En 1990 la house music bat son plein, mais, en France, le
mouvement part dans une direction différente, en utilisant notamment des
samples tirés de tous les styles musicaux. Daft Punk, Air, Justice, Phoenix,
Kavinsky… sont les plus connus du genre musical appelé désormais la French Touch.
Quatre ans après Nouvelle
Vague, inspiré par le mouvement cinématographique éponyme, Stéphane Kerecki s’attaque à la house,
sauce française. Le contrebassiste s’entoure encore d’Emile Parisien au saxophone soprano et de Fabrice Moreau à la batterie, mais c’est Jozef Dumoulin qui est au piano et au Fender Rhodes. Le répertoire
reprend sept tubes des artistes sus cités, plus « Wersailles » de
Chassol et « Wait » de M83. French
Touch est dédié au pianiste John
Taylor, décédé en 2015 et compagnon de route du trio de Kerecki pendant plusieurs
années. Après Modern Art (Vincent Lê Quang - Kerecki - Daniel Humair), French Touch est le deuxième disque de jazz du catalogue d'Incises, nouveau label indépendant dédié à la musique classique et au jazz.
Qui n’est pas familier avec la house, peut difficilement
imaginer que les thèmes ne sont pas signés du quartet ! Le son boisé et le
phrasé précis de Kerecki introduit majestueusement « All I Need »
(Air). Tout à l’écoute de ses comparses, Moreau accompagne avec souplesse,
tandis que Dumoulin passe d’un piano moderne à des arrière-plans au Fender,
alors que Parisien s’envole, mélodieux et tendu. Un ostinato de la contrebasse
et de la batterie, soutenu par les accords discrets du piano, sert de décor
pour l’exposé de « Lisztomania » (Phoenix) par le saxophone soprano,
puis le morceau se développe avec des contrepoints et des passes à quatre,
interrompues par des chorus denses,
portés par une rythmique entraînante. « Playground Love » (Air) se
déroule dans une ambiance spatiale, marquée par les effets électro du Fender,
une batterie minimaliste, un soprano en suspension, un piano contemporain et un
solo de contrebasse mélodieux à souhait. Un climat débridé, une rythmique
luxuriante, des échanges vifs et nerveux… caractérisent « Harder, Better,
Faster, Stronger » (Daft Punk). D’abord lointain avec le soprano sur la
pédale du piano et de la contrebasse, « Wersailles » (Chassol)
décolle, lancé par les chorus inspirés de Kerecki et Parisien, avec un beau
mouvement d’ensemble qui fait monter la pression. Retours aux effets électro
spatiaux pour « Robot Rock » (Daft Punk), mais discrets car le
quartet privilégie clairement la sonorité acoustique. Les quatre musiciens sont
toujours aussi expressifs avec un mélange d’abstraction contemporaine ou free
et de traits terriens (accents orientaux, walking…). « Nightcall »
(Kavinsky) invite à la ballade : ligne de Fender sur roulements serrés de la
batterie, motifs de contrebasse minimalistes et cool, et soprano dans les
graves, comme un crooner. Dans une deuxième partie, le morceau s’anime, porté
par les solos de Parisien et Kerecki, qui interagissent avec Dumoulin. Un
unisson sur une batterie touffue annonce « Genesis » (Justice),
relayé par les crépitements du piano soulignés par les contre-chants de la
contrebasse. Sous l’impulsion de la batterie et de la contrebasse,
« Genesis » change de direction et part dans une ambiance entraînante,
reprise par le piano et le soprano. Retour au calme pour le final avec l’archet
de Kerecki, puis Parisien et Dumoulin qui jouent dans une veine classique du
début XXe. French Touch se conclut sur une touche méditative :
« Wait » (M83) prend des allures d’hymne avec le soprano éthéré, le
piano minimaliste, la contrebasse souple et profonde et la batterie emphatique.
French Touch est à
la fois raffiné et charnel, virtuose et émouvant, équilibré et original…
Kerecki et son quartet trouvent le son juste et les phrases qui touchent.