07 novembre 2017

Hurlant – M&T@L

En 2014, le saxophoniste Thomas Puybasset, le bassiste Laurent David et le batteur Maxime Zampieri forment M&T@L, pour Maxime & Thomas @ Laurent… Le premier disque éponyme de ce power trio sans guitare sort la même année sur le label Alter-Nativ. En 2016, M&T@L enregistre IK, hommage au groupe de trash metal Metallica. Le trio continue son exploration du hard rock et du rock progressif avec Hurlant, publié en septembre 2017.

Avec Hurlant, M&T@L fait évidemment référence au magazine Métal Hurlant, édité par Les Humanoïdes Associés. Certes, les comics avaient popularisé la science-fiction avec Superman en 1938, Captain Marvel en 1940… mais Métal Hurlant, fondé en 1975 par Jean-Pierre Dionnet, fût le fer de lance de la bande dessinée de science-fiction en Europe et, avec son avatar américain Heavy Metal, créé en 1977, mais assez vite indépendant, elle reste une référence en matière de bande dessinée de science-fiction. Moult stars de la BD y sont passées, de Mœbius à Hugo Pratt, sans oublier Jean-Claude Gal, Philippe Druillet, Nikita Mandryka, Jacques Tardi, Enki Bilal, François Schuiten, Claude Forest, Gotlib

Le répertoire est construit comme une bande dessinée : le trio a composé dix-huit vignettes qui forment six planches… Autrement dit, Hurlant compte six morceaux de trois mouvements chacun : « Arzach et son Ptéroïde », directement inspiré de l’œuvre de Mœbius, « Le chêne et le roseau », évidente référence à Jean de La Fontaine, « Un léopard ne peut pas changer ses tâches », « Codex Seraphinianus », du nom du livre bizarroïde écrit par Luigi Serafini à la fin des années soixante-dix, « Le mystère de l’œuf »… et de la poule, et « Univers parallèle », grand classique des œuvres de science-fiction, dont les mouvements viennent s’intercaler entre les autres morceaux.

D’une durée moyenne de moins de trois minutes, chaque mouvement est concis et concentré sur l’essentiel. Les thèmes sont expressifs (« Un léopard ne peut pas changer ses tâches » 1) et les ambiances, agrémentées d’effets électro discrets (« Arzach et son Ptéroïde 2 »), évoquent souvent la science-fiction (« Le mystère de l’œuf 2 ») ou les jeux vidéo (« Univers parallèles 1 »). Les mélodies et autres chorus sont secondaires, mais laissent la place à une sculpture sonore collective. Trash metal oblige, Zampieri cogne, mat et puissant (« Un léopard ne peut pas changer ses tâches 3 »), sourd comme une boîte à rythme (« Un léopard ne peut pas changer ses tâches » 1), souvent brutal (« Le mystère de l’œuf 3 »), mais aussi emphatique (« Codex Seraphinianus 3 »). David lance un riff de hard rock (« Arzach et son Ptéroïde 1 »), slappe avec le saxophone (« Le chêne et le roseau 1 »), joue des traits virtuoses (« Un léopard ne peut pas changer ses tâches 1 »), voire quelques motifs aux allures funky (« Un léopard ne peut pas changer ses tâches 3 ») ou des pédales sourdes qui évoluent progressivement (« Univers parallèle 3 »). Puybasset se montre expressif de bout en bout en jouant sur des effets (« d »), des phrases  aériennes (« Codex Seraphinianus 3 »), des passages violents (« Le chêne et le roseau 3 »), des lignes lointaines réverbérées (« Un léopard ne peut pas changer ses tâches 1 ») ou des développements virtuoses (« Le mystère de l’œuf 3 »).

M&T@L fait honneur à son nom : Hurlant propose des scénettes musicales brutes et musclées… comme des super-héros en plein combat intersidéral !

Le disque

Hurlant
M&T@L
Thomas Puybasset (ts), Laurent David (b) et Maxime Zampieri (d).
Alter-Nativ
Sortie en septembre 2017

Liste des morceaux

01.  « Arzach et son ptéroïde »
·         Premier mouvement (2:53).      
·         Deuxième mouvement (3:11).
·         Troisième mouvement (1:43).
02.  « Univers parallèle », premier mouvement (1:49).      
03.  « Le chêne et le roseau »
·         Premier mouvement (3:35).      
·         Deuxième mouvement (3:41).               
·         Troisième mouvement (2:07).               
04.  « Un léopard ne peut pas changer ses tâches »
·         Premier mouvement (1:56).
·         Deuxième mouvement (2:42).               
·         Troisième mouvement (2:34).               
05.  « Univers parallèle », deuxième mouvement (1:14).               
06.  « Codex seraphinianus »
·         Premier mouvement (3:29).
·         Deuxième mouvement (2:10).               
·         Troisième mouvement (2:30).               
07.  « Le mystère de l'œuf »
·         Premier mouvement (1:43).                  
·         Deuxième mouvement (3:05).               
·         Troisième mouvement (1:02).               
08.  « Univers parallèle », troisième mouvement (3:55).

