26 mars 2016

Les notes de la marée de mars - I


La marée du mois de mars est particulièrement fructueuse ! Pour éviter l'indigestion, c'est donc en plusieurs parties que seront présentés tous les disques tombés dans les filets de Jazz à bâbord...


Quiver – Ralph Alessi

Que ce soit aux côtés de Steve Coleman, Uri Caine, Fred Hersch, Don Byron et bien d’autres, Ralph Alessi est devenu l’un des trompettistes phares de l’avant-garde américaine. Après avoir enregistré principalement chez RKM, Cam Jazz et Clean Feed, Alessi a rejoint ECM en 2013 pour Baida. A l’occasion d’une résidence au Village Vanguard, il sort Quiver, dixième disque sous son nom, toujours chez ECM.

Comme dans Baida, Alessi s’entoure de ses équipiers habituels : Drew Gress à la contrebasse et Nasheet Waits à la batterie. En revanche, au piano, Gary Versace a pris la place de Jason Moran. Les dix morceaux sont tous signés Alessi.

Avec ses dialogues dissonants sur des accompagnements minimalistes et une rythmique luxuriante, le quartet joue dans la cours du jazz de chambre contemporain. Waits mise sur sa vitalité et la densité de son drumming pour maintenir le quartet sous pression (« Quiver »). Gress propose des lignes économes et minimalistes (« Here Tomorrow »). Les ostinatos, contrepoints discrets et développements décalés de Versace répondent subtilement aux propositions de ses compères (« Smooth Descent »). Moderne et élégante, la trompette d’Alessi joue aussi avec les dissonances (« Gone Today, Here Tomorrow »). A l’instar d’un quatuor contemporain, voire free, Alessi et ses compagnons interagissent sans structure préconçue des morceaux.

Quiver prolonge Cognitive Dissonance (2010), titre qui décrit parfaitement la musique du quartet d’Alessi : maîtrise et exploration des déséquilibres…


Warp – Jon Balke

Jon Balke a enregistré pour ECM dès 1975 – Clouds In My Head avec Arild AndersenClaviériste et percussionniste norvégien, Balke est surtout connu pour Oslo 13, le Magnetic North Orchestra, Batagraf et son association avec la chanteuse marocaine Amina Alaoui (Siwan – 2007). En 2007, Balke publie un premier disque en solo, Book Of Velocities, et réitère l’expérience avec Warp, qui sort fin février.

Comme dans Book Of Velocities Warp est constitué de seize pièces qui se déroulent comme une suite, avec des morceaux qui vont de cinquante secondes à cinq minutes. Sur un arrière-plan de bruitages (froissement dans « Heliolatry »), voix enfantines confuses dans « Boodle »…), de vocalises (« Kantor »), d’accords synthétiques aériens (« On And On ») ou de cliquetis percussifs (« Shibboleth »), le piano enchaîne des phrases minimalistes et aérées (« Heliolatry var. »), avec parfois quelques traits romantiques (« This Is The Movie »).

Warp  s’inscrit typiquement dans la lignée éditoriale d’ECM : une sobriété raffinée au service de l’expérimentation sonore.


Book Of Intuition – Kenny Barron Trio

Kenny Barron a commencé sa carrière discographique en 1968 (You Had Better Listen)… Quarante-huit ans plus tard et près d’une cinquantaine de disques en leader, le pianiste poursuit son chemin avec Book Of Intuition, qui sort chez Impulse! en mars.

Barron revient à une formule qu’il affectionne particulièrement : le trio (son groupe avec Ray Drummond et Ben Riley - Live At Bradley’s - reste un archétype du trio post-bop). Pour Book Of Intuition, Barron fait appel à la contrebasse de Kiyoshi Kitagawa, fréquent partenaire du pianiste depuis 2004 (Images), et à la batterie de Jonathan Blake.

Barron a composé sept des dix thèmes. Le trio interprète aussi « Shuffle Boil » et « Light Blue » de Thelonious Monk. Barron rend également hommage à Charlie Haden, disparu en 2014 et avec qui il a eu l’occasion d’enregistrer plusieurs fois, notamment Night And The City (1998) : le trio reprend « Nightfall », joli thème composé par Haden pour Nocturne (2001), mais aussi titre d’un album en duo avec John Taylor (2004).

