Chet Baker, Annie Ebrel, l’Ensemble
Intercontemporain avec Dave Liebman,
le Jazzoo Project… et, bien sûr, la direction du pôle Jazz et Musiques
Improvisées du CNSMDP depuis 2004 : Riccardo Del Fra est une véritable institution et ce n’est pas pour rien qu’il a été
promu Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres…
Son dernier projet en date est d’actualité : Moving People, qui sort chez Cristal Records en octobre 2018, rend hommage aux migrants. Pour
joindre le geste à la parole Del Fra réunit un septet international de
haut vol : le trompettiste polonais Tomasz
Dabrowski, le saxophoniste allemand Jan
Prax, le batteur américain Jason
Brown, ainsi que son compatriote guitariste Kurt Rosenwinkel, le saxophoniste Rémi Fox et le pianiste Carl-Henri
Morisset, tous deux français, sans oublier, bien entendu, le contrebassiste
leader qui est italien…
Les dix thèmes sont signés Del Fra et font tous référence à
la détresse des migrants. L’artiste commente ses morceaux : « Moving
People » honore « ceux qui laissent tout derrière eux et partent pour
survivre… » ; « Ressac » en souvenir de la mort
d’Aylan ; « The Sea Behind » pour « le doute et
l’espoir » ; « Children Walking (Through A Minefield) » et la
tristesse « des enfants, des mines, [de] la guerre » ;
« Around The Fire » « brûle du bois, mais aussi la peur. Il fait
nuit, seules lumières, le rouge du feu et le blanc des yeux » ;
« Ephemeral Refractions », « Wind On An Open Book II » et
« Street Scenes » évoquent des ambiances un peu oniriques (la
lumière, le vent, le brouhaha…) ; quant à « Cieli Sereni »,
conclusion de l’album, il se veut « espoir, espérance »… Del Fra a enregistré Moving
People au Studio La Buissonne avec l’incontournable Gérard de Haro aux consoles et il reprend Por la calle, un tableau expressionniste et coloré de l’artiste
argentin Ricardo Mosner, pour illustrer
la pochette du disque.
Concises et habiles, les mélodies de Moving People passent d’un esprit West Coast (« The Sea
Begind », « Moving People »), smooth (« Wind On An Open Book »),
emphatique comme dans un western (« Around The Fire »), voire apprêté
(« Ephemeral Refractions »), à une ambiance sautillante («
Ressac »), touffue (« Street Scenes »), parfois digne d’un dessin
animé (« Children Walking… »). La construction des morceaux reste
sobre (« Moving People ») et privilégie les mouvements d’ensemble (« Ephemeral
Refractions »), avec des montées en tension progressives (« Moving
People »). Rosenwinckel joue tout en retenu (« Moving
People »), avec un lyrisme à fleur de cordes (« « The Sea
Behind »). Prax, Fox et Zabrowski alternent des chœurs à l’unisson
(« Wind On An Open Book ») et des chorus vifs (« Street
Scenes »), heurtés (« Children Walking ») parfois électrifiés pour
accentuer l’éloignement et le mystère (« Wind On An Open Book »). Elégant
et léger (« Ressac »), Morisset se montre également convaincant dans
un rôle rythmique (« Moving People »). Brown passe d’un
accompagnement constamment à l’affût (« Wind On An Open Book ») à un
foisonnement vif, mais toujours porté par une frappe subtile (« Street
Scenes »). Quant à Del Fra, son gros son velouté met en relief les propos
de ses compères (« Street Scenes »), son archet ajoute des effets
cinématographiques (« Around The Fire ») et son aisance mélodique
fait des merveilles dans ses solos (« Ressac », « Cieli
Sereni »).
Grâce aux arrangements ingénieux de Del Fra le septet sonne
comme un big band et de Moving People
se dégagent le sens du travail bien fait et le bel ouvrage.