29 septembre 2021

Rëd Sisters – NoSax NoClar

Un champion de beatbox et un élève du CNSMDP auraient pu ne jamais se rencontrer, mais c’était sans compter une ouverture d’esprit à tout va, au moins un instrument en commun – la clarinette – et un groupe partagé – Groove Catchers, lauréat 2011 du tremplin jazz de La Défense. Il n’en fallait pas plus pour que le beatbox man et clarinettiste Julien Stella s’associe au clarinettiste et saxophoniste Bastien Weeger pour former le duo au nom évocateur : NoSax NoClar.

Les deux compères sortent Kahmsin en octobre 2020, puis Rëd Sisters en septembre 2021, tous les deux publiés chez Yolk Records. Stella et Weeger se partagent neuf compositions et jouent « One For Djivan G. », tiré d’un morceau traditionnel, en hommage à Djivan Gasparyan, compositeur et joueur de duduk arménien, décédé en juillet 2021. Le tromboniste Thomas Gruselle est invité sur « Promotion 23 ».

Dès « Bomi », le duo annonce la couleur : des boucles et contre-chants rythmiques, une mélodie délicate et tribale et des timbres contrastés, le tout exposé avec adresse et concision. Le Moyen-Orient ou les Balkans s’invitent dans le vif et bref « 66 de 36 ». L’élégance de « Bleuet » rappelle la musique de chambre française du début vingtième. Stella et Weeger dialoguent et s’accompagnent mutuellement avec subtilité. « Rëd » démarre sur un jeu rythmique entraînant, dans une ambiance « ethnique », accentuée par l’esprit du thème-riff, puis le développement laisse place à des échanges sur un mode contemporains. Pour pimenter leurs échanges, Stella et Weeger croisent leurs voix (« Promotion 23 »), jouent des motifs en fugue (« Le rêve »), partent dans des questions-réponses (« Maja Yoka »)... Les deux musiciens varient leur jeu en utilisant des techniques étendues – clés, voix, souffle continu, modulations, etc. – et en parsemant leurs discours de touches orientales (« Maja Yoka »), médiévales (« Ellis Sisters »), balkaniques (« Mulino mio »), méditatives (« One for Djivan G. »), des zestes de fanfare (« Promotion 23 »)… soutenus par des pédales (« Maja Yoka »), bourdon (« One for Djivan G. »), riffs (« Promotion 23 ») et autres ostinatos (« Mulino mio »).

NoSax NoClar peut paraphraser la maxime de Nicolas Boileau : « ce que l’on conçoit bien se joue clairement, et les notes pour le développer arrivent aisément »… Musique de chambre du monde, Rëd Sisters est enthousiasmant !

Le disque

Rëd Sisters
Nosax Noclar
Julien Stella (cl, bcl) et Bastien Weeger (cl, sax), avec Thomas Gruselle (tb)
Yolk Records – J2088
Sortie le 16 septembre 2021

Liste des morceaux

01. « Bomi », Weeger (3:49).
02. « 66 de 36 », Stella (1:47).
03. « Bleuet », Weeger (4:36).
04. « Rëd », Stella (3:11).
05. « Ellis Sisters », Stella (4:08).
06. « Maja Yoka », Weeger (5:00).
07. « One for Djivan G. », traditionnel (4:00).
08. « Le rêve », Weeger (3:24).
09. « Promotion 23 », Stella (4:26).
10. « Mulino mio », Stella (1:53).

27 septembre 2021

Ring - L’effet vapeur

L’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire – plus connu sous le nom d’AR
FI – est un collectif créé à Lyon, qui n’a jamais cessé d’agiter la scène du jazz depuis 1977 ! Une exceptionnelle longévité autour d’une quinzaine de groupes à effectif variable, dont la Marmite Infernale, son grand orchestre, qui proposent moult créations musicales, des ciné-concerts, des spectacles pluridisciplinaire, des projets pédagogiques… et le label ARFI, dont le catalogue compte plus d’une cinquantaine de CD et DVD.