La rythmique est irréprochable : sonorité grave et profonde de Kitagawa, roulements puissants et cymbales subtiles de Blake ; lignes variées, chorus relevés et walking endiablée de la contrebasse, motifs dansants, pulsation énergique et chabada vigoureux de la batterie… Du bop pur et dur (« Shuffle Boil ») au latin bop (« Bud Like ») en passant par des réminiscences de stride (« Light Blue »), Barron connaît toutes les ficelles et gère la tension en maestro. La clarté et la précision de son phrasé, allié à un swing énorme (« Magic Dance »), entraîne inexorablement l’auditeur à balancer la tête…

Book Of Intuition suit le sillon post-bop que Barron n’a cessé de tracer depuis le quartet de Dizzy Gillespie, dans lequel il a joué entre 1962 et 1967.


Continuum – Nik Bärasch’s Mobile

Le pianiste et compositeur Suisse Nik Bärasch se partage essentiellement entre son groupe « zen-funk » Ronin et son quartet Mobile. Chez ECM depuis 2005, Bärasch sort Continuum, son cinquième opus pour le label munichois, en mars.

Continuum est un disque avec le groupe acoustique Mobile, constitué de Bärasch au piano, Sha à la clarinette basse et à la contrebasse, Kaspar Rast et Nicolas Stocker à la batterie et aux percussions. Le quartet invite également un quintet de cordes sur quelques titres : Etienne Abelin et Ola Sendecki au violon, David Schnee à l’alto, Solme Hong et Ambrosius Huber au violoncelle.

Les huit « Modul » sont signé Bärasch et développent le plus souvent des petites cellules rythmiques. Les morceaux durent autour de neuf minutes.

Pédales (« Modul 29_14 »), boucles rythmiques (« Modul 18 »), riffs mélodiques répétitifs (« Modul 18 »), ostinatos hypnotiques (« Modul 44 »), lente progression des motifs (« Modul 12 »), accompagnement contemporain réitératif des cordes (« Modul 60 »), interventions minimalistes du piano (« Modul 4 »)... sur une batterie volontiers funky (« Modul 8_11 »), qui donne parfois un petit côté acoustique-lounge (« Modul 29_14 »).

Les amateurs de Steve Reich et autres compositeurs de musique répétitive trouveront très certainement leur bonheur dans Continuum.


Simplexity – Joachim Caffonnette Quintet

Formé au piano classique au conservatoire Arthur Grumiaux de Charleroi, c’est au Conservatoire Royal de Bruxelles, où il entre en 2008, que Joachim Caffonnette choisit sa voie : le jazz.

A côté d’un nonet et d’un trio avec Daniele Cappuci à la contrebasse et Armando Luongo à la batterie, Caffonnette a monté un quintet en 2011 avec Cappuci, Luongo, Sylvain Debaisieux au saxophone ténor (remplacé par l’alto de Laurent Barbier pour Simplexity) et Florient Jeunieaux à la guitare.

Dans Simplexity, premier disque du Caffonnette Quintet, les dix titres sont du pianiste : un tribut à Charles Baudelaire (« Spleen et idéal »), une référence à des nuages spectaculaires (« Asperatus »), un hommage à une pianiste trop tôt disparue, Lisa Wastiau (« Lisa »), une  évocation de Bruxelles (« Romance pour la Grand-Place »)…

« The One-Legged Man », « Spleen et idéal » ou « Périgrinations »…  s’inscrivent dans l’esprit de la musique de Kurt Rosenwinckel, référence affirmée de Caffonnette. Walking, shuffle et chabada (« Rumble In The Jungle »), passages binaires (« Simplexity »), ambiance bluesy (« Asperatus »)… Cappuci et Luongo maintiennent une carrure solide. Les solos du contrebassiste révèlent un sens mélodique indéniable (« A Lonely Moment ») et les stop-chorus du batteur rivalisent d’énergie (« Rumble In The Jungle »). Jeunieaux navigue d’un solo post-bop («  The One-Ledged Man ») à des envolées de guitar hero (« Asperatus »). Barbier se place volontiers dans une attitude nonchalante (« Lisa »), mais se laisse également aller à des phrases de shouter (« Asperatus ») et joue aussi dans une veine bop (« Rumble In The Jungles »). Quant à Caffonnette, également très à l’aise dans l’ambiance bop (« Spleen et idéal »), il compose des belles mélodies (« Romance pour la Grand Place » avec son côté air traditionnel), se montre facilement lyrique (« Lisa », « Simplexity ») et accompagne avec pertinence les solistes (« Spleen et idéal »).

Simplexity vogue sur les eaux d’un néo-bop énergique, mélodieux et moderne.


