L’année commence sur les chapeaux de roue…
More Essentials – Daniel Schläppi
Le contrebassiste DanielSchläppi et le pianiste Marc Copland
se sont rencontrés en 2010 et ils enregistrent Essentials en 2012. Les voilà de nouveau réunis pour More Essentials, qui sort le 12 janvier,
toujours chez Catwalk, le label de Schläppi et de Tomas Sauter.
Au répertoire, cinq improvisations, « Essential 9
» à « Essential 13 », qui prolongent les huit du premier disque, « LST »,
signé Copland, une chanson de Joni
Mitchell, « Rainy Night House », et, comme dans leur premier
opus, des standards : « Blue In Green » de Bill Evans et Miles Davis, « Estate » de Bruno Martino et Bruno Brighetti,
« All of Me » de Gerald Mark
et Seymour Simons, « Gloria’s
Step » de Scott LaFaro,
« Song Fo My Father » d’Horace
Silver, une reprise de « Yesterday » d‘Otto Harbach et Jerome Kern,
et « My Little Suede Shoes » de Charlie
Parker.
Dans les faits, le duo est plutôt un trio contrebasse – main
gauche – main droite tant la musique circule de l’un à l’autre. Schläppi
alterne des lignes de basse graves et charpentées, des walking entraînantes,
des chorus mélodieux et puissants, des motifs slappés... Copland joue tour à
tour dans une veine contemporaine, parsemée de touches lyriques et raffinées,
ou mainstream, avec un swing vigoureux. « Musique de chambre
contemporaine » : si More
Essentials s’inscrit tout à fait dans la ligne éditoriale de Catwalk, la
musique de Schläppi et Copland a quand même une forte ascendance jazz.
River Silver – Michel Benita
Michel Benita a
déjà enregistré deux disques chez ECM aux côtés d’Andy Sheppard : Trio Libero
en 2012 et Surrounded by Sea en 2014.
C’est avec son quintet Ethics, formé en 2010, qu’il sort River Silver le 15 janvier.
Outre Benita et sa contrebasse, Ethics est constitué de Matthieu Michel au bugle, Mieko Miyazaki au koto, Eivind Aarset à la guitare et Philippe Garcia à la batterie. Benita a
composé six morceaux, Miyazaki propose « Hacihi Gatsu » et Ethics
reprend « Yeavering », de la joueuse de cornemuse anglaise Kathryn Tickell, et
« Lykken », du compositeur et organiste norvégien Eyvind Alnæs. Un quintet multinational
pour un répertoire international : la diversité semble être le maître mot
de River Silver !
L’ambiance est méditative, voire planante, avec un couple
synthétiseur – guitare aérien, des motifs suspendus, des mélodies éthérées et
des rythmes lents et étirés. Les sonorités naturelles de la contrebasse et du
koto contrastent avec celle du bugle, lointain et réverbéré, tandis que la
batterie n’empiète jamais sur le discours du soliste. La musique de River Silver reste contrôlée de bout en
bout, et la place centrale du bugle au milieu d’un décor minimaliste n’est pas
sans rappeler Miles Davis ou…
ECM !
Amorphae – Ben Monder
Membre du Paul Motian
Band – Garden of Eden (2006) – Ben Monder avait prévu d’enregistrer Amorphae en duo avec Motian, mais le
batteur est décédé en novembre 2011, avant que le projet ne voie le jour. Le
guitariste a décidé de relancer l’aventure.
En dehors de « Triffids », un duo avec
Motian, Monder joue « Tendrills » et « Dinausor Skies » en
solo, « Tumid Cenobit » et « Hematophagy » en duo avec Andrew Cyrille, et « Zythum »
et « Gamma Crucis » en trio, avec Cyrille et le claviériste Pete Rende. Le trio interprète
également « Oh, What A Beautiful Morning » de Richard Rodgers et Oscar
Hammerstein II.
Les titres des morceaux sont éloquents : une plante
vénéneuse imaginaire sortie d’un roman de John
Wyndhams, des plantes adhérentes sans tige, des crustacés… mais aussi une
bière d’orge, la troisième étoile de la Croix du sud… Monder n’a pas choisi le
titre Amorphae – sans forme – au
hasard !
Amorphae est
placée sous le signe d’un électro sophistiqué, austère et solennel. Les accords
allongés, les nappes distendues, les bourdonnements électriques, les effets dépouillés,
le jeu sur les textures synthétiques… tout rappelle la science-fiction, mais
aussi Terry Riley et, bien sûr, Jean-Michel Jarre.
Longtemps (et toujours) associé au groupe de pop progressive
Xiu Xiu, le percussionniste Ches Smith
évolue également dans la sphère Tzadik, aux côtés de Marc Ribot, Trevor Dunn,
John Zorn… et Tim Berne, avec qui il a déjà enregistré trois disques chez ECM. The Bell, qui sort le 15 janvier, est le
premier album sous son nom pour le label munichois.
