22 mars 2019

Aux ronds-points des Allumés du Jazz…


A l’occasion du Disquaire Day, le 13 avril 2019, Les Allumés du Jazz sortent une revue, Aux ronds-points des Allumés du Jazz, et un disque… Jean Rochard, fondateur du label nato en 1980, et membre du conseil d’administration des Allumés du Jazz, revient sur le parcours de la fédération et donne son point de vue sur la situation de la musique aujourd’hui.


Les Allumés du Jazz

Jazz à Bâbord : Vingt-cinq ans après sa création, Les Allumés du Jazz regroupent près de quatre-vingts dix labels, autour de trois mille deux cent artistes et quasiment deux milles albums… Comment expliquer un tel succès ?

Jean Rochard : Il semble un peu hasardeux de parler de succès ! La production indépendante de musique enregistrée et a fortiori de jazz (le mot entendu en un sens très large, ce qui est la moindre des choses) procure bien des joies, mais aussi des souffrances et il y a une grande méconnaissance de cette partie. Les Allumés du Jazz ont peut-être su entendre ça et offrir non une organisation en ordre de marche, mais un lieu où échanges et rencontres sont possibles.

JàB : Le bilan est positif ?

JR : « Globalement positif » dirait Georges Marchais. On se méfiera de mots comme positif ou négatif qui renvoient trop à une simple alternance électrique. Ce qui compte avant le bilan des Allumés du Jazz, c’est la situation de ses membres, de toutes ces maisons de disques, ces productions. Les Allumés du Jazz ne sont que le reflet de cette vie là.


JàB : Quelles ont été les grands jalons de l’histoire des Allumés du Jazz ?

JR : Leur création sans doute, très empirique, presque hasardeuse, mais avec un fond de désir commun à partir duquel les Allumés du Jazz ont progressé. Pour les réalisations, on pourra sans doute noter la publication du journal Les Allumés du Jazz diffusé à dix-sept mille exemplaires et qui semble toucher beaucoup de gens. Il y a aussi une bonne relation avec illustrateurs et photographes. Seul regret : ne pas avoir les moyens de faire davantage de numéros… Ce qui serait beaucoup demandé ! Nous en sommes à trente-sept. Il y a eu aussi des participations dans des festivals, des débats, des concerts – les Allumés du solo –, la diffusion du film de Brendan Toller, I Need That Record, que les Allumés ont fait sous-titrer en Français, la solidarité marquée vis à vis de Gérard Terronès, et, bien sûr, la création de la boutique au Mans, qui a marqué une sorte d’incarnation très forte et de rapprochement avec les disquaires, une catégorie très appréciée des Allumés du Jazz !

JàB : En 1995, lors de la création des Allumés du Jazz, la diffusion et la promotion des musiques via le disque est au centre des préoccupations, qu’en est-il aujourd’hui ?

JR : Au fond, c’est assez similaire, même si tout a été chamboulé ! Ce qui importe, c’est que l’expression musicale reste pleine et entière. Ce qui n’est pas évident dans les conditions actuelles où le surplus de contingences, high-tech ou pas, est aussi touffu que confus…

JàB : Au fait, comment et pourquoi « Les Allumés du Jazz » ?

JR : Parce qu’il y avait besoin d’un peu de lumière !...

JàB : Comment fonctionnent Les Allumés du Jazz ?

JR : Il y a des commissions sur des sujets divers. Chaque commission a un délégué qui est automatiquement membre du Conseil d’Administration. Le souhait est que tout le monde puisse s’exprimer.

JàB : Et comment se financent Les Allumés du Jazz ?

JR : Avec des aides publiques ou de sociétés civiles, qui tendent à se réduire…


La musique de jazz en France et ailleurs

JàB : Quel regard sur le jazz en France : production discographique, clubs, festivals, écoles… ?

JR : Il y a tant d’angles de regards… Il y a de plus en plus de musiciens, de moins en moins d’occasions de jouer et une professionnalisation souvent étouffante, avec trop de sélection : les dix meilleurs, les cinq émergents etc. Une certaine forme d’underground tend à se recomposer. Il y a beaucoup de talents totalement ignorés par un système qui s’est par trop rigidifié.

JàB : Et quel regard portez-vous sur le public du jazz en France ?

JR : Les Allumés du Jazz aiment les gens qui aiment la musique et le font sentir, vigoureusement !

JàB : Comment jugez-vous l’évolution des politiques gouvernementales en matière de musique ?

JR : Comme en matière de social : déconnectée !



JàB : Quelle position vis-à-vis de la musique dématérialisée, comment voyez-vous l’évolution du jazz et de l’action des Allumés du Jazz ?

JR : Avec un sacré mal de tête ! Les perceptions varient. Certains membres se sont bien adaptés aux nouvelles technologies, mais la plupart reste attachée au disque comme objet représentant une réalisation, racontant une histoire. Quelque chose d’achevé, très loin des playlists anonymes. Le disque, qu’il soit vinyle ou compact reste un vecteur assez idéal de reproduction de l’enregistrement et plus encore de sa mise en jeu. Avec les nouvelles technologies, il y a bien sûr d’autres aspects : sociaux, écologiques. Dans la revue Aux ronds points des Allumés du Jazz, vous trouverez un chapitre intitulé « Numérique l’envers du décor », assez parlant.

JàB : Les Allumés du Jazz œuvrent en France, quid du jazz à l’étranger ?

JR : C’est la grande faiblesse, les Allumés du Jazz ont des contacts à l’étranger mais il y a bien mieux à faire. Récemment Igloo, label belge, a rejoint les Allumés du Jazz. Il est vrai qu’un certain internationalisme ouvre mieux les frontières. Il y en a grand besoin.


Aux ronds-points des Allumés du Jazz

JàB : Les Allumés du Jazz lance une revue accompagnée d’un vinyle, le 13 avril, jour du Disquaire Day. Tout un symbole ?

JR : Disons simplement que c’est un jour où il y a un peu plus d’attention portée à nos réalités. Nous regrettons que cette journée, initiée par des disquaires américains, soient trop devenue « la fête du 33 tours » alors qu’elle devrait embrasser tout ce qu’un disquaire peut offrir.


JàB : Aux ronds-points des Allumés du Jazz, pourquoi ce titre ? Presqu’un clin d’œil aux gilets jaunes… 

JR : Presque, en effet !

JàB : Aux ronds-points des Allumés du Jazz est une nouvelle revue et / ou la prolongation du journal ? Ce dernier paraîtra-t-il encore ?

JR : Autant que faire se peut. La revue est un moment un peu différent, mais complémentaire. Le journal a beaucoup participé de l’identification des Allumés du Jazz, de la possibilité d’exprimer leur pensée, comme pour l’affaire du Centre National de la Musique, par exemple.

JàB : Pourquoi avoir couplé une revue et un disque ?

JR : Parce qu’on ne peut pas seulement commenter, et que, naturellement, comme ce que les membres des Allumés du Jazz aiment faire, ce sont des disques, alors, en toute logique, joignons la musique à la parole, et même le dessin à l’écrit…

JàB : Est-ce une opération éphémère ou le début d’un projet à long terme ?

JR : Une opération éphémère à long terme. Un bout de jazz en somme…