Birdwatching – Anat Fort Trio & Gianluigi Trovesi
Anat Fort auto
produit Peel en 1999 et c’est en
2007, avec A Long Story, que la
pianiste israélienne rejoint ECM. En 2010, Fort enregistre And If en trio, puis Birdwatching,
en mars 2016.
Fort est accompagné de son trio habituel : Gary Wang à la contrebasse et Roland
Schneider à la batterie. Sur la plupart des morceaux le trio a invité le
saxophoniste et clarinettiste Gianluigi
Trovesi. Les douze petites pièces – d’un peu plus d’une minute à six
minutes – sont signées Fort, à l’exception d’« Inner Voices »,
improvisation collective du quartet.
De leur formation classique, Fort et Trovesi conservent le
goût des constructions musicales élaborées, mais aussi un touché précis et un
phrasé limpide. Leurs contrepoints ne sont pas sans évoquer la musique du début
du vingtième (« Earth Talks »). Le duo reste dans la mesure, sauf
dans « Jumpin’In » : après l’exposé à l’unisson d’un thème
moderne, il se déroule dans un entrelacs de voix et de courts passages fugués,
puis débouche sur une fantaisie entre contemporain et free. Dans l’ensemble la
pianiste se montre le plus souvent lyrique (« Song Of The Phoenix »),
voire romantique (« Sun »), avec une grande finesse de jeu
(« First Rays ») et un swing raffiné (« Meditation For A New
Year »). Trovesi soigne sa sonorité (« Murmuration »), élabore
des contre-chants dans l’esprit de Fort (« Milarepa ») et se retient
de tout emportement effréné (« Not The Perfect Storm »). Quant à Wang
et Schneider, leur souplesse et leur subtilité à toute épreuve (« It’s
Your Song ») soutiennent rondement le duo mélodique (« Milarepa »).
Patient, calme et pondéré : Birdwatching porte bien son titre et sa musique charmante est
servie par un quartet d’une délicatesse exquise.
Mare Nostrum II – Fresu Galliano Lundgren
En 2008, René Hess,
le manager de Jan Lundgren, produit Mare Nostrum, qui sort sur le label de Siggi Loch, Act. Outre Lundgren, ce
Power Trio européen regroupe Paolo Fresu
et Richard Galliano. Après avoir
tourné aux quatre coins du monde, les trois musiciens ont pris le chemin de
Pernes les Fontaines, pour enregistrer un deuxième opus dans les studios La
Buissonne.
Chacun des trois artistes apporte quatre morceaux. Lundgren arrange
un chant traditionnel suédois (« Kristallen Den Fina ») et signe
trois compositions originales. Fresu propose deux nouveaux titres et reprend « Apnea »
d’In Maggiore (2015), son duo avec Daniele di Bonaventura, ainsi que
l’arrangement de « Si dolce è il tormento » de Claudio Monteverdi, qu’il a écrit pour Things (2006), duo avec Uri
Caine. Quant à Galliano, il pioche dans son répertoire : « Aurore »,
tiré de Love Day (2008), quartet avec
Gonzalo Rubalcaba, Charlie Haden et Mino Cinelu ; le désormais classique « Giselle », de
New Musette (1991), avec Philip Catherine, Pierre Michelot et Aldo
Romano ; « Lili », extrait de Sentimentale (2014) ; et
la « Gnossienne n°1 » d’Erik
Satie qu’il avait arrangé pour Luz
Negra (2007). Mention spéciale pour la pochette du disque : à
l’abstraction spatiale de Rupprecht
Geiger succède la géométrie colorée de Federico
Herrero.
Avec un trio piano – trompette – accordéon, l’auditeur
pourrait s’attendre à de la musette ou du tango et autre fado, mais il n’en est
rien : Mare Nostrum II, comme le
précédent opus, appelle davantage à la réflexion introspective qu’au bal. Avant
tout sentimental, le trio joue sur les échanges mélodiques : unissons
élégants (« Blue Silence »), contrechants subtils (« Farväl »),
constructions raffinées (« Si dolce è il tormento »), développements
langoureux (« Le livre d’un père sarde »)… Au romantisme sobre de
Lundgren (« Blue Silence ») répondent le lyrisme à fleur de peau de
Galliano (« Lili ») et la poésie rêveuse de Fresu (« Kristallen
Den Fina »).
