25 juin 2015

Le bloc des notes : Jean-Paul Daroux, Terence Blanchard, Robert Glasper, James Taylor

Déambulations
Jean-Paul Daroux Quartet
ACM Jazz label –JPDP001/2/1

Jean-Paul Daroux commence par le rock, avant de bifurquer vers le jazz au début des années deux mille avec Drop of swing et le Septet en l’air. En 2010 le pianiste enregistre Prelude For A New World, en quartet avec Louis Petrucciani et Karim Belkhodja à la contrebasse, et François Schiavone à la batterie. C’est toujours en quartet que Daroux sort Déambulations en juin 2015 chez ACM, avec Samy Thiébault au saxophone ténor et à la flûte, Benjamin Moine à la contrebasse et Gilles Le Rest à la batterie.

Les dix compositions de Déambulations sont signées Daroux. Dans une veine debussyste (« Sur les traces du promeneur solitaires »), avec des touches orientales («Vent d’est dans les vignes », « Déambulations nocturnes »), des couleurs latines (« Carnaval au père Lachaise ») des nuances cinématographiques (« La véritable histoire d’Ernesto Guevara »), une teinte hard-bop (« La transe de la chenille velue »)… la mélodie est un élément central de Déambulations. Côté rythmes, caraïbes (« What After Teh Sea »), valse (« Sur les traces du promeneur silencieux »), walking et chabada (« La transe de la chenille velue »), ballades (« The eternal question »), binaire (« Deep Diving »), afro-beat (« La transe de la chenille velue »)… s’invitent à la fête.

Moine s’adapte subtilement à ses compères : motifs souples parsemés de shuffle (« La véritable histoire d’Ernesto Guevara »), walking solides (« Sur les traces du promeneur silencieux »), minimalisme de circonstance (« Un doux parfum d’écume »), traits à l’archet pour accentuer le mystère (« Déambulations nocturnes »)… Avec ses interventions touffues (« Vent d’est dans les vignes »), son chabada et ses rim shot vigoureux (« La transe de la chenille velues »), ses mailloches emphatiques (« Déambulations nocturnes »), son jeu de cymbales foisonnant (« Sur les traces du promeneur silencieux »), ses percussions ingénieuses (le carillon tubulaire dans « Deep Diving »)… Le Rest a la batterie joyeuse. Clairs et précis, les traits sinueux (« Vent d’est dans les vignes ») et rubatos (« La véritable histoire d’Ernesto Guevara »), la sonorité veloutée (« Sur les traces du promeneur silencieux ») et l’assurance nonchalante (« La transe de la chenille velues ») de Thiébault rappellent Dexter Gordon ou, quand il interrompt ses phrases véloces par des boucles syncopées, Sonny Rollins (« Carnaval au père Lachaise »). La flûte apporte de la douceur (« Un doux parfum d’écume ») et renforce l’inflexion caribéenne (« What After The Sea »). Incontestablement lyrique (« Sur les traces du promeneur silencieux »), le pianiste mêle à son langage hérité du bop des accents latinos (« La véritable histoire d’Ernesto Guevara ») et moyen-orientaux (« Déambulations nocturnes »).Daroux oppose habilement les lignes mélodiques de la main droite et les riffs arpégés (« Deep Diving »), contrepoints élégants (« La transe de la chenille velues »), motifs d’accords (« Vent d’est dans les vignes »), ostinatos (« What After The Sea »)… de la main gauche.

Dans ses Déambulations, Daroux se promène au milieu de paysages raffinés que la Méditerranée et les Caraïbes viennent ensoleiller.


Breathless
Terence Blanchard
Blue Note

Depuis ses débuts discographiques, en 1984, Terence Blanchard a sorti pas loin d’une trentaine de disques pour divers labels, dont Columbia. En 2003, le trompettiste rejoint Blue Note pour l’album Bounce, qui sera suivi de Flow (2005), A Tale of God's Will (A Requiem for Katrina) (2007), Choices (2009) et Magnetic (2013).

Pour Breathless, Blanchard s’appuie sur l’E-Collective, un quartet électrique qu’il a monté avec le claviériste Fabian Almazan (le seul déjà présent sur Magnetic), le guitariste Charles Altura, le bassiste Donald Ramsey et le batteur Oscar Seaton. Blanchard invite également PJ Morton pour chanter trois morceaux et son fils, T. Oliver Blanchard Jr., alias JRei Oliver, pour des exercices de spoken word.

Blanchard a composé huit des treize morceaux, Almazan et Oliver en signent deux et la formation reprend également « Compared To What » de Gene McDaniels, popularisé par la version de Les McCann et Eddie Harris au Festival de Montreux en 1969, le tube country « I Ain’t Got Nothin’ But Time » d’Hank Wiliams et « Midnight » du groupe de rock britannique Coldplay.