The Distance – Michael Formanek & Ensemble Kolossus

Depuis qu’il a commencé sa carrière, dans les années soixante-dix, Michael Formanek a aussi bien joué avec Joe Henderson, Tony Williams, Stan Getz et Atilla Zoller que Dave Liebman, Bob Mintzer, Uri Caine, Fred Hersch… En quartet, avec Tim Berne, Craig Taborn et Gerald Cleaver, Formanek a enregistré deux disques chez ECM : The Rub and Spare Change en 2010 et Small Places en 2012. C’est avec son grand orchestre, l’Ensemble Kolossus, que Formanek sort The Distance chez ECM, en mars 2016.

L’Ensemble Kolossus regroupe dix-huit musiciens exceptionnels de la scène avant-gardiste américaine : Loren Stillman, Oscar Noriega, Chris Speed, Brian Settles, Tim Berne, Dave Ballou, Ralph Alessi, Shane Endsley, Kirk Knuffke, Alan Ferber, Jacob Garchik, Ben Gerstein, Jeff Nelson, Patricia Brennan, Mary Halvorson, Kris Davis, Tomas Fujiwara et… Formanek, qui signe tous les morceaux : « The Distance » et une suite, « Exoskeleton », composée d’un prélude et de huit mouvements répartis en quatre parties. La direction des dix-huit musiciens de l’orchestre est confiée à un autre contrebassiste : Mark Helias.

Avec son thème solennel et dissonant exposé à l’unisson, « The Distance » ressemble à une ode, qui vire au concerto quand le saxophone se lance dans un chorus raffiné, souligné par le contre-chant du piano. L’ensemble de la suite « Exoskeleton » balance entre musique contemporaine et free exubérant. Elle se déroule dans une ambiance sombre (« Prelude »), une construction bluesy recherchée, un peu dans l’esprit de Duke Ellington (« Beneath the Shell »), des passages bruitistes dans lesquels les dix-huit instrumentistes s’en donnent à cœur joie (« @heart », « Metamorphic »), des délires foisonnants (« Shucking While Jiving »)… Le trio rythmique joue un rôle clé pour éviter que la musique de l’Ensemble Kolossus ne tombe dans une abstraction trop hermétique : vive et mélodieuse, la contrebasse assure une pulsation solide, à l’instar de la walking dans « Beneath The Shell », la batterie, mélange de subtilité et de puissance, maintient une carrure jazz (chabada dans « Beneath The Shell »), quant au piano, il soutient les chœurs et les solistes avec des contrepoints robustes (« Impenetrable »). A l’inverse d’une fanfare ou d’un combo populaire, l‘Ensemble Kolossus joue la carte de la retenue et, même dans les passages débridés, l’orchestre reste dans la sophistication.

Formanek et son Ensemble Kolossus proposent une musique moderne et ambitieuse qui en impose.

20 mars 2016

Koa au Carreau…

En avril 2014, le Grand Ensemble Koa présente son premier disque, Koa-Roi, au Sunset. Revoilà Aflred Vilayleck et son nonet pour un nouvel opus : Ahimsâ. Le concert de sortie se déroule au Carreau du Temple, le 10 mars, dans le cadre de la Jazz Fabric de l’Orchestre National de Jazz.

Les musiciens du Grand Ensemble Koa sont les mêmes que pour Koa-Roi : Matthieu Chedeville au saxophone soprano, Armel Courrée au saxophone alto, Jérôme Dufour au saxophone ténor, Pascal Bouvier au trombone, Matia Levrero à la guitare, Samuel Mastorakis au vibraphone, Daniel Moreau aux claviers, Vilayleck à la basse et Julien Grégoire à la batterie.

Le répertoire tourne évidemment autour d’Ahimsâ : « Over The Top », « Le pardon infini I & II », « Ahimsâ » et « Evif Rof Noom ». Vilayleck propose également « La danse des insoumis », dédié au saxophoniste Jeroen Van Herzeele.


