Le jeudi 4 juin 2015
à vingt-et-une heure, Edward Perraud et sa joyeuse bande envahissent la scène
du Studio de l’Ermitage pour un concert généreux de près de deux heures ; l’occasion
de présenter le dernier disque de Synaesthetic Trip : Beyond The Predictable Touch.
La première heure du concert se déroule avec le quartet
habituel : Bart Maris à la
trompette et au bugle, Benoît Delbecq
au piano, Arnault Cuisinier à la
contrebasse et Perraud aux percussions. Dans un deuxième temps, ils sont
rejoints par « les Laurel et Hardy du saxophone », comme les
appelle Perraud : Thomas dePourquery au saxophone alto et DanielErdmann au saxophone ténor. Puis, pour le morceau final, ils invitent également
le trompettiste Fabrice Martinez,
venu en spectateur.
Synaesthetic Trip interprète neuf des dix morceaux de Beyond The Predictable Touch, plus
« Xiasmes » et « Carnation Pop » repris de leur premier
disque, sorti en 2012. Perraud et « ses frères de sons » (sic) se
montrent d’une complicité indiscutable. Quant à la gestuelle, aux mimiques et à
l’engagement physique du batteur, ils révèlent une joie de jouer évidente.
La présence imposante de la batterie renforce le
foisonnement rythmique, déjà relevé sur Beyond
The Predictable Touch : course-poursuite hard-bop (« Te Koop Te
Huur »), esquisse de valse (« Mal pour un bien ») ou de boléro
(« Entrailles »), rythmes syncopés (« Entrailles »),
passages binaires (« Sad Time », « Carnation Pop »),
fourmillements de percussions (« Xiasmes », « Touch »), emphase
(« Nun Komm »)… Le Synaesthetic Trip a parfois des côtés fanfare
déjantée (« Captain Universe ») ou orchestre de cirque
(« Entrailles », « Xiasmes » pourraient tout à fait
illustrer La Strada…). Sans oublier, la talkbox avec
laquelle Perraud semble s’amuser comme un fou (« Xiasme », « Carnation
Pop ») !
Les spectateurs retrouvent évidemment les principales
caractéristiques de Beyond The
Predictable Touch dans la musique du concert : le piano allie musique
contemporaine (« Lascia Fare Mi »), tradition stride (« Mal pour
un bien ») et bop (« Te Koop Te Huur »), avec des touches de
lyrisme (« Touch »), la contrebasse maintient une carrure robuste (« Lascia
Fare Mi »), indispensable dans cet environnement luxuriant, la trompette
est la voix flamboyante du quartet (« Te Koop Te Huur »). Quant aux saxophones
invités, leurs contrepoints élégants (« Nun, Komm »), leurs envolées
débridées (« Captain Universe ») et leurs unissons puissants (« Carnation
Pop ») apportent une densité sonore complémentaire qui se marie
parfaitement à la musique de Synaesthetic Trip.
L’autre avantage du concert, par rapport au disque, c’est qu’il
permet à Perraud de commenter les morceaux avec un naturel et des jeux de mots
bien à lui. Le public apprend par exemple que le titre de l’album est une
suggestion de sa sœur, peu convaincue par The
Unpredictable Touch, proposition initiale du percussionniste, « Mal
pour un bien » est un hommage à Mal
Waldron et « Captain Universe », un tribut à Sun Ra. Après avoir dédié « Sad Time » aux hommes et
femmes de radio, actuellement dans une mauvaise passe, Perraud explique que
Triste Temps vient de Tristan, parce qu’il s’est inspiré de l’ouverture du
troisième acte du Tristan et Iseult
de Richard Wagner pour ce morceau… Autre
source d’emprunt, Jean Sébastien Bach
et le choral « ‘Nun, komm’, der Heiden Heiland » (BWV 659) que
Perraud écoutait chez sa grand-mère. Il le reprend dans « Nun Komm » non
sans admettre que « le problème dans un disque, en fait, c’est que quand
on met un morceau de Jean Sébastien Bach,
c’est la meilleure compo… » et d’enchaîner sur Cioran : « s’il y a quelqu’un qui doit bien quelque chose
à Bach, c’est Dieu ». Perraud n’a pas le temps de commenter « Lascia
Fare Mi », mais la Missa La sol fa
re mi de Josquin des Prez n’est
sans doute pas loin…
Le concert met encore davantage en relief la personnalité de
Synaesthetic Trip que le disque : des rythmes bouillonnants, une sonorité
incandescente, des mélodies colorées et des développements torrides… A écouter
d’urgence !