Toutes les compositions sont signées M&T@L.       

05 novembre 2017

Modern Art au Cinéma Le Balzac

Le vendredi 13 octobre, dans le cadre du festival Jazz & Images et à l’occasion de la sortie du livret-disque Modern Art (le 22 septembre chez Incises Records), le trio éponyme de Daniel Humair se produit dans le Cinéma Le Balzac, après la projection d’En Résonance, un documentaire sur le batteur, signé Thierry Le Nouvel.

Le Cinéma Le Balzac, à quelques pas des Champs-Elysées, est bien connu des aficionados du jazz car Jean-Jacques Schpoliansky, son directeur, programme courageusement des ciné-concerts de haut vol, auxquels ont participé, entre autres,  Bruno Régnier, Patrice Caratini, l’ONJ de Daniel Yvinec, Alexandra Grimal... Depuis 2016, il a également monté le festival Jazz & Images, qui propose tout au long de l’année la projection d’archives filmées et un concert.

En 2017, son directeur artistique, le saxophoniste Vincent Lê Quang a concocté une programmation relevée : Jazz au studio 3 : Blues Again autour d’une émission de Jean-Christophe Averty et Yes Is A Pleasant Country, le trio de Jeanne Added, Lê Quang et Bruno Ruder, Thelonious Monk Live et le duo Sophia DomancichSimon Goubert, Made in France de Frank Cassenti et le quartet de François Jeanneau, Le vieux et le président et News Orleans Revival avec des étudiants du CNSMDP, Dizzy Gillespie au studio 104 et le Trio 1 avec Airelle Besson… et la soirée du 13 octobre !


En Résonance

Le Nouvel est réalisateur et auteur d’ouvrages sur le cinéma et ses techniques. Son introduction d’En Résonance est brève car ce sont les images qui en parlent le mieux…

Le Nouvel met en scène Humair à Paris et dans son « école » des Combrailles creusoises. Pas de grands discours, mais de l’action : le batteur joue et peint, bien sûr, mais assiste aussi à un cours de boxe donné par son ami Freddy Skouma (ex champion d’Europe de boxe super-welters dans les années quatre-vingt, et présent dans la salle), contemple avec Skouma des œuvres d’Albrecht Dürer et des élèves de Léonard de Vinci aux archives du Louvre, cuisine avec son épouse Lucile… Dans le livret de Modern Art, le journaliste et critique d’art pour Télérama, Olivier Cena, écrit qu’il « se pose ici une question insoluble : Daniel Humair est-il un peintre qui joue ou un musicien qui peint ? ». C’est peut-être pour cette raison que Le Nouvel se garde de demander à Humair de philosopher sur un parallèle entre musique et peinture, mais plutôt de décrire par le geste l’acte de création musical et pictural.


Côté musique, Humair joue en solo, filmé de dos face à des images qui défilent, en quartet à la Dynamo, avec Emile Parisien, Vincent Peirani et Ivan Gélugne, et au Duc des Lombards avec le trio de Nicolas Folmer (Emil Spanyi au piano et Laurent Vernerey à la contrebasse).

Le Nouvel ne cherche pas des prises de vue virtuoses, mais ses images sobres s’attachent avant tout à montrer Humair tel qu’il est. Le montage est dynamique, ponctué par la superposition du batteur en train de jouer de dos devant le défilement des lignes blanches d’une route en plein écran.

En Résonance est un documentaire bien rythmé et passionnant sur l’un des artistes clés de notre époque.


Modern Art

En 1958, Art Farmer sort Modern Art avec Benny Golson, Bill Evans, Addison Farmer et Dave Bailey, mais le titre du disque se réfère avant tout à la musique du trompettiste et de son futur Jazztet. Deux ans plus tôt, Art Pepper a aussi enregistré son Modern Art pour Aladdin Records, avec Russ Freeman ou Carl Perkins, Ben Tucker et Chuck Flores. Sur la pochette du disque Pepper contemple son saxophone sur fond de tableau abstrait… Et dans le livret, Pete Welding écrit que pour Pepper : « le jazz n’est pas une musique, mais une approche de la musique – un processus, si vous voulez – à travers laquelle l’artiste recherche constamment à se définir, approfondir, développer et faire grandir ce qu’il connait déjà, pour atteindre quelque chose qui est toujours juste un petit peu au-delà de sa portée ». Citation qui pourrait également être tirée d’En Résonance



Dans Modern Art, Lê Quang, Humair et Stéphane Kerecki proposent « une invitation à la découverte » : autour d’œuvres de treize peintres du XXe, les trois musiciens ont composé ou repris des morceaux qu’ils associaient à ces peintures. Comme l’écrit Humair dans le livret qui accompagne le disque, « J’espère qu’à l’écoute de ce disque, au visionnage et à la lecture de ce livret, des profanes découvriront la peinture et auront envie d’aller plus loin, de se balader trans-arts ».

