Créé en 2012 par
Alban Darche, l’Orphicube est un orchestre à géométrie variable qui compte quatre
disques à son actif : l’éponyme de 2012, my Xmas traX en 2013, Perception
instantanée en 2014 et The Atomic
Flonflons, sorti en mars 2018, toujours sur le label nantais Yolk, cofondé
par Darche, Sébastien Boisseau et Jean-Louis Pommier en 2000.
La tournée de sortie de The Atomic Flonflons passe par le
Studio de l’Ermitage où l’Orphicube se produit le 17 octobre. L’octuor du
disque est réuni pour l’occasion : Chloé
Cailleton au chant, Darche aux
saxophones baryton, alto et soprano et à la clarinette, Stéphane Payen au saxophone alto, Olivier Laisney à la trompette, Didier Ithursarry à l’accordéon, Nathalie Darche au piano, Sébastien
Boisseau à la contrebasse et Christophe
Lavergne à la batterie. L’orchestre invite également deux musiciens souvent
associés à l’Orphicube : Matthieu
Donarier aux saxophones ténor et soprano et Marie-Violaine Cadoret au violon.
L’instrumentation de l’Orphicube tient du big band de jazz, bien
sûr, mais aussi de l’orchestre de bal musette. La formation met à sa sauce des thèmes
inspirés de la musique populaire et joue de « la musique de genre
détournée ». Conçu comme la « B.O. d'un film imaginaire » en deux actes de
six scènes chacun, The Atomic Flonflons
propose huit morceaux signés Darche, « Automne », lied de Gabriel Fauré et Armand Silvestre, « La Paloma », tango de Sebastián de Iradier, « I’m A Fool
To Want You », chanson de Franck
Sinatra, Jack Wolf et Joel Herron, et « I’ll Be Seing
You », composé par Sammy Fain
et Irving Kahal. Darche met en
musique deux poèmes : « Lluvia lenta » de l’auteur chilienne Gabriela Mistral, et « Le ciel est
par-dessus les toits » de Paul
Verlaine. Le chapiteau d’un cirque éclairé de mille feux, au milieu de la nuit, sans âme qui vive, illustre la pochette du disque et contribue également à l’univers chimérique de The Atomic Flonflons.
Pendant le concert, l’Orphicube reprend dix des douze titres
de l’album, « Opium » (Crooked
House – 2015), « Paso doble » (Perception instantanée – 2014), une relecture de « Hit The
Road Jack » (en bis) et « Crepusculo », un tango écrit par Eduardo Blanco, compositeur argentin tristement
célèbre pour sa proximité avec les fascistes et les nazis, et à qui Joseph Goebbels a demandé de jouer devant
Adolf Hitler « Plegaria »,
renommé « Le Tango de la Mort » quand il devient la musique qui
accompagne les déportés juifs vers les chambres à gaz.
Un élégant duo entre l’accordéon et le saxophone alto
introduit « Saudade », puis, sur un rythme chaloupé porté par le
piano, la batterie et les shuffle de la contrebasse, Cailleton chante une
mélodie aux parfums nostalgiques, soutenue par le chœur des soufflants. Le
timbre médium suave et chaud de Cailleton, parfaitement au diapason du violon
et du bloc des vents, répand la même atmosphère tranquille dans le mélancolique « Opium » et les deux
ballades immortalisées par Billie
Holiday et Sinatra, « I’ll Be Seing You » et « I’m Fool To
Want You » (agrémenté d’un chorus chantant de Boisseau). C’est plutôt une ambiance de lied début XXe qui
anime « L’oiseau qu’on voit chante sa plainte », avec une
orchestration dense et sophistiquée. En dehors de « Crepusculo »,
tango de salon, interprété quasiment au pied de la lettre du début à la fin,
les autres morceaux démarrent le plus souvent dans l’esprit de leur genre (« Java »,
« Ragtime », « Paso doble »…), pour mieux s’en éloigner !
Tambours, riffs, chœurs éclatants, vocalises et décor charleston lancent « Jungle »
à la grande manière de Duke Ellington,
mais très vite, tout se détraque avec une voix qui devient expressionniste et l’orchestre
qui part dans des phrases débridées. Après une intro harmonico-mélodique du
baryton et l’exposition de « Tango vif », les sections croisent leurs
notes avec un côté musique de cirque, avant que la trompette ne prenne un solo
stimulant, suivi du violon, a capella, qui conclut par des grattements,
glissandos et autres crissements… comme une boîte à musique déglinguée. Emaillée
de mesures de samba, la chansonnette « Rhythm Song » pétille, sur un
rythme heurté, porté par les questions-réponses de la batterie et du saxophone
alto ou de la clarinette. « Paso doble » est une caricature ludique
de la danse espagnole avec un foisonnement bouffon, comme si tous les
instruments avaient leur mot à dire. Après le démarrage du piano dans le plus
pur style, « Ragtime » part dans tous les sens en gardant l’esprit original
en filigrane. Le piano doublé d’un sifflement et de l’accordéon lancent « Java »
sur trois temps entraînants, puis après une séquence nostalgique l’Orphicube
fait exploser le morceau et « la java se fait la malle ». Même topo
pour « Musette » : après un dialogue pimenté de la clarinette et
de l’accordéon, l’orchestre déroule une belle valse non sans glisser des
détournements et des clins d’œil amusants. La batterie commence le bis par un
solo sur les peaux et une pédale de grosse caisse, vivant, musical et charnel, puis
vocalises et chœurs partent sur un « Hit The Road Jack » luxuriant
jusqu’à l’explosion finale qui libère tous les instruments dans un malstrom
expressionniste.
Darche et l’Orphicube s’amusent sérieusement et The Atomic Flonflons porte parfaitement
son nom : une musique tonitruante, joyeuse et nucléaire !