L’effet vapeur existe depuis 1993. Aujourd’hui, il est constitué de Jean-Paul Autin, Xavier Garcia, Guillaume Grenard et Alfred Spirli, tous membres de l’ARFI. Le quartet publie Pièces et accessoire en 1997, Je pense que… en 2002, Bobines mélodies (ciné-concert) en 2008, Bobines mélodies 2 en 2015 et Ring, un nouvel Objet Musical Non Identifié qui sort en août 2021, toujours sur le label de l’ARFI (évidemment!). Les douze morceaux de Ring ont été composés par le quartet. Dans le texte de la pochette, Grenard présente Ring via un texte humoristique qui reprend tous les titres de l’album pour raconter un combat surréaliste entre « John Nervousbone » et « ‘Cata’ Jack »...

En multi-instrumentistes patentés, les quatre musiciens brouillent les cartes : le quartet sonne souvent comme un grand orchestre, un peu à l’image de l’Art Ensemble of Chicago. Les jeux rythmiques se succèdent et ne se ressemblent pas : foisonnements percussifs (« Les douze cordes du destin »), effets électro touffus (« Gol-mej baithak »), échanges bruitistes (« Middle-kick »), méli-mélo de riffs, boucles, ostinatos et pédales (« Catch as Catch Can »), lignes de rock progressif (« Joelle Hunter »), poly-rythmes entraînants (« ‘Cata’ Jack »), gobelets mystérieux (« Récupération intermédiaire »)… Particulièrement expressive, la musique de L’effet vapeur évoque tour à tour une fanfare joyeuse (« Les douze cordes du destin »), une danse folklorique (« Gol-mej Baithak »), un mouvement free (« John Nervousbone »), un film sous-marin (« Seul sur le ring ») ou de science-fiction (« Middle-kick »), un conte bouffon (« Modalités Polch-Shicks »)… sans se départir d’une bonne dose d’humour (« L’affrontement des cochons volants ») et d’un esprit ludique à tout va (« Catch as Catch Can »). Les quatre musiciens s’en donnent à cœur joie pour triturer leurs instruments, malaxer les timbres, bidouiller les sons, tordre les mélodies, rigoler avec l’harmonie...

L’effet vapeur dispense une joie de vivre contagieuse, sa musique d’avant-garde reste charnelle. Ring est sérieusement drôle ! 

Le disque

Ring
L’effet vapeur
Jean-Paul Autin (ss, as, bcl, fl, accessoires), Xavier Garcia (synthé, électro), Guillaume Grenard (tp, eu, fl, b) et Alfred Spirli (perc , d)
ARFI – AM071
Sortie en août 2021

Liste des morceaux

01. « Les Douze Cordes Du Destin », Autin (3:50).
02. « Dernier Round », Garcia (11:16).
03. « Gol Mej Baithak », Autin (6:24).
04. « Middle Kick », Grenard (7:58).
05. « John Nervousbone », Garcia (5:11).
06. « Catch As Catch Can », Garcia (2:53).
07. « Seul Sur Le Ring », Garcia (7:05).
08. « Modalités Polch-shiks », Autin, Spirli & Garcia (4:49).
09. « Joelle Hunter », Grenard (4:46).
10. « Récupération Intermédiaire », Grenard (6:15).
11. « 'Cata' Jack », Garcia (6:51).
12. « L’Affrontement Des Cochons Volants », Grenard & Spirli (3:07).

20 septembre 2021

Le seul snob – Thibault Walter Trio

Improvisateur passionné d’acousmatique, le bidouilleur de claviers Thibault Walter – ancien élève du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris – sort Le seul snob chez Elément 124, le 3 septembre 2021. Pour ce nouvel opus, le claviériste s’entoure de Jean-Luc Ponthieux (Claude Barthélémy, Ann Ballester, Mico Nissim…) à la contrebasse et Pablo Cueco (Quiet Men, WIWEX...) au zarb.