Le disque est présenté dans un coffret (qui ne tiendra pas sur l’étagère Billy d’Ikea…), agrémenté d’un livret qui contient une introduction sur la peinture de Cena, des propos d’Humair recueillis par Franck Médioni pour présenter la démarche de Modern Art et la reproduction des treize tableaux, fil conducteur du disque. Modern Art a été enregistré au Studio Sextant à La Fonderie de Malakoff par l’orfèvre en sons, Philippe Teissier du Cros. Le répertoire est varié : Humair a composé « Jim Dine » (reprise de Full Contact avec Tony Malaby et Joachim Kühn) et « Vlada V. » (illustration sonore de Corps de Vladimir Veličković – 2011) ; Kerecki propose « Alan Davie », « Bleu Klein », « Cy Twombly » et « Paul Rebeyrolle » ; « Larry Rivers », « Jean-Pierre Pincemin », « Bernard Rancillac » et « Sam Szafran » sont co-signés ; « Jackson Pollock » est un thème de Jane Ira Bloom pour Meets Jackson Pollock – Chasing Paint (2003 – Arabesque Jazz) ; « Pierre Alechinsky » figure dans Paloma Recio de Malaby (2009 – New World Records) ; « Bram Van Velde » est un morceau de François Jeanneau pour le disque Humair Jeanneau Texier (1979 – Owl Records).


Lors du concert le trio joue sept morceaux du disque plus « Mutinerie » de Michel Portal (Dockings – 1998) pour évoquer les peintures de François Arnal et « Gravenstein » d’Humair (La sorcellerie à travers les âges – 1977 avec Jean-Luc Ponty, Phil Woods, Eddy Louiss et Portal) pour l’œuvre de Pierre Molinier. Anecdote amusante racontée par Humair à propos de ce morceau : il aurait dû s’appeler Molinier, mais le producteur trouvait le nom de la pomme plus commercial…


Les thèmes sont construits sur des successions de motifs courts exposés à l’unisson (« Jim Dine », « Bram Van Velde », « Jackson Pollock »), des zigzags (« Mutinerie », « Alan Davie »), des formules aux allures de musique contemporaine (« Cy Twombly », « Pierre Alechinsky »), un air de blues (« Bleu Klein ») ou de ballade free (« Pierre Molinier »). La batterie foisonne avec un punch qui ne se dément pas (« Alan Davie ») et saute d’un contrepoint dense (« Pierre Alechinsky ») à des grondements de tambours aux accents africains (« Jackson Pollock »), en passant par des cliquetis et roulements énergiques (« Jim Dine ») et un chorus endiablé (« Bram Van Velde »). Particulièrement mélodieuse, à l’instar du solo dans « Bram Van Velde », la contrebasse joue tantôt des lignes fluides (« Jim Dine »), tantôt des phrases galopantes (« Mutinerie »), mais toujours avec puissance (« Alan Davie ») et beaucoup d’à-propos (la pédale blues intense dans « Bleu Klein »). Le saxophone, ténor ou soprano, s’amuse sur toute l’étendue de sa tessiture (« Jim Dine ») et son discours reste lisible même dans les envolées les plus débridées (« Alan Davie »). Aux techniques étendues expressives (growl dans « Bleu Klein ») succèdent des passages rollinsiens (le deuxième tableau dans « Bleu Klein ») ou coltraniens (« Cy Twombly »). Les idées fusent et le trio réagit au quart de tour avec maestria, grâce à une concentration palpable, mais aussi des oreilles et des yeux constamment aux aguets.

Texture et traits fusionnent dans une musique certes savante, mais que la mise en place tendue, la sonorité organique du trio et la cohérence des développements rendent accessible. Le concert est jubilatoire et le disque l’est tout autant : Modern Art c’est du free jazz acoustique de proximité. A écouter d’urgence… sans oublier la « balade trans-arts » !...