Rythmique grondante (« Talk To Me »), funky (« Compared To What »), binaire efficace (« Soldiers »), riffs de basse sourds (« Confident Selflessness »), décors synthétiques (« Cosmic Warrior »), guitare wawa (« Soldiers »), effets électriques en tous genres avec échos (« Everglades », « Midnight ») et réverbération (« See Me As I Am ») à souhait, fins fondues (« Breathless »), chansons R&B (« Shutting Down », « I Ain’t Got Nothin’ But Time »), écrin classieux pour les mots d’Oliver (« Samadhi »)… En dehors de « Tom & Jerry », dans lequel la guitare et le piano se livrent une course-poursuite presque mainstream, Blanchard et E-Collective s’aventurent résolument sur le terrain de la variété jazzy.

Breathless s’inscrit dans la continuité du jazz rock, pas si loin de certaines expérimentations de Miles Davis, une fusion entre funk, R&B et jazz.
  

Covered
Robert Glasper
Blue Note

En 2003, Robert Glasper enregistre son premier disque en leader, Mood, pour Fresh Sound New Talent Mood, mais dès 2005 le pianiste rejoint Blue Note (Canvas). Suivront In My Element (2007), Double-Booked (2009) et deux disques à succès, Black Radio (2012 et 2013). Après cette escapade RnB, Glasper revient au trio acoustique. Pour Covered, le pianiste a fait appel à ses compagnons de Canvas et In My Element : Vicente Archer à la contrebasse et Damion Reid à la batterie.

Covered a été enregistré en public aux Capitol Studios. « In Case You Forgot » est l’unique composition originale de Covered. Six morceaux du répertoire sont empruntés à Radiohead (« Reckoner »), Joni Mitchell (« Barangrill »), aux musiciens de RnB et Soul Musiq Soulchild (« So Beautiful »), Jhené Aiko (« The Worst »), John Legend (« Good Morning ») et Bilal (« Levels ») et au rappeur Kendrick Lamar (« I’m Dying of Thirst »). Glasper reprend également un thème co-signé avec Macy Gray et Jean Grae (« I Don’t Even Care ») et « Get Over », avec Harry Belafonte. « Stella By Starlight » est le seul standard de Covered.

Comme il l’annonce en introduction, Glasper souhaite jouer des chansons qu’il aime. Des belles mélodies (« So Beautful »), qu’il embarque dans des développements soit plutôt free (« I Don’t Even Care ») ou déstructurés (« Stella By Starlight ») à la Keith Jarrett, soit lyriques (« The Worst »), avec une montée en tension progressive dans un esprit voisin de celui de Brad Mehldau (« Barangrill », « Good Morning »). Le jeu de Glasper est à la fois musical et rythmique, un peu à la Thelonious Monk (« In Case You Forget »), servi par un touché net et délicat (« Got Over ») et une mise en place à l’équerre (« So Beautiful »). Archer s’appuie sur des lignes minimalistes (« I Don’t Even Care »), des riffs souples (« Good Morning ») et des motifs aérés (« Reckoner »), mis en relief par sa sonorité imposante. Quant à Reid, son drumming est luxuriant (les cliquetis de « I Don’t Even Care »), puissant (« Levels ») et groovy (« So Beautiful »).

Glasper ne joue pas la carte de l’enregistrement en public à cent pour cent comme en témoignent les fins fondues (« In Case You Forgot », « Good Morning », « Stella By Starlight », « Got Over »), le gommage de la plupart des applaudissements, voire la coupe shuntée au milieu de « Reckoner ».

Avec Covered, le trio de Glasper s’inscrit dans un jazz mainstream agrémenté de formules modernes et appliqué à des tubes d’aujourd’hui.


Before This World
James Taylor
Concord

Le nom de James Taylor est associé au folk et au rock, mais pour former son Band of Legends, le chanteur, guitariste et harmoniciste s’est entouré de musiciens de jazz : Larry Goldings au piano, Jimmy Johnson à la basse, Steve Gadd à la batterie. S’ajoutent à ce trio, le guitariste rock Michael Landau et le percussionniste Luis Conte.

Before This World, dix-septième disque de Taylor depuis l’album éponyme de 1968, marque le retour du chanteur à la composition après un intermède de treize ans (October Road – 2002) : neuf des dix chansons sont de sa plume. Taylor reprend également le traditionnel « Wild Mountain Thyme ». A titre anecdotique, Yo-Yo Ma prête son violoncelle dans « You And I Again » et Sting double Taylor à l’unisson dans « Before This World ».

Folk (« Montana »), pop (« Today Today Today »), country (« Watchin’ Over Me ») smooth rock (« Stretch of The Highway »)… Before This World fleure bon le parfum des années soixante-dix, mais risque fort de désorienter les amateurs d’Albert Ayler, John Coltrane, AACM et autres Charlie Parker