Entre le Yamaha CP70 et le zarb, l’instrumentation du trio est pour le moins originale. Si le zarb – tambour en gobelet originaire d’Iran – est désormais relativement répandu sous des formes diverses et variées, en revanche le piano électrique Yamaha CP70 l’est nettement moins, d’autant qu’il est largement préparé... Sorti en 1978, le CP70 a pour but de préserver les caractéristiques d’un piano acoustique – clavier, toucher et son – avec une amplification électrique qui lui permet de rivaliser avec les guitares et autres instruments tonitruants…

Au programme du Seul snob, onze compositions de Walter et « India » de John Coltane (Live at the Village Vanguards – 1961 – repris dans Impressions – 1963). A l’instar des notes de la pochette, peines d’humour, Walter propose aux joueurs de trouver les anagrammes plus ou moins faciles qui se cachent derrière chaque titre (même « India », qui donne Dînai...) : « Tribu » devient Bruit, « Le seul snob » pourrait être Le son blues… A vos stylos ! Quant à l’illustration de la couverture du disque, c’est un dessin aux allures primitives, signé Cueco.

Le seul snob joue sur les contrastes tout en gardant le même esprit d’un morceau à l’autre. Contrastes rythmiques entre les lignes de basse envoûtantes (« Arme outrancière ») soulignées par les motifs entraînants du zarb (« Remontage caduc »), sur lesquels flottent les tintinnabulements du piano électrique (« RER lointain »). Contrastes sonores entre les frappes vives et légères du zarb (« Arme outrancière ») alliés aux envolées boisées de la contrebasse (« Âpre énigme ») et les éclats cristallins du piano électrique (« Un requiem est rempart »). Contrastes des développements mélodiques qui sautent allègrement d’un blues à un passage hard-bop (« Le seul snob »), d’un passage funky à de l’avant-garde (« Sages renommées »), de la musique du monde au hard-bop, avec sa walking (« India »)… Seul « Tribu » reste dans une veine expérimentale avec ses frottements, bruissements, crissements, bourdonnements, soufflements, notes éparses et coups assourdis. Enfin, contrastes des jeux : à chacun sa main ! Ici, un glissando (« Pagnol dégraisse »), un rubato (« Test O.R.L. quantique ») ou un ostinato (Un requiem est rempart ») de Ponthieux ; là, un riff (« Âpre énigme »), des roulements (« Ralenti noir ») ou des boucles (« RER lointain ») de Cueco ; et le C70, tantôt véloce (« Arme outrancière »), tantôt aérien (« Pagnol dégraisse »), parfois foisonnant (« Test O.R.L quantique ») ou minimaliste (« RER lointain »), mais toujours plein d’idées (« Un requiem est rempart ») !

Le seul snob pétille de malice : les notes dansent, les rythmes se trémoussent, les dialogues giguent, les sons guinchent… Les musiciens jouent, quoi !

Le disque

Le seul snob
Thibault Walter Trio
Thibault Walter (p, CP70), Jean-Luc Ponthieux (b) et Pablo Cueco (zarb)
Elément 124 – WT001
Sortie le 3 septembre 2021

Liste des morceaux

01. « RER lointain » (5:09).
02. « Ralenti noir » (5:03).
03. « India », John Coltrane (5:18).
04. « Arme outrancière » (3:20).
05. « Âpre énigme » (5:38).
06. « Tribu » (4:53).
07. « Remontage caduc » (4:41).
08. « Sages renommées » (3:33).
09. « Pagnol dégraisse » (3:54).
10. « Le seul snob » (4:45).
11. « Test O.R.L. quantique » (4:39).
12. « Un requiem est rempart » (4:25).

Toutes les compositions sont signées Walter, sauf indication contraire.

18 septembre 2021

Building & Piano Studies – Robin Nicaise

Après The Very Last Blues, sorti en 2019 avec le quintet Tabasco, Robin Nicaise est de retour sur disque : Building & Piano Studies sort chez Clapson Records le 9 septembre 2021. Ce nouvel opus s’ajoute à l’Hommage à Art Pepper (1999), La flamme et la fumée (2001), Lumière (2005) et Nouvel air (2010).

