Le mardi 12 juin
2019, l’incontournable Studio de l’Ermitage accueille la soirée d’inauguration
d’Open Ways. Open Ways est une association née du rapprochement d’Emouvance,
compagnie créée par Claude Tchamitchian, Abalone Productions, structure montée
par Régis Huby, et Solange, association fondée par Bruno Angelini. L’union fait
la force…
La soirée se déroule en trois sets d’une quarantaine de
minutes : Tchamitchian ouvre la soirée en solo avec son programme In Spirit,
Huby poursuit avec le trio Codex III, puis Angelini conclut en quartet Open
Land.
In Spirit
Tchamitchian élabore In Spirit en 2018 et sort un disque chez Absilone le 25 janvier 2019. Le
contrebassiste commence par donner quelques explications sur ce projet. Quand
il a conçu ce solo, il s’est rendu compte que sa contrebasse habituelle ne lui
convenait pas. Grâce à Andy Emler et
Anne Jenny-Clark, il a pu utiliser l’une
des deux contrebasses de Jean-François
Jenny-Clark…
Le concert commence par « In Spirit », dédicacé à
Jenny-Clark. Des pédales et boucles graves et profondes lancent majestueusement
le morceau. Les lignes sourdes s’emballent ensuite pour une course en pizzicato
à perte d’haleine. Dans une troisième partie, l’archet martèle les cordes et
fait gronder la contrebasse comme un moteur, entraîné dans une suite rythmique
aux résonnances harmoniques complexes. Le final, vif et mélodieux, est ponctué
de glissandos aux accents orientaux et de motifs rapides.
La deuxième pièce de la soirée, « In Memory », trouve
son origine dans le souvenir d’une mélodie ancienne de musique arménienne que
Tchamitchian a joué en duo avec le kamenciste Gaguik Mouradian. Tchamitchian utilise une technique unique avec
deux archets : l’un au-dessus du chevalet et l’autre en-dessous. Un
bourdon caverneux accompagne une mélodie fragile aux couleurs moyen-orientales qui
rappellent la sonorité du kamençe. Les développements alternent phrases legato,
bariolages, doubles cordes et autres contrepoints… Tchamitchian termine par une
variation solennelle, voire dramatique, avec une sonorité et une souplesse qui évoquent
parfois celle du violoncelle.
Le timbre boisé et chaleureux et la variété de jeu
qu’offrent les cordes font de la contrebasse un instrument solo d’autant plus
captivant que Tchamitchian est un conteur-né !
Codex III
Huby a cofondé Codex III avec Bruno Chevillon à la contrebasse et Michele Rabbia aux percussions. La musique sera électro ou ne sera
pas : le violoniste et le contrebassiste siègent au milieu d’une pléthore
de pédales à effets ! Le batteur n’est pas en reste, avec un
ordinateur portable à portée de mains…
Sur une ligne en pizzicato heurtée et les crépitements de la
batterie, le violon commence par s’envoler dans des phrases aux couleurs contemporaines,
émaillées de dissonances et de sauts d’intervalles. Dans un deuxième mouvement,
très sombre et intense, le trio s’écoute attentivement pour interagir toujours à
propos sur les bruitages lancés par l’ordinateur de Rabbia, les grincements
électriques de Chevillon ou les effets réverbérés d’Huby. Un bourdon puissant,
entre gong et avion, accueille un troisième tableau, qui s’oriente petit à
petit vers des boucles mécanistes, soutenues par une batterie imposante. Dans
la partie suivante, les sustains, martèlements rythmiques et autres
tintinnabulements se mêlent à des bourdonnements, grondements et ronflements
dignes d’un moteur ! Après cet épisode dense, des nappes sonores sourdes se
déroulent lentement pendant que le violon joue une mélodie fragile, toujours
dans un esprit proche de la musique contemporaine. La batterie met alors en
place un rythme sec et mat, pendant que le violon aligne des contrepoints
rapides sur un continuo de la contrebasse : l’ambiance tourne au rock
progressif. Dans le final, un pizzicato cristallin, comme une sanza, égrène ses
notes sur un décor électronique coupé de stridences saturées, qui évoque
parfois la bande-son d’un film de science-fiction underground.
Avec des traces de musique acousmatique et de rock progressif,
Codex III possède une forte personnalité,
sans concession et résolument tournée vers l’avant-garde expérimentale.
Open Land
C’est en 2014 qu’Angelini réunit Huby, Tchamitchian et Edward Perraud dans Open Land. Le
quartet publie un premier disque, Instant
Sharings, en 2015, suivi d’un deuxième opus éponyme en 2017, toujours sur
le label du Studio La Buissonne.
Angelini commence par une introduction a capella délicate,
avec des notes éparses. « Jardin perdu », exposé à l’unisson par Huby
et Tchamitchian sur une pédale du piano, rappelle certaines mélodies du début
vingtième. Perraud intervient subtilement sur ses cymbales et autres cloches.
Les voix se croisent et les dialogues s’animent, mais toujours dans une
atmosphère de musique de chambre, marquée par un romantisme moderne et élégant.
Des boucles et des ostinatos annoncent « Indian
Imaginary Song ». Le violon et la contrebasse, à l’archet, emboîtent les
pas du piano, tandis que la batterie foisonne. Le quartet met en scène le
volume sonore, la diversité des timbres et les variations rythmiques, dans des échanges
savoureux à bâton rompu.
« Perfumes of Quietness », dédié à Michel Serres, débute par une belle mélodie,
exposée
sur un rythme solennel. Le piano développe le thème avec vivacité, accompagné
par les traits minimalistes du violon, les riffs profonds de la contrebasse et une
batterie luxuriante. S’ensuit un vrombissement venu de l’au-delà, bientôt
interrompu par un ostinato hypnotique et un bruissement de batterie sur lesquels
se détachent les phrases vulnérables du violon.
Hommage à John Taylor
et aux arbres, « Tree Songs », démarre avec les lignes sombres de la
contrebasse, les crissements de la batterie, le crépitement du piano et un
bourdonnement en arrière-plan. Peu à peu, l’atmosphère du morceau devient nostalgique,
voire triste : le violon déroule des lignes aériennes, la batterie bruisse
et la contrebasse joue des traits. Quant
au piano, il reste lyrique et moderne. Le tout se déroule dans une ambiance qui
flirte toujours avec la musique contemporaine.
En bis, le quartet part dans des dialogues rythmiques avec
le piano dans les cordes, les motifs enlevés du violon, une ligne de
contrebasse vigoureuse et des frappes heurtées de la batterie. Chevillon
installe ensuite un riff entraînant et le quartet décolle : le violon part
dans une mélodie aérienne, soutenue par l’ostinato grondant de la contrebasse, les
cliquetis de la batterie et les accords robustes du piano.
Marqué par la musique contemporaine, le jazz de chambre d’Open Land invite l’auditeur à un voyage passionnant
dans les méandres de ses constructions étranges et fascinantes.