Comme dans Koa-Roi, le Grand Ensemble joue la carte du collectif : thèmes et développements à l’unisson (« Le pardon infini I »), foisonnement des voix (« Over The Top »), riffs hypnotiques (« Ahimsâ »), ostinatos lancinants (« Evif Rof Noom »), contrepoints touffus (« Over The Top »)… Le tout sur des lignes de basse qui grondent (« Le pardon infini II »), une batterie vigoureuse (« Ahimsâ »), un vibraphone et un orgue qui assurent un accompagnement le plus souvent dansant (« Le pardon infini II »). Le nonet malaxe aussi la matière sonore dans une veine contemporaine bruitiste avec des effets électro, stridences, bourdonnements, souffles… (« La danse des insoumis »). Si Vilayleck ne s’attache pas à la forme thème – solo – thème, il ménage des espaces pour que chaque musicien puisse s’exprimer : le saxophone soprano dans « Over The Top », le vibraphone dans « Le pardon infini I », le saxophone alto dans « Ahimsâ », le saxophone ténor et la guitare dans « Evif Rof Noom » etc.  

Par rapport au concert, le disque propose « Asmiha » et une « Intro To Ahimsâ » en plus, mais « La danse des insoumis » ne fait pas partie du programme. Avec une prise de son claire et équilibrée, Ahimsâ reflète fidèlement l’esprit luxuriant de Koa et permet d’écouter plus distinctement le jeu des voix qu’en concert.

Ahimsâ est un principe de non-violence dans la philosophie indienne… Mais le Ahimsâ de Koa n’est pas pour autant un long fleuve tranquille, mais plutôt un torrent tempétueux de notes bouillonnantes !


Un quart de siècle pour Sons d’hiver…

Le gâteau du vingt-cinquième anniversaire de Sons d’hiver est roboratif : quinze jours de festival, une centaine de musiciens, trente concerts, les tambours conférences… et un plateau exceptionnel, avec Muhal Richard Abrams, Mulatu Astatké, François Couturier, Hamid Drake, Daniel Humair, Oliver Lake, Tony Malaby, Michel Portal, Marc Ribot, Louis Sclavis, Omar Sosa… Désolé pour tous ceux qui ne sont pas cités, mais qui ont tout autant réjoui les oreilles des auditeurs !


Vendredi 29 janvier 2016
Auditorium Jean-Pierre Miquel - Vincennes

La soirée d’ouverture de Sons d’hiver se déroule dans le superbe auditorium Jean-Pierre Miquel de Vincennes. Superbe, parce que son acoustique est irréprochable et que les trois cent places, très confortables, offrent un point de vue dégagé sur la scène... L’affiche est  particulièrement alléchante : un solo de Muhal Richard Abrams et le duo Anja Lechner François Couturier.


Muhal Richard Abrams

Que l’un des fondateurs et membre clé de l’Association for the Advancement of Creative Musicians ouvre Sons d’Hiver est un symbole fort. Benoît Delbecq ne s’y est pas trompé et assiste à cette soirée historique : depuis 1965, Abrams secoue la Great Black Music, humainement, socialement, politiquement et… musicalement ! A plus de quatre-vingts cinq ans, Abrams reste cette figure tutélaire que décrit Alexandre Pierrepont dans La Nuée (ouvrage impressionnant sur l’AACM paru chez Parenthèses en 2015).

Le pianiste déroule une improvisation pendant une cinquantaine de minutes, puis propose un rappel de cinq minutes.




Après avoir joué avec le silence et des notes éparses pendant quelques minutes, Abrams alterne motifs mélodiques et rythmiques, avec des phrases heurtées, denses et tendues, dans le registre grave du piano. Des clusters vigoureux, des ostinatos intenses, des riffs musclés et des pédales puissantes se succèdent, interrompus ça-et-là par un crépitement abrupt. L’instrument rugit dans une ambiance grandiose. Si la mélodie reste accessoire, l’esquisse d’un thème empreint de lyrisme surgit parfois au milieu du foisonnement sonore. Dans une sorte de rhapsodie percussive, l’artiste met en musique une discussion à bâton rompu… Le bis est un chant apaisé dans lequel minimalisme et poésie se partagent les rôles.


La musique d’Abrams dégage une force irrésistible qui tient en haleine l’auditeur de la première à la dernière note.


François Couturier & Anja Lechner duo

Le pianiste François Couturier et la violoncelliste Anja Lechner ont monté un duo pour élargir l’expérience du Tartovsky Quartet – avec Jean-Marc Larché au saxophone soprano et Jean-Louis Matinier à l’accordéon. Couturier et Lechner jouent des morceaux de l’aventurier Georges Ivanovich Gurdjieff, du compositeur catalan Federico Mompou, d’Anouar Brahem et de Couturier.

