Halle That Jazz est né en 1986, mais change
de patronyme une première fois, en 1996, pour devenir La Villette Jazz Festival,
puis, en 2002, Jazz à la Villette… En septembre le festival investit la Cité de
la musique, bien sûr, mais aussi la Grande Halle, la Philharmonie, le Cabaret
Sauvage, la Dynamo, l’Atelier du Plateau et… le Studio de l’Ermitage.
Avec « Under
The Radar », Jazz à La Villette propose un « off ». C’est dans ce cadre que, les 2, 3 et 4
septembre, Abalone, le Théâtre 71 et l’Ensemble Nautilis présentent trois
soirées. Les deux premiers jours, Alexandre
Pierrepont et Didier Petit, Marc Ducret et Journal Intime, Marc Buronfosse, Nos futurs ?
Boreal Bee… se succèdent sur la scène de l’Ermitage.
Le 4 septembre, c’est
au tour de Stephan Oliva / François Raulin, Nos Futurs ?
Boreal Bee / Beñat Achiary, et Equal
Crossing d’animer la soirée. Nos Futurs ? Boreal Bee est un duo constitué
de Christophe Rocher aux clarinettes
et Sylvain Thévenard à l’électronique.
Quant à Equal Crossing, c’est un quartet qui réunit le violoniste Régis Huby, le guitariste Marc Ducret, le claviériste Bruno Angelini et le percussionniste Michelle Rabbia. Dans l’impossibilité
d’assister aux trois sets, le compte-rendu se concentre sur le duo Oliva et
Raulin.
Raulin et Oliva ont
commencé à travailler ensemble en 1996 et ont créé différents projets : 7 variations sur Lennie Tristano en septet
(2002), puis Tristano en duo (2006), Echoes of Spring autour du piano stride
en quintet (2008) et Little Nemo in
Slumberland, un spectacle en quintet avec projection d’images (2010). Correspondances est un retour au duo.
Enregistré par Gérard de Haro au Studio
La Buissonne, le disque sort en août 2016 chez Abalone.
Les deux pianistes
décident de rendre hommage à des musiciens qui comptent à leurs oreilles, sous
forme de « lettres imaginaires ». Ils écrivent à Martial Solal, Gyorgi Ligeti,
Paul Motian, Randy Weston, Jean-Jacques Avenel,
Igor Stravinsky, Duke Ellington, Henri Dutilleux, Linda
Sharrock, Jeanne Lee, Conlon Nancarrow, Jimmy Giuffre, Paul Bley,
mais aussi à Emma Bovary… Hermeto Pascoal (« Hermeto
en-tête ») et Bix Beiderbecke (« In
A Mist ») sont également à l’honneur sur le disque.
Ces épigrammes
musicaux dérivent de compositions des artistes (« In A Mist », « Sometimes
I Feel Like A Motherlesschild », « Morpion », Sonate, Sans tambour ni trompette…) mais aussi de thèmes signés des deux
pianistes. Le concert reprend dix des douze thèmes du disque et un hommage à Lennie Tristano, en bis.
Comme sur le disque,
le duo entame le concert sur « Cher Martial », morceau arrangé à
partir d’« Accalmie », « Unisson » et « Séquence
tenante », tirés de Sans trompette
ni tambour, un album enregistré en 1970 par Solal, avec Gilbert Rovère et Jean-François Jenny Clarke à la contrebasse. Echanges vifs,
dialogues énergiques, clins d’yeux malicieux et citations – une marque de
fabrique de Solal – se succèdent sur fonds de walking et de jeux rythmiques. A
l’instar de leur aîné, Raulin et Oliva mêlent joyeusement tradition jazz – Duke Ellington n’est jamais très loin –
et musique contemporaine. Mélodieuse, la « Lettre à Emma Bovary »
flirte avec Claude Debussy, agrémentée
de dissonances et de traitement rythmique qui penchent vers Thelonious Monk. Les « Télégrammes »
commencent par une course-poursuite entre les deux pianos, qui jouent
contemporain – Ligeti oblige – sur une pulsation jazz. Le développement, à
partir de « Morpion », signé Motian, s’inscrit davantage dans une
veine lyrique, mais toujours tendue. La gravité de « Jimmy » (hommage
à Giuffre et Bley) confirme la symbiose parfaite des deux pianistes, qui ne
font qu’un… Les touches bluesy qui parsèment « A Randy Weston » s’appuient
sur des riffs et walking groovy. Le thème cristallin et émouvant de la « Lettre
à Jean-Jacques Avenel » a un côté cinématographique. Pour « Tang Indigo »,
dédié à Stravinsky et Ellington, le duo revient à la musique contemporaine, sans
se départir de velléités lyriques. Dans leurs « Conversations sur
Dutilleux », Raulin et Oliva échangent des propos touffus. Retour au blues
avec des traits de gospel pour l’hymne solennel « Sometimes I Feel Like A
Motherlesschild ». Le morceau dédié à Nancarrow – « Nacarrow Furioso »
– s’accorde parfaitement avec les partitions « mécaniques » injouables
du compositeur mexicain : des envolées furieuses à quatre mains avec,
ça-et-là, des lignes de walking pour maintenir la pulsation. « Lennie Now »
(titre incertain) part dans une ambiance dansante, quasi-latino avec des
incursions dans le stride.
Les Correspondances de Raulin et d’Oliva méritent
le détour : inventives, impétueuses et toujours élégantes, elles s’écoutent
et se réécoutent avec gourmandise…
Le disque
Correspondances
François Raulin & Stephan Oliva
François Raulin (p)
et Stephan Oliva (p)
Abalone – AB026
Sortie en août 2016
Liste des morceaux
01.
« Cher
Martial », Solal & Raulin (12:50).
02.
« Lettre
à Emma Bovary », Raulin (3:58).
03.
« Télégrammes »,
Ligeti, Raulin, Motia & Oliva (4:09).
04.
« A
Randy Weston », Raulin (5:03).
05.
« Hermeto
en-tête », Raulin (2 :03).
06.
« Lettre
à Jean-Jacques Avenel », Raulin (5:21).
07.
« Tango
Indigo », Oliva (4:36).
08.
« Conversation
sur Dutilleux », Dutilleux & Raulin (4:57).
09. « Sometimes
I Feel Like A Motherlesschild », traditionnel & Oliva (4:42).
10. « Nancarrow
Furioso », Raulin (4:00).
11. « Jimmy
», Oliva (2:17).
12. « In
A Mist », Beiderbecke & Raulin (4:07).