Du 12 au 14 octobre
2018, la Petite Halle donne carte blanche à Magic Malik Mezzadri. La
programmation des trois soirées du festival est consacrée aux créations de la
Fanfare XP et, en première partie, aux projets personnels des musiciens de
l’orchestre de Mezzadri.
C’est donc le collectif Onze Heures Onze qui investit la
superbe verrière de La Petite Halle, restaurée dans un style industriel – charpente
en acier, ciment, tables et chaises métalliques, comptoir en zinc… – chic – les
plantes, les couleurs, l’éclairage... Au
restaurant, au bar, sur la terrasse ou dans le jardin, La Petite Halle de La
Villette allie mets et notes au comptoir ou à table, mais devant la scène !
C’est à partir de 2015 qu’elle s’est mise au jazz, sous l’impulsion de Reza Ackbaraly.
Réminiscence, le
projet du guitariste Kévin Lam, ouvre
la soirée, puis la Fanfare XP prend le relai, avec le répertoire tiré du
dernier disque en date, sorti en février 2018 chez Onze Heures Onze (ONZ 028).
Réminiscence
Kévin Lam Trio
Lam a monté un trio avec Nicolas Bauer à la basse et Pierre
Mangeard à la batterie pour explorer le champ de l’improvisation
entièrement libre. Pour le set du 13 octobre, la violoniste Laure Bardet et le violoncelliste Ian-Elfinn Rosiu se joignent aux débats.
Trois improvisations d’un peu plus de vingt minutes chacune se
succèdent. Chaque improvisation est constituée de plusieurs tableaux qui se
succèdent au fil des propositions. Le premier tableau du premier morceau donne
le ton : la rythmique répétitive puissante, la guitare minimaliste et les
cordes qui grincent développent une ambiance rock underground méditative... Le
quintet monte ensuite en tension : point de salut pour la mélodie, à peine
esquissée par le violon, elle laisse place à des stridences, crissements,
gémissements… sur une basse et une batterie volontiers sourdes et funky,
pendant que la guitare lâche des notes isolées et insère quelques effets de
grésillements électriques.
Lam installe la deuxième improvisation : phrases heurtées et
fortissimo poussées par une sonorité claironnante. Bauer et Mangeard emballent
le morceau avec un funk syncopé musclé. Le chœur des cordes reste discret
jusqu’à ce que Bardet se lance dans une ritournelle presque celte, à laquelle
répond Rosiu sur le même ton. Cette évocation des musiques du monde débouche
sur des rim shot et une ligne de basse slappée, dans un style ethnique, qui
laisse la place à un solo de batterie vitaminé !
Sur les traits courts et vifs de la guitare, le violon et le
violoncelle se livrent à une démonstration de bruitisme : grattements,
frottements, feulements, chuintements… sur des frappes éparses et puissantes de
la batterie qui s’accélèrent progressivement, tandis que la basse joue une
ligne sombre. Le final retrouve le minimalisme à base de pédales, d’ostinatos
et de riffs des cordes.
Les improvisations de Lam et de son quintet jouent sur les
contrastes entre le jeu débridé et contemporain des cordes, le minimalisme de
la guitare et la section rythmique vigoureuse et
régulière, une sorte de rock improvisé noisy contemporain.
Fanfare XP
Magic Malik
Mezzadri monte le premier Magic Malik Orchestra en 1992,
mais c’est avec le deuxième qu’il enregistre, en 2003, le premier disque de la
série des XP. A la suite d’une résidence à la Fondation Royaumont, Mezzadri, le
saxophoniste alto Pascal Mabit et le
trompettiste co-fondateur du collectif Onze Heures Onze, Olivier Laisney ont l’idée de former la Fanfare XP.
Outre Mezzadri, Mabit et Laisney, la Fanfare XP compte dix
autres membres : Fanny Ménégoz
à la flûte, Maciek Lasserre au
saxophone soprano, Johan Blanc au
trombone, Maïlys Maronne au
mélodica, Jonathan Joubert et Kévin Lam à la guitare, Alexandre Herer et Daniel Moreau aux claviers, Nicolas
Bauer à la basse et Vincent Sauve
à la batterie.
Le concert dure plus de deux heures et demie car, comme le
dit Mezzadri : « en fait, souvent on continue jusqu’à ce que nous, on
en ait marre… Si vous, vous en avez marre, vous pouvez y aller… Mais c’est
mieux si vous restez… ». La fanfare reprend le répertoire du disque et
plus, avec des thèmes signés Blanc, Laisney, Mabit, Maronne, Ménégoz, Mezzadri…
En dehors d’un duo élégant de Mezzadri, avec sa flûte en bambou, et Richard Bauer, avec un didgeridoo qui sonne un peu comme une guimbarde, la plupart des morceaux sont enchaînés
sans interruption et il est difficile d’en distinguer les compositeurs tant ils
sont cohérents entre eux.
Des mélodies plutôt courtes, un peu comme des refrains, souvent
pimentées de vocalises, voire de quelques paroles, et le plus souvent construites
autour de cellules rythmiques entrainantes, servent de base à des développements
harmoniques variés. Le rythme est un élément clé de la musique de la Fanfare XP.
Tout d’abord, la basse et la batterie jouent un rôle primordial pour maintenir
une pulsation vigoureuse, avec des lignes de basse sourdes, aux accents funky,
et un drumming musclé. Tout l’orchestre participe à la bonne marche du rythme :
claquements de mains, chœurs de vocalises, riffs des soufflants, pédales des
guitares, ostinatos des claviers… La Fanfare XP se libère des contraintes de
temps pour mettre en place les ambiances et faire monter la tension
progressivement, comme une transe. C’est aussi le son de la Fanfare XP qui fait
son originalité : des nappes sonores jouées par les claviers en
arrière-plan, une section rythmique terrienne et dansante, des motifs à l’unisson
qui se décalent petit à petit pour se conclure en clameur, des phrases qui se
détachent au-dessus de la mêlée, des chorus aériens épicés d’embardées free,
des questions-réponses ou des voix qui se croisent pour finir sur des
contrepoints virtuoses… Le tout servi par une palette sonore chatoyante et des
techniques de jeu expressives. La Fanfare XP brouille les cartes entre les
brass-band de la Nouvelle Orléans, un funk mâtiné de soul, la house, le blues,
la musique contemporaine et, bien sûr, les musiques du monde, omniprésentes du
début à la fin.
Foisonnement sonore parfaitement organisée, la musique de la
Fanfare XP est généreuse, enthousiaste et séduisante à souhait.