Mare Nostrum II est
une invitation intime et délicate au voyage, et peut tout-à-fait mettre en
exergue les vers de Charles Baudelaire :
« Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté »…
Anakronic / Krakauer – Anakronic Electro Orchestra & David Krakauer
L’Anakronik Electro Orchestra compte déjà trois disques à son
actif – Speak with Ghosts
(2010), Noise in Sepher (2013) et Spoken Machine (2015) –, mais Anakronik / Krakauer est le premier
disque de l’association du quintet toulousain et du clarinettiste David Krakauer. Association que Sons
d’hiver avait programmé dans son édition 2012.
Mikaël Charry, aux
machines, et Ludovic Kierasinski, à
la basse, sont les deux fondateurs de l’AEO. Avec Pierre Bertaud du Chazaud à la clarinette et Ghislain Rivera à la batterie, ils constituent le noyau dur du
combo. Vincent Peirani ou Simon Barbe ont remplacé Corrine Dubarry à l’accordéon, et Taron Benson chante sur deux titres.
Krakauer, Charry et Kierasinski se partagent les onze
morceaux et réinterprètent des chants traditionnels (« Karel Capek »,
hommage à l’écrivain tchèque, et « Webzmer »). A noter également un remix
signé Bill Laswell (« Human Tribe »).
Anakronic / Krakauer
vogue
aux confins du jazz, de l’électro et du klezmer : des lignes de
basse puissantes (« Broken Waltz ») qui grondent (« Elektric
Bechet I »), une batterie souvent binaire (« Daidalos »), voire
brutale (« Human Tribe »), des effets électro (« Karel
Capek »), des bourdonnements synthétiques (« Human Tribe Remix »)
et des grésillements électriques (« East
River Angel II »), un accordéon dansant (« Human Tribe ») et
folk ((« East River Angel I »), du rap entraînant (« The City’s On
Fire »), un reggae qui vire funk (« Webzmer »)… et des
clarinettes virtuoses (« Elektric Bechet I ») qui virevoltent dans
les aigus (« Human Tribe »)…
La musique klezmer à la sauce électro ne manque pas de punch ; Anakronic / Krakauer est impétueux et
dansant.
Heart of Things – Christophe Laborde Quartet
Christophe Laborde ne
change pas une équipe qui gagne… En 2011, le saxophoniste monte un quartet avec
Giovanni Mirabassi au piano, Mauro Gargano à la contrebasse et Louis Moutin à la batterie. Ils sortent
Wings of Waves. Quelques années plus
tard, Laborde et son quartet retournent en studio pour enregistrer Heart of things, qui sort en mars 2016.
Laborde signe les onze thèmes. Un détour par la réalisation
graphique de Nicolas Mamet pour la
pochette du disque : dans une ambiance d’aurore boréale, se dresse une
ville-île rétro futuriste où des gratte-ciels côtoient des temples, avec, au
milieu, un saxophone soprano qui se fond au milieu des immeubles… Heart of Things !
Des thèmes contemporains (« Beyond The Walls »),
des ballades tendues (« Secret Life »), une valse enjouée
(« Silver Surfer »), un duo soprano – piano impressionniste
(« Couleur de temps – Part 5 »), un chant nostalgique (« Blue
Ballad »)… la musique d’Heart of
Things s’inscrit dans la lignée de Steve
Lacy et Dave Liebman. A son
habitude Moutin alterne frappes touffues (« Beyond The Walls »), passages
en chabada (« Heart of Things ») et maintient une pulsation énergique
(« Silver Surfer »). Si le son grave et puissant de Gargano garantit
une carrure solide (« Heart of Things »), ses chorus, souples et
chantants (« Time Passengers »), s’envolent volontiers dans les aigus
(« Paris nostalgie »). Mirabassi est un pianiste subtil (« Time
Passengers »), marqué par le bop (« Beyond The Walls ») et toujours
à l’écoute de ses partenaires : dialogues astucieux (« Couleur de
temps – Part 6 »), contre-chants habiles (« Silver Surfer »),
questions – réponses délicates (« Couleur de temps – Part 4 »)… Quant
à Laborde, il joue moderne (« Suite Horizon »), fait monter la
tension (« Secret Life »), garde une pointe de lyrisme en filigrane
(« Time Passengers ») et son discours fluide (« Silver Surfer »)
est servi par une sonorité droite et nette (« Blue Ballad »).
