Time Before And Time
After
Dominique Pifarély
ECM – ECM 472 1563
Sortie le 28 août 2015
Si Joe Venutti est
le père du violon jazz outre-Atlantique et Michel
Warlop son alter ego dans le vieux continent, c’est quand même Stéphane Grappelli qui lui a donné ses
lettres de noblesse. Et, au fil des années, la France est devenue la terre de prédilection
des violonistes, dans tous les styles de jazz : Jean-Luc Ponty, Didier
Lockwood, Florin Niculescu, Fionat Monbet, Régis Huby… et, bien sûr, Dominique Pifarély.
Pifarély explore d'abord avec Louis Sclavis une forme de jazz de chambre, notamment au sein de l'Acoustic
Quartet (Pifarély, Sclavis, Marc Ducret
et Bruno Chevillon). A la fin des
années quatre-vingts dix, il s'oriente vers l'avant-garde contemporaine en
compagnie de François Couturier (Poros – 1997). Aventure qu'il poursuit
encore aujourd'hui avec son ensemble Dédales (Time Geography – 2013). Rien d'étonnant que ce féru de recherche et
développement musical se lance dans un album solo, Time Before And Time After, qui sort chez ECM le 28 août 2015.
Time Before And Time
After regroupe neuf improvisations extraites de concerts. Tous les thèmes
de départ sont signés Pifarély à l'exception de « My Foolish Heart »,
le standard de Victor Young et Ned Washington (1949) qui conclut le
disque.
Grand amateur de poésies, Pifarély nous apprend qu'il a
conçu Time Before And Time After
(titre tiré du poème Burnt Norton écrit
par Thomas Stearns Eliot au début
des années 30) comme un recueil de poésies et nommé les morceaux en
hommage à : Mahmoud Darwich
(« Sur terre » pour le poème Sur
cette terre – 1986), Fernando Pessoa
(« Meu ser elástico » extrait de Passagem
das Horas – 1916), André du Bouchet
(« L'air soudain » vient de Dans
la chaleur vacante – 1991), Henri
Michaux (« D’une main distraite » de Distraitement frappés, rythmes – 1982), Jacques Dupin (« Avant le regard » dans Poème – 1969), Paul Celan (« Gegenlicht »,
titre d’un cycle de dix-sept poèmes – 1952), Juan Gelman (« Violín y otras cuestiones » du livre éponyme – 1956)
et Bernard Noël
(« L’oubli », en référence au Livre
de l’oubli – 1979).
Une heure d'improvisations au violon en en solo a sans doute
de quoi en effrayer plus d'un... C'est oublier les sonates et partitas de Bach, les Caprices de Paganini, voire la sonate de Bartók... Références illustres, s'il en
est ! Pifarély relève le défi avec brio. Les climats sont variés : d’un
raga (« Sur terre ») au baroque (« Violín y otras
cuestiones »), avec un crochet par la musique contemporaine (« L’air
soudain ») et le jazz (« Meu ser elástico »). Bourdon et
harmoniques en double-cordes, frottements de l’archet, boucles dissonantes,
fourmillements de notes, saturations des aigus… côtoient des passages mélodieux
d’une grande élégance. Pifarély déploie toute une panoplie de jeux avec les
timbres (« Sur terre »), les intervalles (« D’une main
discrète »), l’intensité (« Violín y otras cuestiones »), la
matière sonore (« Avant le regard ») et les rythmes (« Meu ser
elástico »).
A la limite de l’expressionisme, la musique de Time Before And Time After est
expressive, joue librement avec les formes et développe des sensations proches
de celles que Michaux, Pessoa, Gelman et les autres poètes recherchent dans
leurs vers…