Le SNEP met à disposition deux rapports
instructifs sur le marché de la musique enregistrée : L’IFPI
Global Music Report 2024 et La production
musicale française en 2023 du SNEP. L’occasion passer
en revue quelques statistiques…
Un
marché mondial numérique et dynamique
Le
marché mondial de la musique enregistré ne se porte pas trop mal :
avec quelques 26 milliards d’euros, le chiffre d’affaires global
a augmenté de +10.2% en 2023. Pendant que les revenus liés à
l’écoute en ligne par abonnement, qui représentent près de la
moitié du marché mondial, croissent de +11,2%, les ventes
physiques, elles, sont en hausse de +13,4%, au détriment des revenus
des droits voisins (principalement les redevances liées à la
diffusion) et de la synchronisation (en gros les royalties sur les
bandes sons).
Un
marché français timide
Avec
4% du marché mondial de la musique enregistrée, la France se place
au sixième rang, derrière les Etats-Unis, le Japon, le
Royaume-Unis, l’Allemagne et la Chine. Le marché français de la
musique enregistrée a cru de +5,1% en 2023, soit moitié moins que
la moyenne mondiale. Il faut dire qu’avec son petit milliard
d’euros de chiffre d’affaires, la musique enregistrée semble
moins préoccuper les Français que le pain (15 milliards d’euros)
ou le vin (25 milliards d’euros)…
Une
musique enregistrée convalescente
En
vingt ans le marché de la musique enregistrée en France a été
quasiment divisé par deux ! En 2002 100 % des 1,5
milliards d’euros de ventes de musique enregistrée sont des
supports physiques. Vingt ans après, ces mêmes supports ne
représentent plus que 20 % des ventes, soit 195 millions
d’euros. Or, sur la même période, l’essor des supports
numériques, passés de 0 à 620 millions d’euros de ventes, est
loin de compenser la baisse des ventes de supports physiques...
Les
supports numériques (hors droits voisins et synchronisation)
représentent désormais près des trois quart du marché français,
mais, avec un quart du marché, les supports physiques n’ont pas
encore dit leur dernier mot. L’écoute en ligne par abonnement
représente près de 60% des supports numériques, alors que l’écoute
en ligne financée par la publicité et les vidéos sont à moins de
10% chacune. Quant au téléchargement, qui représentait quelques
60 % de l’écoute numérique en 2010, il est tombé autour
d’1% aujourd’hui.
Intéressant
également de constater que les vinyles et les disques compacts
pèsent chacun 12% du marché en valeur, alors qu’en unités, il y
a deux fois plus de disques compacts vendus (10,5 millions d’unités)
que de vinyles (5,5 millions d’unités). Quant aux canaux de
distribution des supports physiques, sans surprise, le e-commerce
continue sa croissance avec +48% depuis 2009 et représente désormais
un tiers des revenus physiques.
Il
n’est peut-être pas surprenant que les moins de trente cinq ans
soient les principaux écouteurs en ligne (52%), mais contrairement
aux idées reçues ils sont également les principaux consommateurs
de vinyles (43% contre 20% pour les 35 – 44 ans et 37 % pour
les 45 – 64 ans) et de disques compacts (54% contre 17% pour les 35
– 44 ans et 29% pour les 45 – 64 ans).
L’écoute
en ligne, un vertige sonore
Même
si, en France, l’écoute en ligne par abonnement représente près
de 80% du chiffre d’affaires de l’écoute en ligne totale, loin
devant l’écoute en ligne financée par la publicité (12%) et
l’écoute en ligne vidéo (11%), elle reste en deçà des autres
marchés. A titre comparatif, le nombre d’abonnés rapporté au
nombre d’internautes est de 16% en France, contre 18% en
Allemagne, 27% au Royaume Unis et 30% aux Etats-Unis.
Phénomène
étonnant, l’écoute en ligne par abonnement semble favoriser
l’allongement du cycle de vie des titres : sur 80% de la
consommation d’écoute en ligne payante, 59% concerne les
catalogues de titres ayant plus de trois ans et la tendance est à la
hausse (+5 points entre 2022 et 2023). Par ailleurs, le goût des
auditeurs français est éclectique : ils écoutent en moyenne
dix genres musicaux différents. Autre particularité française, par
rapport aux autres marchés, la musique locale représente environ la
moitié des écoutes en ligne.