Building & Piano Studies s’articule autour de deux suites. Les quatre mouvements de Building ont été enregistrés en 2013 au Studio La Buissonne avec un quintet – Sandro Zerafa à la guitare, Clément Simon au piano et Fender Rhodes, Yoni Zelnik à la contrebasse et Fred Pasqua à la batterie – et un quatuor à cordes – Youri Bessières et Fanny Lévèque aux violons, Alain Martinez à l’alto et Consuelo Uribe au violoncelle. Dans « Building », Pierre-François Maurin vient également prêter main forte à Zelnik. Pour les treize miniatures des Piano Studies, enregistrées au Studio Prado en 2021, le saxophoniste passe du ténor au piano solo. Toutes les compositions sont, évidemment, signées Nicaise. La pochette du disque, composée par l’ingénieur du son Julien Momenceau, est basée sur Street Architecture, un jeu graphique créé par Ted Naos, architecte spécialiste des sculptures, cartes et autres mobiles en papier découpé.

La première suite, Building, commence par le mouvement éponyme, ample et soyeux, porté par une pédale du piano, des cymbales frémissantes et des cordes sombres. « Waiting For Other Times » reste dans cette atmosphère cross over élégante : lignes en contrepoints des cordes, du piano et de la guitare, échanges subtils entre le quintet et les cordes, questions-réponses du ténor et du quatuor, chorus enlevé de la guitare… « La source » se rapproche encore davantage de la musique de chambre : Nicaise et le quatuor dialoguent d’abord sans rythmique, puis la guitare de Zerafa et le Rhodes de Simon conversent en toute quiétude, avant que toutes les lignes ne se croisent sur un ostinato en arrière-plan. Building s’achève sur « Inner Light », un thème chantant, soutenu par une batterie légère et une contrebasse toute en souplesse. Les unissons du quintet s’intercalent entre ceux du quatuor et le solo de Nicaise, à la coule, évoque ça-et-là Stan Getz. Comme son nom l’indique, Piano Studies est une série de courtes études – moins de deux minutes en moyenne. Les mélodies délicates (« Welcome Home »), sophistiquées (« Inner Light »), raffinées (« Autumn in Paris »), nostalgiques (« Petru »), voire romantiques (« Thriller ») ou insouciantes (« Bretagne »), aux notes exotiques (« Jeux de quintes et jeux de quartes »), parfums de stride (« Bill to The Stars »), touches cinégéniques (« Emile, 3 ans après ») et souvent douces comme des comptines (« The Bells »), s’appuient sur des ostinatos (« Bretagne »), décalages (« Venise »), dissonances monkiennes (« Bill to The Stars »), boucles arpégées (« Thriller »), lignes d’accords (« Emile »), balancements (« The Happiness We Share »)...

Dans ce nouvel opus Nicaise s’aventure dans l’univers du jazz de chambre, d’abord avec un quatuor à cordes, puis tout seul devant les quatre-vingt huit touches. Grâce à une écriture d’une grande cohérence, Building & Piano Studies échappe aux travers du cross over, trop souvent sirupeux.


Le disque
Building & Piano Studies
Robin Nicaise
Robin Nicaise (ts, p), Sandro Zerafa (g), Clément Simon (p, kbd), Yoni Zelnik (b) et Fred Pasqua (d), avec Youri Bessières (v), Fanny Lévèque (v), Alain Martinez (av), Pierre-François Maurin (b) et Consuelo Uribe (cello).
Clapson Records – CS7619
Sortie le 9 septembre 2021

Liste des morceaux

01. Building « Building » (2:48).
02. Building « Waiting For Other Times » (5:47).
03. Building « La source » (5:22).
04. Building « Inner Light » (4:02).
05. Piano Studies « Inner Light » (1:21).
06. Piano Studies « Autumn in Paris » (0:53).
07. Piano Studies « The Bells » (1:53).
08. Piano Studies « Jeux de quintes et jeux de quartes » (1:56).
09. Piano Studies « Bretagne » (1:13).
10. Piano Studies « Venise » (1:39).
11. Piano Studies « Bill To The Stars » (1:52).
12. Piano Studies « Thriller » (2:06).
13. Piano Studies « Petru » (1:31).
14. Piano Studies « Welcome Home » (1:04).
15. Piano Studies « Emile » (1:47).
16. Piano Studies « Emile, 3 ans après » (1:05).
17. Piano Studies « The Happiness We Share » (1:58).

Touts les composition sont signées Nicaise.