28 avril 2016

Traces à l’Ermitage

Le mercredi 13 avril, le Studio de l’Ermitage est plein : amateurs, amis, journalistes, musiciens… sont venus écouter le sextet de Claude Tchamitchian, à l’occasion de la sortie de Traces chez Emouvance.

Outre Tchamitchian, le sextet est composé de Géraldine Keller à la voix, Daniel Erdmann aux saxophones ténor et soprano, François Corneloup au saxophone baryton, Philippe Deschepper à la guitare électrique et Christophe Marguet aux percussions.


Entre le duo avec le joueur de kamantcha Gaguik Mouradian et l’orchestre Lousadzak, Tchamitchian ne cache pas sa fascination pour ses racines arméniennes. Le centenaire du génocide d’avril 1915 et la lecture de Seuils, fresque du professeur de l’Inalco, Krikor Beledian, ont inspiré au contrebassiste six pièces autour de son « arménité ».

Comme l’explique le musicien en introduction au concert, Beledian – présent dans la salle – a construit Seuils autour de la découverte de vieilles photos de famille, qui servent de prétextes pour retracer l’histoire du peuple arménien au début du vingtième siècle. Dédié au père de Tchamitchian, Traces puise ses titres dans Seuils, mais reprend des impressions et des souvenirs intimes liés à la culture arménienne du musicien comme, par exemple, la crème à la rose que préparait sa grand-mère…

Le répertoire du concert est calqué sur le disque, y compris l’ordre des morceaux. En bis, le sextet joue « Mai 2015 », dédié à Jacques Mahieux. Même si Traces se veut optimiste et porteur d’un message d’espoir, les morceaux se déroulent dans des ambiances sévères et dégagent une tension palpable, à commencer par les extraits poétiques et sombres tirés de Seuils (« La route de Damas »).

Bien sûr les musiciens prennent des chorus (souvent courts), mais la musique repose davantage sur le jeu de groupe, avec des boucles rythmiques qui circulent de l’un à l’autre, des échanges de rôles, de nombreux unissons soutenus par des contre-chants subtils… La force de Traces passe également par le jeu physique, charnel et les cadences effrénées que la batterie de Marguet insuffle : frappes puissantes sur les fûts (« Poussières d’Anatolie »), roulements serrés et furieux sur les peaux (« La route de Damas »), martèlements sourds (le solo dans « Les cieux d’Erzeroum »)… La contrebasse s’unit aux percussions pour faire monter la pression. Tchamitchian déploie une panoplie de motifs rythmiques, qui vont d’une pédale imposante (« Poussières d’Anatolie ») à des ostinatos grondants (« Les cieux d’Erzeroum »), en passant par des riffs entraînants (« Vergine ») ou un bourdon à l’archet (« Lumières de l’Euphrate »). Tchamitchian fait également chanter son instrument dans des développements particulièrement mélodieux, rehaussés d’une pointe de nostalgie (« Vergine »), mais aussi dans des mélopées aux accents orientaux, un peu à l’image d’une vièle (« La route de Damas », « Les cieux d’Erzeroum »). Comme ses compères, Deschepper se partage entre rythmes et mélodies. Le guitariste alterne des séries d’accords sobres (« Antika »), des traits aériens (« Poussières d’Anatolie »), une ponctuation ska (« Mai 2015 »), une ligne captivante (« Lumières d’Euphrate »)… La voix profonde du baryton renforce la gravité du message. Fréquemment dansant (« Mai 2015 ») et groovy (« Vergine »), Corneloup s’aventure également dans des digressions déliées et harmonieuses (« Poussières d’Anatolie »), voire émouvantes, qui débouchent généralement sur des envolées free (« La route de Damas »). Pendant le concert, Corneloup ne quitte pas son baryton, tandis qu’Erdmann intervient au soprano dans « Poussières d’Anatolie », avant de passer au ténor pour le reste du set. Lui aussi alterne parties rythmiques (pédale dans « Les cieux d’Erzeroum », ostinatos dans « Vergine ») et mélodiques débridées – orientalisantes (« Poussières d’Anatolie »), expressives (souffle et vibrato d’« Antika »), nerveuses (« Vergine »)… Quant à Keller, ses récitatifs scandés (« Lumières d’Euphrate »), révoltés (« Poussières d’Anatolie ») ou hurlés (« Vergine ») sont un lien direct avec Seuils. Le ton gouailleur rappelle parfois Edith Piaf (« Lumières d’Euphrate »). Les vocalises qui accompagnent à l’unisson les soufflants (« Les cieux d’Erzeroum », « Mai 2015 ») côtoient des hurlements, des cris gutturaux, des passages en voix de tête, des vociférations nerveuses… d’un expressionnisme exacerbé (« Antika »).

La musique de Traces dépeint un sujet douloureux avec réalisme – les paroles extraites de Seuils – et gravité – la densité de l’écriture et du traitement des compostions – tout en restant incandescente grâce à une présence rythmique palpitante.

Le disque


Traces
Claude Tchamitchian Sextet
Géraldine Keller (voc), Daniel Erdmann (ts ss), François Corneloup (bs, ss), Philippe Deschepper (g), Claude Tchamitchian (b) et Christophe Marguet (d)
Emouvance – emv 1037
Sortie en avril 2016




Liste des morceaux

01. « Poussières d'Anatolie » (10:22).
02. « Vergine » (4:07).
03. « La route de Damas » (7:40).
04. « Lumières de l'Euphrate » (13:51).
05. « Antika » (6:45).
06. « Les cieux d'Erzeroum » (12:38).

Tous les morceaux sont signés Tchamitchian