Le cœur des choses selon Laborde donne un disque bien dans
son époque, avec des mélodies et des développements qui combinent harmonies et
dissonances, des échanges recherchés et des constructions simples et efficaces.
Aftersun – Bill Laurance
Membre fondateur de Snarky Puppy, Bill Laurance enregistre également sous son nom depuis 2014 : Flint, puis Swift, en 2015, et Aftersun,
qui sort chez Decca, en mars 2016.
Laurance est accompagné de deux éminents membres des Snarky
Puppy : le bassiste et leader du groupe, Michael League, et le multi-instrumentiste Robert Sput Searight. Le trio fait également appel au
percussionniste de la Nouvelle Orléans, Weedie
Braimah. Laurance a composé les neuf titres d’Aftersun.
Comme Snarky Puppy, Laurance met l’accent sur des mélodies
simples (« First Light ») et charmantes (« The Pines ») qui
s’appuient sur des rythmes sourds (« Bullet »), réguliers (« Soti »)
et entraînants (« Aftersun »). Aftersun
est placé sous le signe de l’Afrique : ritournelles répétitives
(« Time to Run »), ambiance cordophone (« Bullet »),
polyrythmies fébriles (« First Light »), afro-beat mêlé de reggae
(« A Blaze ») et, bien entendu, omniprésence du djembé de Braimah.
Aftersun propose
une musique du monde efficace et dansante.
Rainbow Shell – Perrine Mansuy
Depuis sa sortie du Conservatoire de Marseille et Autour de la lune, Perrine Mansuy a créé et enregistré avec le Quartet Maneggio en
2001, puis en duo avec Valérie Perez
(Verso), qui devient un trio avec
l’arrivée de Jean-Luc Di Fraya (Le voyage d’Alba – 2004), avant de
revenir au duo avec François Cordas (Le Duo –
2006), et de repasser au trio avec Eric
Surménian et Joe Quitzke (Mandragore & Noyau de pêche – 2007)…
pour finalement rejoindre Laborie Jazz en 2011, chez qui elle sort Vertigo Song avec Marion Rampal, Rémy Décrouy
et Di Fraya. En mars 2016, Mansuy, accompagnée de Décrouy et Di Fraya, mais
aussi d’Eric Longsworth au
violoncelle et de Mathis Haug à la
voix, sort Rainbow Shell, toujours
chez Laborie.
Rainbow Shell est
composé de onze morceaux, tous signés Mansuy, sauf « The River Of No
Return », la chanson culte de Ken
Darby et Lionel Newman, composée
en 1954 pour le western éponyme (re-)culte d’Otto Preminger, avec Marylin
Monroe (magnifique interprète de la chanson) et Robert Mitchum.
Mansuy puise
son inspiration dans des sources multiples : pop (« Fly On »),
rock progressif (« Dîner flottant »), blues (« Paying My Dues To
The Blues »), folk (« Tomettes et plafond haut »), music hall
(« The river of no return »)… Un touché vigoureux et clair, un
phrasé souple et un sens mélodique sûr
caractérisent le jeu de la pianiste, inspirée par Keith Jarrett (« Danse avec le vent »). Décrouy et sa
guitare apportent la touche rock (les
accords saturés de « Dîner flottant ») mais aussi des effets
électro (« Fly On »), un jeu slide (« Rainbow Shell ») ou
folk acoustique (« Ending Melody ») au grès des ambiances. Le
violoncelle ne prend pas le rôle de la contrebasse : Longsworth utilise la
puissance mélodique de son instrument pour mettre en relief les thèmes
(« Three Rivers & A Hill To Cross »), prendre des chorus
romantiques (« Dîner flottant ») ou baroques (« Tomettes et
plafond haut »). Spécialiste des poly-rythmes (« Magic Mirror »)
et percussions en tous genres, Di Fraya passe d’une frappe imposante (« Dîner
flottant ») à un accompagnement léger et dansant (« Fly On »), avec
un clin d’œil à l’orient (« Danse avec le vent ») et au blues
(« Paying My Dues To The Blues »), sans oublier ses vocalises
intenses qui accompagnent le piano à l’unisson (« Le songe du
papillon »). Haug s’appuie sur sa voix grave et profonde pour déclamer les
textes (« Fly On »), jouer au crooner (« The River Of No
Return ») et chanter le blues (« Paying My Dues To The Blues »).
Rainbow Shell part
dans des directions variées avec entrain et s’attache à ce que le déroulé des
morceaux reste harmonieux.