Le répertoire du concert est proche de celui de Moderato Cantabile, sorti chez ECM en septembre 2015. L’approche musicale de Couturier et Lechner s’oriente clairement vers la musique classique : dialogues harmonieux, contrepoints raffinés, croisements de voix mélodieux, échanges lyriques… Ce qui n’empêche pas les envolées rythmiques en pizzicato ou sur la base d’ostinatos, mais aussi des passages dissonants dans une veine contemporaine (« Papillon »).


L’élégance des constructions et la subtilité des conversations sont au centre des préoccupations musicales du duo Couturier – Lechner.


Jeudi 4 février 2016
Théâtre Romain Rolland – Villejuif

Le Théâtre Romain Rolland de Villejuif est un habitué de Sons d’hiver. La grande salle de six cent cinquante places, la Scène Lecoq, est fermée pour rénovation, c’est donc dans la petite – cent trente places – Scène Eglantine, au premier étage de la médiathèque qui jouxte le TRR, qu’auront lieu les deux soirées dédiées au solo de Fabrice Vieira et au duo Emile ParisienDaniel Humair.


« Qui verra Vieira » - Fabrice Vieira Solo

Guitariste, chanteur, conteur, percussionniste, beatbox,.. voilà plus de quinze ans que Fabrice Vieira fait partie du noyau dur de la Compagnie Lubat. A côté des spectacles du collectif d’Uzeste, Vieira a monté un spectacle en solo : « Qui verra Vieira ».



Après une parodie de remerciements dans un mode potache, le solo de Vieira part dans tous les sens : des chants folkloriques au blues, en passant par des jouets musicaux, un fandango, des propos iconoclastes, des vocalises à la Bobby McFerrin, des boîtes à rythmes, des jeux de mots dans l’esprit de Bernard Lubat, du scatrap dans la lignée d’André Minvielle, des discours politiques, une parodie de rock’n roll, un morceau à la guitare dans une veine quasi flamenco… et une conclusion minimaliste sur « Reflections » de Thelonious Monk.

« Qui verra Vieira » est un spectacle animé et Vieira un amuseur musical patenté !


Daniel Humair & Emile Parisien Duo

Depuis Sweet & Sour (2012), Daniel Humair et Emile Parisien ont développé des affinités musicales qu’ils ont mises en commun au sein d’un duo, qui se transforme parfois en trio, avec Jean-Paul Celea à la contrebasse.



Pour le concert de Sons d’hiver, Humair et Parisien ont choisi d’interpréter des œuvres de Joachim Kühn, François Jeanneau, Parisien et Humair, mais aussi un chant folklorique tunisien tiré de Noon In Tunisia, disque de George Gruntz, enregistré en 1967, avec Humair, Jean-Luc Ponty, Sahib Shihab, Eberhard Weber et un orchestre traditionnel tunisien.

D’entrée de jeu, Humair se lance dans un festival de cymbales haut en couleur qui contraste avec le discours grave et la sonorité velouté de Parisien. Le batteur poursuit avec des roulements secs sur les peaux, tandis que le saxophone soprano part dans un développement profond et tendu, avec des traits bluesy. Les deux musiciens s’écoutent attentivement, se répondent du tac au tac, parsèment leurs échanges de bruitages contemporains et de variations free. Parisien se laisse volontiers aller à un lyrisme dense sur la batterie torride d’Humair. Ils combinent hymnes majestueux, mélodies baroques, chants poignants, comptines subtiles, thèmes orientaux…

Inventive et nerveuse, la musique du duo Humair et Parisien s’inscrit clairement dans l’avant-garde, met davantage l’accent sur le chant que sur le cri et penche plutôt vers le figuratif que l’abstraction… Un régal !



06 mars 2016

Vive les Amérindiens au Café de la Danse !

Le 13 février 2016, à l’occasion de la sortie de Sky Dancers chez Label Bleu, Henri Texier se produit avec son sextet au Café de la Danse, à quelques pas de la Bastille. Le concert affiche complet malgré le froid, la pluie et le vent… La belle salle en gradins accueille les cinq cent spectateurs avec des jeux de lumières sur le mur en pierres imposant qui tient lieu de décor.


A côté du trio habituel constitué de Sébastien Texier, François Corneloup et Louis Moutin, Texier a étoffé sa palette sonore avec Nguyên Lê à la guitare et Armel Dupas au piano et aux claviers.

