jeu dansant
sur les fûts (« Aspirer la lumière »), ses rim shots entraînants (« Les
pas dans le ciel »), ses mailloches élégantes (« Isela »), ses
chabadas affûtés (« Tirana ») et ses roulements subtils (« Fado
Amalia »), mais il sait également se montrer brutal dans des passages binaires
(« Les pas dans le ciel »), des stop-chorus imposants (« Tirana »),
des grondements robustes (« Ruffle Bass »)…
La musique de Machado, Sieverts et Merville est à la fois inventive
et familière : leurs trouvailles contemporaines ne se perdent pas dans une
abstraction hermétique car elles s’appuient sur une base rythmique
vigoureusement jazz !