Les huit morceaux, tous signés Smith, sont joués par le trio
qu’il a monté en 2014 avec Craig Taborn
et Matt Maneri, à l’occasion du New
York Winter Jazzfest.
Dès le premier morceau éponyme, « The Bell »,
la musique flirte avec la musique contemporaine. Des ostinatos, des pédales,
des interactions bruitistes et des motifs minimalistes alternent avec des
phrases dissonantes. Les constructions, en contrepoint ou en parallèle, sont
sophistiquées, soutenues par une batterie tendue. Le trio joue aussi sur le
contraste des sonorités : un violon alto aigu et vibrant, un piano plutôt
doux et une batterie organique – bois, métal et peaux. The Bell est un disque ambitieux, dans lequel Smith expose ses
idées, sur des fondations contemporaines et une spontanéité héritée du
jazz.
Après sept ans passés aux Etats-Unis et un diplôme de
l’Eastman School of Music en poche, Shauli Einav s’est installé à Paris en
2012. Le 19 janvier, le saxophoniste sort un quatrième disque, Beam Me Up, chez Berthold Records.
Einav joue avec en quartet, avec le pianiste Paul Lay et le contrebassiste Florent Nisse, déjà présents sur A Truth About Me (2013), et en compagnie
du batteur Gautier Garrigue. Einav
invite aussi le guitariste Pierre Durand
pour un morceau : « 76 San Gabriel ». Les sept thèmes sont de la
plume d’Einav et quatre d’entre eux sont inspirés des œuvres de Segueï Prokofiev.
Des mélodies dans l’esprit début du vingtième, mais aussi
néo-bop dissonantes, soutenues par une rythmique dynamique et des chorus
relevés : la musique du quartet est vivante. Einav adopte une structure
thème – solo – thème et laisse de l’espace au piano ou au Fender de Lay. Le
saxophoniste affiche une aisance à toute épreuve et sa sonorité moelleuse au
soprano est particulièrement flatteuse, tandis que son ténor sonne presque
comme un alto. Avec son jazz moderne et tendu, Beam Me Up s’inscrit dans l’air du temps.
Depuis près de quinze ans, le Surnatural Orchestra,
collectif d’une petite vingtaine de musiciens férus de soundpainting, a déjà enregistré
sept disques. Le 20 janvier, le Surnatural Orchestra sort Ronde chez Absilone, qu’il présente au Carreau du Temple les 20 et 21 janvier, dans le cadre de la Jazz Fabric.
Le Surnatural Orchestra c’est : Fanny Menegoz (flûtes, voix), Clea
Torales (flûte), Adrien Amey
(sax soprano, MS20), Baptiste Bouquin
(saxes alto, soprano), Jeannot Salvatori
(sax alto), Robin Fincker (sax
ténor), Nicolas Stephan (sax ténor),
Fabrice Theuillon (sax baryton,
effets), Julien Rousseau
(trompette), Antoine Berjeaut
(trompette), Izidor Leitinger
(trompette), François Roche-Juarez
(trombone), Hanno Baumfelder
(trombone), Judith Wekstein
(trombone basse), Boris Boublil
(claviers, piano), Laurent Géhant
(sousaphone), Antonin Leymarie
(batterie) et Sylvain Lemêtre
(percussions).
Les sept morceaux sont signés des musiciens de l’orchestre,
et Ferry Heijen – leader de la
formation néerlandaise De Kift – a épaulé le Surnatural Orchestra.
Croisements de voix, contrepoints, sections à l’unisson… la
musique se déchaîne dans un foisonnement parfaitement organisé. Comme dans un
concerto, les solistes prennent la parole dans ce décor touffu et mettent une
bonne dose d’effets dirty, bluesy ou rock, tendance Frank Zappa ou le Jaco
Pastorius de Twins. Les rythmes –
titre oblige – sont plutôt vifs, l’orchestre joue aussi avec le volume sonore
et l’instrumentation, qui fait la part belle aux soufflants, rappelle évidemment
celle des fanfares. Ronde est joyeux
et sans soucis : les danses savantes du Surnatural Orchestra nous
entraînent irrémédiablement.
Youn Sun Nah, Médéric Collignon, Ibrahim Maalouf, Dave Douglas… la maitrise technique et
musicale de Frank Woeste lui permet
de jouer dans les contextes les plus variés qui soient. En 2004, Woeste
enregistre en solo le premier disque sous son nom, Outward, suivi, l’année d’après par Mind At Play, en trio avec Mathias
Allamane à la contrebasse et Matthieu
Chazarenc à la batterie. C’est toujours avec le même trio que le pianiste
sort Untold Stories en 2007. Pour W (2011), Jérôme Regard remplace Allamane à la contrebasse. Pocket Rhapsody est donc le cinquième
disque de Woeste sous son nom. Il sort le 22 janvier sur le label ACT.
Le trio est désormais constitué de Ben Monder à la guitare et Justin
Brown à la batterie. Sarah Nemtanu,
au violon, et Grégoire Korniluk, au
violoncelle, complètent la palette Le trio invitent également Nah le temps d’une
chanson et Maalouf sur deux morceaux.