A
noter que le catalogue mondial de musique numérique s’enrichit de
plus de 150 000 nouveautés par jour ! En 2023, sur les 121
milliards d’écoutes en France, moins de 5% du catalogue mondial a
été écouté au moins une fois dans l’année… soit quand même
près de 10 millions de titres !
Ecouter
et manger font bon ménage
Les
Français écoutent environ dix-huit heures de musique par semaine,
soit 2 heures 34 minutes par jour, et ils consacrent en moyenne 2
heures 22 minutes par jour à leurs repas (source : INSEE)...
Le
temps d’écoute a progressé de plus d’une heure par semaine par
rapport à 2022, l’équivalent d’un millier de titres
supplémentaire écouté par an et par Français. Avec environ quatre
heures par semaine de temps d’écoute, la radio et l’écoute en
ligne sont au coude à coude, devant Youtube, avec trois heures, et
TikTok (ou autres vidéos courtes), avec seulement 1 heure 40
minutes, mais qui connaît la plus forte progression.
Le
jazz aux abonnés absents
Les
quinze albums les plus vendus en 2023 et dix-sept des vingt albums
les plus vendus sont produits en France. Inutile de souligner
qu’aucun album de jazz (ni de de classique, d’ailleurs) ne figure
dans la liste. Même constatation concernant les répertoires les
plus écoutés : seize artistes sur vingt sont produits en
France, mais pas un seul n’est un musicien de jazz. Encore pire,
aucun album, ni titre de jazz n’apparait dans les Top 200 des
albums et titres vendus en France en 2023, ni même dans les Top 100
vinyles ou Top 100 radio...
Top
des albums de jazz vendus en 2023
Comme
le jazz ne concourt décidément pas dans la même cour que la pop,
variété, rock, urbain, musiques du monde, country, bande originale,
electro / dance, ni même classique (Sensations de Gautier
Capuçon est 147ème et Letter de Sofiane Pamart
arrive 185ème), limitons-nous à son marché...
Dans
le Top 10 du jazz il n’y a qu’une production française :
Capacity To Love d’Ibrahim
Maalouf. A titre de comparaison, dans le répertoire classique,
six productions françaises figurent dans le Top 10...
Nina Simone truste
les deux premières places et la sixième avec deux best of (The
Very Best Of et Best
of Nina Simone) et
Sinnerman…
Gabi Hartmann arrive en troisième position avec son
disque éponyme, devant Maalouf. Les inusables Stan Getz et
Joao Gilberto pointent
à la cinquième place, suivis,
dans l’ordre et à partir de la septième par Samara
Joy (Linger Awhile), Black Pumas (disque
éponyme), Gregory Porter (Still Rising) et Kyle
Eastwood (Eastwood Symphonic).
A
côté de Maalouf, les seuls autres artistes français présents dans
le Top 50 sont le quartet Ballaké Sissoko,
Vincent Segal, Emile Parisien et Vincent Peirani
avec Les
égarés, qui
se hisse à la treizième place, puis André Manoukian
(23ème avec Anouch), Sébastien Collinet (24ème
avec Pianophonie) et Thomas Dutronc
(32ème avec Frenchy).
Maalouf
place huit albums dans le Top 50, un record ! Des disques de
Nina Simone apparaissent à six reprises. Melody Gardot et Ray
Charles sont crédités chacun
trois fois. Quant à Louis Armstrong, Gregory Porter
et Chet Baker ils placent chacun deux albums. A noter la
très belle quarantième place de Blue Train de John
Coltrane…
La
musique enregistrée continue sa mutation vers un tout numérique qui
submerge le monde d’un raz-de-marée de sons. Absent de tous les
classements de ventes, de l’écoute en ligne aux supports
physiques, en passant par les radios et autres, le jazz est noyé...
Il n’est définitivement pas une musique de marché !