Le concert reprend les neuf morceaux de Sky Dancers et l’hommage à Elvin Jones, « Ô Elvin », tiré d’Alerte à l’eau, du Strada Sextet (2007). Depuis An Indian’s Week, enregistré en 1993 avec l’Azur Quartet, la passion de Texier pour les Amérindiens ne faiblit pas : Sky Dancers, le titre du disque, fait référence aux Mohawks, employés dans la construction des gratte-ciel aux Etats-Unis depuis la fin du dix-neuvième siècle... Mais Texier donne également des titres évocateurs à ses thèmes : « Mapuche » est le peuple de la terre, qui vit entre Argentine et Chili ; « Clouds Warriors » désigne les Chachapoyas, qui habitaient au Pérou, dans des forteresses bâties à flancs de falaises, à plus de trois mille mètres… ; « Mic Mac » fait allusion aux indiens Micmacs du Canada, autrefois célèbres pour leurs canoës ; « Hopi » se réfère évidemment aux Hopitu-shinumu d’Arizona et leurs villages si caractéristiques, avec les échelles de meunier qui permettent de grimper d’une maison et d’un étage à l’autre ; « Navajo Dream » et « Comanche », qui sont enchaînés, évoquent deux des plus célèbres peuples indiens, avec les Apaches ; « Dakota Mab » est un jeu de mots entre Dakota, pour les Sioux, et Mab, « fils de » en breton… Texier dédie « fils de Sioux » à Jacques Prévert, dont un collage orne la pochette du disque. Ce collage fait partie des Souvenirs de Paris et représente un Indien à cheval, déhanché pour mieux tirer à l’arc, volant dans le ciel au-dessus d’un parapet des quais de Paris... Par ailleurs, fidèle à son habitude, Texier consacre des morceaux à des artistes disparus : « Ô Elvin », bien sûr, mais aussi « Paco Atao » (atao, toujours en breton), hommage au percussionniste martiniquais Paco Charlery, décédé en 2010, et « He Was Just Shinning », dédicacé à « un drôle d’Indien », dixit le contrebassiste, qui n’est autre que Paul Motian, avec qui Texier a enregistré Respect en 1997, en compagnie de Bob Brookmeyer, Lee Konitz et Steve Swalow et dont il avait déjà salué la mémoire avec le Hope Quartet, dans « Live At l’Improviste » (2012), à travers « Song For Paul Motian », signé Sébastien Texier.

Texier possède incontestablement une signature sonore et thématique unique, reconnaissable dès les premières notes : après une courte introduction sous forme de motif, le plus souvent rythmique, l’orchestre expose à l’unisson un thème-riff plutôt court et entraînant, pimenté de quelques dissonances, parfois repris à l’octave. Les chorus, soutenus et denses, empruntent au hard bop, au free, voire au rock. Les rythmes, carrés et puissants, font la part belle aux tambours. Dans l’ensemble, la structure des morceaux reste dans le modèle thème – solos – thème, parsemé de chœurs et de contrepoints.

Batteur robuste, Moutin joue la carte de la régularité, fait trembler ses peaux, alterne roulements furieux (le solo d’« Ô Elvin »), frappes sèches et foisonnements (« Navajo Dream »), avec des passages en chabada (« Clouds Warriors »). Au piano, Dupas joue dans une veine bop élégante (le trio dans « Hopi »), souvent énergique (« Clouds Warrior »), avec des envolées lyriques contemporaines (« Mic Mac »), et ses lignes d’accords soulignent discrètement les phrases des solistes (« Mapuche »). Son jeu à l’orgue se rapproche davantage de la fusion, soit déchaînée (« Navajo Dream »), soit groovy (« Ô Elvin »). Avec sa sonorité métallique très électrique, Lê apporte une couleur rock prononcée (« Mapuche »), teintée de touches fusion (« Navajo Dream ») et pop rock (« Comanche » avec son riff aux allures de « L’Aventurier »). Lê enveloppe également les développements mélodiques de nappes aériennes (« Dakota Mab ») et d’accords planants (« Paco Atao »). Avec Corneloup et Texier fils, Texier père a trouvé une paire de soufflants à sa mesure ! Au saxophone baryton, Corneloup est capable de tout : d’un be-bop nerveux (« Clouds Warriors ») à un free maîtrisé (« Mapuche »), en passant par des envolées rock (« Dakota Mab ») et des développements majestueux (« He Was Just Shinning »). Net et tendu, le discours de Corneloup se situe davantage dans la lignée de Pepper Adams que de Gerry Mulligan. Au saxophone alto, comme à la clarinette, Texier se montre incisif, avec un phrasé d’une fluidité et d’une agilité qui rappellent Charlie Parker – d’ailleurs, dans « Mic Mac », il cite « Billie’s Bounce ». En revanche sa sonorité s’apparente davantage à un mix de Cannonball Adderley et d’Art Pepper. Pendant le concert – et sur disque aussi – Texier père est particulièrement inspiré. Ses solos sont plus chantants les uns que les autres et la contrebasse dévoile tous ses atouts : jeu sur toute la tessiture (« Mapuche »), vibrato, double-corde et glissando (« Clouds Warriors »),  walking (« Ô Elvin ») et shuffle (« Hopi »), pédale (« Navajo Dream ») et complainte à l’archet (« Paco Atao »)…

