17 janvier 2016

Retour dans l’Igloo

Depuis 1978 Igloo Records œuvre pour la diffusion du jazz belge à travers le monde. Le label s’est également ouvert aux musiques du monde (Igloomondo), aux musiques électro (Iglectic) et à la chanson (Franc’Amour et Factice). Preuves de l’éclectisme et de la qualité des productions du label Bruxellois : Road Story et Motion, deux disques du pianiste Igor Gehenot, Bees and Bumblebees du Fiorini – Houben quartet, New Feel du LG Jazz Collective et Austerity… And What About Rage? du saxophoniste Manuel Hermia.


Road Story
Igor Gehenot
Igor Gehenot (p), Sam Gerstmans (b) et Teun Verbruggen (d)
Igloo – IGL 232
Sortie en mars 2012

En 2011, après être passé par l’académie Marcel Désiron, le Conservatoire de Maastricht et le Conservatoire de Bruxelles, Gehenot commence sa carrière... Il enregistre Road Story pour Igloo l’année suivante, en trio avec Sam Gerstmans à la contrebasse et Teun Verbruggen à la batterie. Gehenot est l’auteur des dix morceaux.

Les mélodies sont le plus souvent délicates, avec des ballades détendues ou des ambiances intimistes, servies par une section rythmique entraînante, qui glisse ça-et-là des accents pop. Le trio emballe volontiers les thèmes pour générer de la tension et s’aventure dans des passages funky ou hard-bop, avec walking et chabada. La contrebasse joue en souplesse, tandis que la batterie fourmille et que le piano chante.

Il y a bien sûr du Brad Mehldau dans Road Story, mais Gehenot a réussi à développer un vocabulaire et une syntaxe qui lui sont tout à fait personnels.


Bees and Bumblebees
Fiorini – Houben quartet
Gregory Houben (tp), Fabian Fiorini (p), Cédric Raymond (b) et Hans Van Oosterhout (d)
Igloo – IGL 249
Sortie en février 2014

« L’Happy-Culture », voilà comment le trompettiste Gregory Houben et le pianiste Fabian Fiorini décrivent leur démarche musicale. Enregistré en 2013, avec Cédric Raymond à la basse et Hans Van Oosterhout à la batterie, Bees and Bumblebees ne déroge pas à la règle et transpire l’humour et la bonne humeur.

Fiorini et Houben ont composé les dix thèmes, plutôt courts et vifs avec, parfois, des consonances sud-américaines. D’un jeu de questions – réponses entre le piano et la trompette à des unissons énergiques, en passant par des contrepoints recherchés, les constructions musicales sont élégantes. La régularité de la walking entrecoupée de shuffle de la basse et du chabada de la batterie assure une base rythmique solide et dansante.

Marqué par le be-bop, les musiques latines et la musique baroque, Fiorini – Houben quartet s’inscrit dans la lignée du West Coast Jazz, sur les traces de Bobby JasparBees and Bumblebees est une musique que l’on prend plaisir à butiner !


Motion
Igor Gehenot Trio
Igor Gehenot (p), Philippe Aerts (b) et Teun Verbruggen (d)
Igloo – IGL 253
Sortie en septembre 2014

En 2009, Gehenot monte son premier trio avec Gerstmans et le batteur Antoine Pierre. Dans le trio de Road Story, Verbruggen succède à Pierre et, en 2014, pour Motion, c’est Philippe Aerts qui remplace Gertsmans.

Gehenot signe neuf thèmes et reprend « In The Wee Small Hours of The Morning », chanson composée en 1955 par David Mann et Bob Hilliard pour l’album éponyme de Franck Sinatra.

Les pédales, ostinatos et autres riffs d’accords du piano, soutenus par une section rythmique puissante et énergique font pencher Motion vers l’esprit d’EST, mais toujours avec le bop en filigrane (walking, chabada et rim shot…). Road Story confirme les talents de fin mélodiste de Gehenot, mais aussi son attachement à un jazz qui balance...


New Feel
LG Jazz Collective
Jean-Paul Estievenart (tp, bg), Steven Delannoye (ts, ss), Laurent Barbier (as), Guillaume Vierset (g), Igor Gehenot (p), Felix Zurstrassen (b) et Antoine Pierre (d).
Igloo – IGL 258
Sortie en novembre 2014

En 2012, le guitariste GuillaumeVierset monte le LG Jazz Collective pour interpréter des compositions d’artistes liégeois dans le cadre du festival Jazz à Liège. Outre Vierset, le septuor est constitué de Jean-Paul Estievenart à la trompette ou au bugle, Steven Delannoye au saxophone ténor ou soprano, Laurent Barbier au saxophone alto, Felix Zurstrassen à la basse, plus deux connaissances : Gehenot au piano et Pierre à la batterie.

Dans New Feel. Le LG Jazz Collective interprète six compositions de Vierset, une de Pierre, « A » du batteur Lionel Beuvens, « Toscane » du guitariste Philip Catherine et « Carmignano » du pianiste Eric Legnini.

Des mélodies recherchées, des accompagnements relevés, des rythmes enjoués… les arrangements de Vierset sont tirés au cordeau. Les unissons encadrent les solos, soutenus par les lignes inventives du piano, les cliquetis foisonnants de la batterie et les chœurs discrets des soufflants. Avec ses accents groovy et sa section rythmique robuste, la musique de New Feel frétille.


Austerity… And What About Rage?
Manuel Hermia Trio
Manuel Hermia (ts, ss, bansuri), Manolo Cabras (b) et Joao Lobo (d).
Igloo – IGL 261
Sortie en mars 2015

Saxophoniste et spécialiste du bansuri, Manuel Hermia navigue entre musique du monde, « rock ethno coltranien » et jazz contemporain. Depuis 2010, Hermia, Manolo Cabras à la contrebasse et Joao Lobo à la batterie forment un trio free qui explore notamment le « rajazz » - subtile combinaison de râgas indiens et de jazz.

Austerity… And What About Rage? est un cri contre les politiques d’austérité et la dégradation du bien-être, comme Hermia l’écrit dans le livret : « en tant qu’être humain et citoyen, je me sens éminemment concerné par ce qui se déroule sous mes yeux, et si j’ai tenu à renouer ce lien entre jazz et politique c’est parce que l’attitude philosophique inhérente au free jazz nous invite à ne pas accepter les règles préétablies visant à conditionner tout un chacun à une forme d’acceptation soumise ». Les onze cris de révoltes sont l’œuvre de chacun des trois musiciens. L’ardente peinture de la couverture du disque, et le décor tachiste du livret sont signés Sandra Corbisier.

Hermia laisse beaucoup d’espace à la basse et à la batterie pour instaurer une véritable discussion entre les trois musiciens et, comme dans les râgas, chaque morceau évolue dans une ambiance bien à lui. Concision des phrases, liberté et puissance des motifs de basse, densité des rythmes, intensité des interactions et… des cris furieux paroxysmiques ! A côté des envolées free, le dernier morceau d’Austerity, « Revelations », dans lequel Hermia joue notamment du bansuri, propose une méditation apaisée très coltranienne.

Austerity… And What About Rage? reprend des ingrédients du free jazz des années soixante à soixante-dix, mais Hermia, Cabras et Lobo les mettent à leur sauce et concoctent un mets musical savoureux.