Le disque

Modern Art
Vincent Lê Quang (ts, ss), Stéphane Kerecki (b) et Daniel Humair (d)
Incises Records – INC001
Sortie le 22 septembre 2017








Liste des morceaux

01.  « Alan Davie », Kerecki (4:00).               
02.  « Jackson Pollock », Bloom (3:25).                     
03.  « Bleu Klein (Pour Yves Klein) », Kerecki (4:45).                       
04.  « Larry Rivers », Humair et Lê Quang (1:31).
05.  « Pierre Alechinsky », Malaby (5:04).
06.  « Cy Twombly », Kerecki (3:41).            
07.  « Bram Van Velde », Jeanneau (3:47).              
08.  « Jean-Pierre Pincemin », Humair et Kerecki (1:07).    
09.  « Paul Rebeyrolle », Kerecki (3:38).
10.  « Jim Dine », Humair (3:45).
11.  « Vlada V.  », Humair (3:40).                 
12.  « Bernard Rancillac », Lê Quang et Humair (1:35).                 
13.  « Sam Szafran », Humair, Lê Quang et Kerecki (3:20).


31 octobre 2017

Thelonious 100 – Monk Marathon

Vincent Bessières a concocté une saison jazz aux petits oignons pour l’Espace Sorano de Vincennes : Chris Potter Trio, Chris Speed – Andrew D'Angelo – Kurt Rosenwinkel – Jim Black, Eduouard Ferlet, Ping Machine, Pierre Durand, Jeb Patton et Dmitry Baevsky, Avishai Cohen Quartet (le trompettiste)…

Mais, pour bien commencer la saison, le 7 octobre, jour de la Nuit Blanche, la programmation débute par un véritable marathon musical : quatre formations se succèdent  pour rendre hommage au centenaire de la naissance de Thelonious Monk. C’est le quintet de Laurent Courthaliac qui ouvre les débats, suivi du duo Jérôme SabbaghDanny Grissett, puis du trio d’Enzo Carniel, avant de terminer par Laurent de Wilde, en solo.

Dans son introduction, Bessières compare Monk et Pablo Picasso : comme le peintre, Monk « envisage la musique sous différents angles d’un seul regard », sans avoir peur de « fracturer le piano et la composition » et de développer « une approche résolument originale et percutante du jazz, tout en ayant, comme Picasso, une très grande érudition musicale, notamment de toutes les musiques qui l’ont précédées, comme la tradition du stride, par exemple ».


Laurent Courthaliac Quintet

Primé du Conservatoire de Lyon et élève d’Alain Jean-Marie puis de Barry Harris, Courthaliac a également fait partie du collectif Mû, avant de s’installer à Paris et devenir l’un des animateurs phares du Petit Opportun au sein du collectif Les Nuits Blanches. En 2005, il publie Scarlet Street, son premier disque en leader. A partir de 2008, Courthaliac tourne pendant plusieurs années avec Elisabeth Kontomanou. En 2013, c’est à New-York qu’il enregistre Pannonica, en trio avec Ron Carter ou Clovis Nicolas et Rodney Green. En septembre 2016 Courthaliac sort un disque en hommage à Woody Allen : All My Life, A Musical Tribute to Woody Allen.


Pour la soirée Monk, Courthaliac a monté un quintet avec Fabien Mary à la trompette, Luigi Grasso au saxophone alto, Géraud Portal à la contrebasse et Romain Sarron à la batterie. Le quartet choisit d’interpréter quatre grands classiques de Monk – « Hackensack », « Four in One », « Round Midnight » et « Epistrophy » –, « Eronel », morceau moins connu et co-signé avec Idrees Sulieman et Sadik Hakim, et « All The Clouds’ll Roll Away » de George Gerschwin, compositeur favori de Courthaliac.

Fidèle à son approche (Pannonica), Courthaliac construit les morceaux en suivant une structure be-bop type : exposé du thème à l’unisson par les soufflants, chorus des solistes, reprise du thème en conclusion. Les longues phrases vives des solos de Courthaliac rebondissent sur les harmonies dans une tradition bop bien maitrisée. Les accords en contrechant du pianiste relève le jeu des soufflants et il ajoute parfois une courte introduction (« Hackensack »), voire une coda qui peut prendre une tournure romantique (« All The Clouds’ll Roll Away »). Le saxophone et la trompette se complètent parfaitement et dialoguent avec élégance (« Round Midnight »). Grasso – également élève d’Harris, qui a vécu chez Pannonica de Koenigswarter, à Weehawken, dans la fameuse « Cathouse », où Monk a passé les dernières années de sa vie  – s’inscrit lui aussi dans la lignée des boppers : un son tendu à la Charlie Parker et jeu d’une grande mobilité avec une alternance de mesures lentes et d’envolées virtuoses. Sonorité velouté, phrases fluides et développements limpides, Mary nage comme un poisson dans l’eau. Portal et Sarron assurent un soutien rythmique bop pur jus : walking imperturbable de la contrebasse et chabada foisonnant de la batterie.

