Le 8 novembre Patrice Caratini célèbre le vingtième anniversaire de son Jazz Ensemble aux Gémeaux, à
Sceaux, devant un Grand Théâtre comble.
Formé à la musique et au jazz pendant son adolescence –
piano, guitare et saxophone – Caratini adopte la contrebasse à l’âge adulte. Il
fait d’abord ses classes dans des orchestres New Orleans, puis apprend le be-bop
en compagnie de Mal Waldron et Slide Hampton. En 1976, après avoir
accompagné des chanteurs – Georges Moustaki,
Colette Magny et Maxime Le Forestier – Caratini forme un
duo de référence avec Marc Fosset (Le chauve et le gaucher – 1978). Les
deux musiciens s’associent ensuite à Marcel
Azzola (Trois temps pour bien faire
– 1982) puis à Stéphane Grappelli, qu’ils accompagnent pendant près de dix ans. En
1985, il monte son Onztet (Viens dimanche !
– 1987) et, de 1993 à 1995, il anime la Scène et Marnaise avec Andy Emler, François Jeanneau et Philippe
Macé. Et c’est en 1997 que Caratini crée son Jazz Ensemble.
En 1997, Françoise
Letellier, directrice des Gémeaux, propose à Caratini d’héberger l’orchestre
qu’il veut former : le Caratini Jazz Ensemble nait le 10 octobre 1997 avec
la création du spectacle Darling Nellie
Gray, inspiré par la musique de Louis
Armstrong. Autour du contrebassiste, douze musiciens qui sont toujours à
ses côtés aujourd’hui : André
Villéger et Matthieu Donarier aux
saxophones et à la clarinette, Rémi
Sciuto aux saxophones et à la flûte, Claude
Egea et Pierre Drevet à la
trompette, François Bonhomme au cor,
Denis Leloup au trombone, François Thuillier au tuba, David Chevallier à la guitare et au banjo,
Alain Jean-Marie au piano et Thomas Grimmonprez à la batterie. En
décembre de la même année, le Jazz Ensemble sort Anything Goes autour du répertoire de Cole Porter et avec la voix de Sara
Lazarus. Echoes of France, reprise
de thèmes écrits par des compositeurs de jazz en France, voit le jour en 1999.
En 2001, Caratini et Jean-Marie composent Chofé
biguine la, mariage de la musique des Antilles et du jazz. En 2003, le Jazz Ensemble monte Le Bal, pour faire danser les
spectateurs sur des réorchestrations de standards de jazz et de chansons
populaires, tandis que le pianiste Manuel
Rocheman et le percussionniste Sebastian
Quezada rejoignent l’orchestre. De l’amour
et du réel est un projet sur la chanson réaliste de l’entre-deux guerres
conçu en 2005, avec Hildegarde Wanzlawe
au chant. Latinidades, consacré à l’afro-jazz,
est créé en 2009. Caratini choisit Body
and Soul, film réalisé en 1924 par Oscar
Micheaux, pour un ciné-concert produit en 2013. Suit, en 2014, le spectacle
Chants des rues, sur des chansons à
texte d’après-guerre, la plupart signées Jacques
Prévert et Joseph Kosma, toujours
avec Wanzlawe au chant.
Pour son vingtième anniversaire, le Jazz Ensemble donne deux
concerts, l’un au Studio 104 de Radio France, l’autre aux Gémeaux, et sort le disque
Instants d’orchestre chez Caramusic,
le 22 septembre 2017. Le répertoire du disque – et des soirées – se veut le
reflet de vingt années de recherche et puise ses morceaux dans différents
disques du Caratini Jazz Ensemble : Darling
Nelie Gray, Anything Goes, From The Ground, Latinidad et Body and Soul.
Le 8 novembre, tous les musiciens sont au rendez-vous :
Jean-Marie et Rocheman se partagent le piano et Lazarus interprète quatre
chansons. Les musiciens prennent place solennellement les uns après les autres sur
le « West End Blues » d’Armstrong diffusé en toile de fond. L’orchestre
enchaîne sur « East End Blues », avec une alternance de phrases isolées
– guitare, saxophone, trompette, tuba… – et de mouvements d’ensemble, puis le
rythme s’emballe : walking et chabada accompagnent le chorus tendu de
Sciuto, avant de déboucher sur un passage contemporain.
