Marqué par
ses racines grecques, Stéphane Tsapis joue un jazz empreint de mélodies et de
rythmes des Balkans. La sortie de Border Lines, en mars 2016, donne l’occasion de partir à la découverte de ce
pianiste à cheval entre deux cultures…
La
musique
J'ai eu de la
chance : mon grand-père était un pianiste amateur très éclairé ! Mais
il n'avait pas eu l'opportunité de pouvoir en faire son métier… Mon arrière-grand-père
aussi me voyait tripoter les touches du piano du salon. Ils m’ont encouragé à me
mettre au piano et conseillé à ma mère de trouver un professeur... Ce ne sont
pas les pianistes qui manquent dans la famille de ma mère ! Mon oncle, Jean-Louis Haguenauer, est un immense
soliste classique, spécialiste, entre autres, de Claude Debussy ; quand j’étais enfant, nous allions souvent l'écouter
en concert...
J’avais
autour de sept ans quand ma mère m'a offert une cassette avec les
enregistrements solo de Thelonious Monk
pour Columbia. Le choc ! Je l’ai écouté en boucle sur mon walkman. Et j'ai d’ailleurs
longtemps cru que la manière de jouer de Monk était conventionnelle... J’ai appris
dans les notes de pochettes quels étaient les musiciens qui l’avaient influencé
et me suis procuré des disques de James
P. Johnson et Fats Waller. Puis,
de fil en aiguille, j’ai écouté d'autres pianistes : Erroll Garner, Bud Powell,
Hank Jones, John Lewis, Mal Waldron,
Randy Weston... Je suis devenu ce
qu'on appelle un fanatique ! J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir la
grande famille du jazz et des musiques afro-américaines…
Vers dix ans,
après avoir pris des cours avec quelques professeurs particuliers, j'ai mis les
pieds au conservatoire du quatorzième arrondissement de Paris : une professeure
de solfège m'a traumatisé ! Et je n’ai plus voulu y retourner... D’ailleurs,
pendant très longtemps j’ai détesté lire la musique : j'apprenais rapidement
par cœur les morceaux et faisais semblant de lire la partition... En revanche j’aimais
improviser et composer mes propres morceaux... Mon grand-père improvisait dès
qu’un piano se trouvait à portée de doigts… La plupart du temps c’était sur des
standards de jazz qu'il avait appris d'oreille. « Caravan », « Dinah »
et « Mood Indigo » étaient ses morceaux de prédilections. Il m'a
transmis sa passion ! Lors des fêtes de famille il nous arrivait même de
faire des quatre mains endiablées… Mes parents m’ont parfaitement compris et
j'ai continué le piano avec des professeurs merveilleux qui m'ont vite orienté
vers le jazz. En dehors des pianistes déjà cités, mes influences se sont élargies :
Louis Armstrong, mais aussi les
Doors, les Beatles, Igor Stravinsky,
Béla Bartók, Nino Rota, Boby Lapointe...
Après le baccalauréat
et un stage de Jazz à Barcelonnette, j'ai décidé de me consacrer à la musique...
La suite s’est enchaînée : Benjamin
Moussay, des cours de jazz au conservatoire, des cours de classique à Gennevilliers
avec Josette Morata… Ils m'ont donné
le goût du travail et du geste musical. Et, en parallèle à mes études, je suis
devenu professeur à mon tour…
Stéphane Tsapis (c) Pierrick Guidou
Cinq
clés pour le jazz
Qu’est-ce que le jazz ? Une longue histoire passionnante...
Asseyez-vous, mettez-vous à l'aise, nous allons passer un bon moment !
Pourquoi la passion du jazz ? Il permet d'explorer ce que nous
avons au fond de nous-même : à la recherche d'un son original qui nous correspond…
Et c'est cette leçon que je retiens du jazz : joue ce que toi seul peut
jouer. Les étiquettes stylistiques ne sont que littérature...
Où écouter du jazz ? En live !... Dans un club, un
squat, une belle salle de concert... Essayez de suivre vos groupes préférés et
allez les écouter dans des lieux différents !
Comment découvrir le jazz ? Soyez curieux de toutes les musiques !