Le Monk Marathon de l’Espace Sorano commence sur les chapeaux de roue avec un quintet qui joue la musique de « Sphere » en respectant les canons du be-bop, dont Monk est l’un des pères fondateurs…


Jérôme Sabbagh – Danny Grissett

Outre son quartet avec Ben Monder, Joe Martin et Ted Poor (North, Pogo et The Turn méritent le détour), Sabbagh anime également le trio Lean (Simon Jermyn et Allison Miller), un quartet avec Greg Tuohey et un trio avec Monder et Daniel Humair (I Will Follow You). Récemment, Sabbagh s’est également associé au pianiste Grissett (Tom Harrell, Jeremy Pelt, Seamus Blake… et publié chez Criss Cross) pour jouer en duo un répertoire éclectique, dont des morceaux de Monk.

Fait du hasard, les morceaux choisis par Sabbagh et Grissett sont tous différents de ceux joués par Courthaliac et sont tous signés Monk : « Light Blue », « Gallop’s Gallop », « Ask Me Now », « San Francisco Holiday », « Reflections », « Pannonica », « Ugly Beauty » et « We See ».


Le gros son chaleureux de Sabbagh et le discours clair de Grissett rappellent les duos de Stan Getz et Kenny Barron. Ils naviguent dans les eaux d’un néo-bop moderne, avec un balancement rythmique entraînant et des développements volontiers lyriques. Les volutes de Sabbagh se marient aux phrases de Grissett dans des contrechants subtils, des unissons raffinés, des questions-réponses expressives…

Un saxophone ténor sinueux et un piano tout en souplesse se livrent à des échanges intimistes sur les thèmes de Monk : une réussite.


Enzo Carniel Trio

Après ses études de médecine (Faculté de Marseille) et de musique (CNR de Marseille et CNSMDP), Carniel se fait connaître avec son quartet House of Echo – Marc-Antoine Perrio, Simon Tailleu et Ariel Tessier – mais aussi pour ses prestations en solo (Erosions – 2014). Pour interpréter Monk, Carniel se produit en trio, avec Matyas Szandai à la contrebasse et Guilhem Flouzat à la batterie.

Après « Just a Gigolo » (Leonello Casucci – 1929), le trio assure la transition avec Sabbagh et Grissett en reprenant « We See ». Suivent quatre autres compositions de Monk : « I Mean You », « Bye-Ya », « Thelonious » (basé sur le Si bémol, la note préférée de Monk, comme le rappelle Carniel) et « Reflections ».


Le trio mise sur l’interplay, cher à Bill Evans : Carniel laisse beaucoup d’espace à Szandai et Flouzat. Le pianiste passe du stride à la musique contemporaine, avec des incursions dans le bop. Il peut compter sur une contrebasse grave et puissante et une batterie musicale et touffue, qui alternent des motifs modernes et des walking – chabada classiques au grès des morceaux.

Enzo Carniel Trio propose une lecture énergique et tendue de la musique de Monk. Ce qui lui va comme un gant !


Laurent de Wilde Solo

Inutile de présenter l’auteur du volume 3009 de la collection Folio, dédié à Monk et paru en 1996… Laurent de Wilde a écrit un livre incontournable sur le pianiste et, après avoir abordé presque tous les genres, de l’acoustique à l’électro, du bop au reggae, de la musique au cinéma, en passant par le conte, la télévision, la littérature… il enregistre pour la première fois le répertoire de Monk et sort New Monk Trio en octobre 2017 chez Gazebo, avec Jérôme Regard à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie. Mais c’est en solo que de Wilde a décidé de rendre hommage à Monk lors de ce marathon.


De Wilde reprend des morceaux de New Monk Trio. Sur un riff bluesy, après une exposition épurée de « Misterioso », il développe tranquillement le thème. L’arrangement de la ballade « Monk’s Mood » est élégant, pimenté d’accents folks. « Tune For T », composé par le pianiste, repose sur un accompagnement stride vivifiant et une mélodie sautillante ponctuée de citations. « Pannonica », que Sabbagh et Grissett ont déjà interprété, commence dans les cordes puis s’envole sereinement. Dans « Four In One », repris également par Courthaliac, de Wilde glisse quelques notes bleues dans sa version dynamique et nerveuse du morceau. Il conclut son set par et les mêmes thèmes que Carniel : les si bémols de « Thelonious » sont enveloppés dans un accompagnement dense marqué par l’esprit du stride ; quant à « Reflections », de Wilde le déroule lentement, avec beaucoup de sentiment.

