Edward Perraud est un
musicien présent dans moult formations: Das Kapital, Hubbub, Supersonic, Synaesthetic
Trip… pour n’en citer que quelques-unes ! Le 15 octobre, il présente sa
dernière création au Studio de l’Ermitage dans le cadre du Festival Jazz surSeine. C’est également l’occasion de célébrer la sortie d’Espaces chez Label Bleu.
C’est au pianiste Paul Lay et au contrebassiste Bruno
Chevillon que Perraud propose de « tenter d’établir un pont entre l’écoute
du son, la théorie musicale et la physique des particules »… Le programme est
ambitieux et couvre plusieurs Espaces
que le batteur – compositeur caractérise par l’espace acoustique dans lequel se propage la musique, l’espace entre deux sons, les
intervalles – concept central du disque –, l’espace
au sens cosmologique, l’espace-temps de
la théorie de la relativité et l’espace
visuel, car Perraud est également photographe… Dans le livret du disque, il
a d’ailleurs lié chaque morceau à l’une de ses photos de « musicien nomade » :
« Collapse » est associé à une vue plongeante en noir et blanc d’un
escalier en colimaçon vertigineux ; un gros plan d’une tête de cheval, les
naseaux grands ouverts, qui apparaît comme un fantôme sur un fond noir, illustre
« Singularity »… Sujets immobiles et souvent décharnés, cadrages travaillés,
effets de lumières et d’ombres sophistiqués, les photographies de Perraud évoquent
des natures mortes sobres, aux parfums oniriques.
Enregistré au Studio Sextan par Philippe Teissier du Cros, Espaces
comprend quatorze pièces, d’une durée d’une heure dix. Pendant le concert, le
trio reprend onze titres du disque. Volontiers disert et facétieux, Perraud commente
ses compositions. Les référence du batteur parlent d’elles-mêmes : Thelonious Monk (« Space Time »),
Henry Purcell (« Collapse »),
John Coltrane (« La dernière
carte »), les « cloches civiles » (« Tocsin »), Wolfgang Amadeus Mozart (« L’âge d’or »),
Abdullah Ibrahim (« Just One
Dollar » pour Dollar Brand, nom
de naissance d’Ibrahim), Lord Byron
(« Tone It Down »)… Il détaille également les intervalles auxquels il
rend hommage : l’octave d’« Elevations », la quarte pour « La
dernière carte » et « Tone It Down », la septième majeure sur « Melancholia »,
la sixte mineure avec « Le sixième sens », la quinte dans « Hiatus »
(« on peut faire une quinte de tout », comme plaisante Perraud…), la
tierce majeure dans « L’âge d’or »…
Pris la plupart du temps sur des tempos mediums à lents et plutôt
concis, les morceaux se déroulent avec une grande cohérence. Le trio soigne ses
mélodies (« Melancholia »), avec des touches lyriques (« Elevation »),
voire romantiques (« Tone It Down ») et volontiers solennelles (« Tocsin »).
Des dialogues sophistiqués (« Space Time »), des interactions subtiles
(« L’âge d’or »), des échanges élégants (« Hiatus »), des
chorus denses (« Collapse ») et des développements mystérieux (« Just
One Dollar ») s’appuient sur une rythmique qui crépite (« Sixième
Sens »), foisonne (« Elevation »), gronde (« Tocsin »)
et s’amuse avec les sons (« L’âge d’or »). La musique d’Espaces se promène entre musique
classique, contemporain, free et rock alternatif, sans oublier les racines bop et
blues (chabada, walking et trumpett style dans « La dernière carte ») !
La référence au Don
Juan de Lord Byron n’est pas usurpée :
« Il y a de la
musique dans le soupir du roseau ;
Il y a de la musique
dans le bouillonnement du ruisseau ;
Il y a de la musique
en toutes choses, si les hommes pouvaient l'entendre.
Leur terre n'est
qu'un écho des astres. »
Lay, Chevillon et Perraud ont monté un trio exaltant qui a
tout compris : à l’opposé du vide de l’infini, il se passe toujours
quelque chose de concret dans leurs Espaces !