20 mars 2016

Un quart de siècle pour Sons d’hiver…

Le gâteau du vingt-cinquième anniversaire de Sons d’hiver est roboratif : quinze jours de festival, une centaine de musiciens, trente concerts, les tambours conférences… et un plateau exceptionnel, avec Muhal Richard Abrams, Mulatu Astatké, François Couturier, Hamid Drake, Daniel Humair, Oliver Lake, Tony Malaby, Michel Portal, Marc Ribot, Louis Sclavis, Omar Sosa… Désolé pour tous ceux qui ne sont pas cités, mais qui ont tout autant réjoui les oreilles des auditeurs !


Vendredi 29 janvier 2016
Auditorium Jean-Pierre Miquel - Vincennes

La soirée d’ouverture de Sons d’hiver se déroule dans le superbe auditorium Jean-Pierre Miquel de Vincennes. Superbe, parce que son acoustique est irréprochable et que les trois cent places, très confortables, offrent un point de vue dégagé sur la scène... L’affiche est  particulièrement alléchante : un solo de Muhal Richard Abrams et le duo Anja Lechner François Couturier.


Muhal Richard Abrams

Que l’un des fondateurs et membre clé de l’Association for the Advancement of Creative Musicians ouvre Sons d’Hiver est un symbole fort. Benoît Delbecq ne s’y est pas trompé et assiste à cette soirée historique : depuis 1965, Abrams secoue la Great Black Music, humainement, socialement, politiquement et… musicalement ! A plus de quatre-vingts cinq ans, Abrams reste cette figure tutélaire que décrit Alexandre Pierrepont dans La Nuée (ouvrage impressionnant sur l’AACM paru chez Parenthèses en 2015).

Le pianiste déroule une improvisation pendant une cinquantaine de minutes, puis propose un rappel de cinq minutes.




Après avoir joué avec le silence et des notes éparses pendant quelques minutes, Abrams alterne motifs mélodiques et rythmiques, avec des phrases heurtées, denses et tendues, dans le registre grave du piano. Des clusters vigoureux, des ostinatos intenses, des riffs musclés et des pédales puissantes se succèdent, interrompus ça-et-là par un crépitement abrupt. L’instrument rugit dans une ambiance grandiose. Si la mélodie reste accessoire, l’esquisse d’un thème empreint de lyrisme surgit parfois au milieu du foisonnement sonore. Dans une sorte de rhapsodie percussive, l’artiste met en musique une discussion à bâton rompu… Le bis est un chant apaisé dans lequel minimalisme et poésie se partagent les rôles.


La musique d’Abrams dégage une force irrésistible qui tient en haleine l’auditeur de la première à la dernière note.


François Couturier & Anja Lechner duo

Le pianiste François Couturier et la violoncelliste Anja Lechner ont monté un duo pour élargir l’expérience du Tartovsky Quartet – avec Jean-Marc Larché au saxophone soprano et Jean-Louis Matinier à l’accordéon. Couturier et Lechner jouent des morceaux de l’aventurier Georges Ivanovich Gurdjieff, du compositeur catalan Federico Mompou, d’Anouar Brahem et de Couturier.

Le répertoire du concert est proche de celui de Moderato Cantabile, sorti chez ECM en septembre 2015. L’approche musicale de Couturier et Lechner s’oriente clairement vers la musique classique : dialogues harmonieux, contrepoints raffinés, croisements de voix mélodieux, échanges lyriques… Ce qui n’empêche pas les envolées rythmiques en pizzicato ou sur la base d’ostinatos, mais aussi des passages dissonants dans une veine contemporaine (« Papillon »).


L’élégance des constructions et la subtilité des conversations sont au centre des préoccupations musicales du duo Couturier – Lechner.


Jeudi 4 février 2016
Théâtre Romain Rolland – Villejuif

Le Théâtre Romain Rolland de Villejuif est un habitué de Sons d’hiver. La grande salle de six cent cinquante places, la Scène Lecoq, est fermée pour rénovation, c’est donc dans la petite – cent trente places – Scène Eglantine, au premier étage de la médiathèque qui jouxte le TRR, qu’auront lieu les deux soirées dédiées au solo de Fabrice Vieira et au duo Emile ParisienDaniel Humair.


« Qui verra Vieira » - Fabrice Vieira Solo

Guitariste, chanteur, conteur, percussionniste, beatbox,.. voilà plus de quinze ans que Fabrice Vieira fait partie du noyau dur de la Compagnie Lubat. A côté des spectacles du collectif d’Uzeste, Vieira a monté un spectacle en solo : « Qui verra Vieira ».



Après une parodie de remerciements dans un mode potache, le solo de Vieira part dans tous les sens : des chants folkloriques au blues, en passant par des jouets musicaux, un fandango, des propos iconoclastes, des vocalises à la Bobby McFerrin, des boîtes à rythmes, des jeux de mots dans l’esprit de Bernard Lubat, du scatrap dans la lignée d’André Minvielle, des discours politiques, une parodie de rock’n roll, un morceau à la guitare dans une veine quasi flamenco… et une conclusion minimaliste sur « Reflections » de Thelonious Monk.

« Qui verra Vieira » est un spectacle animé et Vieira un amuseur musical patenté !


Daniel Humair & Emile Parisien Duo

Depuis Sweet & Sour (2012), Daniel Humair et Emile Parisien ont développé des affinités musicales qu’ils ont mises en commun au sein d’un duo, qui se transforme parfois en trio, avec Jean-Paul Celea à la contrebasse.



Pour le concert de Sons d’hiver, Humair et Parisien ont choisi d’interpréter des œuvres de Joachim Kühn, François Jeanneau, Parisien et Humair, mais aussi un chant folklorique tunisien tiré de Noon In Tunisia, disque de George Gruntz, enregistré en 1967, avec Humair, Jean-Luc Ponty, Sahib Shihab, Eberhard Weber et un orchestre traditionnel tunisien.

D’entrée de jeu, Humair se lance dans un festival de cymbales haut en couleur qui contraste avec le discours grave et la sonorité velouté de Parisien. Le batteur poursuit avec des roulements secs sur les peaux, tandis que le saxophone soprano part dans un développement profond et tendu, avec des traits bluesy. Les deux musiciens s’écoutent attentivement, se répondent du tac au tac, parsèment leurs échanges de bruitages contemporains et de variations free. Parisien se laisse volontiers aller à un lyrisme dense sur la batterie torride d’Humair. Ils combinent hymnes majestueux, mélodies baroques, chants poignants, comptines subtiles, thèmes orientaux…

Inventive et nerveuse, la musique du duo Humair et Parisien s’inscrit clairement dans l’avant-garde, met davantage l’accent sur le chant que sur le cri et penche plutôt vers le figuratif que l’abstraction… Un régal !