D’octobre 2016 à mars
2017, Pierre Bertrand et sa formation de jazz flamenco Caja Negra se produisent
une fois par mois au Pan Piper, à une encablure du Père Lachaise. Le 23 janvier
près de deux-cent cinquante auditeurs ont bravé le froid pour venir écouter un
programme qui tourne autour de Joy,
disque sorti en septembre 2016 chez Cristal Records.
Bertrand ne pouvait choisir meilleure salle : son nom
évoque bien sûr le joueur de flûte d’Hamelin, mais c’est surtout le titre d’un
morceau que Gil Evans a composé pour
l’album de Miles Davis, Sketches of Spain…
Le noyau central de Caja Negra est constitué de Paloma Pradal et Melchior Campos au chant, Alfio
Origlio au piano, Jérôme Regard
à la contrebasse, remplacé par Gilles
Coquard pour le concert, Xavier
Sanchez au cajón et Minino Garay
aux percussions. Pour la soirée du 23, Bertrand complète le septet avec un
quatuor à cordes : Line Kruse
et Johan Renard aux violons, et Isabelle Sajot et Yan Garac aux violoncelles. Il invite également le guitariste
flamenco Mathias Berchadsky et la
danseuse Sharon Sultan.
Le répertoire de la soirée est en partie tiré de Joy, mais contient aussi quelques
reprises et des inédits. Comme sur disque, le concert commence par
« Emove ». Ce joli morceau reflète bien l’esprit de Joy : des unissons mélodieux pour
exposer des thèmes denses, des changements de rythmes – démarrage largo et développement
flamenco – et des superpositions de textures sonores – voix, cordes,
percussions – sur lesquelles le saxophone soprano (le saxophone alto ou la
flûte traversière) développe ses solos. La démarche de Bertrand n’est pas sans
rappeler celles de Louis Winsberg, Toufic Farroukh, voire Renaud Garcia-Fons.
Si le quatuor à cordes plante un décor recherché, il évite l’écueil
du fonds sirupeux et apporte un zeste de lyrisme. Toujours puissant et sagace, Origlio
passe du jazz au flamenco, sans oublier des variations très cinématographiques
et des riffs énergiques, avec une joie de jouer évidente. Bertrand utilise les
vocalises de Pradal et Campos pour densifier sa palette sonore et elles doublent
tantôt le soliste, tantôt les chœurs. Les accords, pompes et fulgurances de Berchadsky
garantissent la touche flamenco. Coquard, Sanchez et Garay privilégient l’efficacité,
avec des lignes de basse fluides, un cajón sourd et des percussions robustes.
Quant à Bertrand, il promène son soprano, alto ou flûte au grès des thèmes et
ambiances, comme le soliste d’un concerto.
« Acqua » donne l’occasion à Renard de prendre un
solo de violon entre manouche et mainstream, tandis que « Heart »
part dans une direction plus funky avec un chorus du saxophone alto digne d’un
shouter et une démonstration de batterie, à base de roulements puissants sur
les peaux. Quant à « Joy », il a été écrit sur la base d’une alegria et,
comme ces chants d’origine gitane de la région de Cadiz, c’est une danse joyeuse,
entraînante que les voix, palmas et rythmes flamenco enflamment.
C’est en janvier 2002, lors d’un concert à l’Olympia, que Bertrand
rencontre Sultan. Quatre morceaux permettent à la danseuse de faire une démonstration,
soutenue par la voix aigüe et typée de Campos : après une danse élégante
sur une chaise, Sultan enchaîne sur une marche, puis un duo zapateado et
soprano et finit, avant le rappel, sur une Soleá por buléría, un palo andaloux
aux accents moyen-orientaux, accompagné par la flûte traversière. Avec la
partie de guitare virtuose, le cajón qui appuie les basses, les percussions foisonnantes,
les encouragements vocaux, les palmas, les claquettes… et la souplesse
sensuelle des mouvements de Sultan, Caja Negra fait escale dans un flamenco pur
et dur.
Bertrand a également composé deux chansons pour Pradal. La
chanteuse délaisse les vocalises pour des textes. « En liberté » et « Pas
sans toi » s’apparentent à de la variété française classieuse, avec des
contrepoints du soprano bien vus.
Une exubérance contagieuse et un attachement aux mouvements
mélodiques, servis par une orchestration soignée : Joy fleure bon une sorte de romantisme méditerranéen...
Le disque
Joy
Pierre Bertrand Caja
Negra
Paloma Pradal (voc), Sabrina Romero (voc, cajón), Melchior
Campos (voc), Alberto Garcia (voc),
Pierre Bertrand (ss, as, ts), Louis Winsberg (g), Alfio Origlio (p),
Jérome Regard (b), Xavier Sanchez (cajón) et Minino Garay (d, perc), avec Sylvain Luc (g), Jean-Yves Jung (p) et Edouard
Coquard (cajón).
Cristal Records – CR 241
Sortie en septembre 2016
Liste des morceaux
01. « Emove » (3:51).
02. « Muse » (7:53).
03. « White Light Alone » (5:28).
04. « Heart » (7:02).
05. « Fly » (3:45).
06. « Mano a Mano » (6:31).
07. « Black
or White » (4:50).
08. « Acqua
» (7:32).
09. « Love
Song » (4:13).
10. « Joy » (8:57).
Toutes les compositions sont signées Bertrand.