Au Studio de l’Ermitage,
le 6 septembre 2017, à vingt-et-une heures et des poussières, le Onze Heures Onze Orchestra monte sur scène dans le cadre du festival « Under The Radar »
de Jazz à la Villette. Le concert est aussi l’occasion de célébrer la sortie du
premier opus de la discographie de l’orchestre.
Créé en 2014 par Alexandre
Herer, Olivier Laisney et Julien Pontvianne, le collectif francilien
Onze Heures Onze anime un label, qui compte d’ores et déjà près d’une vingtaine
de disques à son actif, organise un festival, produit des projets individuels et
tourne avec un orchestre à géométrie variable, autour d’un noyau d’une dizaine
de musiciens.
Tous les membres de l’orchestre qui jouent sur le disque sont
là, à l’exception de Joachim Govin, Franck Vaillant et Alban Darche : Laisney à la trompette, Pontvianne au saxophone
ténor et à la clarinette, Stéphane Payen
et Denis Guivarc’h au saxophone alto,
Johan Blanc et Michel Massot au trombone (ou au tuba pour le deuxième), Stéfan Caracci au vibraphone, Herer au
piano et claviers, Florent Nisse à la contrebasse et Thibault Perriard à la batterie. L’orchestre
invite Magic Malik pour quelques
morceaux.
Le programme du concert reprend la plupart des morceaux du disque,
plus quelques compositions du collectif. La thématique tourne autour de
compositeurs du vingtième et vingt-et-unième siècles : Giacinto Scelsi, Steve Reich, Alvin Lucier,
György Ligeti, Conlon Nancarrow, Maurice
Ohanna, Morton Feldman…
Le concert commence par une adaptation tout à fait
personnelle d’Herer du Proverb que
Reich a composé en 1995. L’orchestre se substitue aux trois sopranos, aux deux
ténors, aux deux vibraphones et aux deux orgues électriques. Les contrepoints
de la trompette et des saxophones rappellent les voix de la version originale,
tout comme les interventions du vibraphone, mais les similitudes s’arrêtent là :
l’élégance éthérée des voix, quasiment a cappella, de Reich est remplacée par un
mouvement de groupe tendu, avec une batterie, une contrebasse et un piano qui
maintiennent une pulsation mate et robuste. L’ « Autoportrait », que
Darche a composé pour Vol 1, est un
hommage à Ohanna, Isaac Albeniz et
Ligeti. Après une introduction entre comptine et gamelan, la rythmique lance un
motif funky, soutenu par une pédale du piano, tandis que le trombone et le
saxophone alto dialoguent avec verve. Le morceau se déroule dans un entrelacs
de voix d’une grande finesse. « Densité », signé Caracci, démarre
avec des boucles construites autour d’un ostinato du vibraphone, d’une pédale au
piano et d’une batterie percussive, tandis que les vents s’en donnent à cœur joie,
dans un délire de sonnailles. Dans la deuxième partie du morceau, la batterie
et la contrebasse restent charnels, le vibraphone et le piano s’envolent dans
le contemporain et les soufflants deviennent mystérieux… Guivarc’h prend un
solo particulièrement inspiré dans la « Fanfare pour Denis », que lui
a dédié Payen. La walking rapide de Nisse et le chabada fulgurant de Perriard enflamment
le morceau. Foisonnement des timbres, superposition des voix et rythmique
entraînante pour « Kung Fu 37 » de Guivarc’h. Retour à la musique
contemporaine avec « This Is Where The Sea Ends », écrit par
Pontvianne et inspiré par Lucier : minimalisme et jeux avec les timbres. Cocktail
de musique contemporaine et d’éléments funky, « Arcane 4 » – composé
par Laisney – permet à Nisse de prendre un chorus mélodieux. Malik, sa flûte et
sa voix, rejoignent l’orchestre pour « From Crippled Symmetry » d’Herer,
enchaîné – vraisemblablement – avec le « XP31 » de Mezzadri. C’est un
morceau protéiforme qui saute d’une atmosphère vaporeuse à des joutes
contemporaines, en passant par une quasi-berceuse (quand Malik fredonne dans l’embouchure
de sa flûte) et des mouvements minimalistes et rythmiques qui évoquent parfois
le gamelan. Le bis est une improvisation collective effrénée, pendant que Malik
égrène paisiblement un compte-à-rebours…
Le disque permet évidemment de prendre davantage de recul par
rapport à la musique que le concert et, sans doute, d’avoir une écoute plus
équilibrée, même si le son est moins chaleureux et « physique » qu’en
concert. Vol 1 n’échappe pas à la
règle. Cela dit, la prise de son est très réussie : elle met bien en
valeur les instruments et l’architecture des morceaux (« Proverb »). Deux
morceaux n’ont pas été joués au Studio de l’Ermitage : « Yog Sothoth »
de Laisney et « Raja » de Vaillant. Le premier commence par une
introduction minimaliste du piano dans les graves, avant de partir sur une
jolie mélodie soutenue par une rythmique entraînante et des chœurs en
contre-chants. « Raja » met en scène une mélodie délicate, portée par
les lignes aériennes du vibraphone, sur une rythmique et des riffs dansants.
Les constructions complexes et autres juxtapositions
insolites de Vol 1 évoquent
évidemment la musique contemporaine, tandis que les sonorités et les rythmes ramènent
au jazz. Sur disque ou en concert, il faut écouter la musique du Onze Heures
Onze Orchestra car il s’y passe toujours quelque chose !
Le disque
Vol 1
Onze Heure Onze
Orchestra
Olivier Laisney (tp), Julien Pontvianne (cl, ts), Stéphane
Payen (as), Denis Guivarc’h (as), Johan Blanc (tb) ou Michel Massot (tb, tu),
Stéfan Caracci (vib), Alexandre Herer (p, org), Joachim Govin ou Florent Nisse (b)
et Franck Vaillant ou Thibault Perriard (d), avec Magic Malik (fl) et Alban
Darche (bs).
Onze Heures Onze – ONZ020
Sortie le 6 septembre 2017
Liste des morceaux
001. «
Xp31 », Malik (4:05).
002. «
Yog Sothoth », Laisney (9:37).
003. «
Raja », Vaillant (9:37).
004. « Proverb
», Herer (6:30).
005. « This Is Where the Sea Ends », Pontvianne
(7:34).
006. « Fanfare pour Denis », Payen (6:58).
007. «
Autoportrait avec Ohana et Albeniz (Merci Ligeti) », Darche (6:07).