Le disque

Pour ceux qui n’ont pas pu assister à l’un des concerts de Sky Dancers à l’Europa Jazz, aux Rencontres de l’Erdre, à Jazz sous les pommiers ou au Café de la danse, il reste le disque…

Sky Dancers sort chez Label Bleu, auquel Texier est toujours resté loyal, malgré les vicissitudes que le label amiénois a traversées. Autre incontournable : Philippe Teissier Du Cros, qui a assuré la prise de son et le mixage de Sky Dancers, mais aussi de la plupart des autres enregistrements de Texier. Léger écart par rapport aux habitudes : les photos sont signées Sylvain Gripoix, et non pas Guy Le Querrec, comme ce fut souvent le cas.

Côté musique, l’enregistrement de Sky Dancers est très naturel et, finalement, assez proche d’une prise sur le vif. Les musiciens sont un peu moins diserts sur disque qu’en concert. En revanche, les voix sont mieux équilibrées sur disque, notamment le piano, mais cela dépend sans doute de la place dans la salle…


Les concerts de Texier sont à chaque fois une expérience mémorable et ses disques, des must : écouter Texier en général et Sky Dancers en particulier, c’est écouter une musique charnelle qui vous prend aux tripes.

Sky Dancers
Sébastien Texier (as, cl, b cl), François Corneloup (bs), Nguyên Lê (g), Armel Dupas (p), Henri Texier (b) et Louis Moutin (d).
Label Bleu – LBLC6720
Sortie le 5 février 2016

05 mars 2016

A la découverte de… Joachim Caffonnette

Après ses études académiques, Joachim Caffonnette se frotte aux Lundis d’Hortense, puis se lance dans le milieu du jazz en 2008 : un trio, un quartet, un quintet, la jam session du Music Village, la formation de Marco Llano, le duo avec Anne Vank… et Simplexity qui sort en mars 2016. Un artiste à découvrir…

La musique

Je suis né dans une famille où l'art et la culture sont très présents : ma mère a créé sa compagnie de Théâtre d'Objet – la Compagnie Gare Centrale – dans les années quatre-vingt. Depuis elle tourne dans le monde entier. J’ai donc passé le plus clair de mon enfance dans les salles de théâtre et les festivals, en France, au Canada, en Angleterre...

Comme beaucoup d'enfants, j'ai suivi des cours de piano privé. Evidemment, j’ai failli arrêter plusieurs fois ! Mais j'étais obnubilé par les long cheveux roux de ma prof… j'ai donc continué ! Comme quoi, ça tient à peu de choses…

Vers quinze ans, je commence à délaisser petit à petit les activités habituelles des ados : cours d'art martiaux, foot, club d'échec, cours de dessin… Si bien qu'il ne me reste plus que le piano ! C'est également à peu près à cette période que je tombe sur le Live au Village Vanguard de Michel Petrucciani, avec Pal Danielson et Eliott Zigmund. Et là, je me suis dit : le jazz, c'est ça que je veux faire !

Ensuite, j’ai trouvé un prof de piano jazz à l'académie, près de chez moi, et j'ai été admis dans un programme de musique-étude en piano classique. Une fois mes études secondaire et classique terminées, j’ai rejoints le Conservatoire Royal de Bruxelles et suis entré dans la classe d'Eric Legnini. J’ai suivi ses cours pendant cinq ans avant d’étudier la composition avec Kris Defoort

Les influences

Mes influences sont principalement dans le jazz et la musique classique, mais elles sont très larges !

En tant que pianiste, j'ai toujours été fasciné par Bill Evans, Herbie Hancock et Keith Jarrett. Vers dix-huit ans, j'ai découvert Brad Mehldau. Il m'a ouvert les yeux sur tout l'univers du jazz actuel et de la scène new-yorkaise. 

