A l’occasion du
Disquaire Day, le 13 avril 2019, Les Allumés du Jazz sortent une revue, Aux ronds-points des Allumés du Jazz, et
un disque… Jean Rochard, fondateur du label nato en 1980, et membre du conseil
d’administration des Allumés du Jazz, revient sur le parcours de la fédération et
donne son point de vue sur la situation de la musique aujourd’hui.
Les Allumés du Jazz
Jazz à Bâbord :
Vingt-cinq ans après sa création, Les Allumés du Jazz regroupent près de
quatre-vingts dix labels, autour de trois mille deux cent artistes et quasiment
deux milles albums… Comment expliquer un tel succès ?
Jean Rochard : Il semble un peu hasardeux de parler de
succès ! La production indépendante de musique enregistrée et a fortiori de jazz (le mot entendu en un
sens très large, ce qui est la moindre des choses) procure bien des joies, mais
aussi des souffrances et il y a une grande méconnaissance de cette partie. Les
Allumés du Jazz ont peut-être su entendre ça et offrir non une organisation en
ordre de marche, mais un lieu où échanges et rencontres sont possibles.
JàB : Le bilan
est positif ?
JR : « Globalement positif » dirait Georges Marchais. On se méfiera de mots
comme positif ou négatif qui renvoient trop à une simple alternance électrique.
Ce qui compte avant le bilan des Allumés du Jazz, c’est la situation de ses
membres, de toutes ces maisons de disques, ces productions. Les Allumés du Jazz
ne sont que le reflet de cette vie là.
JàB : Quelles
ont été les grands jalons de l’histoire des Allumés du Jazz ?
JR : Leur création sans doute, très empirique, presque
hasardeuse, mais avec un fond de désir commun à partir duquel les Allumés du
Jazz ont progressé. Pour les réalisations, on pourra sans doute noter la
publication du journal Les Allumés du Jazz
diffusé à dix-sept mille exemplaires et qui semble toucher beaucoup de gens. Il
y a aussi une bonne relation avec illustrateurs et photographes. Seul
regret : ne pas avoir les moyens de faire davantage de numéros… Ce qui serait
beaucoup demandé ! Nous en sommes à trente-sept. Il y a eu aussi des
participations dans des festivals, des débats, des concerts – les Allumés du solo
–, la diffusion du film de Brendan
Toller, I Need That Record, que
les Allumés ont fait sous-titrer en Français, la solidarité marquée vis à vis
de Gérard Terronès, et, bien sûr, la
création de la boutique au Mans, qui a marqué une sorte d’incarnation très forte
et de rapprochement avec les disquaires, une catégorie très appréciée des
Allumés du Jazz !
JàB : En 1995,
lors de la création des Allumés du Jazz, la diffusion et la promotion des
musiques via le disque est au centre des préoccupations, qu’en est-il
aujourd’hui ?
JR : Au fond, c’est assez similaire, même si tout a été chamboulé !
Ce qui importe, c’est que l’expression musicale reste pleine et entière. Ce qui
n’est pas évident dans les conditions actuelles où le surplus de contingences,
high-tech ou pas, est aussi touffu que confus…
JàB : Au fait,
comment et pourquoi « Les Allumés du Jazz » ?
JR : Parce qu’il y avait besoin d’un peu de lumière !...
JàB : Comment fonctionnent
Les Allumés du Jazz ?
JR : Il y a des commissions sur des sujets divers. Chaque
commission a un délégué qui est automatiquement membre du Conseil
d’Administration. Le souhait est que tout le monde puisse s’exprimer.
JàB : Et comment
se financent Les Allumés du Jazz ?
JR : Avec des aides publiques ou de sociétés civiles, qui
tendent à se réduire…
La musique de jazz en
France et ailleurs
JàB : Quel
regard sur le jazz en France : production discographique, clubs,
festivals, écoles… ?
JR : Il y a tant d’angles de regards… Il y a de plus en plus
de musiciens, de moins en moins d’occasions de jouer et une
professionnalisation souvent étouffante, avec trop de sélection : les dix
meilleurs, les cinq émergents etc. Une certaine forme d’underground tend à se
recomposer. Il y a beaucoup de talents totalement ignorés par un système qui
s’est par trop rigidifié.
JàB : Et quel
regard portez-vous sur le public du jazz en France ?
JR : Les Allumés du Jazz aiment les gens qui aiment la musique
et le font sentir, vigoureusement !
JàB : Comment
jugez-vous l’évolution des politiques gouvernementales en matière de
musique ?
JR : Comme en matière de social : déconnectée !
JàB : Quelle
position vis-à-vis de la musique dématérialisée, comment voyez-vous l’évolution
du jazz et de l’action des Allumés du Jazz ?
JR : Avec un sacré mal de tête ! Les perceptions varient.
Certains membres se sont bien adaptés aux nouvelles technologies, mais la
plupart reste attachée au disque comme objet représentant une réalisation,
racontant une histoire. Quelque chose d’achevé, très loin des playlists
anonymes. Le disque, qu’il soit vinyle ou compact reste un vecteur assez idéal
de reproduction de l’enregistrement et plus encore de sa mise en jeu. Avec les
nouvelles technologies, il y a bien sûr d’autres aspects : sociaux,
écologiques. Dans la revue Aux ronds
points des Allumés du Jazz, vous trouverez un chapitre intitulé
« Numérique l’envers du décor », assez parlant.
JàB : Les
Allumés du Jazz œuvrent en France, quid du jazz à l’étranger ?
JR : C’est la grande faiblesse, les Allumés du Jazz ont des
contacts à l’étranger mais il y a bien mieux à faire. Récemment Igloo, label
belge, a rejoint les Allumés du Jazz. Il est vrai qu’un certain
internationalisme ouvre mieux les frontières. Il y en a grand besoin.
Aux ronds-points des
Allumés du Jazz
JàB : Les
Allumés du Jazz lance une revue accompagnée d’un vinyle, le 13 avril, jour du
Disquaire Day. Tout un symbole ?
JR : Disons simplement que c’est un jour où il y a un peu plus
d’attention portée à nos réalités. Nous regrettons que cette journée, initiée
par des disquaires américains, soient trop devenue « la fête du 33
tours » alors qu’elle devrait embrasser tout ce qu’un disquaire peut
offrir.
JàB : Aux
ronds-points des Allumés du Jazz, pourquoi ce titre ? Presqu’un clin d’œil
aux gilets jaunes…
JR : Presque, en effet !
JàB : Aux
ronds-points des Allumés du Jazz est une nouvelle revue et / ou la
prolongation du journal ? Ce dernier paraîtra-t-il encore ?
JR : Autant que faire se peut. La revue est un moment un peu
différent, mais complémentaire. Le journal a beaucoup participé de
l’identification des Allumés du Jazz, de la possibilité d’exprimer leur pensée,
comme pour l’affaire du Centre National de la Musique, par exemple.
JàB : Pourquoi
avoir couplé une revue et un disque ?
JR : Parce qu’on ne peut pas seulement commenter, et que,
naturellement, comme ce que les membres des Allumés du Jazz aiment faire, ce
sont des disques, alors, en toute logique, joignons la musique à la parole, et
même le dessin à l’écrit…
JàB : Est-ce
une opération éphémère ou le début d’un projet à long terme ?
JR : Une opération éphémère à long terme. Un bout de jazz en
somme…