De Wilde donne une vision personnelle de l’univers de Monk : à la fois joueuse et introspective, son approche est particulièrement convaincante.  


27 octobre 2017

Raw – Rodolphe Lauretta

Raw est le premier disque du trio éponyme, formé en 2012 par le saxophoniste alto Rodolphe Lauretta. Il sort en septembre 2017 sur le label francilien Onze Heures Onze.

Damien Varaillon est à la contrebasse et Arnaud Dolmen à la batterie. Lauretta invite aussi la chanteuse Charlotte Wassy (« Réminiscences »), le trompettiste Olivier Laisney (« Clave ») et le rappeur Theorhetoric (« Get Started Remix »). Neuf morceaux sont signés Lauretta. Le trio interprète également « Softly as in a Morning Sunrise » de Sigmund Romberg et Oscar Hammerstein II, air tiré de l’opérette The New Moon, créée en 1928. Quant à « Get Started Remix », comme son titre l’indique, c’est une reprise rap de « Get Started ».

Lauretta mise sur un son acoustique brut et naturel, mis en relief par une prise de son proche et sans fioritures. Les mélodies sont tendues (« Get Started »), tortueuses (« Rêverie »), presque « newyorkaises » (« Chick’s Riddle »). Mate et puissante, la rythmique s’appuie sur une batterie funky (« Vert sang ») dansante (« Clave ») et une contrebasse souple (« Buzy Bird ») et boisée (« Big Leel »). Ce qui n’empêche pas Varaillon et Dolmen de placer une walking et un chabada pur jus, pour accompagner un morceau néo-bop free (« Shed Life »). Le format intimiste et ouvert de Raw permet au trio de s’amuser sans contrainte avec les dissonances (« Get Started »), d’essorer les thèmes par tous les bouts (« Chick’s Riddle »), de tournicoter autour des mélodies (« Rêverie »), mais aussi d’échanger des phrases en contrepoints (« Clave »), à l’unisson (« Buzy Bird »), en questions-réponses (« Softly As In A Morning Sunrise »)… Le mélange de tradition bop et de modernisme funky épicé de free rappelle la démarche d’un Steve Coleman, ou d’un Joshua Redman, voire  Loren Stillman, Steve Lehman etc.

Pour un premier disque en leader, Lauretta frappe fort : à la fois brute de fonderie et intimiste, la musique de Raw réussit à toucher les sens et l’esprit.

Le disque

Raw
Rodolphe Lauretta
Rodolphe Lauretta (as), Damien Varaillon (b) et Arnaud Dolmen (d), avec Charlotte Wassy (voc), Olivier Laisney (tp) et Theorhetoric (voc).
Onze Heures Onze – ONZ025
Sortie en septembre 2017

Liste des morceaux

01.  « Get Started » (4:19).    
02.  « Buzy Bird » (4:27).       
03.  « Vert sang » (4:05).                   
04.  « Softly as in a Morning Sunrise », Sigmund Romberg et Oscar Hammerstein II (4:25)
05. « Réminiscences » (4:55). (feat. Charlotte Wassy)                   
06. « Big Leel » (5:22).                     
07. « Rêverie » (7:06).                      
08. « Shed Life » (4:26).                    
09. « Clave » (4:58).f eat. Olivier Laisney)              
10. « Chick's Riddle » (5:01).            
11. « Get Started Remix » (3:03). (feat. Theorhetoric)

Toutes les compositions sont signées Lauretta, sauf indication contraire.

15 octobre 2017

Cissy Street

Cissy Street est un quintet créé par le guitariste Francis Larue au sein du collectif auvergnat Lilananda. Son premier disque éponyme sort en juin 2017 sur le label du collectif.

Cissy Street regroupe le saxophoniste ténor Vincent Périer (Le Grouvatoire, Nanan, OmpaBompa, RedstarOrkestar…), le trompettiste Yacha Berdah (Bigre !, La Nueva Essency, Clyde…), le bassiste Etienne Kermarc (le Grolektif, Supergombo…) et le batteur Hugo Crost (Bigre !, Supergombo, Elephant Step…). Le quintet a également invité un autre membre du Grolektif, le percussionniste Jorge Mario Vargas, sur deux titres.  

