15 juin 2015

Synaesthetic Trip à l’Ermitage

Le jeudi 4 juin 2015 à vingt-et-une heure, Edward Perraud et sa joyeuse bande envahissent la scène du Studio de l’Ermitage pour un concert généreux de près de deux heures ; l’occasion de présenter le dernier disque de Synaesthetic Trip : Beyond The Predictable Touch.

La première heure du concert se déroule avec le quartet habituel : Bart Maris à la trompette et au bugle, Benoît Delbecq au piano, Arnault Cuisinier à la contrebasse et Perraud aux percussions. Dans un deuxième temps, ils sont rejoints par « les Laurel et Hardy du saxophone », comme les appelle Perraud : Thomas dePourquery au saxophone alto et DanielErdmann au saxophone ténor. Puis, pour le morceau final, ils invitent également le trompettiste Fabrice Martinez, venu en spectateur.

Synaesthetic Trip interprète neuf des dix morceaux de Beyond The Predictable Touch, plus « Xiasmes » et « Carnation Pop » repris de leur premier disque, sorti en 2012. Perraud et « ses frères de sons » (sic) se montrent d’une complicité indiscutable. Quant à la gestuelle, aux mimiques et à l’engagement physique du batteur, ils révèlent une joie de jouer évidente.


La présence imposante de la batterie renforce le foisonnement rythmique, déjà relevé sur Beyond The Predictable Touch : course-poursuite hard-bop (« Te Koop Te Huur »), esquisse de valse (« Mal pour un bien ») ou de boléro (« Entrailles »), rythmes syncopés (« Entrailles »), passages binaires (« Sad Time », « Carnation Pop »), fourmillements de percussions (« Xiasmes », « Touch »), emphase (« Nun Komm »)… Le Synaesthetic Trip a parfois des côtés fanfare déjantée (« Captain Universe ») ou orchestre de cirque (« Entrailles », « Xiasmes » pourraient tout à fait illustrer La  Strada…). Sans oublier, la talkbox avec laquelle Perraud semble s’amuser comme un fou (« Xiasme », « Carnation Pop ») !

Les spectateurs retrouvent évidemment les principales caractéristiques de Beyond The Predictable Touch dans la musique du concert : le piano allie musique contemporaine (« Lascia Fare Mi »), tradition stride (« Mal pour un bien ») et bop (« Te Koop Te Huur »), avec des touches de lyrisme (« Touch »), la contrebasse maintient une carrure robuste (« Lascia Fare Mi »), indispensable dans cet environnement luxuriant, la trompette est la voix flamboyante du quartet (« Te Koop Te Huur »). Quant aux saxophones invités, leurs contrepoints élégants (« Nun, Komm »), leurs envolées débridées (« Captain Universe ») et leurs unissons puissants (« Carnation Pop ») apportent une densité sonore complémentaire qui se marie parfaitement à la musique de Synaesthetic Trip.

L’autre avantage du concert, par rapport au disque, c’est qu’il permet à Perraud de commenter les morceaux avec un naturel et des jeux de mots bien à lui. Le public apprend par exemple que le titre de l’album est une suggestion de sa sœur, peu convaincue par The Unpredictable Touch, proposition initiale du percussionniste, « Mal pour un bien » est un hommage à Mal Waldron et « Captain Universe », un tribut à Sun Ra. Après avoir dédié « Sad Time » aux hommes et femmes de radio, actuellement dans une mauvaise passe, Perraud explique que Triste Temps vient de Tristan, parce qu’il s’est inspiré de l’ouverture du troisième acte du Tristan et Iseult de Richard Wagner pour ce morceau… Autre source d’emprunt, Jean Sébastien Bach et le choral « ‘Nun, komm’, der Heiden Heiland » (BWV 659) que Perraud écoutait chez sa grand-mère. Il le reprend dans « Nun Komm » non sans admettre que « le problème dans un disque, en fait, c’est que quand on met un morceau de Jean Sébastien Bach, c’est la meilleure compo… » et d’enchaîner sur Cioran : « s’il y a quelqu’un qui doit bien quelque chose à Bach, c’est Dieu ». Perraud n’a pas le temps de commenter « Lascia Fare Mi », mais la Missa La sol fa re mi de Josquin des Prez n’est sans doute pas loin…


Le concert met encore davantage en relief la personnalité de Synaesthetic Trip que le disque : des rythmes bouillonnants, une sonorité incandescente, des mélodies colorées et des développements torrides… A écouter d’urgence !