Les dix morceaux sont signés Woeste. Nah a écrit les paroles
de la chanson « The Star Gazer », qu’elle interprète.
Que les morceaux flirtent avec du funk minimaliste, du rock progressif,
de l’électro, de la musique de chambre romantique ou penchent vers la world,
voire le cinéma, Woeste soigne son écriture et ses arrangements. Les mélodies
sont élégantes, les contrepoints en pizzicato ou à l’archet apportent une
touche raffinée, la trompette de Maalouf distille une ambiance méditative… ce
qui n’empêche pas une assise rythmique solide et des développements entraînants.
Finalement Woeste a bien choisi son titre : Pocket Rhapsody colle plutôt bien à la
définition que donne Jacques Siron de rapsodie : « œuvre de
forme libre comprenant des épisodes contrastés, à caractère épique, coloré,
virtuose… ».
Après deux disques en trio – Triphase en 2008 et Empreintes
en 2010 – et Yokaï en quintet (2012),
Anne Paceo enrichit sa discographie
personnelle avec Circles, qui sort le
22 janvier, toujours chez Laborie Jazz.
Pour ce nouvel opus, Paceo joue en quartet, avec Emile Parisien au saxophone soprano, Leila Martial à la voix et Tony Paeleman aux claviers. Adrien Daoud participe à quelques titres,
au saxophone ténor ou aux claviers. Paceo a composé les douze thèmes de Circles et leurs noms évoquent voyages et
découvertes : « Toundra », « Myanmar Folk Song », « Polar
Night », « Tzigane », « Moons »…
Circles suit les
traces de Yokaï avec une forte
composante de musique du monde – soprano moyen-oriental, vocalises
africaines, mélopées asiatiques, comptine occidentale… – et une rythmique
puissante et régulière qui pousse les musiciens vers l’avant. Avec sa sonorité velouté
et ses développements lumineux, le saxophone soprano de Parisien met beaucoup
de relief dans le discours du quartet. Evolution par rapport à Yokaï : dans Circles, la voix tient une place centrale (scat, chanson pop, rap,
vocalises…). Avec Circles, Paceo
poursuit un voyage musical très personnel, subtil dosage de world, folk, pop et
rock, sur fonds de jazz mainstream.
Depuis 2012, le Possible(s) Quartet régale les oreilles des
auditeurs de France et de Navarre. Le Possible(s) Quartet ce sont les trompettes
et bugles de Rémi Gaudillat et Fred Roudet, le trombone de Loïc Bachevillier et les clarinettes de
Laurent Vichard. En 2013, le
Possible(s) Quartet sort Le Chant des Possibles
chez Instant Music Records et récidive le 23 janvier, avec Orchestique.
D’après le Littré (le mot n’est pas dans le Petit Larousse…),
dans la Grèce Antique, l’orchestique est liée à la gymnastique, mais aussi à la
danse et à la pantomime… Le Possible(s) Quartet annonce la couleur ! Les
dix morceaux sont signés Gaudillat, Vichard ou Bachevillier.
La fanfare de chambre de Gaudillat confirme que quatre
peuvent sonner comme douze ! Les interactions constantes et les constructions
sophistiquées maintiennent en haleine du début à la fin. En l’absence de contrebasse
et de batterie, les soufflants intercalent des pédales et des riffs qui remplacent
la section rythmique, et assurent une pulsation énergique. Les lignes en contre-chants
évoquent souvent la musique médiévale, voire baroque. Dans la continuité du Chant des Possibles, Orchestique propose une musique inventive
chargée d’émotions vivifiantes.
Musique classique (Cabaret de Jean-François Zigel, Art Sonic),
chanson française (Bombay Offshore), électro (Voltage Control Orchestra),
musique du monde (Babel), jazz (ONJ, Danzas, Paris Short Stories)… Joce Mienniel n’a que faire des
frontières. Il a également créé le label Drugstore Malone, sur lequel sort Tilt, le 29 janvier.
Mienniel joue de la flûte et du Korg MS20 en compagnie de Guillaume Magne à la guitare, Vincent Lafont au Fender Rhodes et Sébastien Brun à la batterie et autres
traitements électroniques. Mieniel a conçu Tilt
comme une suite avec son ouverture, ses trois parties qui contiennent trois
mouvements chacune et son épilogue.
La plupart des morceaux se déroulent dans un cadre
dramatique marqué par des rythmes puissants et lourds, des lignes d’accords
étirées et des effets électro. La flûte joue des mélodies plutôt minimalistes,
qu’elle amène progressivement vers une tension intense, soutenue par un trio
rythmique et harmonique touffu. Le contraste entre la sonorité acoustique de la
flûte et les textures électro génère des ambiances majestueuses, quasi
cinématographiques, qui rappellent parfois la musique d’Ennio Morriconne (le carillon…). Dans Tilt, Mienniel s’aventure sur les terres d’un rock électro
progressif volontiers théâtral et toujours captivant.