Toutes les compositions sont de Larue. Spécialiste des collages et superpositions de photographies à forte connotation vintage et déjà illustrateur des albums de Bige !, David Fangaia a réalisé la pochette de Cissy Street. Une pin-up des années soixante-dix avec un perroquet sur l’épaule prend une pose lascive au premier plan, tandis qu’au deuxième plan, un cadre cravaté en noir et blanc l’observe, le tout sur un décor constitué d’une avenue d’une ville américaine, pivotée à quatre-vingt-dix degrés, avec une femme en pattes d’eph’ affublée d’un masque de lion en plein milieu ! Une scène entre réalisme, psychédélisme et surréalisme, avec un brin de nostalgie et un côté décalcomanies…

Larue et ses compères jouent un jazz funk décomplexé : thèmes-riffs efficaces (« Yemanja », la reine du monde aquatique, protectrice des femmes chez les Yorubas), chœurs énergiques du ténor et de la trompette (« Frontera »), lignes de basse grondantes (« A3 », l’autoroute ou la feuille de papier ?), batterie volontiers binaire mate et puissante (« Jiajia’s Funk », hommage à la doyenne des pandas ?)… Et Cissy Street n’oublie pas des ingrédients typiques du funk : chorus du ténor (« Cloudy Dance ») et de la trompette (« Jiajia’s Funk ») dans la veine des shouters, interventions wawa (« Groovement Malade »), sonorité vintage (« Sang neuf »), solo de guitar hero (« Educ Pop »), batterie  (« Frontera ») etc. Sur une base jazzy, pour l’approche et l’architecture des morceaux, Cissy Street incorpore également des éléments rock (« A3 »), afro-beat (« Yemanja »), reggae (« Blind Blue »), Earth, Wind and Fire (« Groovement Malade »), ethio-jazz (« L’Hérétique »), James Brown (« Frontera »)…

Cissy Street est un disque groovy qui ravira les amateurs d’un jazz dansant placé sous le signe du funk.

Le disque

Cissy Street
Cissy Street
Vincent Périer (ts), Yacha Berdah (tp), Francis Larue (g), Etienne Kermarc (b) et Hugo Crost (d), avec Jorge Mario Vargas (perc).
Label Lilananda
Sortie en juin 2017

Liste des morceaux

01.  « A3 » (04:20).
02.  « Yemanja » (05:29).
03.  « Jiajia's Funk » (03:33).
04.  « Blind Blue » (07:41).
05.  « Groovement malade » (05:06).
06.  « Educ Pop » (05:26).
07.  « L'hérétique » (05:48).
08.  « Cloudy Dance » (05:36).
09.  « Frontera » (06:02).
10.  « Sang neuf » (04:29).

Toutes les compositions sont signées Larue

13 octobre 2017

Trio Barolo à l’Ermitage…

Créé il y a cinq ans, Trio Barolo enregistre Le ballet des airs en 2013 et c’est à l’occasion de leur deuxième opus, Casa Nostra, qu’il se produit au Studio de l’Ermitage le 19 septembre 2017.

Quand l’Italie, la France et la Crète se rencontrent : Trio Barolo est formé du tromboniste Francesco Castellani (Conservatoire Royal de Bruxelles, et Académie Internationale de Musique de Cologne…), du contrebassiste Philippe Euvrard (Opéra de Paris, Jane Birkin, Jérôme Savary…) et de l’accordéoniste – pianiste – chanteur Rémy Poulakis (Conservatoire National de Lyon…). Trio Barolo collabore également avec la compagnie circassienne les Nouveaux Nez et, depuis une résidence à l’Amphi Jazz de l’Opéra de Lyon en 2016, il se transforme souvent en quartet ou quintet en compagnie du guitariste Kevin Seddiki, du percussionniste Anthony Gatta ou du clarinettiste Carjez Gerretsen (invité sur deux titres de Casa Nostra).

Produit par La Belle Anaphore, Casa Nostra a été enregistré au Studio La Buissonne par Gérard de Haro. Le concert reprend huit des neuf morceaux du disque, tous signés Castellani ou Euvrard, sauf « Mike P », un thème de Philippe Petrucciani, et « E lucevan le stelle », tiré de la Tosca de Giacomo Puccini. Le trio joue également « Le ballet des airs » du premier album éponyme, une valse musette d’Euvrard et « Maghreb » de Castellani.

Le déroulé du « ballet des airs », qui entame le concert, reflète plutôt bien l’esprit de la musique du Trio Barolo. Souffle, sifflements et ostinato introduisent le morceau, suivi de l’exposition du thème par le trombone et l’accordéon à l’unisson, sur un motif répétitif de la contrebasse. Castellani, sonorité soyeuse et sens mélodique infaillible, enchaîne sur un solo élégant, repris par Poulakis, qui double es phrases véloces de l’accordéon avec des vocalises, tandis qu’Euvrard joue son riff, imperturbable. Les morceaux transgressent joyeusement les genres. Trio Barolo assaisonne son jazz de valse (« Chel’Pro Valse » - titre approximatif), musique de film (Ennio Morricone dans « Mike P »), folklore oriental (« Malahim »), airs des Balkans (« Barolo Nuevo »), musique classique (« E lucevan le stelle »), dialogues échevelés (« Tirana »)…