La belle mélodie d’« Italian Sorrow », signée Jean-Marie, est parfaitement servie par Villéger dans un style west coast, puis par le pianiste lui-même, avec des accents caribéens, pendant que l’orchestre joue subtilement en contre-chant. Dans la tradition des grands orchestres,
La belle mélodie d’« Italian Sorrow », signée Jean-Marie, est parfaitement servie par Villéger dans un style west coast, puis par le pianiste lui-même, avec des accents caribéens, pendant que l’orchestre joue subtilement en contre-chant. Dans la tradition des grands orchestres,
Caratini arrange ses morceaux de manière à ce que chaque musicien puisse
avoir son solo. Les trois Miniatures – « Valse musette », « Dialogue »
et « Swing » – permettent à Thuillier et son tuba de dialoguer avec l’orchestre
avec beaucoup d’humour. D’ailleurs, comme le dit malicieusement Caratini :
« l’intérêt des morceaux très courts, c’est que si vous avez une idée
intéressante il vaut mieux en rester là parce que, si vous la développez, vous
ne savez pas si ça restera intéressant… et si c’est mauvais, ce n’est peut-être
pas la peine de continuer là-dessus… » Le banjo de Chevallier expose « Atlanta »
(tiré de Body and Soul). L’air, légèrement
nostalgique, laisse place à un charleston endiablé, puis, sur une walking et un
chabada ultra rapides,
Leloup prend un chorus captivant, dans une veine néo-bop,
qu’il conclut majestueusement a cappella.
Le timbre chaud, la souplesse du
phrasé et la mise en place rythmique précise de la voix de Lazarus vont comme
un gant à « What Is This Thing Called Love » (beau duo avec la
trompette d’Egea), « My Heart Belongs To Daddy » (déconstruit), « Too Darn Hot » (dynamique et dans
l’esprit music-hall des années trente) et « I Concentrate on You »
(chanté en bis). Le banjo et le piano animent « Pinta », extrait de
la suite Antillas et clairement
inscrit dans une ambiance sud-américaine.
En l’honneur de Dizzy Gillespie, l’un des pionniers de l’Afro-Cuban Jazz, le Jazz Ensemble
interprète « Tin Tin Deo » : après un duo intense entre le piano
et le saxophone soprano, qui pourrait être Steve
Lacy, Rocheman part dans une atmosphère cubaine et Donarier s’envole dans
un chorus de haute volée, parsemé d’aromates free…
Plus sombre, « Tierras » évoque
aussi l’Amérique du Sud et Drevet fait chanter sa trompette bouchée avec
lyrisme, tandis que les différentes sections de l’orchestre croisent leurs voix.
Pour conclure le concert, Caratini rend
hommage à Django Reinhardt
avec sa « Petite suite pour Django Reinhardt » : le climat vire
au be-bop, avec un morceau vif dans lequel Villéger répond à l’orchestre et une
section rythmique qui installe une walking et chabada énergiques.
Caratini peut non seulement compter sur l’excellence des musiciens
du Jazz Ensemble, tous plus doués les uns que les autres, mais aussi sur une
connivence parfaite, fomentée par vingt années de complicité. Avec des artistes
venus de tous azimuts – musique contemporaine et classique, new orleans, swing,
be-bop, free… – et ouverts à tout, Caratini développe sa musique, à la fois complexe
et abordable, entre tradition et modernité, reflet de toute l’histoire du jazz,
de Storyville à Montmartre, en passant par Chicago, Broadway, La Havane, Fort
de France… Un bien beau voyage qu’il faut faire absolument !
Le disque
Caratini Jazz
Ensemble
André Villéger (sax, cl), Matthieu Donarier (sax, cl), Rémi
Sciuto (sax, fl), Claude Egea (tp), Pierre Drevet (tp), François Bonhomme (cor),
Denis Leloup (tb), François Thuillier (tu), David Chevallier (g), Alain
Jean-Marie (p), Manuel Rocheman (p), Patrice Caratini (b), Sebastian Quezada (perc)
et Thomas Grimmonprez (d), avec Sara Lazarus (voc).
Caramusic – L’autre distribution
Sortie le 22 septembre 2017
Liste des morceaux
01. « East End Blues » (9:04).
02. « Valse musette » (1:27).
03. « What Is This Thing Called Love »,
Porter (8:02).
04. « Pinta » (4:56).
05. « From the Ground » (5:08).
06. « My Heart Belongs to Daddy »,
Porter (9:51).
07. « Atlanta » (4:21).
08. « Ory's Dream » (8:33).
09. « Tierras » (8:36).
10. «
To the Clouds » (5:39).
Tous les morceaux sont signés Caratini, sauf indication
contraire.