Inscrivez-vous dans une médiathèque et écoutez le plus de disques possibles…
Une anecdote autour du jazz ? Monk et Powell font un long voyage en
train ensemble, ils ne se sont pas vus depuis des années. Ils n'échangent pas
un seul mot. En se quittant, Monk – ou Bud – dit à l'autre : « ça m'a
fait plaisir de discuter avec toi ! ».
Le
portrait chinois
Si j’étais un animal, je serais un koala car je trouve sa tête sympathique,
Si j’étais une fleur, je serais un fuchsia, pour ses petites lanternes rigolotes,
Si j’étais un fruit, je serais une pastèque parce que c'est délicieux et
rafraichissant,
Si j’étais une boisson, je serais une bière extrêmement fraiche, devant un
coucher de soleil, au milieu de la mer Egée !
Si j’étais un plat, je serais un agneau grillé avec des pommes de terre au
four, sur fond de sauce au citron, le plat magique de mon papa,
Si j’étais une lettre, je serais T, pour le nombre de fois où j'ai dû
épeler mon nom de famille...
Si j’étais un mot, je serais Aman !, l’interjection utilisée dans la musique arabe,
turque, grecque et plus, si affinité... Intraduisible...
Si j’étais un chiffre, je serais 5, un chiffre magique,
Si j’étais une couleur, je serais bleu canard ?...
Si j’étais une note, je serais celle qui est jouée ou chantée avec les
tripes !
Les
bonheurs et regrets musicaux
Je suis heureux
d'avoir écrit une pièce pour l'octuor de clarinettes de la garde républicaine :
« Crna Gora ». Mais je garde aussi un souvenir ému de ma première
composition, « Palme de verre », qu’Alain Vankenhove m’a permis d'arranger pour le big band de Bourg La
Reine, dans lequel je tenais le poste de pianiste.
Quant à mon
plus grand regret, c’est de ne pas être allé écouter Mal Waldron en concert, après la Master Class qu'il avait donné à l’université
Paris VIII, en 2002 : il m'avait offert une place en coulisse, mais je n'y
suis pas allé... Et il est mort quelques temps plus tard…
Sur
l’île déserte…
Quels disques ? Solo Monk, Live At The
Pershing d’Ahmad Jamal, le Porgy and Bess d’Oscar Peterson, l'intégrale des Beatles, la Far East Suite de Duke
Ellington, le Porgy and Bess de Gil Evans et Miles Davis etc.
Quels livres ? Toutes les enquêtes de l'inspecteur Salvo Montalbano
par Andrea Camilleri, L'écume des jours de Boris Vian, Le Maître et Marguerite de Mikhaïl
Boulgakov, La liberté ou la mort
de Nikos Kazantzaki, Les fleurs bleues de Raymond Queneau...
Quels films ? Vertigo, Fenêtre sur
cour et La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock, toute la filmographie
post 1917 de Charlie Chaplin, Les aventures de Rabbi Jacob, Huit et demi, Amarcord et La dolce vita
de Federico Fellini, Asterix et Cléopâtre, Princesse Mononoké, Beetlejuice…
Quelles peintures ? Johannes
Vermeer, Vincent Van Gogh, Claude Monet, Marcel Gotlib,
Jean-Jacques Sempé, Joann Sfar et Jacques TardI.
Quels loisirs ? La musique !
Les
projets
Le gros
projet du moment : une adaptation de ma pièce symphonique composée pour le
film de Chaplin, L’Emigrant, qui sera
jouée le 24 novembre prochain par l'orchestre d'Athènes et un petit combo de
jazz dans un camp de réfugié à Lavrio, en Grèce. Ce sera un ciné-concert live. Le
27 novembre, nous le rejouerons pour une soirée caritative au Megaro Mousikis
d'Athènes. Je suis impatient d'être sur place !
Sinon, j’ai trois
autres projets sur le feu : un spectacle, Le
piano oriental, avec la dessinatrice Zeina
Abirached, un nouveau disque en trio en gestation et l'envie grandissante
de jouer en solo...
Trois
vœux
1. La
paix.
2. L'amour.
3. Le
bonheur.