Tout au long du concert, le trombone se montre majestueux (« Malahim »), velouté (« Barolo Nuevo »), voire touchant (« Carla »), avec une mise en place rythmique entraînante (« Tirana ») et un à propos mélodique affuté (« Casa Nostra »), pimenté de citations («  My Favorite Things » dans « Mike P »). Quand Castellani chante, les airs traditionnels d’Ombrie pointent à la surface (« Barolo Nuevo », « Tirana »)... L’accordéon passe du rôle d’accompagnateur, avec ses suites d’accords (« Carla »), ses contrepoints (« Maghreb ») ou ses ostinatos (« Casa Nostra »), à celui de soliste virevoltant (« Tirana »), dansant (« Chel’Pro Valse »), orientalisant (« Casa Nostra »)… Comme les contrebassistes Slam Stewart et Major Holley en leur temps, Poulakis chantonne à l’unisson de l’accordéon avec virtuosité (« Barolo Nuevo »), ce que lui permet sa solide formation de chanteur lyrique. L’opéra s’invite d’ailleurs à la soirée quand le ténor se lance dans la célébrissime romance « E lucevan le stelle ». Euvrard met sa belle sonorité grave et boisée au service du trio : riffs (« Malahim »), boucles (« Casa Nostra »), lignes dansantes parsemées de shuffle (« Chel’Pro Valse ») et pédales (« E lucevan le stelle ») soutiennent d’autant mieux les solistes que le jeu du contrebassiste est carré (« Carla »), à l’instar du chorus mélodieux et tendu de « Barolo Nuevo ».  L’archet permet d’ajouter non seulement des effets électro (« Mare Nostrum ») ou rythmiques (« Maghreb »), qui viennent relever les morceaux, mais aussi de l’ampleur au discours du quartet (« Mike P »). De sa formation classique, Gerretsen en tire une aisance technique à toute épreuve (« Tirana »), une sonorité limpide (« Barolo Nuevo ») et un phrasé précis (« Mike P »). La clarinette amène une touche mélancolique, notamment dans les duos avec l’accordéon, quelques couleurs orientales (« Maghreb ») et beaucoup d’élégance (« Carla »).

Euvrard et Castellani se partagent la présentation des morceaux et racontent volontiers des anecdotes : « Malahim », qui signifie les anges, est la langue des séfarades espagnols ; Castellani est originaire d’Ombrie et, d’ailleurs, le nom du trio est un hommage direct à l’Italie et au vin éponyme de la région du Piémont ; « Carla » est dédié à l’épouse du tromboniste et Gerretsen n’est autre que le fils de Castellani, avec lequel le trio a joué lors d’une résidence à l’Opéra de Lyon en 2016 ; c’est aussi le clarinettiste qui a soufflé à son père le nom de Pouliakis ; « les voyages forment la jeunesse, mais  les voyages forment aussi la musique… » constate philosophiquement Euvrard, en présentant « Tirana » ; quant au titre du disque, « Casa Nostra », il évoque une résidence à Casablanca en compagnie de musiciens d’Agadir, avec lesquels le trio s’est senti « comme à la maison » ;  « Mike P » est un clin d’œil à Michel Petrucciani, à qui Bill Evans avait suggéré de raccourcir son nom s’il voulait faire carrière en Amérique ; « Chel’Pro Valse » est une valse musette inspirée par les guinguettes du Val de Marne et « Maghreb », un air rapporté par Castellani d’une tournée en Algérie… 

Généreux et enthousiaste, Trio Barolo propose une musique chaleureuse, dans laquelle mélodies et rythmes entraînent l’auditeur dans un univers lumineux : Casa Nostra est un beau un voyage autour de la Méditerranée, la « Mare Nostrum » et ses civilisations.



Le disque

Casa Nostra
Trio Barolo
Rémy Poulakis (acc, voc), Francesco Castellani (tb, Conque, voc) et Philippe Euvrard (b), avec Carjez Gerretsen (cl, bcl)
Ana Records – ANA 102/2
Sortie en août 2017

Liste des morceaux

01.  « Malahim », Euvrard (4:22).
02.  « Casa Nostra », Euvrard (6:46).
03.  « Carla », Castellani (5:30).
04.  « Barolo nuevo », Euvrard (5:44).
05.  « Mare nostrum », Euvrard (1:59).
06.  « Mike P », Philippe Petrucciani (7:05).
07.  « Tirana », Euvrard (5:24).
08.  « E lucevan le stelle », Giacomo Puccini (5:18).
09.  « Carossello », Castellani (5:15).