En tant que compositeur, c'est beaucoup plus difficile de trouver des influences précises. J'adore les couleurs et les arrangements des disques Blue Note d'Hancok des années soixante. Les compositions de Wayne Shorter comptent, pour moi, parmi les plus grands aboutissements, en matière de thèmes de jazz.

Sinon, j'écoute très souvent Glenn Gould. Quand il joue Johann Sebastian Bach, ça m'inspire énormément ! Tout comme la musique de Claude Debussy, que j'ai analysé pendant des heures… Igor Stravinsky, György Ligeti et John Cage font aussi partie des compositeurs que me passionnent. Je me replonge également souvent dans Frédéric Chopin, pour retrouver la pureté romantique des mélodies…

Côté jazz, je trouve aussi que Kurt Rosenwinkel et Aaron Parks développent quelque chose de génial dans leur façon d'écrire... Donc c'est très large ! 


Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? C'est une grande liberté... Malgré toutes nos études, quand on joue du jazz, la seule chose qui compte c'est que ça sonne bien !

Pourquoi la passion du jazz ? Parce que le jazz combine la composition, une grande liberté harmonique et l'improvisation.

Où écouter du jazz ? Le jazz s’écoute en cuisinant, dans les clubs, quand on est triste, quand on est content…

Comment découvrir le jazz ? Le mieux est d’essayer de laisser les aprioris de côté…

Une anecdote autour du jazz ? Il y en a tellement ! Ma préférée reste l'histoire de Thelonious Monk, en voiture avec Miles Davis : ils viennent de jouer « Round Midnight » dans un festival et Miles, qui a utilisé sa sourdine pour la première fois, reçoit une standing ovation de plusieurs minutes et signe un gros label dans la foulé... Monk lui dit alors un truc du genre « Tu n’as rien compris au morceau ! Ce n’est pas du tout comme ça qu'il faut le jouer… »  et il sort de la bagnole en plein trafic ! 

Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un lion : tu bouffes, tu dors, tu baises !

Si j’étais une fleur… Alors là : je n’en sais strictement rien !

Si j’étais un fruit, je serais une pomme, il y a tant de façons de la consommer !

Si j’étais une boisson, je serais un bon whisky. A laisser mûrir… Il faut être curieux pour l'apprécier, mais, en fin de compte, on est rarement déçu…

Si j’étais un plat, je serais les boulets liégeois – si vous ne connaissez pas, allez voir sur Google –  parce que je suis le seul bruxellois à les faire convenablement… et que j'adore ça !

Si j’étais une lettre, je serais X. Je crois que c'est le symbole le plus souvent écrit dans le monde, mais le placer au Scrabble est une tuerie !

Si j’étais un mot, je serais maintenant. J'essaie de vivre le plus possible dans l'instant. Même si j'ai une tendance à me projeter dans l'avenir – ce qui est nécessaire –  je pense que c'est important d'être à ce qu'on fait et d'en profiter.

Si j’étais un chiffre, je serais 9, parce qu'on peut le retourner et que ça ne veut plus dire la même chose.

Si j’étais une couleur, je serais un noir profond, parce que c'est plein et un peu mélancolique.

Si j’étais une note, un sol double dièse… pour faire chier le monde !

Les bonheurs et regrets musicaux

Mon plus grand bonheur, c'est de jouer et d'atteindre ce moment où le temps s'arrête, où j'entends chaque instrument, où l'inspiration vient sans penser et que la symbiose avec les musicien est parfaite. 

Mon principal regret, c'est de ne pas être un meilleur lecteur : je gagnerais du temps à pouvoir lire plus vite des partitions classique. 

Sur l’île déserte…

Quels disques ? Les sessions au Vanguard d’Evans, Deep Song de Rosenwinkel, les sessions Blue Note de Jarrett, Speak Like A Child d'Hancock, Symbiosis d’Evans...  

Quels livres ?  Des polars.

Quels films ? In Bruges, C'est arrivé près de chez vous... 

Quelles peintures ? Des œuvres de Claude Monet.

Quels loisirs ? Des épices pour faire à manger…

Les projets

Jouer !

J'ai aussi le projet fou d'écrire une pièce pour un ensemble hybride avec deux quatuors à corde, un ensemble à vent, une section de cuivre et de sax, et un trio piano – basse – batterie... Je me donne trois ans ! 

Trois vœux…
1. Que les gens essayent de se comprendre et s'écoute pour écouter, par pour répondre…
2. Que les choses ralentissent, qu'on prenne le temps de vivre...
3. Que l'argent devienne has been !